HISTOIRE ET TABOU : LA TRAITE ORIENTALE OU ARABO-MUSULMANE
L'opacité caractérise l'évocation de la traite orientale arabo-musulmane qui coûta à l'Afrique des dizaines de millions de vies. Les razzias opérées par les Arabes (avec la complicité de quelques chefs africains, moralement dévoyés) du VIIe au XXe siècle ont vidé l'Afrique de sa substance vive et profondément déstructuré les sociétés.
Pourquoi parle-t-on tant de la traite atlantique (autre fléau) pratiquée par les Européens du XVe au XIXe siècle et si peu de la traite orientale qui fit encore plus de victimes que la première ?
Or ce voile jeté sur les pires crimes de masse commis contre les peuples africains noirs explique pour une part la persistance de l'esclavage ouvertement pratiqué ou discrètement voilé dans nombre de régions, d'Etats arabes ou arabo-musulmans de nos jours : Moyen-orient, Soudan, Mauritanie, Niger ...
Il est du devoir des intellectuels arabes, en tout premier lieu, et africains d'autre part,de s'atteler à une tâche historiquement salutaire d'enseignement et d'information des peuples arabes et africains, non dans un esprit de revanche ou de mise au pilori, qui nourrirait haine et ressentiment, mais de concorde et d'humanité. Car la haine ne construit pas. Elle appauvrit ceux qui la portent et handicape l'avenir. La meilleure thérapie pour la conjurer, c'est le courage d'assumer le passé pour s'ouvrir aux autres, dans un esprit de totale fidélité à l'histoire et de réconciliation des mémoires.
Toutes les traites négrières : européenne, arabo-musulmane ainsi que toutes les complicités africaines doivent faire l'objet d'enseignement, de publications, de débats afin d'informer pour savoir et comprendre et guérir des traumatismes historiques.Cela ne peut se faire que par la connaissance et la transparence des faits passés si douloureux soient-ils. L'Histoire a horreur du tabou.
S'impose donc aux intellectuels arabes comme aux intellectuels africains ce devoir de connaissance et de vérité : informer, populariser, cet épisode exceptionnellement cruel et sanglant de notre histoire commune afin d'assainir les rapports du présent en mettant fin au conditionnement mental de bien des Orientaux dans leurs rapports aux Africains noirs. Les caravanes transsahariennes de captifs africains d'hier sont aujourd'hui relayées d'une certaine façon par les caravanes de migrants clandestins en quête d'une vie meilleure qu'ils espèrent trouver en Europe. Et c'est sur le chemin de l'Europe qui passe par le désert du Sahara, que nombre de ces Africains subissent un autre esclavage infligé par leurs "frères" politiques ou de religion : Marocains, Algériens, Libyens ... qui n'est pas sans rappeler d'autres caravanes du VIIIe ou du XIXe siècle sur les mêmes routes du désert.
Le journaliste italien, Gatti Fabrizio1, lève ainsi le voile sur un pan de cette actualité :
Pour ne pas mourir de faim, ils travaillent gratuitement dans les maisons des commerçants. Ils lavent les casseroles, s'occupent des jardins, cueillent des dattes, pour un plat de pâtes, un café ou quelques cigarettes. Ils voulaient arriver en Italie, ils sont devenus esclaves. Seulement après des mois de travail, le patron les laisse partir. Mais la peur de tous est de rester prisonnier plus d'un an. Ceux qui sont dans ce cas sont devenus fous et vivent dans les maquis. C'est une vieille histoire. Les Arabes libyens considèrent que les habitants de la côte africaine sont des êtres inférieurs. Avant, ils traversaient le Sahara pour les acheter et les revendre comme esclaves. Maintenant, ils les amassent sur des camions, et les traitent plus mal que des bêtes. Personne ne s'inquiète si ces clandestins meurent dans le désert.
Personne, ni les Etats dont ils sont ressortissants, ni les ambassades de ces Etats dans les pays concernés ne se soucient en effet de leur sort.
Aucune organisation humanitaire. Aucun père. Aucun frère. Aucun des gouvernements dont les choix corrompus les ont conduits là où ils sont, ne pleurera jamais leur mort. Depuis qu'ils sont partis, ils sont les enfants de personnes.
Cet esclavage subi dans l'indifférence générale, par des Africains, dans des pays africains, membres de l'Union africaine, est-elle concevable ?
Au service de qui, de quoi, cette "Union" oeuvre-t-elle ?
1 Gatti Fabrizio, Bilal sur la route des clandestins, Liana Levi, 2008.