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HUMEUR ET HUMOUR (3)
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FRANCE ET AFRIQUE ?
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Deux vieux amis, tous deux enseignants retraités, Jean-Jacques, le Français et Alioune, ressortissant de l’Afrique de l’Ouest.
Jean-Jacques a longtemps enseigné la psychologie dans plusieurs universités africaines.
Alioune, quant à lui a aussi enseigné longtemps en Afrique, puis en France.
Ils devisent sur quelques traits caractéristiques du tempérament français et africain ainsi qu’on le voit dans le dialogue ci-dessous.
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Jean-Jacques : Sans céder au catastrophisme intégral, force est de constater que ce phénomène a également cours en France sous bien des aspects (même si en ce domaine la comparaison ne peut se faire avec le cas africain) pour ne parler que de la montée de la spéculation parfois jusque dans les sphères dirigeantes de notre société, ainsi que dans des groupes organisés pour la fuite des capitaux ou pour peser sur les décisions de l'Etat, sinon sur des élus en général au moyen de la pression par l'argent. Les intérêts particuliers primant ainsi sur l'intérêt commun, cette situation aboutit à la longue à une dilution du tissu social et du sens civique. Or, le sens civique constitue précisément le ciment de la cohésion sociale. Une société n'est pas un assemblage d'individus, mais un encastrement de corps et d'esprits, un enchevêtrement de destins. De ce point de vue, on peut affirmer que les années 1960 ont signé l'acte de décès d'une certaine France, une France sans doute agraire et paysanne, mais aussi plus authentique, plus vraie où les Français étaient certainement encore plus proches les uns des autres. Mais, chez nous, la montée du phénomène est autrement plus ancienne qu'en Afrique. Ce phénomène prend son essor au XVIIIe siècle et accélère le pas dans la seconde moitié du XXe siècle. L'argent est en passe de devenir l'indicateur social privilégié et sa possession, le critère absolu du statut social. On assiste ainsi aux ravages de l'esprit de profit qui n'est pas seulement générateur de corruption et de concussion, mais aussi du mépris de l'autre et de l'individualisme forcené. Loin de nous l'antique pratique du « don et contre don » des premiers siècles médiévaux. On a oublié qu'au départ, l'argent n'était qu'une simple unité de troc.
Il est des sociétés où, avec de l'argent on est libre en droit et en fait, d'autres où, sans argent, on est libre en droit mais pas en fait. D'autres encore où sans argent on est libre en droit et en fait. Il s'agit de savoir dans quel type de société l'on est. Les propos qui suivent d'Alfred Grosser sont assez édifiants en la matière :
« ... Mais à cette époque, l'élève du primaire aspirait facilement à devenir instituteur comme signe d'ascension sociale. Aujourd'hui, l'instituteur ou même le professeur de collège qui recommande à ses élèves de faire comme lui ne soulève pas l'enthousiasme de la classe (sauf si elle pense qu’on évite au moins le chômage quand on est fonctionnaire).
Les instituteurs, les assistantes sociales, les infirmières, les agents des administrations sans lesquels la France ne serait pas gouvernée, pas gérée, ont toujours été habitués à être relativement mal payés. Mais nombre d'entre eux pouvaient à bon droit se sentir considérés.
Or, à mesure que l'argent prend le caractère de critère central de la réussite et même de valeur humaine, la considération s'en va et l'assistante sociale peut avoir l'impression que son métier peu estimé consiste simplement à faire tenir tranquille les déshérités, dont la révolte mettrait en cause la réussite des puissants de la société, donc de l'argent.
Le tableau est assurément trop noir, mais la tendance semble indéniable. L'exemple pernicieux vient très souvent de haut. Des hauteurs de l'Etat ou du sommet du département ou de la région dont les nouveaux immeubles de prestige rappellent peu la rue de Martignac ! »
Alfred GROSSER (cité par Ouest France)
L'argent prend ainsi donc de plus en plus valeur de « critère central de la valeur » humaine, d'étalon unique de la réussite.
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Il nous faut désormais veiller à ce que l'argent ne tue pas le civisme, que les droits n'éclipsent pas les devoirs. Il nous faut réapprendre le sens de l'autre, cultiver celui du bien commun et en définitive, promouvoir une « politique de civilisation » qui mène au respect de l'autre et du bien commun. Bref, enseigner la notion de citoyen. Une société qui perd le sens de la solidarité est une société qui perd celui de la responsabilité. Une société qui perd le sens de la solidarité et le sens de la responsabilité est une société qui perd de sa substance. Sans le sens de la solidarité et celui de la responsabilité la République est en danger.
À propos de civisme, j'ai relevé, au hasard de mes lectures cette « confession » dans l'hebdomadaire Télérama (du 31 mai 1995) d'un maire d'une petite commune rurale de cent quatre vingt dix habitants. Ce maire, ancien instituteur qui jette l'éponge, renonçant à briguer un nouveau mandat confie :
« ... Il y a quelques années encore, tout le monde se sentait responsable : quand, à la suite d'un orage il fallait déboucher un fossé, pousser une pierre tombée sur la route, les voisins y allaient tout naturellement. Les gens se prennent moins en main...
Il y a quelques années, même les bêtises des enfants étaient prises en main de manière plus collective. Maintenant, c'est chacun chez soi, et si un jeune dérape, c'est moins toléré... » Tandis qu'un autre maire d'une ville de cent vingt cinq mille habitants confirme :
« Actuellement, il y a un manque frappant de civisme. Chacun cherche à tirer la couverture à soi. »
Alioune : Le civisme social est ciment de la société. La vacuité civique est une menace pour la démocratie.
J.J. : Je ne puis m'empêcher de faire allusion encore une fois à l'Afrique malade d'elle-même. J'ai trouvé son auteur bien naïf en certains chapitres, notamment ceux où les rapports entre l'Etat et le citoyen constituent le thème principal. L'auteur y parle de cette espèce d'émulation entre des fonctionnaires qui consistait à savoir « qui volera le plus l'Etat... » Sais-tu qu'en France, on n'est pas toujours exempt de la même tentation, celle de se servir aux dépens de l'Etat, c'est-à-dire de se servir au lieu de servir ? Naturellement, il faut se garder de toute généralisation, les hommes et femmes intègres sont légion dans ce pays fort heureusement. C'est à ces serviteurs consciencieux, intègres et dévoués parfois jusqu'à l'abnégation que la France doit aussi sa force et sa solidité en tant que nation. Ce constat ne doit pas empêcher par ailleurs de déceler parfois, parmi une certaine catégorie de Français cette espèce de surenchère à l'incivisme. C'est alors à qui respectera le moins les règlements, à qui contournera le mieux les lois...Cela va du conducteur de véhicule sur l'autoroute qui foule aux pieds le code de la route au petit artisan qui cherche tous les moyens détournés possibles pour payer moins d'impôts qu'il ne doit. Là-bas, chez toi, quand les gens volent l'Etat, c'est sans doute parce qu'ils ont faim, qu'ils ont des besoins incompressibles : besoin de se nourrir, se vêtir, se loger, se soigner (dans ces pays sans sécurité sociale), bref, besoin de vivre décemment ; tandis que chez nous, ce ne sont pas toujours les « petits » ou les « moyens » qui s'adonnent le plus à ce genre de sport. Comment expliquer cette espèce de jubilation intime que certains Français éprouvent à enfreindre les règlements et à se plaindre quand ils sont manifestement dans le tort ? C'est à qui trouvera les meilleurs « trucs » pour déclarer le moins de revenus possible. Et que dire lorsque ce sport singulier est celui auquel se livrent volontiers les moins mal lotis de la société, les plus gâtés par le sort ?
: Phénomène curieux.
***
J.J. : Tous ces petits jeux d'incivisme ajoutés les uns aux autres me semblent de nature à nuire à la bonne marche de la démocratie ; car il existe quelques signes forts qui ont valeur de symbole, au sens où, symbole signifie petits signes chargés de sens : parmi lesquels ce manque d'égard vis-à-vis des autres, dans la conduite automobile certes, mais aussi l'injure facile aux hommes et aux institutions, le plaisir manifeste de s'asseoir dans une jubilation béate sur les règlements et lois qui régissent la société.
En France, le droit est en voie de tuer le devoir et c'est là qu'il faut aussi chercher la source de bien des maux de ce pays. Ce mal vient parfois de loin, du fond de l'histoire.
A. : Oui, je crois que les illustres auteurs de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de septembre 1789 auraient dû coupler ce texte historique fondamental avec celui de la déclaration des devoirs du citoyen, expressément mis en exergue. A présent le problème semble sans issue.
J.J. : Si. La pédagogie !
Je garde en mémoire — comme incarnation de cet esprit de dénaturation de la démocratie — le fait que, par deux fois, j'aie vu des personnes — des jeunes et des vieux — siffler, injurier publiquement un président de la République en fin de mandat, quittant définitivement le palais de l'Elysée après avoir remis les clefs de la nation à son successeur.
D'où vient l'utilité de ces injures, comment les justifier dès lors que le peuple — c'est-à-dire ces mêmes citoyens — s'est exprimé majoritairement pour un homme par le moyen du suffrage des urnes ? A quoi sert donc le suffrage universel s'il ne peut éviter la violence et les agressions physiques et morales à l'égard des élus de la nation ? S'il ne peut adoucir les mœurs politiques ? Le fait que le sortant ait perdu ne suffit-il pas ? Faut-il encore l'injurier ? Cette injure n'est-elle pas d'abord adressée à la démocratie ? A cet égard, la comparaison s'impose avec ce qui se passe autour de nous, dans des systèmes politiques comparables au nôtre, c'est-à-dire dans des régimes authentiquement démocratiques. Je pense aux Etats-Unis ou plus près de nous à l'Espagne, au Royaume-Uni, à l'Allemagne... Dans ces pays de telles manifestations sont ignorées (question de culture politique ?) à l'occasion d'une alternance politique, ou à l'égard de perdants à l'issue d'élections.
Serions-nous moins civilisés ? Moins démocrates ? Sommes-nous un peuple de démocratie mûre ou en maturation démocratique ? Sommes-nous tout simplement un peuple civilisé ?
A. : Sans aucun doute. Le peuple français est un peuple civilisé qui a amplement sa place au sein des peuples les plus évolués du monde, mais qui doit simplement s'exercer à la pratique d'une démocratie apaisée. La démocratie avancée se nourrit de l'humilité républicaine.
J.J. : Soit. En fin de compte la France et l'Afrique ont quand même quelques points communs.
A. : Ce sont deux vieilles connaissances.
Je constate cependant un certain étiolement de plus en plus perceptible dans les relations entre la France et ses anciennes colonies comme avec l'Afrique en général.
J.J. : « Les nations sont comme les individus. Elles ne sont ouvertes aux autres que quand elles sont bien en elles-mêmes, dans leur tête, dans leur peau. »
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