Osons poser les questions pour comprendre
Ce sont les questions que beaucoup se posent à voix basse. Osons nous les poser à nous-mêmes.
Pourquoi des Africains sont-ils partout dominés (exploités) depuis plus de cinq siècles, et apparaissent -ils comme les éternels déshérités qu'il faut aider, soigner ?
Pourquoi font-ils partie, partout, des plus mal logés, des plus mal nourris, des plus mal soignés, sont-ils objet de compassion ou de rejet ?
Pourquoi les Africains noirs sont-ils généralement ceux qui ramassent les poubelles des autres ou qui consomment leurs déchets toxiques (matériels ou culturels) ?
Pourquoi la traite des Noirs ? Et pourquoi à une échelle inégalée dans l'histoire et si longtemps ?
Pourquoi ? Pourquoi ?
Une réponse à écarter d'emblée.
Ce n'est ni une question de couleur de peau, ni une question de géographie ou de climat, encore moins une fatalité. En revanche, il existe bien un faisceau de faits fondateurs convergents qui fournissent une partie de la réponse à ces questions fondamentales.
Une réflexion en guise de réponse.
La mer, la montagne, le lointain, l'aventure et l'exploration gratuites, afin de voir, connaître et comprendre, éventuellement agir, de même que l'aventure intéressée pour découvrir, exploiter et produire, font partie de cette réponse.
La mer est ce premier lieu de l'aventure gratuite ou intéressée ; elle fraie la route du lointain et fournit les moyens de l'exploration. Plus que les armes, la mer fut et demeure le premier instrument de conquête et de domination des terres comme des hommes. Or, les Africains, dans leur immense majorité craignent la mer, l'ignorent ou n'ont pas perçu sa force de propulsion vers d'autres lieux, d'autres peuples, d'autres cultures, ce qui réduit considérablement leur champ de vision du monde en même temps que leur action sur ce monde. C'est un réflexe similaire à l'égard des hauteurs, des montagnes en l'occurrence, peuplées d'esprits bienfaisants ou le plus souvent malfaisants, qu'il faut, non pas aller voir ou conquérir, mais dont il faut se protéger.
Les premiers Européens qui débarquèrent de l'océan et abordèrent les côtes africaines furent considérés comme des êtres surhumains, des divinités, terrifiant les autochtones par leur simple aspect. En voici quelques exemples :
Croyance Lobi (peuple du sud-ouest du Burkina Faso, nord de la Côte d'Ivoire et nord-ouest du Ghana)
Le fleuve important et dangereux qui borde leur pays, les nombreux cours d'eau qui s'y jettent, ont depuis longtemps fait impression sur les indigènes. On attribue aux uns et aux autres des pouvoirs surnaturels avec lesquels il faut compter. D'après la tradition, les tribus actuelles rendaient déjà un culte au fleuve. Elles ont continué à le faire, bien que plusieurs en soient éloignées aujourd'hui. Chaque année, des représentants de celles-ci accomplissent sur les rives de la Volta, les cérémonies nécessaires pour apaiser et propitier (sic)les eaux. Elles sont peuplées par des êtres surnaturels qui occupent dans le lit des fleuves et des rivières, d'importants villages semblables aux agglomérations terrestres, à cette différence près que les maisons y sont en fer. Les habitants ont la stature et l'aspect des hommes [...] mais ils ont la peau blanche et portent de longs cheveux qui tombent sur leurs épaules [...]
Croyance Sénoufo (peuple du nord de la Côte d'Ivoire, aux confins du Mali et du Burkina Faso) :
"Blanc comme les génies de l'eau, l'Européen sort de l'eau, de la lagune", dit le Sénoufo. Ainsi la terreur et la fuite que provoquait longtemps en pays sénoufo l'apparition d'un Blanc, n'était pas réaction de sauvage mais bien croyance religieuse et bonne logique : il ne fallait pas voir les hommes blancs, les génies de l'eau.
(Véronika Gorog-Karady, Noirs et Blancs, leur image dans la littérature africaine)
Ces croyances sont communes à plusieurs peuples côtiers : la mer est chargée de mystères, ceux qui en sortent sont des génies. Ainsi ni les uns ni les autres n'eurent l'idée ni la curiosité de s'aventurer loin pour tester la réalité de ces génies, percer leur mystère, afin de s'affranchir de cette peur qu'ils engendrent.
Cette crainte de la mer conforta la puissance des Européens qui entraient en contact avec les Africains à partir du 15e siècle.
Petit pays par la taille , le Portugal fut, du 15e à la fin du 16e siècle, une puissance maritime, ce qui lui permit également d'être par la colonisation puissance terrestre en Afrique et ailleurs (l'immense Brésil par exemple !).
Les Pays-Bas, petit Etat cerné par la mer, furent les maîtres du commerce mondial, au 17e siècle, avant le Royaume-Uni qui fut à son tour, prince des mers au 18e siècle, et maître des terres, en se taillant l'empire colonial le plus vaste du monde...
Sans la mer, ces Etats n'auraient jamais pu imprimer leur marque au reste du monde. C'est la mer qui permit aux Pays-Bas de tenir tête au grand royaume de Louis XIV, et à l'Espagne de dominer la moitié du continent américain.
L'Afrique subsaharienne ne participa ni à l'aventure de la mer ni à celle du papier et du livre. Ce double handicap pèse lourd.
(La suite prochainement)