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27 mars 2011 7 27 /03 /mars /2011 09:09

014-C

A quand le Sud ?

 

La question est à l'ordre du jour : quand l'Afrique subsaharienne s'embrasera-t-elle pour la liberté à l'instar de l'Afrique du Nord et d'une grande partie du monde arabe ?

La théorie des dominos fera-t-elle souffler le vent de la révolte  de la liberté du Nord au Sud ? Cette dernière région d'Afrique ne manque pas non plus de raisons légitimes de souhaiter l'avénement d'une ère nouvelle de bonne gouvernance, de respect du peuple et d'exemplarité des gouvernants.

C'est au nom de la liberté, la justice et la démocratie que les élites africaines des années 1940 et 1950, par la véhémence de leurs propos et leur détermination, ébranlèrent les fondements du système colonial. L'histoire a enregistré quelques temps forts de cette ébullition intellectuelle prélude à l'émancipation politique.

C’est pour affirmer ce besoin de démocratie et au nom du droit à la liberté, que les élites des colonies d’Afrique se rassemblèrent à Bamako (alors chef-lieu de la colonie française du Soudan et capitale du Mali actuel) pour fonder, au cours d’un congrès historique en octobre 1945, le « Rassemblement démocratique africain » (RDA).  Le « Manifeste » fondant cette Fédération de partis politiques appelait solennellement un grand Rassemblement de toutes les organisations dont le développement rapide est le signe certain qu’elles poursuivent la réalisation de la démocratie politique et sociale en Afrique noire.

Si le Congrès de Bamako rassemblait surtout l’Afrique francophone, celui de Manchester durant le même mois d’octobre 1945 regroupait les élites de l’Afrique anglophone. Ses objectifs et ses conclusions sont identiques à ceux exprimés à Bamako : la liberté et la démocratie en Afrique. Ainsi, le Congrès observait-il dans ses conclusions : que depuis l’arrivée des Anglais, Français, Belges et autres Européens en Afrique de l’Ouest, il y a eu déclin et non progrès, suite à l’exploitation systématique  par ces puissances impérialistes étrangères.

Que la nature démocratique des institutions indigènes des nations d’Afrique de l’Ouest a été détruite par des lois et règlements odieux et oppresseurs, et remplacée par des systèmes de gouvernement autocratiques, contraires aux vœux des peuples d’Afrique de l’Ouest.[1]

Depuis les années 1940 jusqu’à 1960, date de l’indépendance de la plupart des colonies d’Afrique, jamais concept n’aura soulevé autant d’espoir, inspiré autant de discours, justifié autant de réclamations que celui de démocratie.

C’est dans cet élan démocratique et la volonté proclamée de vivre sous le régime de la liberté et de la démocratie que dès l’indépendance acquise furent élaborées les premières Constitutions et institutions politiques des nouveaux États. De fait, elles furent quasi intégralement calquées sur celles des anciennes puissances coloniales européennes.

Pour les nouveaux Etats francophones, le soin apporté à calquer les institutions françaises est édifiant, y compris les symboles : drapeau national aux trois couleurs, devise en trilogie sont de rigueur ( pour la France bleu-blanc-rouge et Liberté-Egalité-Fraternité). Quelques exemples :

Drapeau :

Bénin : vert-jaune-rouge.

Guinée : rouge-vert-jaune.

Sénégal : vert-jaunet-rouge.

Gabon : vert-jaune-bleu.

Devise :

Mali : Un peuple-Un but- Une foi.

Congo : Unité-Travail-Progrès.

Cameroun : Paix-Travail-Patrie.

Côte d'Ivoire : Union-Discipline-Travail.

 

 

Cette culture de la trilogie est particulièrement caractéristique des républiques francophones d’Afrique. L’exemple suivant, celui du Tchad vaut pour tous les Etats francophones d’Afrique sans exception :

La Constitution stipule : le Tchad est une République souveraine, laïque, sociale, une et indivisible, fondée sur le principe de la démocratie, le règne de la loi et de la justice. Elle affirme la séparation des religions et de l’État ainsi que des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.

La Constitution reconnaît les libertés et droits fondamentaux des citoyens et leur en garantit l’exercice. Les Tchadiens des deux sexes ont les mêmes droits et devoirs et sont égaux devant la loi … Elle garantit également la liberté syndicale et l’exercice du droit de grève, la liberté d’entreprise, les libertés d’opinion et d’expression, de communication, de réunion, de circulation, de manifestations et de cortèges… Le chef de l’État est élu pour un mandat de cinq ans et peut être réélu. [1]

Les autres pouvoirs définis dans la Constitution :

-   Assemblée nationale.

- Pouvoir judiciaire : Cour suprême, Conseil constitutionnel, Haute Cour de justice.

-  Conseil économique, social et culturel.

-  Haut Conseil de la Communication…

À l’instar du Tchad, toutes les Constitutions de tous les États africains sont fondées sur la démocratie et la liberté des citoyens sans réserve. En Guinée, la Constitution en vigueur stipule : la démocratie est le régime politique dans lequel le peuple exerce sa souveraineté par l’intermédiaire des représentants qu’il s’est choisis librement par la voie d’élections libres, justes et transparentes.

Il existe de même, dans tous les Etats africains, une véritable inflation du mot « démocratie » et de partis dits démocratiques. Combien de partis « démocratiques » au gouvernement et dans l’opposition ? Au Tchad[2] depuis l’instauration du multipartisme en 1990, a fleuri une véritable pléthore de partis démocratiques. Parmi les principaux :

- Le Rassemblement pour le progrès et la démocratie.

-  L’Union démocratique tchadienne.

-  L’Union pour la République et la démocratie.

-  L’Union pour la démocratie et la République.

-  Rassemblement démocratique pour la paix et la liberté.

- Mouvement pour la démocratie et le développement …

Au Gabon (1,4 million d’habitants) les partis à « démocratie » ne manquent pas non plus. A commencer par le premier d’entre eux, le Parti démocratique gabonais, qui est au pouvoir sans discontinuer et règne sans partage depuis 1960. D’autres noms parmi les plus cités :

- L’Union gabonaise pour la démocratie et le développement.

-  L’Alliance démocratique pour le peuple gabonais.

-  Le Rassemblement des démocrates.

La capitale de ce pays abrite également une « Maison de la démocratie » où siège le Conseil constitutionnel.

Au Congo, sur les cinq principaux partis du pays, quatre portent l’étiquette démocratie.

-  Le Mouvement congolais pour la démocratie et le développement intégral.

-  L’Union panafricaine pour la démocratie sociale.

-  Le Rassemblement pour la démocratie et le développement.

-  Le Parti social démocrate.

C’est partout en Afrique, la même tonalité et le même affichage démocratique. La direction de la junte au pouvoir en Guinée, qui a perpétré l’effroyable tuerie du 28 septembre 2009 à Conakry[3] contre des civils opposés à l’autocratie, ne s’intitule-t-elle pas « Conseil national pour la démocratie et le développement » ?

L’association incongrue des termes démocratie et coup d’État militaire apparaît ainsi comme une des spécificités de la culture politique africaine. Le coup d’État militaire perpétré le 18 février 2010 au Niger, pays dont le bilan politique depuis 1960 se résume à cinq coups d’État, en est une illustration. Dès le coup de force réussi, des militaires réunis au sein du « Conseil suprême » pour la restauration de la démocratie (CSRD), (quel joli nom pour une junte militaire !) ont décidé la suspension de la Constitution et la dissolution de toutes les institutions du pays. Étrange conception de la démocratie !

Si la réalité démocratique se mesurait au nombre de partis politiques arborant l’étiquette démocratique, l’Afrique serait aujourd’hui, la région du monde la plus démocratique. Aucun pays d’Europe ne compte autant de « partis démocratiques » que le plus petit des États africains.

La démocratie, c’est donner le choix d’avoir le choix. Ce privilège fut accordé à peu de « citoyens » africains en 50 années d’indépendance, même si beaucoup y aspirent. En effet, l’aspiration des peuples africains à la démocratie semble rejoindre l’inflation de partis dénommés démocratiques.

Certes, les chemins de la révolution sont escarpés et l'histoire n'est pas toujours linéaire ; des régressions sont possibles, mais l'exemple de ces révoltes dans le monde arabe suscite admiration et espérance.

Si ce vent de la révolte pour le changement, la liberté et la justice tardait à atteindre le Sud, cela comporterait le risque d'une fracture importante entre l'Afrique du Nord et l'Afrique subsaharienne.



[1] Avant la révision de la Constitution en 2005, le nombre de mandats était limité à deux.

[2] Pays de 10,8 millions d’habitants.

[3] Le 28 septembre 2009, des civils, à l’appel des partis de l’opposition, manifestaient pacifiquement en demandant au chef de la junte de céder le pouvoir aux civils et de ne pas se présenter à l’élection présidentielle de janvier 2010. Des militaires ont fait irruption dans le stade où avait lieu le rassemblement, ouvert le feu, tuant 157 personnes et blessant plusieurs centaines.


[1] Le mouvement panafricaniste au XXe siècle. Recueil de textes. Organisation Internationale de la Francophonie, 2004, p.203.

 

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Voir Tidiane Diakite, "50 ans après, l'Afrique", Arléa.

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