LES FEMMES DANS L’HISTOIRE
LEUR PUISSANCE
UN MOUVEMENT DE FEMMES PEU CONNU
LES BÉGUINES
Béguinage Saint-Vaast, Cambrai
¤ QUI ÉTATIENT LES BÉGUINES ?
Le béguinage, c'est d'abord l'invention, dans la Flandre du XIIe siècle, d'un nouveau mode de vie : pour la première fois, des religieuses mettent en place des communautés laïques de femmes en dehors des murs des monastères ou des couvents. Ces femmes, souvent veuves ou célibataires, adhèrent à certaines règles monastiques sans pour autant former de vœux perpétuels : elles restent donc indépendantes de l'Église. Elles étaient, bien souvent, cultivées et enseignaient dans des écoles attenantes au béguinage ou prodiguaient des soins dans les hôpitaux.
Elles vivent, en général, dans des maisons individuelles regroupées autour d'une église, un peu en marge des villes, comme à Louvain ou à Malines (Belgique). L’élaboration de ce nouveau mode d'existence est en partie liée à la conjoncture historique : les croisades, qui ont lieu jusqu'en 1291, ont conduit à une surpopulation féminine en Europe. Beaucoup de femmes, qui ne peuvent fonder un foyer, se tournent vers la religion. Mais les couvents sont pleins. Seule solution : amener la religion dans le monde laïc, à la manière des ordres mendiants (franciscains, dominicains, etc.) qui se développent à la même époque.
Les béguinages sont régis par des principes d'autogestion, de solidarité et d'entraide. « C'est une sorte de démocratie avant l’heure. Il n’y a pas de mère supérieure, juste une "Grande Dame" élue pour quelques années. De même, chaque béguinage édicte ses propres règles, toujours modifiables. » (Silvana Panciera, sociologue et auteure de Les Béguines, Fidélité, 2oo9).
Élisabeth de Hongrie (canonisée en 1235), de par sa position sociale, joue un rôle important à partir de 1227 en créant une émulation. Elle décide de soulager la misère des femmes seules en s’appuyant sur les hôpitaux. Mais ce lien hospitalier ne dure pas et les communautés deviennent indépendantes.
Cette indépendance des béguines, qui s'affranchissent de la domination masculine, est perçue d'un mauvais œil par les autorités ecclésiastiques. D’abord critiqués par Latran II, les béguinages sont encouragés par le pape avant que les religieuses laïques soient condamnées pour fausse piété et hérésie par le concile de Vienne de 1311. Le mouvement disparaît presque totalement, sauf en Flandre, où il est toléré.
La dernière béguine est morte le 14 avril 2013 à Courtrai en Belgique.
(Des béguinages d’hommes sont aussi apparus vers le 12e siècle, ces hommes étaient appelés béguards.)
Sacerdos libera sive Beguina, par Amman Jost, gravure sur bois, 1585. Bibliothèque municipale de Lyon
¤ LES BÉGUINES EN FRANCE
Ailleurs, en Europe, des béguinages s’installent aussi (Suisse, pays du Nord…) et même en France.
En France, c’est Saint Louis qui apporte une protection aux béguines. Il « leur a offert le terrain du béguinage de l’Ave Maria, dans le Marais, en 1264, et il les a protégées contre les critiques rencontrées par cette nouvelle forme de vie : des femmes qui, ayant fait le vœu de chasteté et le vœu d’obéissance à l’abbesse — élue — menaient une vie de prière en commun et sortaient pour travailler, sans autre habit commun que leur manteau à capuchon de béguine. Elles étaient connues pour leur charité envers qui frappait à leur porte. » (Lucetta Scaraffia, Femmes dans l’Église : « Comment les béguines ont disparu »)
En effet, à son retour de la 7e croisade, Saint Louis rencontre Hugues de Digne, frère franciscain qui lui enjoint de veiller sur les pauvres comme à la simplicité de sa vie. Louis IX se fait protecteur des ordres mendiants.
Hugues de Digne avait une sœur béguine, Sainte Douceline, autour de laquelle s’était constitué le béguinage, les « Dames de Roubaud ». Philippa Porcelet, proche disciple de Douceline, écrit en langue occitane (1297) une vie de Sainte Douceline. (Ernest Renan, considère cette œuvre comme un chef-d’œuvre en prose de la première littérature provençale).
Donc en 1264, comme dit plus haut, Louis IX installe une communauté de béguines à Paris qui comptera jusqu’à 400 béguines. Parmi les tâches quotidiennes des béguines de Paris, figuraient l’alphabétisation de jeunes et le soin aux pauvres.
Cependant la liberté de ces femmes est vue comme un danger par les théologiens de l’Université de Paris qui les considèrent comme « illettrées », ne maîtrisant pas le latin, qui était la langue de l’autorité ecclésiastique. Mais, plus grave, elles écrivaient en langue vernaculaire qui selon Gilbert de Tournai « transmettaient des « subtilitates » (hérésies) ».
Les béguines ont écrit ou fait écrire en français, en picard, en flamand, en allemand, en provençal… Et dans ces écrits il y avait une certaine posture de prêche interdite aux femmes, ce qui était insupportable à l’autorité ecclésiastique, de même qu’une interprétation personnelle et mystique de la foi qui échappait au contrôle dogmatique extérieur. (https://gallica.bnf.fr/blog/08102021/les-beguines-et-la-litterature-au-moyen-age?mode=desktop)
Grâce à l’ouvrage de Silvana Panciera « Les béguines, Une communauté de femmes libres », on découvre ce mouvement de femmes libres, très ancien.
¤ Silvana Panciera est née en Italie. Elle a mené ses études universitaires à l’Université Catholique de Louvain, en Belgique.
1978 : elle obtient un doctorat en sociologie à l’École pratique des Hautes Études de Paris.
1995 : elle obtient le prix Femme d’Europe pour la Belgique, pour ses nombreux engagements socio-culturels.
Silvana Panciera écrit :
« Les béguines cherchent des formes de vie qui leur permettent de poursuivre le projet évangélique, sans se greffer sur le système ecclésiastique ni sur les formes cléricales d’évangélisation et sans se couper du monde par l’éloignement monastique. »
Gravure sur bois représentant une béguine, tirée de l'ouvrage Des dodes dantz, Lübeck, 1489.
¤ Une béguine célèbre et forte, Marguerite Porete
Femme de lettres, mystique chrétienne, intransigeante, Marguerite Porete, resta toute sa vie fidèle à ses convictions, en dépit des menaces et des tentatives d'intimidation.
Sa pensée de l'amour et de la liberté, qui s'affranchissait de l'Église, lui valut d'être brûlée vive, Elle accepta son sort, plutôt que de se renier.
« Ces gens que je traite d’ânes, ils cherchent Dieu dans les créatures, dans les monastères par les prières, dans les paradis créés, les paroles humaines et les Écritures. » (Porete) |
On ne connaît presque rien de la vie de cette mystique chrétienne, hormis sa fin tragique mais elle avait une grande culture théologique comme profane et avait sûrement reçu une bonne éducation. Née vers 1250 dans le comté de Hainaut (nord de la France), elle vécut sans doute à Valenciennes. Elle est essentiellement connue pour « le Miroir des âmes simples anéanties et qui seulement demeurent en vouloir et désir d'amour » publié en 1295, un dialogue allégorique entre l'Amour et la Raison.
Porete y décrit les sept phases de l'anéantissement de soi par lesquelles l'âme s'élève vers Dieu et s'unit à lui. Dans cette union mystique, l'âme se trouve réconciliée avec sa véritable nature, et n'est plus soumise à rien d'autre que l’amour : elle se libère de la morale aussi bien que de la raison.
« Vertus, je prends congé de vous pour toujours : j'en aurai le cœur plus libre et plus gai, votre service est trop couteux, je le sais. J'ai mis un temps mon cœur en vous, sans rien me réserver, […] j’étais alors votre esclave, j'en suis maintenant délivrée ». (Porete) |
L’ouvrage de Porete exerça une grande influence sur maître Eckhart (1260-1328), figure de proue du mysticisme rhénan des XIIIe et XIVe siècles, et sur les béguines. Cependant, il suscita rapidement la méfiance de « Sainte-Église-la-petite », comme l'appelait Marguerite Porete.
En effet, la démarche de Porete « se passe de l'Église comme institution, […] relativise les sacrements et rejette la morale », note le philosophe Olivier Boulnois.
Dès 1306, Guy de Colmieu, évêque de Cambrai, condamne l'ouvrage pour hérésie et le fait bruler en place publique, ce qui n'empêche pas Porete de continuer à promouvoir ses idées. Philippe de Marigny, successeur de Guy de Colmieu, la fait arrêter en 1308 : elle est incarcérée à Paris sur ordre de l’Inquisiteur général du royaume de France, Guillaume Humbert, mais refuse de répondre aux questions de l'Inquisition, qui suspecte son appartenance au mouvement du Libre-Esprit.
21 docteurs en théologie de l'université de Paris condamnent à nouveau « le Miroir » pour hérésie, mais la religieuse garde le silence et refuse de se rétracter. Elle est brûlée avec son ouvrage en place de Grève le 1er juin 1310. (Octave Larmagnac-Matheron, Philosophie Magazine, hors-série 43H)
Cependant son livre lui survit par un manuscrit du 15e siècle qui modernise le texte d’origine.
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