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13 février 2011 7 13 /02 /février /2011 08:58

Sur la terre d'Afrique, que dire ?

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Visite de Martine Aubry, première secrétaire du Parti Socialiste, à Dakar, le 8 février 2011.

"Il faut changer le regard de l'Europe sur l'Afrique"

Vaste programme !

On suppose qu'il s'agit de porter sur l'Afrique un regard positif. Si tel est le cas, c'est un souhait ardent.

Mais qui doit le faire ?

Qui peut le faire ?

L'Europe ne changera certainement pas d'elle-même son regard sur l'Afrique. Cela ne peut relever que de la volonté des Africains.

Pour ce faire, il importe que ces derniers commencent par changer le regard qu'ils portent sur eux-mêmes d'abord en Afrique, car le regard de l'Europe sur l'Afrique dépend aussi du sort des Africains sur leur contient.

C'est une déconstruction méthodique, de tout ce qui a été construit depuis le 19e siècle, voire bien avant, lors des premiers contacts entre Européens et Africains, mais surtout de l'image que l'Afrique donne d'elle-même actuellement. Cela ne se commande pas, c'est aux Africains de faire ce travail.

D'une manière générale, s'agissant de visites de responsables politiques européens, principalement français, en Afrique, les propos et discours venant d'eux sont le plus souvent mielleux (courtoisie oblige, sans doute intérêts aussi ?) qui restent à la surface des réalités. 

Que de choses à dire qui ne sont pas dites !

Il n'est pas question de faire la leçon aux Africains, mais de dire objectivement comment on comprend, comment on explique les difficultés de la plupart des Etats de ce continent (le Sénégal aussi) à émerger. Il s'agit d'interroger les Africains et de s'interroger.

Les discours des responsables français sur le sol africain tranchent nettement avec celui d'un Barack Obama par exemple. Ce dernier lors de sa première et unique visite en Afrique depuis son élection, au Ghana en juin 2009, a tenu des propos qui me semblent correspondre à ceux qu'il est convenu de tenir en ce moment. Qu'a-t-il dit ?

Extrait :

"L'avenir de l'Afrique appartient aux Africains eux-mêmes. 

Si tragique que soit l'histoire, il est possible de la surmonter.

Respectez les règles de bonne gouvernance, luttez contre la tyrannie, la corruption et les guerres fratricides.

L'Afrique n'a pas besoin d'hommes forts, mais de fortes institutions..."

Quel responsable politique français aurait eu le courage de tenir de tels propos ? Propos qui n'ont rien d'agressif mais qui sont justes et qui ont cependant fait grincer les dents de bien des chefs d'Etat africains.

Pourtant qui peut soupçonner Barack Obama (un peu africain par son ascendance) de figuer parmi les ennemis ou détracteurs de ce continent ?

L'amitié se nourrit aussi de quelques vérités assénées avec sincérité aux bons amis, comme de quelques critiques constructives, ce qui ne doit en aucune manière empêcher les compliments quand ils sont mérités.

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10 février 2011 4 10 /02 /février /2011 09:49

a28Sur le chemin de la sagesse

 

Je vais t'indiquer la marche à suivre pour vivre une vie plus tranquille. Toi, reçois ces conseils comme si tu devais aller en Ardée et que je t'explique comment y rester en bonne santé. Considère les raisons qui poussent l'homme à faire du mal à l'homme : tu trouveras l'espoir, l'envie, la haine, la peur, le mépris.

La moins grave de toutes, c'est le mépris. Aussi, beaucoup y ont cherché refuge afin d'y panser leurs blessures. Quand on méprise, sans doute piétine-t-on autrui, mais en passant. On ne pratique jamais le mépris avec méthode, avec acharnement. Même sur le champ de bataille, on dédaigne l'homme à terre alors que l'on combat celui qui est debout.

Pour ne pas être la proie des méchants, tu ne posséderas rien qui puisse exciter la cupidité et l'iniquité d'autrui, rien qui tape à l'œil. En effet, tout ce qui brille, même inconnu, déclenche la convoitise. L'envie, tu pourras l'esquiver en ne t'exposant pas aux regards, en ne te vantant pas de ce que tu possèdes, en sachant en jouir à l'écart. La haine, qui naît de l'offense, tu pourras l'éviter en t'abstenant des provocations. La haine gratuite, tu t'en garderas avec du bon sens. Beaucoup encourent un autre danger : se faire haïr sans ennemis.

Pour ne pas susciter la peur, fortune modeste et douceur de caractère suffiront. Qu'on sache qu'on ne peut t'attaquer sans risquer la vengeance. Que la réconciliation avec toi soit facile et sincère. Être craint est pénible, chez soi comme au-dehors, des esclaves comme des affranchis. Même les plus faibles sont assez forts pour te faire du mal. Ajoute que celui qui fait peur a peur. On ne peut être à la fois redoutable et à l'abri.

Reste le mépris. Mais, dans une certaine mesure, on peut le tempérer, en s'en parant soi-même, quand on est méprisé parce qu'on le veut bien et non parce qu'on le mérite. Les désagréments sont combattus par la bonté, par l'amitié de ceux qui ont quelque puissance auprès d'un puissant. Seulement il convient de s'attacher à eux, non de s'y enchaîner. Autrement, le remède serait pire que le mal.

En tout cas, le mieux à faire, c'est de garder son calme, de parler le moins possible aux autres et le plus possible à soi-même. Il existe dans la conversation un je ne sais quoi d'insidieusement doux qui, comme l'ivresse, comme l'amour, nous soutire des secrets. Nul ne sait taire ce qu'il a entendu. Et nul ne se borne à répéter seulement ce qu'on lui a raconté. Qui n'a pas su taire un fait ne sait pas davantage taire le nom de son auteur. Chacun connaît quelqu'un à qui il fait autant confiance qu'à soi-même. Ainsi, même si l'on se garde d'être bavard, même si l'on se contente d'un seul confident, le secret se propage : le voilà sur toutes les lèvres.

Une bonne recette pour être tranquille consiste à ne blesser personne. Les faibles mènent une vie confuse et agitée. Plus ils font du mal, plus ils ont peur. Ils n'ont jamais de répit. Ils tremblent de leurs méfaits sans être capables de s'en détacher. Leur conscience les rend incapables d'aucune activité et leur demande sans cesse de compter. S'attendre à être puni, c'est l'être déjà, et le mériter. Avec des remords, on peut parfois être à couvert. En paix, jamais. On n'est pas pris mais on craint de l'être. On a le sommeil agité et, chaque fois qu'on entend parler d'une mauvaise action, on pense à ce qu'on a fait, que l'on ne trouve jamais assez effacé, assez dissimulé. Le coupable connaît parfois la chance de l'incognito – la certitude, jamais.

Lettre CV

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6 février 2011 7 06 /02 /février /2011 10:07

016-C  Regards croisés              Tn 000625

                       Dialogue impromptu                              

 

Tiéba : Beaucoup d'observateurs tentent une comparaison entre l'Afrique et l'Asie. Ces deux entités du Vieux Monde sont-ils comparables ? Il s'agit surtout de savoir pourquoi certains États d'Asie qui furent jadis colonisés à l'instar de la quasi totalité des États du continent africain ont relevé ou sont en train de relever le défi du développement, avec art et maîtrise au point d'apparaître comme de véritables dangers pour leurs anciens colonisateurs. Une telle comparaison n'a rien d'un non-sens : les colonisateurs de ces pays d'Afrique et d'Asie furent les mêmes : Anglais, Français, Portugais... La période de colonisation fut la même, du XVIe au XXe siècle. Les méthodes de colonisation furent quasiment identiques. Les décolonisations se firent à peu près aux mêmes époques. Comment donc expliquer que l'Asie s'élève et que l'Afrique plonge ? Comment expliquer que le Japon, terreur économique pour les Occidentaux jusqu’à ces dernières années, n'ait pas d'équivalent en Afrique ? Que la Corée, Singapour, Hongkong, voire la Thaïlande, l'Inde, Taiwan n'aient pas leurs pareils en Afrique ?

Les anciens colonisés d'Asie et  d'Afrique n'ont pas eu la même vision du colonisateur, mieux, n'ont pas  tiré parti également de la colonisation. Les peuples colonisés d'Afrique et d'Asie ont certes en commun une égale admiration, voire une fascination devant la science, la puissance, le savoir-faire du colonisateur. C'est fort de ce constat que ce dernier proclamera l'excellence de sa culture et de sa civilisation.

Cependant, ces deux peuples ne réagirent pas de façon uniforme. S'ils ont tous observé avec attention leurs maîtres pendant des décennies voire des siècles, les Asiatiques ont su, parmi tout ce que charriait l'Occident chez eux, faire un tri minutieux et pertinent, entre ce qui était adoptable et profitable à leur vie, donc positif selon eux et ce qui ne l'était pas. Ils ont su distinguer le bon grain de l'ivraie et se sont de ce fait réorganisés en conséquence. Ce tri déboucha sur l'élaboration d'une nouvelle éthique résolument tournée vers le futur, mais tissée du meilleur de l'apport occidental greffé au meilleur des traditions ancestrales millénaires.

Ce couplage fut explosif dans le sens de la modernité, voire du progrès (quand ce mot n'est pas synonyme de disqualification humaine et pollution) et propulsa le Japon et ses suivants vers les sommets du développement économique, la maîtrise de la technologie moderne faisant d'eux par là même, des acteurs incontournables sur la scène économique et politique du vingt et unième siècle. Certes l'Asie n'est pas pour les Africains un modèle à imiter, mais un exemple à méditer.

Quant à l'Afrique et aux Africains, le tri n'a pu s'opérer (du moins pas pour l’instant) dans leur tentative d'imitation de leurs maîtres colonisateurs, l'ivraie domina le bon grain. Ainsi, le pire de l'apport de l'Europe se mêla-t-il aux éléments les plus douteux des traditions ancestrales. Ce mélange fut corrosif ; y prédominent la brutalité, le bureaucratisme, l'individualisme, le paraître, l'artifice. Une rigidité sclérosante dans tous les domaines. Le plus négatif de l'apport occidental rongea insidieusement le positif des valeurs traditionnelles parmi lesquelles le sens de la solidarité, le respect de l'autre, le sens de la famille, l'hospitalité, le respect de la parole donnée, l'esprit de désintéressement, la patience...

Cette attitude différente face à la colonisation et aux colonisateurs et ses répercussions s'observent encore de nos jours. Les Asiatiques ont ainsi tendance à railler certaines valeurs occidentales, à les trouver parfois ridicules et à proposer des contre-valeurs (sur lesquelles il ne s'agit pas ici de porter un jugement), tout en se servant des armes prises aux Occidentaux. Les Africains en revanche n'ont su proposer de contre-valeurs et sont de ce fait infiniment plus vulnérables à toutes les formes de néocolonialisme et de néopaternalisme qu'ils sont incapables de combattre. On constate ainsi que les actions humanitaires européennes sous toutes leurs formes sont plus nombreuses sur le continent africain qu'en Asie (bien que l'Asie soit plus vaste et plus peuplée) et que les Africains en sont plus dépendants que les Asiatiques. 

 Jacques : On sait ce que fut la colonisation en Afrique. Mais lorsqu'on s'avise de tenter un « bilan », de porter un regard, la question première c'est : que s'est-il passé en Afrique depuis le « départ » des Européens ? Qu'ont fait les Africains de leur indépendance ?

 Tiéba : Après la question déjà posée : « Qu'ont fait les Européens en Afrique ? »

 Jacques : On est passé de l'Afrique courtisée et adulée des années 1960 à  « un continent en perdition » selon la présentation de l'Afrique faite dans Encyclopédia Universalis, édition 1994. Cette expression est à rapprocher de l'intitulé d'une émission sur une radio publique diffusée le 2 janvier 1995 : « L'Afrique, continent du malheur ». Ce décalage est vertigineux. Sur la même antenne, une journaliste posait cette question sur le ton de l'étonnement à un artiste français rentré récemment d'Afrique et passionné par ce continent où il avait, disait-il, rencontré des sages :

« Y a-t-il encore des sages en Afrique ? », comme si la sagesse (de même que la bêtise) connaissait les frontières. Mais la question, même saugrenue a valeur de symbole ; comment en est-on arrivé là ?

016-C

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2 février 2011 3 02 /02 /février /2011 18:13

cheval 118 Un remède de cheval qui tue le malade

A partir de 1990, au lendemain de la chute du mur de Berlin et de l'éclatement du bloc de l'Est, l'aide internationale à l'Afrique changea subitement de cap. Hier, elle était "gratuite", massive, ouverte à tous sans condition, sans contrôle ni exigence de résultats.

Dès 1990, le langage des Occidentaux à l'égard de l'Afrique s'enrichit de nouveaux vocables : conditionnalités, bonne gouvernance, droits de l'homme, l'aide étant désormais liée à une série de conditions, ce virage prit les Africains de court.

Langage et attitude radicalement opposés à ceux en usage du temps de la guerre froide. Un tel langage et un tel comportement n'auraient-ils pas permis à l'Afrique de gravir quelques échelons du développement depuis les indépendances, en prenant d'emblée ses responsabilités.

Les institutions internationales, FMI et Banque mondiale en tête, reçurent mission de mettre en application la nouvelle donne, afin de récupérer les dettes consenties par les bailleurs de fonds et en même temps assainir la gestion des gouvernements. Même si cette politique s'est quelques peu assouplie depuis quatre à cinq ans, ses effets demeurent en Afrique.

 

Les conséquences économiques, mais surtout sociales et humaines des conditionnalités sont dramatiques en Afrique. Elles le sont d'autant plus que dorénavant, sur la scène mondiale, le FMI est au premier rang pour faire accepter aux pays qui lui sont soumis, les règles de l'économie de marché. « L'absence de modèle cohérent alternatif à l'heure où le principal modèle rival s'est effondré lui rend la tâche plus aisée. D'ailleurs, les pays de l'Est en quête d'un accès à l'économie de marché ont tous fait la démarche vers le FMI qui s'est imposé à eux comme il s'était imposé aux pays en développement lors de la crise de la dette. Il n'y a plus guère de choix entre l'acceptation du système ou la marginalisation car, refuser le FMI, c'est refuser l'ensemble des rouages publics ou privés de l'économie financière (système bancaire, aides publiques etc.). Le FMI a acquis en quelque sorte un « monopole curatif » car il est le seul à avoir une vision d'ensemble et la « clef » d'une discipline derrière laquelle s'abritent les autres bailleurs de fonds ».

En d'autres termes, les États africains se retrouvent les mains liées face à la volonté et aux oukases du FMI sans recours ni alternative. Mais le véritable drame pour eux, c'est qu'ils n'ont ni les moyens techniques, ni les capacités intellectuelles de répondre aux conditionnalités imposées.

C'est comme si l'on demandait à des peuples vivant au néolithique de se projeter sans transition dans l'ère du thermonucléaire et des satellites spatiaux ! Le plus étonnant dans la politique des conditionnalités du FMI comme des autres, c'est qu'aucune période transitoire de formation et d'accompagnement n'est prévue. On demande au Burkina-Faso, sans préparation préalable, de se hisser au niveau du Canada, et au Niger à celui du Japon, en soumettant tout le monde aux mêmes règles et aux mêmes normes, aux mêmes critères de performance et d'évaluation. A quoi peut-on donc s'attendre dans ces conditions comme incidence des nouvelles conditionnalités et autres restructurations sur la vie des populations africaines ? La communauté internationale qui se penche au chevet de l'Afrique aurait-elle oublié que les Africains n'ont jamais été véritablement ni initiés, ni formés à la gestion d'eux-mêmes ? La bulle où la colonisation les avait enfermés depuis le début du XIXe siècle, en les coupant du monde, ne leur permettait ni d'observer le fonctionnement de ce monde, ni de penser leur propre vie et leur propre réalité. Bulle de la colonisation où, infantilisés et déresponsabilisés à souhait, les Africains n'avaient ni autonomie, ni existence propre, ni identité, individuelle et collective, ignorés du monde et ignorés d'eux-mêmes. Une médaille d'or remportée aux jeux olympiques par un athlète ressortissant d'une colonie française ou britannique d'Afrique était une médaille française ou britannique, saluée sur le podium par l'hymne national français ou britannique. Par conséquent, les Africains n'entendaient ou ne voyaient que ce que leurs maîtres colonisateurs voulaient bien leur faire entendre ou voir : c'est-à-dire peu de chose. Et dès que cette bulle fut percée, ces peuples africains se retrouvèrent aussitôt enveloppés par une autre bulle, un cocon, celui de la guerre froide, qui leur permettait certes d'entrevoir le reste du monde, mais un monde enjolivé par l'argent facile déversé par chaque bloc pour les attirer  et qui brouillait leur perception d'eux-mêmes. Embués dans les manteaux des conseillers techniques occidentaux ou de ceux des pays de l'Est, étourdis et distraits d'eux-mêmes, ils assistèrent, témoins passifs, à la marche du monde, restant sur le bord de la route du progrès.

De ce fait, ils ne purent ni penser véritablement le monde, ni entreprendre une introspection salutaire. La colonisation et la guerre froide ont vidé les Africains d'eux-mêmes. Ils se sont mis à imiter mécaniquement l'Est ou l'Ouest, comme dépossédés d'eux-mêmes, sans référence à leurs réalités propres : culturelles, économiques, humaines. Ainsi quoique les chaînes de la sujétion coloniale fussent brisées au début des années soixante, les Africains n'en étaient pas moins assujettis et le demeurent depuis la chute du mur de Berlin en 1989. Ceci explique sans doute qu'ils se retrouvent aujourd'hui pieds et poings liés face aux organismes internationaux qui veulent bien se charger de gérer leur vie à leur place. Mais à quel prix ?

Pour un grand nombre de ces nouveaux Etats, l'accession à l'indépendance ne fut précédée de cette maturation de l'idée de nation, ni de la pensée économique, ni d'un projet social, l'urgence étant alors de chasser l'occupant européen pour prendre le train de l'indépendance qui traversait l'Afrique de l'est à l'ouest, du nord au sud).

Ainsi embarqués sans projet politique véritable ni ambition sociale, sans vision claire du développement, les Africains s'installaient dans une indépendance qui s'apparentait dès lors à une aventure sans perspectives précises. Tout ce qui suivit : les coups d'État, la corruption institutionnalisée, l'irresponsabilité à tous les échelons de l'État, l'incompétence insigne, de même que la mauvaise gestion et les guerres civiles, s'explique en partie par cette impréparation et cette « immaturation » politique, par le caractère fortuit des indépendances en Afrique subsaharienne. Ce passé continue de peser sur le présent et d'hypothéquer le futur. Les Africains ne sont pas les conducteurs du train des indépendances, mais ses simples passagers, qui n'ont ni la maîtrise du départ, ni celle de la destination.

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30 janvier 2011 7 30 /01 /janvier /2011 18:37

 

fleur_035.gifSuite à l’article sur les sorcières, voici le vécu d’un visiteur du blog

 

« Ici les Églises dites du réveil profitent de cela [de la croyance à la sorcellerie] pour s'enrichir sans scrupules, elles déchirent les familles puisque dans les croyances locales, le sorcier ou la sorcière ne peut "donner" qu'un proche !

Le résultat est lamentable. L'allégeance de ces Églises au gouvernement fait qu'on les laisse opérer en toute tranquillité.

 

Le plus grave est que des familles vivent cela. Je pourrais intituler cela :" Histoire de sorcellerie vécue ". Les guerres intestines qui ont abouti à tant d'horreur dans les deux Congo sont-elles à l'origine des glissements entre les croyances anciennes  – relativement maîtrisées par de la contre-sorcellerie locales –  et des interventions intempestives de pasteurs, prophètes et gourous en tout genre ?

 

Histoire de sorcellerie vécue.

Elle s’appelle Lutete, fine et jolie elle scintille dans une nuit sombre. Lutete a dix ans et son petit frère 7 ; leur maman est coiffeuse traditionnelle et tresse des têtes tout le jour, tout en accomplissant son travail de ménagère. Le papa (niveau bac) est souvent chômeur. La malchance le poursuit : maladie au moment d’un examen professionnel, poste supprimé et divers…

C’est, me dit-on, sa grande sœur qui le bloque (entendez qui l’empêche de s’en sortir par des procédés occultes. Il s’est rendu à plusieurs reprises chez cette dernière pour tenter d’apaiser les relations conflictuelles qu’ils ont tous les deux.

Le ménage fait face aux difficultés matérielles. Mais un jour la grand-mère paternelle de Lutete arrive avec un inconnu (un nganga, sorte de guérisseur-devin ?) et ce dernier s’adresse au père de Lutete en des termes durs : «  Toi, tu es chef de famille et tu ignores ce qui se passe dans ta maison .Tu as un enfant qui sort la nuit. »

La grand-mère insiste, c’est de Lutete qu’il s’agit et il faut la soigner. Le papa contacte un homme de religion qui dit pouvoir faire le traitement. 5.000F d’ingrédients sont nécessaires. Il s’efforce de trouver un prêteur.

Mais il est obligé d’expliquer à sa femme ce que l’on doit faire pour Lutete. Interrogée la petite fille, qui rêve beaucoup et parfois à haute-voix, dit que des gens viennent lui parler la nuit, qu’elle leur répond, mais a tout oublié le matin quand elle se réveille.

La Maman refuse catégoriquement la version que son enfant est contactée la nuit par des sorcières qui veulent l’enrôler dans leur groupe ; elle s’oppose au traitement. Elle suppose que l’on accuse ainsi sa mère, la grand-mère maternelle de l’enfant et menace de quitter le foyer ; ce qu’elle fera quelques mois plus tard.

L’histoire de famille s’amplifie, Lutete et son petit frère sont confiés à la grand-mère paternelle pendant les vacances. Puis leur maman revient mais le couple est très fragilisé.

Lutete est trop intelligente pour ne pas avoir compris qu’elle est au centre des disputes. Espérons qu’elle en sortira indemne.

 

Ce cas est loin d’être unique au Congo et le grave problème des « enfants sorciers » sévit au Congo-Kinshassa au point qu’une ONG s’est créée pour leur porter secours.

Des parents vont au culte et le « prêtre » tout d’un coup accuse leur enfant de sorcellerie. Ces parents, très religieux, l’abandonnent alors à son sort.

Tel qui voit sa femme malade et n’arrive pas à lui obtenir un traitement médical adéquat, par erreur de diagnostic ou manque de médicaments, va considérer que si l’hôpital ne parvient pas à la soigner, c’est qu’il s’agit d’une affaire de sorcellerie ; la vieille mère est alors accusée d’avoir donné sa fille à son groupe de sorciers. Cette sorcellerie ne peut s’exercer qu’entre proches, dit-on. »

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29 janvier 2011 6 29 /01 /janvier /2011 11:13

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Où en sommes-nous ?

 

« Casse-cou ! Ne faites pas ce que nous avons fait. Voyez le gâchis de l'Europe, son instabilité, son désordre [...]. L'Europe est malade [...]. Ne nous imitez pas. Prenez de votre culture ce qu'elle a d'universel et d'éternel, et qui correspond à votre sagesse. Vous aurez raison contre toute domination le jour où, dans votre conscience, vous vous sentirez libres. Nous ne pouvons rien pour vous que de vous mettre en garde contre vous-mêmes [...]. »  (Voir Didier Folléas, Albert Londres en Terre d’ébène, Arléa)

C'est en ces termes que la revue les Nouvelles littéraires de juin 1929 lançait un avertissement aux Africains après la parution de Terre d'ébène d'Albert Londres.

Les Africains ont-ils entendu cette mise en garde ?

Où en sont-ils depuis 1929 ?

Ont-ils pris le meilleur de l'apport de l'Europe et sondé leur passé ancestral pour en extraire la lumière qui guide et conduit au meilleur ?

Quel bilan de la confrontation avec l'Europe et le monde extra-africain en général ?

Et surtout, quel bilan au terme de 50 ans d'émancipation politique?

 

Parution du prochain livre : 24 mars 2011

Titre : 50 ans après. Pourquoi l'Afrique en est là

Editeur :Arléa, Paris

 

Cet ouvrage est une véritable clef pour lire et comprendre le continent africain, son passé et surtout son présent. En le lisant, ce qui se passe aujourd'hui, au nord comme au sud du Sahara, en Tunisie comme en Côte d'Ivoire, s'explique par l'histoire, la nature des régimes en place et aussi par les cultures.

Les Africains ont désormais les yeux ouverts sur le monde (un monde dont la marche s'accélère de jour en jour). Ils supportent de moins en moins le poids de la pauvreté, de la faim, de la corruption,  l'esclavage, l'autocratie ou l'absolutisme, les inégalités insoutenables.

Les peuples d'Afrique  - la jeunesse en particulier -  ont faim de liberté, de justice, de dignité. Ils ont soif d'avenir. 

Que faire ?

Ce livre trace quelques pistes et présente quelques leviers potentiels de l'espoir, sans éluder les pesanteurs de l'Histoire, le poids des déterminants socio-culturels et celui de l'environnement international.

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26 janvier 2011 3 26 /01 /janvier /2011 10:36

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La voix authentique du peuple

Une révolution, c'est un bouleversement de tous les aspects de la vie d'un peuple. Elle se caractérise par la rapidité des événements, la profondeur des changements, leur durée et leurs effets multiples. Ce qui se passe en Tunisie en ce début 2011, en est bien une.

De même qu'en France il y a un avant et un après 14 juillet 1789 (l'immense majorité du peuple réclame libertés, justice sociale, fin de l'absolutisme, droits), de même en Tunisie, il y aura désormais un avant et un après 14 janvier 2011. Et comme en France, il y aura désormais un ancien régime. Des ressemblances sur le fond avec la révolution de 1789, certes, mais beaucoup de différences sur la forme.

La révolution tunisienne est une révolution à mains nues, sans canons ni baïonnettes, sans guillotine. Alors qu'en 1789, une poignée de Bourgeois éclairés, pétris des idées des philosophes des Lumières du XVIIIe siècle, met le peuple en mouvement, en Tunisie, c'est le peuple, tout particulièrement la jeunesse, qui met toutes les générations et toutes les classes sociales en mouvement, de bas en haut.

C'est une révolution indépendante de l'intérieur : ni leader connu (pas de Robespierre ni de Danton), ni organisation d'aucune sorte, parti politique ou syndicat... mais quelques mots d'ordre fédérateurs qui sont à présent connus et qui ne varient pas.

Elle est aussi indépendante de l'extérieur : aucun ordre venu de pays tiers, aucun tireur de ficelle externe, aucune pression d'aucune sorte, de pays ami ou ennemi.

Le plus difficile pour une révolution, ce n'est pas de commencer mais de savoir se terminer. A cet égard, tous les espoirs sont permis en Tunisie, car, les objectifs fixés au départ sont clairement identifiés et acceptés de la quasi majorité du peuple, même si toute révolution génère ses contre-révolutionnaires.

Parmi les députés des Etats Généraux réunis à Versailles le 5 mai 1789 qui allaient faire la révolution, aucun (hormis quelques "farfelus" comme on les qualifiait à l'époque), ne pensait ni à la république, ni à l'abolition de la monarchie, encore moins à l'exécution du roi. L'engrenage qui a suivi le 14 juillet, ainsi que les événements insoupçonnés au départ, ont tracé une voie qui s'est imposée à tous les leaders de la révolution. Ce chemin fut long et sanglant.

La révolution tunisienne a tout pour éviter cette longueur et le nombre effrayant des victimes de 1789. Autre caractéristique de la révolution tunisienne : le rôle joué par les nouvelles technologies de la communication qui ont permis d'alerter et de mobiliser le maximum d'acteurs en un temps record, tous ayant les mêmes idéaux, tous ressassant les mêmes ressentiments et mus par les mêmes espoirs. Ils ont ainsi suivi spontanément cette  route balisée.

Il est à espérer que la Tunisie saura échapper à cette tradition mainte fois confirmée dans l'Histoire, où la révolution, après avoir dévoré ses enfants, fini par s'enliser dans un acte dont les scènes sont écrites avec le cortège lugubre des martyrs, ainsi que des interminables listes de victimes. La révolution que méritent les Tunisiens est une révolution qui construit, qui préserve ses enfants de même que le patrimoine national : social, culturel et économique, non une révolution qui détruit en compromettant l'avenir.

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22 janvier 2011 6 22 /01 /janvier /2011 11:14

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Une leçon de civisme exemplaire

Plus je suis les événements de Tunisie depuis la mi-décembre 2010, plus je regarde et écoute, plus je lis, plus je suis confiant pour l'avenir de ce pays malgré les difficultés du moment et celles qui vont sans doute suivre. Mais la démocratie est un long apprentissage qui n'est jamais gratuit.

Je suis surtout agréablement surpris de constater le degré de maturité politique, de conscience civique et de volonté de progrès social du peuple tunisien dans son ensemble : un peuple digne et respectable à tous égards.

Que réclame-t-il ? Si l'on en juge par les déclarations de citoyens, relayées par les médias, les Tunisiens réclament tout ce qui permet à une nation de grandir, c'est-à-dire de construire l'Etat de droit au service des citoyens, sans exclusive : liberté, justice, égalité, respect du droit, fondements de la démocratie. Quoi de plus admirable et de plus noble ?

Un constat qui vaut respect pour le peuple tunisien : l'absence de violences et de haine de l'autre. Les Tunisiens en veulent à leurs anciens dirigeants, plus particulièrement au président de la République, à sa famille et à son clan, simplement

-parce que ceux-ci se sont mis en dehors des règles de la bonne gouvernance ainsi que des principes du droit, en abusant et du pouvoir et des biens de la nation, trahissant ainsi la confiance du peuple.

-parce que le chef de l'Etat déchu n'a pas tenu ses promesses de 1987 lorsqu'il a accédé au pouvoir.

Accordez aux Tunisiens ce pourquoi ils se sont levés pour occuper la rue, pour exprimer leur déception, en même temps que leurs doléances : toujours la liberté, la justice, la fin des inégalités, le respect des droits fondamentaux, ils rentreront sans tarder dans leur foyer. Ils sont debout pour mettre leur pays en marche dans le sens de l'histoire.

Autre constat qui tranche avec ce qui a cours dans beaucoup d'autres Etats d'Afrique, c'est le sens de l'Etat, celui du respect de la chose publique. Ailleurs en Afrique, généralement, un chef d'Etat (comme tout responsable politique de rang élevé) est jugé non par ce qu'il réalise pour son pays, mais ce qu'il fait pour sa famille, son village, son clan (ou son ethnie). Et s'il venait à être destitué, ceux de son village et de son clan entrent en dissidence les armes à la main pour le défendre quels que soient l'énormité de son incompétence, sa gestion calamiteuse, ses exactions et abus de toute nature contre le reste de la nation.

Or, dans la ville natale du président Ben Ali, rien de tout cela. Au contraire, une compréhension de la population, un calme qui étonnent. Aucune condamnation de la révolution qui a chassé le président-enfant du pays. C'est une attitude qui rappelle les démocratie les plus avancées du globe.

A commencer par le maire de Hammam Sousse, mis en place par le président en personne, qui va jusqu'à attribuer spontanément une salle pour servir de siège au Comité de défense des habitants de la commune constitué afin d'éviter les pillages par des bandes incontrôlées.

Un jeune directeur d'hôtel, la trentaine à peine entamée, interviewé par un journaliste français qui lui faisait remarquer que son hôtel avait perdu plus de 50% de ses réservations en deux semaines répond avec une sérénité étonnante : 

"Oui, mais ce n'est pas grave, aujourd'hui je perds des clients, mais c'est pour que demain, nous ayons encore plus de réservations dès que la démocratie sera établie dans ce pays."

Si la démocratie est bien la souveraineté du peuple, le peuple tunisien la mérite. Ce peuple n'est pas seulement mûr pour la démocratie, il en est tout simplement digne.

Dans cette révolution inédite dans un pays arabe et en Afrique, les femmes forcent l'admiration par la qualité de l'expression, la justesse et la profondeur de l'analyse et de l'argumentation. Elles sont admirables par la probité de langage et le niveau de culture.

La révolution tunisienne, si elle atteint ses objectifs, sera la victoire de la société civile. L'avenir du continent africain en général réside incontestablement dans la maturité et la volonté de changement de cette société civile ; une société civile informée, émancipée du dedans et du dehors, consciente, et convaincue que l'Afrique ne pourra avancer sur le chemin de l'Histoire et du progrès que par les Africains eux-mêmes.

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19 janvier 2011 3 19 /01 /janvier /2011 09:25

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La révolution tunisienne ou l'espoir d'une mutation historique

Ce qui se passe en Tunisie depuis le 18 décembre 2010 mérite attention. C'est une nouvelle page qui s'ouvre dans l'histoire de ce pays, sans doute aussi pour tout le continent africain.

Pour la première fois, en Afrique, un peuple se soulève non seulement contre un autocrate mais aussi pour réclamer un régime authentiquement démocratique. Des mots et un sentiment dominent. 

- Les mots : démocratie, liberté, égalité, corruption sont les plus entendus. Sur tout le continent, jamais le mot démocratie n'a été autant prononcé avec autant de force. La démocratie, non comme un produit d'importation, mais comme une aspiration profonde, un besoin vital surgi des profondeurs du peuple.

A Tunis, dans une longue file devant un magasin d'alimentation aux trois-quarts vide, un père de famille interviewé répond fièrement au journaliste qui semble insister sur la pénurie alimentaire :

"Oui c'est la pénurie ; il y a très de viande, peu de riz, peu de légumes, mais la liberté est plus importante que le pain !"

Propos qui témoignent d'une dignité et d'un degré de maturité civique qui autorisent l'espoir. 

Pour les futurs dirigeants de la Tunisie, la feuille de route est désormais écrite par le peuple. Elle devrait servir de leçon et de ligne de conduite. 

- Un sentiment : en Afrique, pas seulement au nord, en Afrique subsaharienne aussi, l'Histoire est  en marche. 

En Côte d'Ivoire, autre pays en quête de gouvernement stable et sûr, si les cris et les vociférations semblent pour l'instant dominer la rue, l'aspiration à la démocratie est aussi réelle. En témoigne ce courrier d'un jeune lecteur adressé à l'hebdomadaire Jeune Afrique.

 

Pas d’infantilisation

Je viens de lire le texte de Calixthe Beyala, en réponse à l'éditorial de Béchir Ben Yahmed sur la Côte d'Ivoire. C'est vraiment honteux et totalement irresponsable de la part d'une personne qui prétend parler au nom de l'Afrique. J'aurais aimé communiquer directement avec Mme Beyala pour lui rappeler à quel point ce qui se passe en Côte d'Ivoire est une honte pour nous tous, jeunes Africains qui rêvons de pays et d'un continent qui se respectent. Elle mène un combat dépassé. A mon âge, je veux juste être fier de ce qui se passe en Guinée ou au Ghana. Je rêve d'un pays où l'on travaille pour gagner sa vie. Nous rêvons d'universités, d'hôpitaux, de grandes écoles, de routes, d'une agriculture qui assure l'autosuffisance alimentaire. Qu'il plaise à Mme Beyala de nous laisser tranquilles avec ses histoires de méchants Blancs contre de pauvres enfants africains.

Elle nous infantilise. Personnellement, je n'ai pas besoin de pressions de la France et/ou des États-Unis pour détester ce qui se passe en Côte d'Ivoire. J'ai juste besoin de rester africain. Si Mme Beyala a une frustration particulière par rapport à la France ou aux États-Unis, cela ne regarde pas les jeunes Africains. Ce que nous voulons, nous, c'est tourner la page, aller de l'avant et croire au discours d'Obama au Ghana. Que Mme Beyala se ressaisisse et se pose la question de savoir si ce qui s'est passé au Gabon ou dans je ne sais quel autre pays donne à M. Gbagbo le droit de « verser notre figure par terre »

TANOU DIALLO, BUJUMBURA, BURUNDI (Jeune Afrique, 9-13 janvier 2011)

 [Calixthe Beyala : romancière française d'origine camerounaise, a fait parvenir au directeur de Jeune Afrique, une lettre ouverte dans laquelle elle prend fait et cause pour Laurent Gbagbo.]

L'espoir est donc permis ; sans illusion cependant. Le chemin qui mène à la démocratie sera encore long. Mais celle-ci étant désormais une aspiration universelle des peuples du Monde, l'Afrique ne saurait rester en marge de l'Histoire.

Cette révolution tunisienne est une promesse de temps nouveaux pour tous les peuples d'Afrique.

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16 janvier 2011 7 16 /01 /janvier /2011 10:16

099-CDe l'endormissement au réveil douloureux

 

 

L'ère des indépendances en Afrique et l'émergence politique des nouveaux États africains coïncida avec le contexte international de guerre froide. Ce fut incontestablement une période déterminante dans le processus de développement de ces pays. Ce n'est qu'à partir des années soixante qu'on peut parler d'aide à l'Afrique au sens propre. L'une des principales caractéristiques de la période, c'est l'« internationalisation » de l'Afrique qui, soudain propulsée sur la scène d'un monde idéologiquement coupé en deux, ne sut ni prendre conscience d'elle-même ni trouver sa marque de façon résolue, politiquement ou économiquement. Ainsi ballottée d'Est en Ouest, sans traditions politiques ni bases économiques sûres, l'Afrique se laissa bercer à l'ombre de l'aile de chacun des deux blocs. Il s'est ensuivi une perte de conscience de soi et un long endormissement qui portait en germes des lendemains difficiles.

Les anciennes puissances coloniales d'Europe ont été ainsi dépossédées de l'unique clef de l'unique entrée de leurs anciennes possessions. Le temps du monopole sur les colonies est désormais révolu, de même le pacte colonial qui garantissait l'exclusivité des rapports métropole-colonies. Ces colonies, leur chasse gardée d'hier, ont désormais mille portes ouvertes aux quatre vents, au monde : aux États-Unis comme au Canada, à l'Australie comme à la Chine, au Danemark et à Israël comme à Cuba, au Brésil... La chasse gardée d'hier est devenue la chasse ouverte d'aujourd'hui, la chasse à courre de la guerre froide. L'aide devient internationale. Les offres et les capitaux affluent, eux aussi des quatre coins du monde et pénètrent par tous les pores de l'Afrique, comme autant de soporifiques. C'est sous ce flot de sollicitude et de devises que l'Afrique entrera lentement, imperceptiblement dans un sommeil sans rêves.

Au sein du bloc soviétique, sous la dictée de Moscou, les différents pays qui le composent se livrent à une surenchère de l'aide sans conditions, de prêts sans contrepartie, de dons sans droit de regard, aux États africains fraîchement souverains. Aussi bien la Hongrie que l'Union soviétique elle-même, aussi bien la Pologne que la Bulgarie ou la RDA... tous participeront sans compter au grand ballet bien réglé de l'aide financière, de l'assistance technique et du don.

La Chine populaire, pour s'émanciper davantage de la tutelle de Moscou, et comme pour en donner les preuves, procéda, à partir de 1961, à une intensification sans précédent de son aide à l'Afrique, autre occasion pour elle de prendre le dessus sur sa grande rivale du bloc communiste. Des monuments grandioses furent érigés dans plusieurs capitales africaines, des routes ouvertes, des ponts construits, fruit de la sollicitude chinoise. Aux assauts d'amabilité et d'amitié de la Chine communiste répondaient sur le continent africain, les démonstrations de générosité et d'attention bienveillante de la Chine nationaliste.

De son côté, le bloc de l'Ouest ne fut pas en reste, États-Unis en tête, parfois par Banque mondiale et Fonds Monétaire International interposés, tentait de tirer la couverture à lui, en tentant d'étouffer la conscience africaine sous un flot de devises et d'appâts.

Ainsi, alors que le monde entier se voyait propulser par un élan de croissance et de prospérité économique pendant la période dite des trente glorieuses (de 1945 à 1975), l'Afrique sommeillait, profondément, sous les ailes déployées du monde développé, bercée de discours mielleux et gavée de sucreries empoisonnées.

La guerre froide fut pour beaucoup, responsable indirectement du retard de l'Afrique, contrairement à ce qu'on serait tenté de croire. En flattant les Africains et leurs dirigeants au moyen de l'aide facile sans contrepartie, les deux blocs ont endormi leur conscience, les détournant de leurs réalités et d'une réflexion salutaire sur eux-mêmes et sur l'état de l'Afrique. Les motivations premières des pays développés des deux blocs, principalement les États-Unis et l'Union soviétique, n'étaient pas de promouvoir un développement véritable du continent africain (ils l'auraient pu s'ils l'avaient voulu car ils en avaient les moyens), mais de gagner le maximum d'espace politique et idéologique possible, tout en s'assurant la maîtrise des ressources naturelles. La longue guerre civile angolaise à partir 1975 en est – parmi d'autres – une illustration parfaite ; chacun naviguant dans ce bourbier entre les dirigeants de l'Angola et les maquis de l'Unita, à la fois sur les tableaux politique et idéologique et surtout sur le tableau économique, autour des puits de pétrole et des mines de diamant du pays. Entre-temps, les dirigeants officiels et les maquisards de l'Angola, dans leur affrontement fratricide, font sombrer leurs populations et leur pays dans les affres de la misère et du sous-développement tandis que les fournisseurs d'armes, à l'Est comme à l'Ouest, tels des sangsues, pompaient les richesses du pays, s'engraissaient du sang de ses habitants et s'endormaient, la conscience tranquille, au sommet de leurs montagnes de dollars, se réveillaient et bâillaient en s'écriant « vive l'Angola ! ».Les Soviétiques, en débarquant en Afrique jurèrent de laver l'outrage fait au continent par les colonialistes occidentaux exploiteurs ; ils le laissèrent en ruines, exsangue et désemparé.

Quels pays occidentaux et du bloc communiste se souciaient des droits de l'homme ? On a même entendu affirmer que la démocratie n'était pas faite pour l'Afrique, parce que denrée trop chère pour ses habitants. Aucun Africain n'a relevé le propos et porté la contradiction ; ni les intellectuels et ni les dirigeants. Preuve s'il en est de l'hypnose opérée sur la conscience africaine par la magie des protagonistes de la guerre froide qui, en remplissant l'escarcelle des dirigeants africains, fussent-ils les pires dictateurs et les plus véreux, ne leur laissaient qu'une seule consigne, veiller docilement sur leurs peuples asservis et sur les intérêts des maîtres (de l'Est ou de l'Ouest). On caressait l'élite africaine dans le sens du poil, afin que tout soit lisse et doux, léthargique et muet à souhait, au moyen de propos lénifiants et de pratiques corruptrices.

La durée d'un tel système où tout le monde était gagnant, hormis les peuples africains et l'Afrique, du début des années 60 au début des années 90, permit d'enfouir au plus profond la conscience et la capacité de réaction des Africains. L'habitude de la passivité intellectuelle et l'appât du gain facile sont source de corruption, donc vecteur de gangrène sociale et de sous-développement. C'est cette culture de la passivité qui nourrit l'esprit de mendicité, celui de la main tendue et induit la mercantilisation des consciences qui constitue aujourd'hui le noyau du mal africain.

Les principaux dirigeants des deux blocs (Est et Ouest) en gommant systématiquement de leurs préoccupations et de leurs projets d'aide à l'Afrique toute référence aux droits de la personne ont-ils aidé les Africains à préparer leur avenir ? Ainsi le bouffon sanguinaire Idi Amin Dada fut adoubé par la Grande Bretagne afin qu'il massacre en toute tranquillité son peuple et pollue l'Afrique. De même l'Empereur en carton, Jean Bedel Bokassa, fut intronisé par la France avec pompe et éclat, comme fut adulé Mobutu, l'homme aux mains rouges de sang pour qui les États-Unis, la France, la Belgique, avaient, des années durant, des attentions toutes particulières.

Comment concevoir une telle surdité et justifier une si flagrante cécité de la part d'États qui ont fondé leur identité sur la démocratie et fait du respect des droits de l'individu l'une des valeurs centrales de leur système politique et social ? Cynisme d'État ou conviction sincère de l'inadaptabilité de la démocratie à l'Afrique et au tempérament africain ? Quant au fond, comment peut-on écarter tout un continent de l'une des caractéristiques essentielles de la civilisation ? La démocratie a-t-elle une couleur ? Doit-elle être blanche ou ne pas être ?

                 (Tidiane Diakité, L'Afrique et l'aide ou comment s'en sortir, L'Harmattan)

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