Entre culture de l'écrit et culture de l'oralité
Lorsque le jeune Français (ou le jeune Européen) naît, il trouve sur la table familiale en même temps que le biberon, l’histoire écrite de son pays, de sa culture et de sa civilisation. Adolescent, il les trouvera dans la librairie ou la bibliothèque où il pénètrera pour la première fois. Dans les livres, il trouvera les instruments qui l’aideront à cheminer, adulte, sur les voies jadis tracées par ses ancêtres proches et lointains ; des instruments pour explorer et redessiner le monde à partir des schémas anciens revus.
Rien de tel pour le jeune Africain qui, en fait d’écrits et d’instruments, moyens de construction de soi et de sa pensée, ne dispose à la naissance, que de quelques échos dilués par le temps, de la vie et de l’action de ses ancêtres : échos tributaires de la mémoire des hommes, parfois de leurs humeurs, sans garantie de rigueur et d’authenticité. Ce défaut de culture de l’écrit (non d’écriture), celle de la preuve par la lettre et le chiffre, fait qu’en Afrique (subsaharienne s’entend) la qualité de la transmission de la pensée, du savoir et du savoir-faire demeure une question primordiale, parce que soumise aux aléas et aux limites de la mémoire, en conséquence, victime potentielle du temps.
Le défaut de culture écrite a été doublement déterminant dans le regard porté sur l’Afrique par le reste du monde (particulièrement l’Europe), par tous ceux qui croient qu’il n’y a pas d’histoire sans écriture, ni de civilisation sans histoire écrite. L’Afrique n’entre officiellement dans l’histoire qu’au XIXe siècle avec la colonisation comme si cette date marquait l’apparition par génération spontanée de tout un continent et des êtres qui le peuplent. Son histoire propre est niée, gommée, il ne peut y en avoir, faute de preuves écrites et lisibles. L’absence d’écriture a empêché la capitalisation de faits, de connaissances et de richesses culturelles enfouis au fond des siècles et des millénaires, toute cette sagesse contenue dans l’oralité « le verbe, la parole, le symbole, le rythme ». Ce qui explique un long piétinement des techniques et des savoir-faire ancestraux ayant subi les faiblesses et les limites de la mémoire humaine. On fait dater le début de l’histoire de la Chine de 1250 av JC environ, tout simplement parce qu’il a été retrouvé les noms des rois Shang gravés sur des carapaces de tortues datant de cette époque, histoire rimant ainsi avec écriture selon les critères occidentaux.
Les progrès de lalangue chinoise au début de ce XXIe siècle, son extension sur le monde va de pair avec l’expansion économique de la Chine. De plus en plus d’écoles secondaires en France et ailleurs en Europe ont incorporé l’enseignement du chinois comme discipline d’excellence parce que langue écrite. Rien de tel pour Afrique où, à l’inverse, les langues ont tendance à décliner faute d’écriture.
Sur les 6 000 langues que compte le monde selon l’UNESCO, l’Afrique à elle seule en renferme le tiers. Mais 80% de ces langues sont uniquement orales. Elles ne peuvent avoir de ce fait aucun rayonnement international. Pire, menacées de disparition du fait de la globalisation ainsi que de la prédominance croissante des « grandes langues » : anglais, chinois, français, allemand… leur disparition signifie celle de toute une vision du monde qui n’enrichira plus ni l’Afrique, ni le patrimoine mondial.
Les peuples africains sont de ceux qui ont à se battre aujourd’hui pour faire reconnaître leur existence, mieux, leur droit à l’existence, c’est-à-dire leur passé, leurs cultures et leurs civilisations et convaincre qu’ils ont des valeurs aussi irréfutables et respectables que tous les autres peuples du monde, bref, qu’ils appartiennent bien à cette même espèce humaine, à égalité de dignité.
En réalité, s’il y a nécessité de livrer une telle bataille, celle-ci doit consister à fouiller les « entrailles de l’Afrique » afin de mieux y lire son identité, non pour s’y enfermer ou s’y ensevelir, mais pour la révéler et donner plus de raison d’espérer de l’Afrique.
Ecriture et oralité
Il n’y a pas de hiérarchie à établir entre les deux. Si l’écrit fixe la pensée et facilite le voyage dans le temps et dans l’espace, servant ainsi de passerelle vers l’Universel, la parole est vie et souffle.
Il faut plutôt voir ce que nous faisons de l’un et de l’autre ou ce qu’ils font de nous.
Au commencement était le verbe, la parole qui précède de loin le livre et l’écrit. Il s’agit d’en faire des outils de communication, d’ouverture, d’épanouissement individuel et collectif au service des hommes, par le biais de l’art et de la culture en général (ceux du corps et de l’esprit), vecteur de rencontre et de fusion.