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13 mai 2018 7 13 /05 /mai /2018 07:15

FAUT-IL INSTRUIRE LES INDIGÈNES DES COLONIES FRANÇAISES D’AFRIQUE ? (1)

En France, un débat long et âpre : 1878- 1946.

L’Afrique après le partage : 1885. Afrique britannique, française, allemande, portugaise, belge.

C’est la IIIe République qui ressuscita l’ambition coloniale de la France, même si la présence française en Afrique est antérieure à son avènement.

Des objectifs précis de l’expansion de la France en Afrique

Objectifs économiques

Objectifs civilisationnels : diffuser les Lumières et les principes de la Révolution de 1789.              

               -le Devoir de civiliser

           -éduquer pour assimiler

           -promouvoir l’« Africain français »

Discours et projets coloniaux : les différents points de vue

français

Discours de Jules Ferry 28 juillet 1885, à la Chambre des députés :

« Au point de vue économique, pourquoi des colonies ? … La forme première de la colonisation, c’est celle qui offre un asile et du travail au surcroit de population des pays pauvres ou de ceux qui renferment une population exubérante.

Mais il y a une autre forme de colonisation. Les colonies sont pour les pays riches, un placement de capitaux des plus avantageux. Au temps où nous sommes et dans la crise que traversent toutes les industries européennes, la fondation d’une colonie, c’est la création d’un débouché…

Messieurs, il y a un second point, un second cadre d’idées que je dois également aborder… C’est le côté humanitaire et civilisateur de la question… Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures…parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont un devoir de civiliser les races inférieures…

À l’heure qu’il est, vous savez qu’un navire de guerre ne peut pas porter, si parfaite que soit son organisation, plus de quatorze jours de charbon, et qu’un navire qui n’a plus de charbon est une épave, sur la surface des mers, abandonnée au premier occupant. D’où la nécessité d’avoir sur les mers des rades d’approvisionnement, des abris, des ports de défense et de ravitaillement. »

britannique

Discours de Chamberlain, Premier ministre britannique, 1886

« Une nation est comme un individu ; elle a des devoirs à remplir et nous ne pouvons plus déserter nos devoirs envers tant de peuples remis à notre tutelle…

C’est notre domination qui, seule, peut assurer la paix, la sécurité et la richesse à tant de malheureux qui, jamais auparavant, ne connurent ces bienfaits. Et c’est en achevant cette œuvre civilisatrice que nous remplirons notre mission nationale, pour l’éternel profit des peuples à l’ombre de notre sceptre impérial. »

allemand

Discours de Leo von Caprivi chancelier allemand, 1890

« Un peuple a besoin de terre pour son activité, de terre pour son alimentation. Aucun peuple n’en a autant besoin que le peuple allemand qui se multiplie si rapidement, et dont le vieil habitat est devenu dangereusement étroit. Si nous n’acquérons pas bientôt de nouveaux territoires, nous irons inévitablement à une effrayante catastrophe. Que ce soit au Brésil, en Sibérie, en Anatolie ou dans le sud de l’Afrique, peu importe, pourvu que nous puissions de nouveau nous mouvoir en toute liberté et fraîche énergie, pourvu que nous puissions à nouveau offrir à nos enfants la lumière et de l’air d’excellente qualité, en quantité abondante. »

[…]

NB. Le discours de Jules Ferry, un des principaux théoriciens et idéologues de la colonisation française sous la IIIe République, est le symbole d’une synthèse rassemblant économie et devoir de civiliser. Par rapport aux autres discours, il apparaît que la France seule a pour ambition de « civiliser » et d’assimiler les indigènes.

Le projet de colonisation de la IIIe République, comme l’a rappelé Léopold Mabilleau (1853-1941), professeur et économiste français, lors du Congrès colonial de 1906 :

« La France n’a pas voulu, dans la création de ses colonies, une simple extension de sa domination commerciale. Elle y a vu un moyen de faire pénétrer chez les peuples restés en dessous du mouvement de la civilisation générale, celle de ses idées qui l’on mise précédemment en tête de la civilisation du monde […]

Quand on dit que la Franc conquiert une colonie nouvelle, cela signifie que la démocratie française prend en charge un peuple nouveau. »

Pour Alain Tirefort (thèse d’État),

« Cette "Mission" exprimée par le credo colonial voulant être comprise comme un acte de délivrance autant des tyrannies que de l’ignorance et des superstitions […] La ténébreuse et primitive Afrique trouve tout logiquement sa place au plus bas de l’échelle, attendant de l’œuvre coloniale, les clefs pour entrer dans l’orbite de la Civilisation… »

Denise Bouche corrobore cette place spécifique de la France parmi les nations d’Europe au 19e siècle :

« Les Français se sont fait, très tôt, une haute idée de la valeur de leur civilisation… Ancienne, la vocation à une mission civilisatrice a revêtu des formes variables selon les possibilités et l’idéologie du moment… »

Enfin, pour quelques théoriciens de l’expansion française en Afrique noire, le « devoir de civiliser » c’est aussi assurer un devoir d’humanité : devoir de nourrir ceux que l’on voudrait civiliser, devoir de les délivrer de l’« l’esclavage de la misère », les soigner, les instruire.

 

Précisément, l’instruction (ou l’éducation) des indigènes d’Afrique constitua un autre point de friction ou de crispation entre partisans et opposants à l’expansion française en Afrique.

Faut-il instruire les indigènes ? Faut-il leur apprendre le français, et les instruire dans notre langue ? [Comment, par qui ? Par des maîtres autochtones, ou par des maîtres recrutés spécialement en métropole à cette fin ? (ces questions trouveront leur réponse plus loin)].

 

Le débat fut encore plus vif quand il s’est agi d’instruire les petits indigènes dans la langue française.

L’État trancha en faveur de l’instruction de ses sujets coloniaux, et en français, car en matière d’enseignement dans les colonies l’État exerce un pouvoir sans partage contrairement à d’autres pays, comme le Royaume-Uni ou la Belgique, où l’enseignement colonial est aux mains des missions religieuses, protestantes ou catholiques.

 

L’État considérait, en effet, cet enseignement comme une mission essentielle et publique.

Par ailleurs, comment civiliser sans instruire ? Comment assimiler des indigènes sans éducation à la France ? Toutes ces questions suscitaient des débats âpres. Débats qui furent clos par la décision du gouvernement français. Clos ? Pas vraiment, ou pas longtemps, car, au même moment, naissaient deux autres controverses d’une virulence insoupçonnée

La première portait sur les programmes scolaires qui seraient appliqués dans les écoles coloniales. Seraient-ils identiques à ceux des écoles de la métropole ? Ou au contraire, s’agira-t-il d’un programme et d’un enseignement différenciés, adaptés ? Cette lutte opposa longtemps, partisans et adversaires des programmes différenciés.

Le deuxième débat, de tous le plus virulent et le plus long, concernait la question de l’accès ou non des indigènes à l’enseignement supérieure : fallait-il ouvrir les portes de l’université aux autochtones, même avec élimination des programmes de quelques matières comme la philosophie, la psychologie…

Ce débat ne fut pas tranché avant la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

 

 

Qu’en pensaient les Français dans leur majorité, à la fin du 19e siècle ?

En réalité, « l’enseignement des indigènes malgré la bienveillance de principe qui lui était accordée n’était, pour l’opinion métropolitaine, qu’un souci tout à fait secondaire.

Cependant, à l’occasion de certaines crises politiques, la ferveur civilisatrice pouvait se réveiller et inciter le gouvernement central à pousser les gouvernements coloniaux à développer l’enseignement. Ce fut le cas au début de la révolution de 1848, en 1901-1903, au moment du triomphe de la laïcité et surtout après chacune des guerres mondiales, quand le développement et l’amélioration de l’enseignement apparurent comme l’une des récompenses dues à des populations fidèles à la France. » (Denise Bouche, Thèse d’État).

 

Néanmoins, une fraction de la population demeura hostile à l’instruction des indigènes en français.

 

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24 septembre 2017 7 24 /09 /septembre /2017 09:08

GALERIE DE PORTRAITS DE COLONISÉS FRANÇAIS AU XIXe SIÈCLE (2)

L’image du Jaune, du Noir et de l’Arabe dans la littérature coloniale exotique des 19e et 20e siècles

La "réhabilitation" de l’image des colonisés : de l’ombre à la lumière

Du 19e au 20e siècle, la métamorphose du regard

À la charnière du 19e et 20e siècle, de nouveaux auteurs français : géographes, scientifiques, observateurs divers, présentent une autre image des colonisés français d’Asie, de l’Algérie et de l’Afrique. En réalité, ce changement de regard commence dès le milieu du 19e siècle, de façon timide cependant.

Plus qu’un simple changement de regard, c’est une véritable remise en question de la littérature coloniale et de ses auteurs.

Ainsi, cette littérature coloniale et exotique qui a connu sa période de gloire durant tout le 19e siècle, sert à la fois de source d’inspiration et d’arme de combat pour ses contradicteurs du début du 20e siècle, sans qu’il y ait cependant une extinction subite de la « race » des auteurs de littérature exotique. Néanmoins, la tendance est désormais à des publications ou affirmations étayées par la science ou l’observation critique des hommes et des faits.

On s’aperçoit, subitement, que ces « indigènes », Jaunes, Arabes, Noirs, ne sont pas totalement démunis d’histoire ou de vestiges historiques, dignes de respect.

Temple d'Angkor au Cambodge

Les merveilles culturelles d’Asie

     Le temple d’Angkor, joyau de l’histoire

En Indochine française (Vietnam, Cambodge, Laos) « dès le début de la conquête, des Français firent part de leur émerveillement devant les beautés culturelles de ces  pays conquis ».

Cet émerveillement devant des trésors culturels insoupçonnés aboutit à la certitude « d’avoir affaire à des civilisations respectables ». Un homme compte beaucoup dans cette ouverture à la culture antique asiatique : le docteur Charles Hocquard, qui finit par résider parmi les « indigènes », en se convertissant à leur mode de vie. De retour en France, il témoigne :

« Une civilisation comme celle d’Extrême-Orient, ayant derrière elle des milliers d’années, sa législation, son esthétique, ses livres, ses héros ou braves gens, ayant pièce à pièce construit l’un des organismes politiques et administratifs les plus délicats qui soient au monde, a le droit qu’on ne l’aborde pas sans prudence ni respect. » (1890). (Dans Ruscio).

Le docteur Hocquard fait preuve d’une curiosité sans borne pour la vie culturelle, les mœurs, l’organisation sociale des Vietnamiens, et tient à informer les Français de son expérience et des réalités des peuples asiatiques :

« En France, les Annamites sont encore considérés comme des sauvages par bien des gens ; ils possèdent cependant une civilisation plus ancienne que la nôtre et qui, pour être toute différente n’est ni moins complète, ni moins raffinée. » (1892).

 

Ces témoignages et bien d’autres finiront par provoquer un véritable engouement pour l’Extrême-Orient, en général. La plupart des voyageurs français en Asie, dans la foulée de ces pionniers, s’efforceront à leur tour, de retour au pays, de faire partager leurs découvertes et surtout leur émerveillement.

(La passion d’André Malraux pour les cultures asiatiques « l’épisode du Temple d’Angkor » doit certainement quelque chose à l’œuvre ou à la vulgarisation de ces découvertes des réalités asiatiques.)

Cordoue (Espagne) culture arabo-musulmane

Les splendeurs de la civilisation arabo-musulmane

Vers la fin du 19e siècle, beaucoup de Français découvrent l’Algérie et s’émerveillent devant une richesse culturelle jusqu’alors ignorée. Tout au long de la fin de ce siècle, et du début du 20e, les voyages se multiplient : écrivains, administrateurs, voyageurs indépendants…, et tous rentrent émerveillés de leurs découvertes. Théophile Gauthier écrivait déjà en 1845, peu après la conquête de l’Algérie : « Cette civilisation orientale que nous appelons barbarie avec le charmant aplomb qui nous caractérise… »

Le poète Alphonse de Lamartine, qui entreprend un long voyage en Orient et qui lui fait découvrir le Liban, s’extasie littéralement : « Il faut rendre justice au culte de Mahomet qui n’a imposé que deux grands devoirs à l’homme : la prière et la charité. Ces deux grandes idées sont en effet les deux plus hautes vérités de toute religion. »

Suit l’éloge du poète à la religion de Mahomet, l’islam, qu’il juge « moral, patient, résigné, charitable et tolérant de sa nature… »

D’autres écrivains français dans le même style, font état de leur émerveillement (faut-il citer Charles de Foucauld ?) Victor Hugo lui-même dans « La Légende des siècles » dédie trois poèmes à l’islam.

Napoléon III, à son tour, fait preuve d’une grande mansuétude à l’égard de l’Algérie. Pour lui, l’Algérie ne devait pas être une colonie comme les autres ; il la voyait plutôt comme un « royaume arabe » et non comme une colonie ordinaire.

« Cette nation guerrière – déclare-t-il – intelligente, mérite notre sollicitude : l’humanité, l’intérêt de notre nation, commandent de nous la rendre favorable. Il conviendrait de considérer les Arabes comme Français, tout en demeurant régis par leurs statuts civils, conformément à la loi musulmane… Cependant, ceux qui voudraient être admis au bénéfice de la loi française, seront sans condition d’âge, investis des droits des citoyens français… ».

L’Afrique noire, une "réhabilitation" plus difficile

À la différence du Jaune et de l’Arabe, le Noir n’eut pas cette chance d’attirer le regard des visiteurs sur des joyaux culturels incontestables.

De plus, des trois, dès le début du 19e siècle, il avait été convenu que l’appartenance du Noir à la famille humaine n’allait pas de soi (voir article 1). Parfois il était établi qu’il n’avait ni passé, ni histoire. D’où les deux défis à relever :

prouver que le Noir fait bien partie de la grande famille humaine qui ne se résume pas à la "race" blanche.

prouver que l’Afrique noire avait elle aussi produit des constructions dignes de respect, et surtout dignes d’être inscrits au patrimoine historique du monde.

 

Là, plus qu’ailleurs, il fut très difficile de déconstruire ce qu’avait construit la littérature coloniale, laquelle jouissait toujours de son attrait auprès des Français.

La tâche était d’autant plus ardue que des "spécialistes" connus et appréciés en Europe, s’opposaient à toute réhabilitation des Noirs d’Afrique, et campaient sur leur credo : « l’Afrique noire n’a ni histoire, ni passé, ni civilisation ». Ils continuaient ainsi de s’enfermer dans cette logique, malgré des preuves éclatantes. Un historien nigérian, Ko. Dike, s’en indigne.

« La justification idéologique de la supériorité culturelle a été l'un des principaux arguments pour le maintien de la domination coloniale. Le système d'éducation était utilisé pour inculquer cette idéologie à la nouvelle élite. Ainsi, les inégalités politiques, économiques et sociales du système colonial étaient-elles renforcées par la doctrine de l'inégalité culturelle. La manière d'enseigner l'histoire était capitale dans ce processus. L'histoire écrite pendant la période coloniale est celle de la période coloniale elle-même. L'histoire enseignée dans les universités européennes et aussi dans les écoles élémentaires d'Afrique occidentale était l'histoire de l'arrivée des Européens en Afrique occidentale, du choc des impérialismes rivaux et de l'établissement des administrations indigènes. La raison en était très simple. On admettait qu'il n'y avait pas d'autre histoire. Un éminent spécialiste anglais pouvait encore écrire en 1951 :

"Jusqu'à la très récente pénétration par l'Europe, la plus grande part du continent (africain) ignorait la roue, la charrue et le transport animal : pratiquement sans maison de pierre et sans vêtement, excepté les peaux, sans écriture et par conséquent sans histoire. "

Pendant le xxe siècle, cependant, les archéologues et les collectionneurs d'art n'ont cessé de faire des découvertes qu'il a bien fallu prendre en considération ; c'est ainsi qu'une certaine attention a été accordée occasionnellement à l'histoire précoloniale. Mais le plus souvent les vestiges découverts étaient attribués à des peuples non négroïdes. On a dit que les anciens empires du Soudan étaient gouvernés par des Juifs ou des Berbères. Des tentatives ont été faites pour prouver que les bronzes du Bénin étaient l'œuvre des Portugais et les têtes Ifé, celle des Egyptiens.

Dans le cas des fameuses ruines de Zimbabwe, découvertes en Afrique centrale, il existe une longue histoire des efforts entrepris pour attribuer cette haute civilisation à la civilisation arabe ou européenne, comme le note l'historien nigérian Ko. Dike :

"De nombreux jugements sur l'Afrique reposent, non sur l'évidence de l'histoire ou de faits vérifiés, mais sur des notions préconçues que les auteurs intéressés rejetteraient, dans tout autre contexte, faute du minimum de détachement objectif."

[…]

Le rôle rempli par de telles versions de l'histoire est évident. Elles-justifiaient la domination coloniale non seulement par la supériorité militaire, mais aussi par sa mission civilisatrice propre. Elles permettaient aux politiques coloniales — et en particulier au système d'éducation — d'être orientés vers la production "d'hommes blancs de seconde zone". »

Il a fallu attendre l’ère des surréalistes, dans le premier tiers de 20e siècle, en France, pour que l’art traditionnel africain soit reconnu comme art à part entière, baptisé « art nègre », alors que des objets d’art africains circulaient en France du temps de Charles Le Téméraire qui, dit-on, en était très friand.

Paul Morand [voir article (1)] à l’issue de son périple africain en 1928, écrit dans son ouvrage ce que ce périple lui a inspiré :

« Il est curieux de voir combien peu de coloniaux sont sensibles aux vertus profondes du Noir. Les uns les nient, les autres se contentent de dire : ce sont de braves gens. Mais le parfait naturel, la bonne humeur, la douceur des nègres, qualités négatives, n'apparaissent plus à ceux qui résident depuis trop longtemps en Afrique. Quant à leur beauté, on n'en parle jamais. »

 

Ces colons, les voient-ils ?

Paul Morand  ajoute :

 

« …la perfection des jambes, la petitesse de la tête. De la mortalité infantile, peut-être, mais presque jamais d'infirmes, de bossus, de mal conformés, comme chez nous. Quelle souplesse de bête, quelle noblesse du repos, des stations, quelle grandeur dans la marche, quelle perfection féline dans la course ! Quand je pense à l'Algérie, aux Arabes, à tous ces peuples emmitouflés dans des serviettes-éponges, dans de vieilles couvertures de lit, comme des serpents, je me dit qu'entre le Noir nu de l'Afrique Centrale et l'athlète nordique des clubs finlandais ou des universités américaines (sauf quelques beaux Chinois), le monde n'est que médiocrité physique.

Auprès du Jaune qui se récuse devant la vie et qui nous déteste, comme le Noir paraît ouvert à tout, avide de connaître, sociable, adorant les voyages, passionné de la vie sous toutes ses formes, mouvements, sons, couleurs. »

 

Si des colons ne voient pas les Noirs parmi lesquels ils vivent, d’autres se chargeront de les voir, de les connaître pour les comprendre, et pour les faire connaître non seulement à leurs contemporains en France, mais au monde et à la postérité par le nombre et la qualité de leurs travaux et de leurs publications.

Parmi eux, des géographes, des scientifiques de diverses disciplines.

Parmi la liste de ces pionniers, trois noms qui font incontestablement figure de pionniers en la matière et dans leurs domaines respectifs.

 

Parmi ces pionniers vulgarisateurs de l’Afrique et ses peuples, des géographes qui ont mis leur science au service de la découverte d’un vieux continent, beaucoup plus proche de l’Europe que l’Amérique et l’Asie.

L’œuvre d’Onésime Reclus (1837-1916) occupe sans doute une place de choix dans cette pénétration raisonnée du continent noir. « Lâchons l’Asie, prenons l’Afrique », plaide-t-il. (Voir blog article L’EMPIRE COLONIAL FRANÇAIS, HIER. L’ASIE OU L’AFRIQUE ? ① du 4 septembre 2016)

 

Mais aussi, Ernest Granger (1844-1914) qui, dans sa Nouvelle Géographie universelle, est sans doute un des tout premiers à procéder à une présentation aussi méthodique que minutieuse des différents peuples habitant ce continent, avec leurs traits physiques et moraux distinctifs…(Ernest Granger, Nouvelle Géographie universelle, Paris, Hachette, 1922.)

André Demaison (1883-1956)

André Demaison, poussé vers l’Afrique par goût de l’aventure, séjourne longtemps sur la côte africaine. Il est également poussé par le désir de savoir, il étudie langues et cultures africaines, publie des ouvrages sur les langues et cultures africaines, dont le plus original : La Nouvelle Arche de Noé (Grasset, 1938) ? :

 

« Ces Noirs, j'ai vécu parmi eux pendant douze ans, j'ai parcouru en tous sens leur continent pendant deux ans, ils se sont battus sous mes yeux pendant la guerre. En maintes occasions, j'ai pu me rendre compte qu'ils avaient le véritable sens de l'honneur. Cette fréquentation à longueur de jours, de mois et d'années, m'a permis de les aimer, de rectifier à leur sujet une foule d'erreurs, de jeter la lumière à travers l'obscurité de l'enseignement d'autrefois, de dissiper des niaiseries aussi persistantes que lamentables. Je serai pleinement heureux si j'ai donné dans ce livre un sentiment de ce qu'ils sont et une idée de leur vie, si j'ai provoqué aussi la sympathie pour ces peuples d'Afrique à la fois si anciens et si jeunes. » (La vie des Noirs d’Afrique, éditions Bourrelier & Cie, dans la collection La joie de connaître, 1936)

Maurice Delafosse (1870-1926)

Mais Delafosse est surtout le plus complet, le plus prolixe et le plus profond, dont l’œuvre est empreinte d’une érudition, d’un souci du détail étonnants. Aucun aspect de la vie des peuples africains ne lui échappe : histoire, culture, mœurs, le tout traité avec une rigueur toute scientifique. Delafosse reste inégalé dans son œuvre et son érudition. (Voir article du 2 juillet 2011 : Peut-on écrire l'histoire de l'Afrique ?)

 

Delafosse et Demaison ont présenté, l’un et l’autre, un portrait du Noir africain, qui n’est ni idyllique, ni surfait : le portrait d’un individu de la grande famille humaine, avec ses défauts mais aussi ses qualités.

André Demaison est aussi du nombre de ces vulgarisateurs curieux et scrupuleux.

 

Du 19e au 21e siècle, les temps ont changé. En France, la littérature exotique ne domine plus les publications littéraires.

Mais le regard sur le colonisé, l’"Indigène", a-t-il changé ? Les préjugés ont la vie dure.

Les stéréotypes et les préjugés meurent-ils ?

 

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17 septembre 2017 7 17 /09 /septembre /2017 07:16

GALERIE DE PORTRAITS DE COLONISÉS FRANÇAIS AU XIXe SIÈCLE (1)

L’image du Jaune, du Noir et de l’Arabe dans la littérature coloniale exotique des 19e et 20e siècles

Le 19e siècle est la période faste de la littérature coloniale, enrichie par l’apport de la chanson coloniale dont des chansonniers célèbres ont fait leurs choux gras du 19e au 20e siècle.

Cette littérature, riche et colorée, qui couvre essentiellement l’Asie et l’Afrique, s’est nourrie de l’image fabriquée du Jaune, du Noir et de l’Arabe, faite de préjugés et stéréotypes, mais aussi de fantasmes, image transmise de génération à génération, du 19e siècle à nos jours.

 

De tous les colonisés français, ceux qui ont reçu la charge la plus lourde sont sans conteste les Noirs et les Arabes, même si les Jaunes aussi en ont reçu leur part non négligeable. En résumé, une riche anthologie qui campe pour la durée, Jaune, Noir et Arabe.

La charge !

Le Jaune : Annamite, Cambodgien, Laotien dans la littérature coloniale.

Morceaux choisis :

Le trait le plus saillant qui ressort du portrait de l’Asiatique, c’est la fourberie : « Le Jaune est fourbe. C’est un fait acquis. »

Il est intelligent, mais « une intelligence au service du mal ».

Le Jaune est surtout – affirment nombre d’auteurs – fourbe, mais « très rusé et très fin ». Il est aussi « dissimulé, fourbe, hypocrite, sans probité, trompeur, voleur », selon le révérend père Charles Émile (1874), cité dans Alain Ruscio.

La charge est loin d’être complète. Pour Marcel Pionnier (1906), l’Asiatique, le Jaune est surtout « obséquieux », « hypocrite ».

Quant à Raoul Postel (1882), il reconnaît dans l’Annamite une véritable supériorité dans le domaine de « la science de la bassesse, de l’intrigue, de la ruse. »

La liste est longue, la charge lourde. En résumé, l’Asiatique apparaît dans le regard du colonisateur comme intelligent, doué de ses mains, mais fermé, dissimulateur, peu fiable. À ce titre, « le Jaune inquiète ».

La charge maximale

Incontestablement, ce sont les Noirs et les Arabes qui reçoivent la charge la plus lourde. Leur image, de ce fait tranche nettement avec celle des Jaunes qui apparaît bien légère quoique stigmatisante à souhait.

Dans cette littérature coloniale foisonnante du 19e siècle, le Noir semble celui qui a le plus inspiré les auteurs, écrivains et chansonniers. Il apparaît ainsi comme une source inépuisable à laquelle se pourvoient aisément et sans frais, écrivains et chansonniers, mais aussi humoristes et cinéastes.

Ses principaux traits supposés forment à eux seuls une anthologie d’une grande richesse, en images et en sons. Bref, l’image du Noir, est le thème de prédilection à succès, y compris pour le plus médiocre des humoristes, car, c’est là qu’on peut puiser sans effort et avec la garantie du succès devant un public blanc.

Les traits les plus saillants relevés chez tous ces auteurs et chansonniers sont, après la paresse, l’excès de sexe, la danse, le tam-tam, mais aussi l’anthropophagie.

La paresse fait l’unanimité, thème abondamment traité au 19e comme au 20e siècle, non seulement par des colons installés en Afrique et des auteurs, mais aussi par des voyageurs ou des missionnaires1.

 

L’excès de sexe, une « tare » souvent évoquée qui a nourri toute une littérature est considéré par quelques auteurs, non des moindres, comme une explication du retard de l’Afrique sur les autres régions du monde.

 

1. Ne s’agirait-il pas plutôt d’un conflit de culture?, de philosophie de l’existence ?  Voir ouvrage en préparation sur ce thème, cette vision opposée du travail ou du  mode de vie.

Raoul Allier (1862-1939)

 

Sexe et arriération ?

Raoul Allier (1862-1939), professeur de philosophie à la faculté de théologie protestante de Paris et écrivain français (par ailleurs ardent dreyfusard) pose la question en apportant la réponse :

« Qu’est-ce qui a mobilisé tant de races africaines et les a fait rétrograder, si ce n’est le déséquilibre produit dans leur vie intérieure par l’abdication devant la luxure ? »2

 

Quant à l’auteur français Paul Morand, il assène ce verdict sans appel :

« Le secret de l’infériorité de la race noire, hébétée par les excès sexuels, se trouve là. »2

Sujet intarissable.

 

Et que dire de la femme des colonies, objet de fantasme à souhait, « aux seins nus, aux fesses à peine couvertes… » ?

Pour un certain nombre d’auteurs ou d’observateurs du 19e siècle, le rire du Noir n’est pas une qualité, la danse encore moins, car, le Noir rit toujours et danse. Il danse toujours et rit…

D’aucuns vont jusqu’à lui dénier sa qualité d’humain.

 

2. Cité dans Alain Ruscio, Le credo de l’homme blanc.

Morceaux choisis

« Les Nègres d’Afrique n’ont reçu de la nature aucun sentiment qui s’élève au-dessus de la niaiserie. » (E. Kant (1724-1804) philosophe allemand).

Quant à Hegel (1770-1851), il balaie d’un regard panoramique le continent africain, son histoire et ses peuples :

« Le continent africain n’est pas intéressant du point de vue de son peuple, de son histoire, mais le fait que nous voyons l’homme dans l’état de sauvagerie et de barbarie, et aujourd’hui encore, il est resté tel. »

 

Le florilège est long et plutôt empreint d’une certaine monotonie, celle du regard porté sur le Noir.

 

Quant à l’anthropophagie, quoique moins évoquée que la paresse ou le sexe, elle reste cependant associée aux mœurs africaines, sans discernement.

 

L’Arabe ne s’en sort pas beaucoup mieux. Son image est sans doute encore plus dégradée dans le regard du colonisateur, notamment des colons vivant en Afrique du Nord.

À la différence du Noir d’Afrique subsaharienne, seule plaide pour l’Arabe la splendeur du passé (du 7e au 13e siècle).

« L’Arabe est incontestablement la bête noire de la pensée coloniale. Si des portraits positifs des Jaunes ou des Noirs émergent parfois, il faut bien reconnaître qu’il en est rarement, très rarement de même pour les Arabes… »

À propos des Arabes d’Algérie, le capitaine Charles Richard écrit en 1846 « au lendemain de la pacification de l’Algérie » :

« Le peuple arabe, on ne saurait trop le dire, est un peuple dans un état de dégradation morale qui dépasse toutes nos idées de civilisé. Le vol et le meurtre dans l’ordre moral, la syphilis et la teigne dans l’ordre matériel, sont les larges plaies qui le rongent jusqu’à le rendre méconnaissable… »

L’Arabe est généralement décrit comme mesquin, traître, querelleur. La qualification de voleur  «lui est généralement et quasi unanimement attribuée».

L’Arabe sous le poids des mots et du regard

Aux métropolitains qui désirent s’établir en Algérie, ce conseil et cette mise en garde :

« L’Arabe est très chapardeur ; il faut, en conséquence, se méfier de lui, ne pas l’admettre chez soi et, par précaution, tout fermer à clé. » (Agence territoriale Algérienne, 1881. In Ruscio)

Guy de Maupassant apporte sa touche en 1883 :

« Qui dit Arabe, dit voleur, sans exception ».

 Pour lui, « l’Arabe ment en permanence. Il ne ment pas, il est le mensonge. »

L’auteur revient sur ces thèmes en 1889 et alourdit la charge :

« C'est là un des signes les plus surprenants et les plus incompréhensibles du caractère indigène : le mensonge. Ces hommes en qui l'islamisme s'est incarné jusqu'à faire partie d'eux, jusqu'à modeler leurs instincts, jusqu'à modifier la race entière et à la différencier des autres au moral autant que la couleur de la peau différencie le nègre du blanc, sont menteurs dans les moelles au point que jamais on ne peut se fier à leurs dires. Est-ce à leur religion qu’ils doivent cela ? Je l'ignore. Il faut avoir vécu parmi eux pour savoir combien le mensonge fait partie de leur être, de leur cœur, de leur âme, est devenu chez eux une seconde nature, une nécessité de la vie »

 

La littérature coloniale semble avoir, parmi ses objectifs, la satisfaction de l’attente de ses lecteurs : leur donner ce qu’ils veulent entendre, en vue de nourrir et conforter stéréotypes et fantasmes. C’est si commode ! Si reposant pour l’esprit auquel on ne demande pas d’effort de réflexion ou de recherche, encore moins d’autonomie de pensée. C’est surtout si rassurant de savoir que les indigènes d’hier, sont toujours des indigènes. Cette littérature se caractérise par la généralisation hâtive et abusive. On voit l’autre, le colonisé (ou son descendant), non tel qu’il est, mais tel qu’on voudrait qu’il soit, pour l’éternité. Ainsi, le regard porté sur l’universitaire noir, bardé de diplômes, est le même que celui porté sur le Noir analphabète profond, car Noir c’est Noir, comme Arabe c’est Arabe.

 

En définitive, le regard du colonisateur sur les Jaunes, les Noirs, comme les Arabes, anciens colonisés, reste chargé de tares innombrables.

Méditation et débat

Comment de tels schémas ont-ils pu se mettre en place et imprégner aussi longtemps et aussi profondément l’esprit et l’imaginaire collectif des Européens ?

 

 

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21 mai 2017 7 21 /05 /mai /2017 07:08

 

VUE D’AFRIQUE.

 

 

L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE FRANÇAISE 2017

 

 

Un intérêt certain. Mais quel intérêt ?

Quelle incidence sur la culture politique ?

 

Une élection française plus suivie que les élections nationales. Pourquoi ?

Selon maintes sources autorisées et des observateurs avisés, l’élection présidentielle française de mai 2017, a été suivie avec une certaine effervescence et a suscité plus d’intérêt que les élections organisées en Afrique même, tous pays confondus : de l’Afrique du Nord à l’Afrique subsaharienne, anglophone, lusophone…

Cet intérêt pour l’élection présidentielle française n’a rien d’étonnant cependant pour qui connaît la singularité des rapports entre la France et les États africains (au-delà de ses anciennes colonies).

 

Parmi tous les pays présents en Afrique au titre de la coopération ou de l'aide, aujourd'hui comme hier, la France émerge comme le pays qui, dans ce continent, dispose d'une dimension singulière. C'est de loin le pays qui s'identifie à l'Afrique et auquel l'Afrique s'identifie, au point que, pour nombre d'Africains, l'Europe se trouve en France et se résume à la France. Les propos de ce vieux Malien dont le fils est éboueur à Paris en sont révélateurs à plus d'un titre. Interrogé pour savoir depuis quand son fils était en Europe, il répondit : « Non, il n'est pas en Europe, il est en France ». Ce sentiment singulier fait également que beaucoup d'Africains en France se considèrent, un peu, par réflexe, comme chez eux, y compris des Africains anglophones ou lusophones, donc ressortissants d'anciennes colonies anglaises, portugaises ou belges. La France est ainsi le pays du monde dont les Africains parlent le plus, en bien ou en mal.

 

L'histoire a érigé la statue de la France au cœur de l'Afrique, et dans le cœur des Africains. Personne en Afrique (de l'Est comme de l'Ouest, du Nord comme du Sud) n'est indifférent à ce qui se dit ou se fait en France, soit qu'on l'approuve, soit qu'on le désapprouve. La France et l'Afrique sont comme unies par les liens d'un mariage non déclaré, mais consommé. C'est sans doute en raison de cette spécificité que la coopération française revêt une signification particulière et sert de réfèrent à la coopération et à l'aide internationales en Afrique. Cette position spécifique reste un acquis à la France. Grandeur ou servitude ? Sans jugement de valeur. Chacun appréciera à l'aune de sa sensibilité et de sa vision de l'histoire.

 

Mais, à l’évidence, l’élection présidentielle française de 2017 semble avoir suscité plus de ferveur, d’intérêt et de commentaires en Afrique qu’aucune autre élection présidentielle par le passé, en France. Serait-ce l’effet Macron ? Son jeune âge ? Son charisme ? La nouveauté de son message politique, nationale et internationale ? Sa volonté et son ambition de refondation de la politique ?, bref, sa vision du monde e du futur ?

 

Emmanuel Macron

Président de la République française (2017)

 

Un effet probable (ou souhaitable) sur les mœurs politiques du continent ?

Quel pourrait être l’effet positif escompté pour les populations et les pays africains ?

Une refondation de la culture politique ? Dans ces cultures où le plus âgé, parce qu’il est le plus âgé, a toujours raison, quoiqu’il dise, quoi qu’il fasse.

Où l’aîné, quel qu’il soit, quoi qu’il fasse, à tous les droits sur le plus jeune. Son avis, quel qu’il soit, ne se discute pas.

Où, enfin, le chef, parce qu’il est chef (fût-il « démocratiquement » élu), est l’oint du Ciel, et, à ce titre, dispose d’un pouvoir absolu, de droit divin.

 

L’effet d’une telle culture de gouvernement n’est pas toujours heureux. Il n’est pas exceptionnel dans ces conditions, de voir des personnages atteints de débilité sénile, s’accrocher désespérément au pouvoir, faisant ainsi fi de l’intérêt du pays et de celui de la fonction.

Vous imaginez alors aisément l’effet Macron : élu président de la République à 39 ans, pour un mandat de 5 ans, durée qu’il est contraint de respecter, en conformité avec les Institutions en vigueur et la culture politique du pays. Cela ne peut manquer de faire son effet sur nombre d’esprits en Afrique.

Imaginez un peu : Macron avait un an et demi quand Obiang Nguema [président de Guinée équatoriale] s'est emparé du pouvoir, un an et neuf mois lorsque Dos Santos [Angola] a succédé à Neto, deux ans et demi quand Robert Mugabe [président du Zimbabwe] a remporté sa première élection, moins de cinq ans le jour où Paul Biya [Cameroun] s'est installé au Palais d'Etoudi... Sur un continent où les aînés ne lâchent ni leur pouvoir ni leur tutelle sur les cadets, qu'ont-ils en commun et qu'auront-ils à se dire ?

Hebdomadaire Jeune Afrique, 14-20 mai 2017

 

 

La galaxie des présidents dinosaures ?

Le continent africain se caractérise effectivement par la longévité exceptionnelle du mandat des chefs d'État. On y compte à ce jour dix-sept chefs d'État au pouvoir depuis plus de vingt ans ; quatre depuis plus de trente ans ; une bonne dizaine depuis plus de quinze ans. Record du monde ; Omar Bongo, décédé en juin 2009, après 41 années de pouvoir, sans discontinuer. Combien de temps y serait-il resté s'il ne s'était pas éteint en 2009 ?

Si au moins une telle longévité à la tête de leur pays se justifiait par des actes, des réalisations apportant aux populations bien-être, développement et épanouissement ! Si la prospérité d'un pays était fonction de la longévité du pouvoir du chef de l'État, il y a longtemps que l'Afrique serait sortie du sous-développement. Mais c'est le contraire : le plus souvent, le bilan global est inversement proportionnel au nombre d'années passées au pouvoir.

Tidiane Diakité, 50 ans après, l’Afrique, Arléa, Paris, 2011.

 

 

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16 avril 2017 7 16 /04 /avril /2017 07:15

LA POLICE DES NOIRS EN FRANCE AU XVIIIe SIÈCLE

SOUS LOUIS XV ET LOUIS XVI ②

 

La déclaration royale (1777).

Les interdits de mariage.

La résistance

 

 

Après la déclaration royale de 1777 et les édits royaux qui la complètent sous le règne de Louis XVI, les Noirs et « gens de couleur » furent interdits de mariage dans le royaume.

De nombreux documents d’archives municipales et départementales font état de résistances plus ou moins acharnées et plus ou moins structurées, à la volonté royale.

 

 

Lex Rex , le Roi c’est la loi

Les opposants aux édits royaux interdisant ces mariages se divisent grosso modo en deux camps. D’un côté,

La Grande noblesse

La Grande bourgeoisie

L’Église

De l’autre,

Les philanthropes

Les philosophes et autres penseurs humanistes.

On compte dans leurs rangs des personnalités bien connues qui s’engagèrent ouvertement dans la défense des Noirs, tels l’Abbé Raynal, l’Abbé Grégoire, J.J. Rousseau [Voir article LA POLICE DES NOIRS EN FRANCE AU XVIIIe SIÈCLE SOUS LOUIS XV ET LOUIS XVI ①]

 

Selon une disposition de l'Édit de 1777 sur la police des Noirs, mais aussi de celui de 1778, il fut formellement interdit aux Noirs libres ou non de contracter aucun mariage sur le sol du royaume de France. Cela avivait l'opposition des grandes familles nobles ou bourgeoises, mais aussi impliquait l'Église pour la célébration de telles unions. [L'Edit de 1716 autorisait ces mariages sous la réserve de l'accord préalable des maîtres d'esclaves ou de Noirs.]

L'Ordonnance du Siège de l'Amirauté de Nantes concernant les Noirs ou Mulâtres datée du 22 Janvier 1777 rappelle aussi cet article de l'Edit :

Il requiert pareillement qu'il soit fait très expresses inhibitions et défenses à tous Nègres libres et non libres, de l'un et de l'autre sexe, qui peuvent être dans le ressort de ce siège, à leurs maîtres d'y donner leur consentement ; et à tous Prêtres et Secteurs, de faire faire de semblables mariages, sous quelque prétexte que ce puisse être ; il lui sera provisoirement décerné commission (au Procureur du Roi), pour appeler et poursuivre les Recteurs qui se sont plusieurs fois ingérés de faire ces mariages. Au surplus, il sera permis au Procureur du Roi de faire imprimer, publier, lire et afficher la présente remontrance et l'Ordonnance du siège, partout où besoin sera, dans l'étendue de son ressort... .

 

 

Contrats et célébrations de mariages interdits

Ces mesures vont plus loin ; afin de mieux contrôler l'application effective de l'interdiction des mariages de Noirs, il fut décidé de rendre obligatoire partout dans le royaume, les déclarations de grossesses du fait de Noirs. Ces déclarations nombreuses au début, diminuent au fur et à mesure que se durcit la législation concernant les Noirs, soit que cette législation a été suivie, appliquée, soit que les personnes concernées par de telles déclarations évitent de procéder à ces formalités de peur de représailles. On note parallèlement, dans la même période, un accroissement du nombre d'enfants abandonnés, fruits de telles grossesses et d'amours prohibées, de même qu'une augmentation d'accouchements clandestins, au point que des Arrêts du Conseil du roi faisaient défenses aux chirurgiens et matrones de donner asile dans leurs maisons aux filles et femmes grosses, lesquels chirurgiens et matrones étaient également tenus par les mêmes règlements, de donner les noms et demeures des filles ou femmes grosses.

Dans ces déclarations de grossesses étaient mentionnés les nom et qualité des parents de la fille, les nom et âge de la fille, les nom et qualité de l'auteur de la grossesse, éventuellement les nom et qualité de son maître, ainsi que l'âge de la grossesse. Au fur et à mesure du durcissement de la législation, dans bien des déclarations était mentionné le caractère accidentel de la grossesse, l'auteur de l'acte était alors un inconnu qui a abusé de la fille... ainsi qu'on le constate dans le cas suivant :

Anne Sorin, fille de Jacque Sorin, de la paroisse de ... laquelle a déclaré être âgée d'environ vingt-deux ans, et être grosse d'environ cinq mois du fait d'un inconnu qui l'a abusée forcément au troisième étage de la maison de Louis Guérin...[Archives municipales de Nantes]

Autre exemple de déclaration :

Perrine Tremeau, fille d'un cuisinier, enceinte des œuvres de Louis dit Polidor, nègre de nacion (sic) demeurant chez le Sieur de la Villestreux père, négociant à la Fosse....

Les grossesses de femmes noires devaient également faire l'objet d'une déclaration quel qu'en soit l'auteur, Blanc ou Noir, la déclaration suivante en donne un exemple :

Hélène, négresse, chez le Sieur Guillodeu, négociant à la Fosse, enceinte du fait d'Antoine, nègre chez le même.

Ou encore :

Anne, mulâtresse esclave, grosse des œuvres de Ratier, quarteron

 

 

Mariages mixtes interdits

Quant aux mariages entre personnes de race noire et de race blanche et vice-versa, ou seulement entre personnes de race noire, leur interdiction posa un certain nombre de difficultés surtout du côté de l'Église qui était depuis fort longtemps habituée à célébrer de tels mariages, et qui ne faisait point de discrimination, la seule condition exigée étant pour elle que les époux fussent baptisés et catholiques. Mais, la rigueur de la loi, la pression de l'administration furent telles que l'Église fut au fil des années contrainte de céder. Sa position passe par un certain nombre de phases, qui vont de la célébration clandestine de mariages, à l'obéissance passive, pour aboutir ensuite à une peur panique des représailles qui entraîne le refus pur et simple de la célébration de ces unions. Deux exemples sont assez significatifs de cette attitude de l'Église face à la pression de l'administration royale. Le premier de ces exemples est un échange de lettres entre l'Intendant de Montpellier et le curé de Villefranche de Laurangais dans le département de Toulouse. Il y aurait eu à Villefranche de Laurangais le mariage d'une mulâtresse répondant au nom de Marie-Claire, en contravention à l'Arrêt du 5 Avril 1778. Le curé répond qu'il ignore cet Arrêt relatif au mariage des Noirs, mulâtres et gens de couleur avec des blancs ; qu'il s'agit de son prédécesseur le curé Gélis, qui a voulu marier sa nièce Marie-Claire amenée des Isles par son frère décédé, qui lui a laissé une dot de 6 000 livres avec le Sieur Pierre Veres, chirurgien, que le curé Gélis est décédé. Il n'est pas dit clairement si le mariage a eu lieu. Il n'est sans doute pas inutile de reproduire ici l'essentiel de cette correspondance et tout d'abord la lettre de l'Intendant de Languedoc au subdélégué de Toulouse dont la teneur est la suivante :

 

Montpellier le 7 Mai 1778

Vous trouverez ci-joint Monsieur, un nombre d'exemplaires de l'Arrêt que SA Majesté vient de donner relativement aux mariages des Noirs, mulâtres et autres gens de couleur avec les Blancs ; je vous prie de le faire publier et afficher dans les principales villes et gros lieux de votre département jusqu'à concurrence du nombre que je vous envoie. Vous voudrez bien tenir aussi la main à son exécution...

 

Le subdélégué de l'Intendance du Languedoc écrit à son tour au Consul [magistrat élu dans les villes du Sud du royaume, chargé de l’administration municipale sous l’Ancien régime] de Villefranche et lui fait part de ce qui suit en ces termes :

 

Vous trouverez ci-joint, Monsieur, une lettre du curé de Dapse (?) communauté de Villefranche de Laurangais par laquelle il m'informe du mariage entre les nommés Marie-Claire, mulâtre (sic) avec un blanc, malgré les dispositions de l'Arrêt du Conseil du Roi du mois d'Avril 1778, qui vous est connu. Je vous prie de vous informer et de me marquer depuis quel temps cette mulâtresse est revenue en France, si le don dont le curé parle est réel, avec la substitution annoncée en faveur des pauvres ; s'il a été passé un contrat de mariage, si le mariage a été béni, qui a signé la dispense de deux bans, et donné la permission d'épouser devant le premier prêtre requis ; le nom, la qualité et la demeure du mari, l'endroit où ils seront...

 

Suit la réponse à cette lettre à l'adresse du subdélégué de l'Intendance du Languedoc à Toulouse :

 

Monsieur

Voici les éclaircissements que nous avons pu trouver au sujet de la nommée Marie-Claire et en réponse aux demandes que vous nous faites par votre lettre...

1°- Que cette fille vint avec le Sieur Gélis A., habitant ici, venant des Isles où il avait demeuré fort longtemps. Ledit Sieur Gélis se disait le père de cette fille ; et il y a environ quinze ans de cette arrivée que par lors cette fille avait environ trois ans ; on assure qu'elle était quarteron, et il est évident qu'elle est plutôt blanche que noire.

- Le don de 6 000 livres fait à cette fille par Monsieur Gélis, ancien curé du pays, le frère dudit Sieur Gélis se disant père de cette fille est nullement vrai.

- Il n'est pas de notre connaissance qu'il y ait eu contrat...

- Il n'est pas non plus de notre connaissance que le mariage a été effectué.

- Sur le rapport de notre curé,  ce sont MM. les Grands vicaires qui ont signé la dispense des deux bans.

- Le Sieur P. Veres fiancé de cette fille est chirurgien...

Voilà, Monsieur, tous les renseignements que nous pouvons vous donner touchant cette affaire...

Sabatier-Consul Maire  [Archives départementales de Haute Garonne]

 

 

 

Des exemples nombreux de cas symboliques de la rigueur de la loi

Le deuxième exemple, certes plus complexe, révèle à la fois l'attitude de la grande noblesse et celle de l'Église au stade où la législation ne tolérait la moindre inobservance des prescriptions royales. Ce cas se présente ainsi :

Un nègre âgé de soixante ans et établi depuis près de cinquante ans en France (à la date de 1778) où il est venu enfant a gagné quelques biens au service de ses maîtres... Il allait se retirer et se marier à une paysanne... quand parut la déclaration du 9 Août 1777 qui ordonne aux Noirs de quitter le royaume. Il a satisfait à ce qu'exige l'article X de la déclaration en faisant déclaration au juge royal voisin, ce qui lui permet de rester en France. Mais quoique la déclaration ne défende pas les mariages, M. le marquis de Rumont, héritier des anciens maîtres de ce nègre et seigneur de ses villages, a conseillé à ce nègre de différer son mariage jusqu'à ce qu'il en ait demandé les ordres de M. de Sartine. [Antoine Comte d’Alby, homme d’État français, lieutenant général de la Police. (1759-1774), puis Secrétaire d’État ) à la Marine (1774-1780)].

Il reçut de ce dernier une "réponse prohibitive". L'exempt [ancien officier de la Police sous l’Ancien Régime] de la maréchaussée de Malesherbes a écrit une pareille lettre au Ministre et a reçu la même réponse négative.

Là-dessus, survient l'Arrêt du Conseil du 9 Avril 1778 qui interdit sur toute l'étendue du territoire du royaume, tout mariage de gens de couleur. Dès lors, le mariage n'est point célébré et ne peut plus se faire. Le document relatif à ce cas précise :

 

Cependant, il faut avouer que ce malheureux et la fille qu'il allait épouser ont fait une faute. Dans le temps où leur mariage était convenu et où on ne prévoyait rien qui pût l'empêcher, la fille est devenue grosse. Si cet homme n'avait pas eu le scrupule de demander les ordres du Ministre suivant le conseil de son maître, il serait marié il y a six mois, la fille qu'il devait épouser ne serait pas déshonorée, l'enfant qui naîtra ne serait pas bâtard car aucune loi ne leur défendait de se marier et aucun curé ni notaire ne pouvaient leur refuser leur ministère....

 

S'ensuit alors un long échange de lettres entre le marquis de Malesherbes et d'autres personnages qui pouvaient de près ou de loin être partie prenante dans cette affaire à un titre ou un autre, affaire dont la complexité s'accroissait de jour en jour. Tout d'abord, cette lettre dont l'auteur s'efforce de faire valoir des arguments à la fois d'ordre moral et d'ordre juridique en faisant observer à Monsieur de Sartine :

 

1-qu'il naîtra toujours en France un enfant mulâtre soit qu'il soit bâtard, soit qu'il soit légitime.

2- qu'aucune faute n'est plus excusable que celle de gens qui sont sur le point de se marier.

3- qu'on peut regarder ce mariage comme avant la défense, puisqu'il l'avait été si M. le marquis n'avait pas connu M. de Sartine et dit à ce nègre de différer et qu'il se chargerait d'en parler au Ministre. C'est dans la précaution qu'on lui a fait prendre qu'est la cause de son malheur.

4- que pour cette raison, la dispense qu'on pourrait accorder à ce malheureux ne tirerait à aucune conséquence d'autant plus que je ne crois pas qu'il y ait un seul autre nègre dans le pays.... Il me semble que tous les motifs commencent à rendre cette demande favorable, et j'observe que c'est dans de semblables cas que l'Église a toujours accordé des dispenses pour les mariages prohibés.

Puisqu'il n'y a point de loi qui déclare ces mariages nuls, point de défenses faites aux curés, mais seulement un Arrêt du Conseil qui défend aux partis de contracter mariage sous peine d'être renvoyés aux colonies, une lettre de M. de Sartine à l'Intendant serait suffisante.

 

Ces mêmes arguments d'ordre juridique et humanitaire sont repris par M. de Malesherbes dans une lettre qu'il adressa au curé de Malesherbes, l'exhortant à célébrer ce mariage et dont voici la copie.

 

Voici, Monsieur, ce que je pense sur ce qui concerne votre fonction dans l'exécution de l'Arrêt du conseil du... concernant les mariages des nègres.

La loi défend aux nègres de se marier aux blancs, mais c'est à eux personnellement que cette défense est faite et non aux curés ; et la preuve que M. de Sartine n'a voulu faire aucune injustice personnelle aux curés : résultat premier de la peine annoncée par cet Arrêt qui est d'être renvoyé aux colonies, peine qui ne peut concerner que les contractants ; deuxièmement, la défense est portée par un Arrêt du Conseil ; en effet, si l'intention du roi avait été de faire défense aux curés de les marier, cette défense ne pourrait être consignée que dans une déclaration. La raison en est que suivant les lois expresses de l'Eglise et du royaume, le curé ne peut pas refuser son ministère aux fidèles de sa paroisse qui se présentent pour se marier.

Pour que la différence de couleur fût un obstacle légal, il faudrait que cela fût porté dans une loi authentique, une loi dont le curé peut exiger en justice réglée si son paroissien le somme de le marier.

L'intention du roi à cet égard est encore manifestée dans la réponse très sage que M. de Sartine a faite à M. le Curé de R... Il lui représente qu'il s'en remet à sa prudence, ce ne serait certainement pas ainsi que le Ministre s'expliquerait s'il était question d'une loi à l'exécution de laquelle le curé fût obligé.

L'affaire étant remise à la prudence du curé de procéder à la célébration en avertissant seulement son paroissien du risque qu'il court et à cet effet lui faisant connaître l'Arrêt du Conseil dont le Ministre lui a donné connaissance. C'est alors au Nègre de voir s'il en veut courir les risques... SA Majesté a voulu obvier aux mariages des nègres qui deviennent trop fréquents et pourraient à la longue influencer sur la race des hommes en France, mais en même temps, il a voulu faire réserve d'en excepter ceux qui sont dans un cas aussi favorable qu'un homme comme celui-ci qui est depuis 58 ans établi en France, n'a plus d'autre patrie et cependant veut se marier, à qui le mariage est plus nécessaire (vieillesse) qu'à un Français qui a une famille, des frères. C'est dans cette intention que par un Arrêt du Conseil dont l'exécution reste dans les mains du Ministre qui peut suivant les circonstances fermer les yeux.

Ainsi, c'est un nègre qui veut se marier et pressentir l'Intendant de la province ou le Ministre lui-même et à s'assurer qu'on ne lui fera point subir la peine de la transportation qui serait bien cruelle pour un homme de soixante ans absolument acclimaté en France....

 

Le paysan et son seigneur

Tandis que le premier groupe d’opposants aux mesures royales : grands aristocrates, grands bourgeois et membres de l’Église, multiplient les procédures et les réclamations, notamment auprès des parlements, pour adoucir ou empêcher l’application stricte desdites mesures, le second groupe se structure et développe des idées tendant à remettre en cause le principe même de l’esclavage. Rassemblée autour de personnalités de premier plan, l’association les Amis des Noirs, a comme tête de proue des militants déterminés, parmi lesquels : Lafayette, Mirabeau, La Rochefoucauld, Condorcet, Lavoisier, l’abbé Sieyès, Brissot, Benjamin Constant, madame de Staël, son fils Gustave et son gendre, le duc de Broglie… Ils sont tous menacés de mort par les représentants des grands planteurs des Antilles pour avoir exigé l’abolition de l’esclavage, et pour militer e ce sens.

L’action de l’association, la Société des Amis des Noirs, quoique moins radicale et moins pragmatique que son homologue et modèle britannique, ne fut pas sans incidence dans le débat sur l’abolition de l’esclavage. En effet, ces personnages influents relient le sort des esclaves noirs à celui de toutes ces humanités souffrantes en France : en tout premier lieu les paysans pauvres, sans terre, exploités par les seigneurs, victimes de toutes les formes d’injustices et d’inégalités sociales, accablés d’impôts, de corvées et de misères.

D’où l’idée d’abattre l’ancien système social, politique et économique, prônée par les philosophes des Lumières.

L’idée d’abolition de l’esclavage rejoint ainsi celle de l’abolition des privilèges pour la liberté, la justice et l’égalité pour tous.

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9 avril 2017 7 09 /04 /avril /2017 07:30

LA POLICE DES NOIRS EN FRANCE AU XVIIIe SIÈCLE

SOUS LOUIS XV ET LOUIS XVI 

 

 

Comment interdire l’entrée du royaume aux Noirs et gens de couleur ?

Une remise en question inattendue

 

Une tâche difficile à laquelle se consacrent les successeurs du Roi-Soleil

La première difficulté résulte sans doute de la nouveauté de la mesure d’interdiction d’entrée et de séjour de cette catégorie de la population alors communément désignée par les termes de noirs et gens de couleur.

Une autre difficulté vient aussi de l’avantage que certains Français trouvaient dans la présence, dans le pays, de ces  noirs et gens de couleur.

Par ailleurs, cette France de la deuxième moitié du 18e siècle est aussi celle des Lumières, des philosophes, où naissent et s’épanouissent les notions de droit, justice, liberté…

Alors que les Noirs de France avaient jusque-là bénéficié de la coutume en vigueur dans le royaume depuis l’édit de Louis X le Hutin, du 3 juillet 1315, qui, après avoir rendu leur liberté aux serfs du domaine royal, interdit toute forme de servitude dans le pays, se heurtèrent soudain à une mesure contraire, leur déniant toute liberté dans ce même royaume.

Les termes de l’édit de 1315 étaient cependant sans équivoque sans son libellé :

Selon le droit de nature, chacun doit naître franc… considérant que notre royaume est dit royaume des Francs, et voulant que la chose en vérité soit accordant au nom, et que la condition des gens amande  de nous…

En termes clairs : on naît libre de par la nature ; et toute personne privée de liberté devient libre dès l’instant où elle foule le sol du pays des Francs.

 

Cette coutume ne concernait pas cependant les esclaves vivant hors du royaume, y compris ceux des colonies françaises d’outre-mer. Il suffisait cependant à un esclave voulant recouvrer sa liberté, de se rendre en métropole pour être aussitôt affranchi s’il était esclave auparavant.

 

 

Antinomie : franc et servitude

En conformité avec cette règle, Louis XIV a longtemps bataillé contre les gros planteurs de retour en France (ou en vacances) avec leurs esclaves, qui, de par la coutume ancienne du royaume, étaient déclarés libres. [Voir article de mon blog : Noirs et Africains en France sous les successeurs de Louis XIV, daté du 21 novembre 2011]

 

Louis XIV mourut en 1715. Dès l’avènement de Louis XV (Régence), le nouveau règne crée une police des Noirs en 1716 (édit de 1716), qui sera suivi de bien d’autres édits, sous ce règne et  sous celui de Louis XVI. Cet édit et les suivants durcissent la loi ainsi que la répression contre les récalcitrants, le tout culminant dans l’édit du 9 août 1777 dit Déclaration du roi. Il interdit l’entrée eu royaume à tous les gens de couleur, sauf aux domestiques, et ordonne l’expulsion de ceux qui s’y trouvent.

 

 

Déclaration du roi, 9 août 1777

Déclaration de 1777 sur le séjour des esclaves en France

Louis, par la grâce de Dieu roi de France et de Navarre : à tous, présents et à venir, salut. Par nos lettres patentes du 3 septembre dernier, nous avons ordonné qu’il serait sursis au jugement de toutes causes ou procès concernant l’état des noirs de l’un ou de l’autre sexe, que les habitants de nos colonies ont amenés avec eux en France pour leur service ; nous sommes informés aujourd’hui que le nombre des noirs s’y est tellement multiplié, par la facilité de la communication de l’Amérique avec la France, qu’on enlève journellement aux colonies cette portion d’hommes la plus nécessaire pour la culture des terres, en même temps que leur séjour dans les villes de notre royaume, surtout dans la capitale, y cause les plus grands désordres ; et, lorsqu’ils retournent dans les colonies, ils y portent l’esprit d’indépendance et d’indocilité, et y deviennent plus nuisibles qu’utiles. Il nous a donc paru qu’il était de notre sagesse de déférer aux sollicitations des habitants de nos colonies, en défendant l’entrée de notre royaume à tous les noirs. Nous voulons bien cependant ne pas priver ceux desdits habitants que leurs affaires appellent en France, du secours d’un domestique noir pour les servir pendant la traversée, à la charge toutefois que lesdits domestiques ne pourront sortir du port où ils auront été débarqués, que pour retourner dans la colonie d’où ils auront été amenés. Nous pourvoirons aussi à l’état des domestiques noirs qui sont actuellement en France. Enfin, nous concilierons, par toutes ces dispositions, le bien général de nos colonies, l’intérêt particulier de leurs habitants, et la protection que nous devons à la conservation des mœurs et du bon ordre dans notre royaume.

A ces causes, etc.

Article 1. – Faisons défenses expresses à tous nos sujets, de quelque qualité et condition qu’ils soient, mêmes à tous étrangers, d’amener dans notre royaume, après la publication et enregistrement de notre présente déclaration, aucun noir, mulâtre, ou autres gens de couleur de l’un ou de l’autre sexe, et de les y retenir à leur service ; le tout à peine de 3.000 livres d’amende, même de plus grande peine s’il y échoit.

Article 2. – Défendons pareillement, sous les mêmes peines, à tous noirs, mulâtres ou autres gens de couleur de l’un ou de l’autre sexe, qui ne serait point en service, d’entrer à l’avenir dans notre royaume, sous quelque cause et prétexte que ce soit.

Article 3. – Les noirs ou mulâtres qui auraient été amenés en France, ou qui s’y seraient introduits depuis ladite publication, seront, à la requête de nos procureurs ès sièges des amirautés, arrêtés et reconduits dans le port le plus proche, pour être ensuite rembarqués pour nos colonies, à nos frais, suivant les ordres particuliers que nous ferons expédier à cet effet.

Article 4. – Permettons néanmoins à tout habitant de nos colonies qui voudra passer en France, d’embarquer avec lui un seul noir ou mulâtre de l’un et de l’autre sexe, pour le servir pendant la traversée, à la charge de le remettre, à son arrivée dans le port, au dépôt qui sera à ce destiné par nos ordres, et y demeurer jusqu’à ce qu’il puisse être rembarqué ; enjoignons à nos procureurs des amirautés du port où lesdits noirs auraient été débarqués, de tenir la main à l’exécution de la présente disposition, et de les faire rembarquer sur le premier vaisseau qui fera voile dudit port pour la colonie de laquelle ils auront été amenés.

Article 5. – Les habitants desdites colonies, qui voudront profiter de l’exception contenue en l’article précédent, seront tenus, ainsi qu’il a toujours été d’usage dans nos colonies, de consigner la somme de 1.000 livres, argent de France, ès mains du trésorier de la colonie, qui s’en chargera en recette, et de se retirer ensuite par devers le gouverneur général ou commandant dans ladite colonie, pour en obtenir une permission qui contiendra le nom de l’habitant, celui du domestique noir ou mulâtre qu’il voudra emmener avec lui, son âge et son signalement ; dans laquelle permission la quittance de consignation sera visée, à peine de nullité, et seront lesdites permission et quittance enregistrées au greffe de l’amirauté du lieu du départ.

Article 6. – Faisons très expresses défenses à tous officiers de nos vaisseaux de recevoir à bord aucun noir ou mulâtre ou autres gens de couleur, s’ils ne leur représentent ladite permission duement enregistrée, ainsi que la quittance de consignation ; desquelles mention sera faite sur le rôle d’embarquement.

Article 7. – Défendons pareillement à tous capitaines de navire marchand de recevoir à bord aucun noir, mulâtre ou autres gens de couleur, s’ils ne leur représentent la permission enregistrée, ensemble ladite quittance de consignation, dont mention sera faite dans le rôle d’embarquement ; le tout à peine de 1.000 livres d’amende pour chaque noir ou mulâtre, et d’être interdits pendant trois ans de toutes fonctions, même du double desdites condamnations en cas de récidive ; enjoignons à nos procureurs ès sièges des amirautés du lieu de débarquement, de tenir la main à l’exécution de la présente disposition.

Article 8. – Les frais de garde desdits noirs dans le dépôt, et ceux de leur retour dans nos colonies, seront avancés par le commis du trésorier général de la marine dans le port, lequel en sera remboursé sur la somme consignée en exécution de l’article 5 ci-dessus ; et le surplus ne pourra être rendu à l’habitant, que sur le vu de l’extrait du rôle du bâtiment sur lequel le noir ou mulâtre domestique aura été rembarqué pour repasser dans les colonies, ou de son extrait mortuaire, s’il était décédé : et ne sera ladite somme passée en dépenses aux trésoriers généraux de notre marine, que sur le vu desdits extraits en bonne et due forme.

Article 9. – Ceux de nos sujets, ainsi que les étrangers, qui auront des noirs à leur service, lors de la publication et enregistrement de notre présente déclaration, seront tenus dans un mois, à compter du jour de la dite publication et enregistrement, de se présenter par devant les officiers de l’amirauté dans le ressort de laquelle ils sont domiciliés, et, s’il n’y en a pas, par devant le juge royal dudit lieu, à l’effet d’y déclarer les noms et qualités des noirs, mulâtres, ou autres gens de couleur de l’un et de l’autre sexe qui demeurent chez eux, le temps de leur débarquement, et la colonie de laquelle ils ont été exportés : voulons que, passé ledit délai, ils ne puissent retenir à leur service lesdits noirs que de leur consentement.

Article 10. – Les noirs, mulâtres, ou autres gens de couleur, qui ne seraient pas en service au moment de ladite publication, seront tenus de faire, aux greffes desdites amirautés, ou juridictions royales, et dans le même délai, une pareille déclaration de leurs noms, surnom, âge, profession, du lieu de leur naissance, et de la date de leur arrivée en France.

Article 11. – Les déclarations prescrites par les deux articles précédents seront reçues sans aucun frais, et envoyées par nos procureurs èsdit sièges, au secrétaire d’État ayant le département de la marine, pour, sur le compte qui nous en sera rendu, être par nous ordonné ce qu’il appartiendra.

Article 12. – Et attendu que la permission que nous avons accordée aux habitants de nos colonies par l’article 4 de notre présente déclaration, n’a pour objet que leur service personnel pendant la traversée, voulons que lesdits noirs, mulâtres ou autres gens de couleur demeurent, pendant leur séjour en France, et jusqu’à leur retour dans les colonies, en l’état où ils étaient lors de leur départ d’icelles, sans que ledit état puisse être changé par leurs maîtres, ou autrement.

Article 13. – Les dispositions de notre présente déclaration seront exécutées nonobstant tous édits, déclarations, règlements, ou autres à ce contraires, auxquels nous avons dérogé et dérogeons expressément.

Si donnons en mandement à nos amés et féaux conseillers, les gens tenant notre cours de parlement à Paris, etc.

Donné à Versailles, le 9 août 1777

 

Une population partagée

Pour une application stricte de la nouvelle loi, la police sévit de façon extrêmement brutale contre les Noirs et gens de couleur. Des situations et droits acquis de longue date sont remis en cause. Cette déclaration du roi décide la création de lieux de regroupement de Noirs dans des dépôts dénommés dépôts de Noirs, situés dans les ports, en vue d’expulser tous les Noirs vers les îles d’Amérique, sans aucune considération de leur pays d’origine. Ainsi, un Noir originaire de Martinique pouvait se retrouver en Guadeloupe, un Noir originaire de Madagascar en Martinique…

Le dépôt le plus important fut implanté à Brest.

Photographie, Y. Le Douget

in Annick Le Douget, Juges, Esclaves et Négriers en Basse-Bretagne, 1750-1780, l’émergence de la conscience abolitionniste.

 

 

La population est quelque peu désemparée, perplexe.

Les autorités royales, avec la police des Noirs, sont les seules engagées avec détermination et zèle dans ces opérations ; la population, elle, est désemparée, perplexe.

En effet, durant toute la période du règne de ces deux monarques, jusqu’à la Révolution qui mit fin à la police des Noirs, l’attitude de la population fut partagée, de l’étonnement à l’attentisme, puis pour  une fraction, à la résistance et à la désobéissance à la volonté royale.

Ces sentiments mêlés se retrouvent dans l’avis  du Chevalier de Boufflers, ancien gouverneur du Sénégal.

 

Chevalier de Boufflers

Stanislas Jean de Boufflers, marquis de Remiencourt, plus souvent appelé le Chevalier de Boufflers (1738-1815), poète français.

Destiné à l’Église, il refuse d’entrer dans les ordres et opte pour la carrière militaire. Il devient gouverneur du Sénégal en 1785. C’est lui qui a fait de Gorée la capitale de la colonie française du Sénégal qui le restera jusqu’en 1929.

Revenu en France en 1788, il se remet à la poésie. En 1789, envoyé aux États Généraux, à Versailles, au début de la Révolution, il s’y montre enthousiaste et fervent partisan des idées nouvelles. Mais, effrayé par le tourbillon de la Révolution, il émigre après le 10 août 1792, date de la chute de la royauté.

De retour en France en 1800, il se retire dans ses terres et se consacre à la poésie.

 

 

Des arguments caractéristiques d’une situation

Les propos du Chevalier de Boufflers pourraient se résumer ainsi : Il faut les renvoyer du royaume, mais, ils peuvent être utiles à la France.

Sa lettre adressée au responsable de la police des Noirs en 1778, commence par exposer les principales raisons qui militent contre l’introduction des Noirs sur le sol de France, avant un plaidoyer bien argumenté pour montrer le contraire.

A Monsieur le Comte

Principales raisons contre l'introduction des Nègres en France :

1°- Ils prennent en France un esprit indépendant qui devient d'un exemple dangereux et qui a de mauvaises suites à leur retour dans les colonies.

- On trouve dans ces colonies tous les moyens nécessaires pour leur donner l'éducation dont ils peuvent avoir besoin sans qu'on soit obligé de les emmener en France.

- Il faut prévenir les mariages mixtes et le mélange des couleurs.

Motifs pour faire quelques exceptions en faveur de la colonie du Sénégal :

1°- Il est en général d'une sage prévoyance de s'opposer à l'introduction des Nègres en France à cause de l'indiscipline et de l'insolence que les esclaves d'Amérique contractent dans leurs voyages et des suites fâcheuses qui en résultent à leur retour dans les colonies.

Mais, ces raisons sont absolument étrangères à la colonie du Sénégal. Si je propose de faire venir quelques Noirs pour un temps limité, ce ne sont que des habitants libres, et ce n'est que dans l'intérêt de leur donner un commencement d'éducation au service du roi et au commerce de la nation dans nos établissements sur la Côte d'Afrique. Cet objet est d'autant plus intéressant qu'il est presque impossible, dans l'état actuel des choses d'avoir dans ce pays là de bons facteurs et de bons directeurs de comptoirs. Les naturels du pays, par ignorance et leurs vices en sont absolument incapables. Les Blancs de leur côté n'y sont point propres...

- S'il existe dans les colonies d'Amérique assez de maîtres en tout genre pour former les nègres aux talents et aux métiers dont ils sont susceptibles, il n'en est pas de même dans la concession française en Afrique... A l'utilité de cette éducation se joint celle de faire prendre à ces noirs une idée de nos mœurs, de nos arts, de notre luxe, de notre politesse pour qu'une fois retournés dans leurs pays, ils y fixent les regards et l'attention de leurs compatriotes...

Les enfants qui résulteraient de la débauche qu'on prévoit, seraient assez reconnaissables pour ne tromper aucun regard et peuvent au bout de deux ans, être renvoyés dans nos colonies d'Amérique... (Archives Nationales).

 

Rien n’y fait. Les conditions d’application de la Déclaration de 1777 renforcées par celles de l’édit de 1778, ne laissent aucun répit aux personnes concernées, Louis XVI voulant une stricte application de sa volonté.

Pour les esclaves amenés à Paris, la permission délivrée par les administrateurs sera enregistrée au greffe du siège de la Table de Marbre à Paris ; il faudra indiquer d'une manière précise le métier et le maître chargé d'instruire les esclaves (article 3). Les esclaves devant apprendre un métier ne pourront être gardés plus de trois ans en France ; sinon, ils seront confisqués au profit du roi (article 6) ; "les habitants des colonies qui voudront s'établir dans notre royaume ne pourront y garder dans leurs maisons aucuns esclaves de ni l'un ni l'autre sexe, quand bien même ils n'auront pas vendu leurs habitations dans leurs colonies..."(article 7). Pour chaque Nègre non renvoyé, outre qu'il sera confisqué, le maître devra payer 1 000 livres, somme consignée d'avance pour obtenir la permission de l'emmener (article 8). Quant à ceux qui sont actuellement en France, les maîtres seront tenus d'en faire dans trois mois la déclaration au siège de l'Amirauté, en s'engageant en même temps à les renvoyer dans un an (article 9). "Les esclaves nègres qui auront été emmenés en France ne pourront s'y marier, même du consentement de leurs maîtres, nonobstant ce qui est porté par l'article 7 de notre Edit du mois d'Octobre 1716, auquel nous dérogeons quant à ce "article 10". Dans aucun cas, ni sous quelque prétexte que ce puisse être, les maîtres qui auront emmené en France des esclaves de l'un ou de l'autre sexe ne pourront les y affranchir que par testament ; et les affranchissements ainsi faits ne pourront avoir lieu qu'autant que le testateur décidera avant l'expiration des délais dans lesquels les esclaves emmenés en France doivent être renvoyés dans les colonies (article 11). Enfin, il est prescrit d'élever les esclaves dans la religion catholique, apostolique et romaine. (Archives Nationales).

 

 

Les Indésirables

Les méthodes et moyens utilisés à la fois contre les Noirs et gens de couleur et contre les Français réfractaires ou militants actifs opposés à la volonté royale, sont de plus en plus nombreux et considérablement durcis.

Parmi les moyens utilisés : la pression chaque jour plus accrue contre les Français qui contestent la loi d’expulsion : aristocrates, marins établis, parlements, surtout le Parlement de Paris et celui de Bretagne, membres de l’Église : prêtres, curés…

Le comptage des Noirs fut aussi un de ces moyens. Obligation était faite à chaque localité ou ville de donner le nombre de Noirs qui y résidaient, avec indication de l’identité, sexe, âge, adresse…Très souvent, les chiffres fournis par les habitants étaient considérablement minorés. Certains s’y refusaient, s’exposant ainsi aux sanctions encourus.

L’Église se trouvait parfois face à des situations des plus cocasses : une des raisons principales de son entrée en dissidence par rapport à la volonté royale, fut l’interdiction du mariage entre des Noirs entre eux, et entre Noirs et Blancs.

En effet, une ordonnance du roi datée du 5 avril 1778, complétant la Déclaration de 1777, précise :

Sont interdits les mariages entre Noirs et Blancs et il est fait défense à tous notaires de passer aucun contrat de mariage entre eux, et tout curé de célébrer ou bénir ces mariages, à peine d’amende.

À cet égard, les propos résignés d’un curé, frustré après s’être heurté à la rigueur de la loi et avoir de ce fait renoncé au mariage qu’il s’apprêtait à célébrer, sont significatifs de l’impuissance de l’Église face à la volonté royale.

Monsieur et cher confrère.

Tout considéré, je ne puis me déterminer à passer outre pour le mariage de M. Domingue et je suis au désespoir de ne pouvoir effectuer la promesse que j'ai faite avec bien de la peine à M. de Malesherbes que je respecte et honore infiniment : ce serait aller directement contre les intentions de SA Majesté et contrairement à l'Arrêt de son Conseil ; ce n'est point à moi d'appliquer la loi, mais de m'y conformer à la lettre ; je suis vrai, j'aime la paix, je ne veux point d'embarras et je crains de me compromettre ; d'ailleurs mes amis et même mes confrères ne me le conseillent pas.

[…]

       Curé de Rumont

 

[Malesherbes : le seigneur qui avait sollicité le curé pour le mariage de Domingue, le Noir à son service]

 

Par ailleurs, l’objectif visé par la décision royale étant de vider le royaume de toute présence de Noirs, la surveillance constante, la traque permanente, et l’expulsion de toute femme noire enceinte vers les colonies, devient un volet important de l’action de la police des Noirs.

 

Malgré tout quelques Français sont partisans des mesures édictées contre les Noirs, et font preuve de zèle pour les défendre.

Ce sont d’abord des travailleurs blancs qu’inquiète le nombre croissant de Noirs sur le marché du travail. Quelques affrontements ou troubles sont signalés dans des villes, comme à Bordeaux où ce genre d’affrontement semble avoir connu un développement important. (Archives municipales de Bordeaux).

Parmi les soutiens des nouvelles mesures, on compte également, d’après les Archives de la ville de Paris, des femmes blanches des maisons closes, qui protestaient contre la concurrence des femmes noires.  Elles réclamaient bruyamment le renvoi de ces dernières aux colonies, parce qu’elles nuisaient à leur commerce.

Quelques années plus tard, lorsque la Convention décréta l’abolition de l’esclavage, des femmes s’écrièrent sur la place du marché à Paris : Ma foi, on nous fout de belles sœurs noires, nous ne pouvons  jamais vivre avec des femmes comme cela.(Cohen B. William, Français et Africains, Les Noirs dans le regard des Blancs, Gallimard, Paris, 1981).

 

Cependant, en définitive, les mesures royales incarnées par la police des Noirs, n’atteignirent jamais leur objectif, à la mesure de la volonté du roi ; jamais les autorités ne prirent le dessus en ce domaine.

 

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12 février 2017 7 12 /02 /février /2017 08:34

 

L’ÉGLISE ET L’ESCLAVAGE : UN BIEN OU UN MAL ?

 

 

Une lente évolution au cours des siècles, du moyen âge au 19e siècle

Un système hérité

– Qu’en pense l’Église ?

– Que dit l’Église ?

– Que fait l’Église ?

 

Ces questions sont posées et entendues tout au long des siècles, du moyen âge au 19e siècle. En s’affirmant, l’Église catholique découvre l’institution esclavagiste en tant que système social et économique hérité du monde gréco-romain. Elle ne cherche pas à élaborer une doctrine propre qui définisse sa position.

De plus, l’Église s’aligne naturellement sur les écrits des Pères qui vont servir de guide aux chrétiens, principalement les enseignements de Saint-Augustin, à partir du 5e siècle.

Pour Saint-Augustin, l’esclavage est la « sanction des péchés des hommes ». Pour lui, en effet « La cause première de l’esclavage est le péché qui a soumis l’homme au joug de l’homme, et cela n’a pas été fait sans la volonté de Dieu qui ignore l’iniquité et a su répartir les peines comme salaire des coupables ». (Citation tirée de la « Cité de Dieu » de Saint-Augustin).

Les papes suivent la voie

Plusieurs papes se sont illustrés dans la défense de la pratique esclavagiste, particulièrement la traite des Noirs.

Ainsi, en 1442, le pape Eugène IV approuva les expéditions du prince Henri (du Portugal) en Afrique (par la bulle Illius  qui).

De même, dans les années 1450, les papes Nicolas V et Calixte III exprimèrent leur vivre approbation de la traite atlantique par trois autre bulles. Nicolas V notamment légalise la traite en 1454. Des religieux ont possédé des esclaves noirs. Certains, parmi eux, ont participé à la traite.

Des voix discordantes

Il y eut cependant des ecclésiastiques rebelles au sein de l’Église, des protestataires, parfois véhéments, qui se firent entendre et manifestèrent parfois bruyamment leur désapprobation de la ligne suive par plusieurs papes. Parmi les protestataires les plus virulents par leurs écrits et leurs prêches, le dominicain espagnol Thomas de Mercado, le jésuite Frei Miguel Garcia. Ce dernier protesta vivement, horrifié de « découvrir que son ordre possédait des Africains, à ses yeux illégalement asservis ».

Si ces voix et critiques, fortes, mais isolées, rencontrèrent peu d’écho, elles permirent néanmoins une réflexion au plus haut niveau de l’Église. En réalité, cette réflexion a débuté bien avant le 15e siècle, en deux étapes essentiellement : avant le 15e siècle et à partir de la fin du 15e siècle avec le début de la traite atlantique.

La première étape concerne l’esclavage en général, et l’esclavage des chrétiens en particulier, sous forme d’un appel à la conscience des propriétaires d’esclaves. Les papes affirment que « les esclaves chrétiens et leurs maîtres sont également les enfants du même Dieu ».

Et, en 1537, le pape Paul III met pour la première fois « sur le même plan, les droits fondamentaux des chrétiens et ceux des peuples non-chrétiens ».

Ces affirmations s’accompagnent parfois d’actions concrètes pour libérer des esclaves chrétiens ou pour réduire leurs souffrances, où qu’ils se trouvent dans le monde.

Il est à noter cependant qu’au 15e siècle (octobre 1462), au tout début de la traite atlantique, le pape Pie II, dans sa lettre « Rubicensens » à l’évêque de la Guinée portugaise, condamna la traite des Noirs avec énergie. Mais, cette énergique condamnation resta sans effet.

Esclaves et esclaves ?

Si l’Église n’a jamais été indifférente au sort des esclaves chrétiens, par contre elle semble avoir toujours eu du mal à se définir par rapport à l’esclavage des Noirs en général et la traite atlantique en particulier : la deuxième étape.

La question du baptême justifie-t-elle cette hésitation ?

En effet, des papes semblent avoir appuyé leur approbation de la traite des Noirs sur cet argument, longtemps utilisé par les marchands et les planteurs européens des îles, selon lequel ce commerce avait pour but et avantage la conversion des Noirs à la religion catholique, seul moyen de sauver leur âme., et de les soustraire à la barbarie de leurs congénères sur le continent ; en somme,l’heureuse occasion de sauver leur tête et leur âme.

Des rois, furent séduits par cet argument, comme Louis XIII qui autorisa la traite des Noirs en 1642, après avoir longtemps refusé d’engager la France dans ce commerce, et en interdisant l’entrée d’esclaves sur le sol de France (à condition qu’il soit immédiatement libéré).Autre avantage pour le royaume,les planteurs français des îles disposeront d'une main -d'oeuvre servile régulière, condition de leur prospérité à terme; ce qui est bon pour l'économie du pays.

Là aussi, des serviteurs de l’Église protestèrent, tel le dominicain Fray Alonso de Montutar, archevêque de Mexico, qui s’employa à démontrer l’absurdité de cet argument  d’évangéliser les Noirs transportés en Amérique par un contre-argument de poids, adressé au roi d’Espagne en 1560.

Il faisait ainsi remarquer au roi « qu’il serait plus logique d’aller prêcher les Saintes Évangiles en Afrique, plutôt que de justifier la traite par le souci de la conversion des Noirs en Amérique ».

Enfin, au sein même de la papauté, il y eut quelques « dissidences » au sujet de la traite et de l’esclavage des Noirs. Ainsi, le pape Urbain VIII, dans une lettre au nonce du Portugal, en 1639, condamna fermement l’esclavage et menaça d’excommunier ceux qui le pratiquaient.

Un siècle plus tard, en 1741, le pape Benoît XIV lui emboîte le pas en interdisant à son tour l’esclavage et la traite.

 

 

XIXe siècle : l’Église acteur déterminant de l’abolition de l’esclavage

C’est à partir du Congrès de Vienne en 1815 (où les puissances européennes condamnèrent la traite et préconisèrent son abolition), que concrètement et de façon irréversible, l’Église et les papes s’engagèrent dans une « croisade » contre l’esclavage et la traite des Noirs. Mais, c’est surtout en 1839 que le pape Grégoire XVI condamna officiellement et énergiquement le commerce et le transport d’esclaves africains.

Pendant tout le 19e siècle, l’élan missionnaire né en Europe, axa son action sur l’Afrique prioritairement, à la fois pour participer à cette lutte contre la traite, mais aussi contre l’esclavage traditionnel pratiqué sur ce continent. Ainsi, par un curieux retournement, les Écritures saintes qui furent utilisées pour justifier ou tolérer l’esclavage, furent également invoquées pour combattre ce triste fléau humain.

 

 

Noé et ses fils ; La malédiction de Cham

 

 

Ancien Testament : la Genèse (IX, 20-27)

      La malédiction de Cham justifie-t-elle l’esclavage des Noirs ?

      Les propos d’un spécialiste de la question

« Noé, explique la Genèse (IX, 20-27), homme de sol, commença à planter une vigne. Il but du vin, s'enivra et se dénuda au milieu de sa tente. Cham, père de Canaan, vit la nudité de son père et en fit part à ses deux frères au-dehors. Sem et Japhet prirent un manteau et le mirent, à eux deux, sur leur épaule, puis marchèrent à reculons et couvrirent la nudité de leur père. Leur visage étant tourné en arrière, ils ne virent pas la nudité de leur père. Noé s'éveilla de son vin et apprit ce que lui avait fait son plus jeune fils. Il dit :: "Maudit soit Canaan ! Il sera pour ses frères l'esclave des esclaves !" Puis il dit : "Béni soit Iahvé, le Dieu de Sem, et que Canaan lui soit esclave ! Qu'Elohim dilate Japhet et qu'il habite dans les tentes de Sem ! Que Canaan leur soit esclave !" »

Jusqu'au XIe siècle, cette histoire, qui avait conservé un caractère très abstrait, n'avait jamais été vraiment associée à une quelconque couleur ou race. Il faut préciser également qu'avant le véritable essor de la traite les représentations de l'Afrique et des Africains en Europe n'étaient pas encore péjoratives.

Les Rois mages noirs, dans les scènes de la nativité, étaient alors représentés de manière neutre. En Europe du Nord, les statues et peintures figurant saint Maurice, le martyr thébain qui, vers le milieu du XIIIe siècle, était devenu un saint germanique présidant à la christianisation des Slaves et des Magyars, le montraient avec des traits négroïdes.

Les musulmans furent les premiers à recourir à la « malédiction de Cham » pour justifier l'esclavage des populations noires. Ils furent suivis par les commentateurs européens.

Dans l'histoire originelle, on l'a vu, la faute retombait plutôt sur Canaan : les Cananéens, en effet, étaient les esclaves des Israélites.

Mais, finalement, dans la Genèse, c'était Cham qui avait fauté... Faire des Noirs les descendants de Cham permettait donc de s'appuyer sur les textes sacrés pour légitimer leur asservissement.

Ce furent ensuite des créoles d'origine espagnole (Buenaventura de Salinas y Cordova et Léon Pinelo) qui, afin de légitimer la traite atlantique, cherchèrent au XVIIe siècle à s'en servir.»

0. P.-G

 

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30 octobre 2016 7 30 /10 /octobre /2016 08:37

COLONEL MANGIN, LE PÈRE DE LA « FORCE NOIRE » ②

 

Les Noirs dans l’armée française, le combat acharné d’un utopiste

 

Avant le triomphe

Avant la consécration d’une décennie de lutte pour faire accepter son projet et sa vision, le colonel Mangin demande et obtient une mission pour exploiter et évaluer les capacités réelles des colonies d’Afrique noire à fournir à la France les combattants dont elle a besoin pour sa défense.

À la tête d’un petit noyau d’amis fidèles, Mangin embarque pour l’Afrique, en vue de s’assurer que l’Afrique est bien ce vivier inépuisable de soldats et de ressources, tout ce qu’il faut à la France pour mener, avec l’assurance de la victoire, tout conflit pouvant l’opposer à l’Allemagne ou à toute autre puissance européenne du moment.

Cette mission est sans équivalent dans les annales coloniales par sa durée, six mois, de mai à octobre 1910, par l’étendue de l’espace parcouru et visité : tous les territoires de l’AOF (Afrique occidentale française), mais aussi par le nombre de cantons visités, le nombre de rencontres avec les chefs africains et les villageois…

Le résultat est impressionnant : 63 rapports extrêmement détaillés, comportant des tableaux démographiques, un recensement minutieux des groupes ethniques par cercle, des mercuriales, des évaluations de dots, composantes traditionnelles des cérémonies de mariage, la ration alimentaire quotidienne, mensuelle d’une famille, la composition des familles, l’âge des enfants, le nombre de garçons, le compte rendu détaillé des rencontres et discussions avec les chefs rencontrés…

 

Rentré en France de sa longue tournée africaine, Mangin fait preuve d’un optimisme et d’un activisme redoublé en vue de rassembler le plus grand nombre de Français autour de son idée de la Force Noire. Il affiche sa détermination et la pertinence de sa vision dans de nombreux débats et articles de presse, mais surtout dans son livre La Force Noire.

« Quarante mille Noirs et environs 100 000 Arabes donneront donc, comme troupes de choc dans cette première bataille qu’on prévoit à la fin de la troisième semaine de guerre et, qui peut nous assurer la victoire définitive… Dans l’état actuel de l’Europe, la Force Noire fait de nous le plus redoutable des adversaires. »

La Force  Noire devient le véritable bestseller des années d’avant-guerre.

Dans le même temps, Mangin s’emploie à déconstruire méthodiquement, en les réfutant, les accusations portées par les Allemands contre la France au sujet de l’utilisation de troupes noires, en retournant contre eux les mêmes accusations. Selon lui, ces accusations sont malvenues, alors que les Allemands ont eux, déjà utilisé contre la France  « des hordes de cosaques, de kalmoukes, de kirghizes… »

Au fur et à mesure que la menace de guerre se précise, le cercle des partisans et soutiens du colonel français s’élargit.

Son éloquence, et surtout son assurance et sa foi en l’avenir, finissent par provoquer un retournement favorable dans l’opinion en sa faveur, mieux, des ralliements et des soutiens précieux, de civils, de politiques et de militaires. Parmi eux, des ministres, des membres influents du Parti colonial et du Comité de l’Afrique française.

L’ancien ministre des Affaires étrangères, Gabriel Hanotaux (quoiqu’opposé à toute volonté de revanche vis-à-vis de l’Allemagne), figure parmi ses soutiens fervents, de même que des chefs militaires de très haut rang, comme le général Bonnal, une autorité respectée à qui l’on doit ces étonnantes déclarations :

« J’estime qu’une division de troupes noires forte d’environ 10 000 hommes est susceptible de faire dans une ligne de bataille occupée par les Allemands, une brèche large de 3 à 4 Km… Je ne suis pas partisan de la création de réserves noires [troupes uniquement constituées de soldats noirs, formés à part, qui n’intègrent pas l’armée, mais, servent d’appoint en cas de besoin] attendu qu’on recrute des jeunes gens tant qu’on veut, à peu de frais. Or, aussi bien chez les Noirs que chez les Blancs, il faut être jeune pour se faire tirer le sourire aux lèvres. »

Creusement de tranchées (1916)

Après le triomphe, la disgrâce

       Mangin, « le boucher des Noirs »

Mangin a-t-il trop promis ?

A-t-il montré trop d’assurance et de certitudes ?, bref, le colonel a-t-il trop rêvé ?

Du mythe à la réalité

Le début des troupes noires au front n’est pas concluant, il est même plutôt décevant, pour des raisons multiples :

difficulté d’adaptation au climat

pour beaucoup, ignorance du français

absence de formation au maniement des armes…

Résoudre ces questions non prévues exige un certain temps. Et, avant leur résolution, Mangin est mis au banc des accusés, notamment pour ce que certains considèrent comme un excès d’optimisme, qui, selon eux, a nui à la réflexion et à la préparation des troupes noires à la guerre en Europe.

Déversés sur le front sans préparation, dans la neige et la boue, c’est une véritable hécatombe de 1915 à 1916.

François Charles-Roux témoigne :

« Nos Noirs font vraiment pitié. Collet relevé, la chéchia descendu sur les oreilles, les Sénégalais [= soldats noirs] grelottent, se rassemblent autour des feux de leurs cuisines, se pelotonnent en boule comme des marmottes. « Y en a pas bon ! »... Beaucoup de soldats noirs tombent malades ou éclopés. Encore faut-il s’étonner qu’il n’y en ait pas davantage et admirer l’endurance de ces pauvres gens qui souffrent plus que les Blancs. »

Mais, soignés, sommairement alphabétisés dans un français de circonstance, entraînés, aguerris, les troupes noires remontent au front et peuvent alors donner des preuves de leur vaillance.

Ce n’est qu’à partir de 1916, que ces combattants noirs apporteront pleinement la preuve de leur valeur militaire reconnue de tous.

Entretemps, Mangin est montré du doigt et jugé responsable de ces pertes effroyables dans les rangs des combattants africains, d’où le surnom affreux dont on l’affuble alors : le « boucher des Noirs ». Il est même victime d’une disgrâce provisoire.

Blaise Diagne

Homme politique français originaire du Sénégal (1872 Gorée, Quatre Communes, 1934 Chambon-les-Bains, Aquitaine).

Premier député noir africain à siéger au Palais Bourbon, régulièrement réélu de 1914 à sa mort en 1934.

Charles Mangin et Blaise Diagne

       Le général et le député

       Convergence et divergence

Convergence

Leurs chemins se croisent véritablement en 1917.

Mangin est revenu en grâce auprès de Georges Clemenceau arrivé à la présidence du Conseil en novembre 1917, qu’il impressionne par son panache et son énergie. Clemenceau est en effet hanté par l’avertissement de l’état-major : « il va manquer 200 000 hommes ». Et Mangin reprend du service. Il prétend « qu’on pourrait encore puiser plus de 360 000 combattants et 250 000 travailleurs dans l’Empire, dont 70 000 combattants en Afrique ». Clemenceau est rassuré. Mais, il veut également s’assurer les services du député Blaise Diagne, qu’il élève au rang de Commissaire de la République, et qu’il charge d’une mission importante de recrutement en AOF. Diagne accepte volontiers la mission assortie de promesses importantes faites par le président du Conseil : révision du système colonial dans le sens d’un assouplissement, et surtout l’octroi de la citoyenneté aux combattants africains.

Le député Diagne, assimilationniste convaincu et militant, avait toujours pensé que pour que les Africains soient des citoyens français, à égalité de droits et de devoirs avec les métropolitains, ils devaient être soumis à l’obligation du service militaire comme les jeunes Français, ce qu’il obtiendra, à force de persévérance, par le vote d’une loi en ce sens, dont il est l’inspirateur.

Assisté d’une « importante escorte » de 35 personnes, Diagne embarque pour l’Afrique.

Mangin applaudit Diagne, Diagne applaudit Mangin ; ils sont liés par les mêmes objectifs : recruter en Afrique, le maximum de combattants pour répondre aux besoins de la guerre.

Blaise Diagne est ravi car, il avait toujours pensé que la participation massive des Africains à cette guerre aux côtés de la France était le meilleur moyen de parvenir à un assouplissement de la condition des colonisés.

Divergence

Pour Mangin, au contraire, la participation des Africains à la guerre, se justifiait par le seul fait qu’ils étaient sujets français, au service de la France. Par conséquent, il s’opposait à toute compensation ou faveur au profit des colonisés, par rapport au système colonial en vigueur depuis les origines, malgré les promesses écrites de Clemenceau. Il s’ensuit un long malentendu entre les deux partisans d’une levée en masse de combattants en Afrique.

La mission Diagne fut un succès au-delà de toutes les attentes : Clemenceau voulait 40 000 recrues, Diagne en recruta 70 000. (Voir articles du blog des 09, 11, 23 novembre 2014 sur Blaise Diagne)

 

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23 octobre 2016 7 23 /10 /octobre /2016 07:16

COLONEL MANGIN, LE PÈRE DE LA « FORCE NOIRE »

Les Noirs dans l’armée française, le combat acharné d’un utopiste à la fin du 19e siècle

 

 

Charles Mangin (1866-1925)

Charles Mangin, général français de la Première Guerre mondiale, né à Sarrebourg, est marqué par la défaite de 1870, qui voit le rattachement de l’Alsace-Lorraine à l’Empire allemand. Ses parents, ne voulant pas être sujets allemands, choisissent de rester français et quittent leur terre natale. Le jeune Charles a 4 ans. Après une formation militaire à Saint-Cyr, il choisit la carrière militaire. Officier, il participe activement aux campagnes de conquêtes en Afrique, entre autres au Soudan (Mali actuel), sous le commandement du général Louis Archinard, qui a permis la pénétration française dans ce territoire. À ce titre, Archinard est considéré comme le fondateur de la colonie du Soudan français.

Mangin s’illustre brillamment dans cette campagne où il se fait remarquer. Il participe aussi à la Mission Congo-Nil (1898-1903) connue sous le nom de Mission Marchand, où il se fait aussi remarquer pour ses qualités militaires, mais il est meurtri par l’épisode de Fachoda.

Charles Mangin participe ensuite à la conquête du Maroc, sous les ordres de Lyautey. Considéré comme l’acteur principal de la conquête de ce pays (1907-1912), après la prise de Marrakech, il est nommé colonel, puis, à la veille de la guerre, en 1913, promu général de brigade. Il jouera ensuite un rôle éminent dans les opérations de la guerre, de 1914 à 1918.

 

Un homme inspiré par la guerre et l’Afrique, mais surtout obsédé par l’avenir de la France

Cependant, ce ne sont pas ses titres chèrement conquis au front qui le feront entrer dans l’histoire, mais  une initiative originale, voire saugrenue pour l’époque, surtout audacieuse : il prône l’engagement de soldats noirs au sein de l’armée française ! Il essuie bien des salves et des quolibets, mais il n’en démord pas, et pour le faire savoir, il publie un livre bien argumenté dont le contenu apparaît d’une singularité audacieuse : La Force Noire.

Ce livre, publié en 1910, résume le combat idéologique de sa vie de militaire et de citoyen.

Si des troupes noires avaient combattu pour la France jusque-là dans les colonies, jamais elles n’avaient été engagées en France et en Europe.

Pourquoi ce livre, pourquoi cette idée inattendue ?

Un certain nombre de commentaires furent faits à cet égard, mais sans l’avis de l’intéressé. De tous, le plus connu et commenté, mais aussi le plus retenu, est celui d’une personnalité publique de haut rang de l’époque, Adolphe Messimy.

Adolphe Messimy (1869-1935)

Comme Charles Mangin, Adolphe Messimy sort de l’école militaire de Saint-Cyr. Il embrasse la carrière militaire, mais à la différence de Mangin, il quitte l’armée pour se consacrer à la politique.

D’abord député, puis successivement ministre des Colonies et ministre de la guerre (1911-1912 et en 1914), c’est lui qui œuvre pour le changement de la tenue (rouge) des soldats français au début de la guerre. C’est également lui qui impose Joffre à la tête du commandement français.

Que dit le député Messimy en 1910 quand sort le livre de Mangin, La Force Noire ?

« L’Afrique nous a coûté des monceaux d’or, des milliers de soldats et des flots de sang, elle doit nous le rendre avec usure. », pour justifier la participation des Africains à la guerre de défense de la mère-patrie.

D’autres que Messimy ont développé abondamment la même thèse.

Autrement dit, l’Afrique doit payer sa conquête par la France.

Certes. Sauf qu’à ma connaissance, l’Afrique n’a jamais demandé à la France d’aller la combattre pour la coloniser et la dominer. Et d’autre part, ces guerres de conquêtes coûtèrent des vies françaises, mais bien plus encore de vies africaines.

Par ailleurs, je doute fort que ce soit là, la philosophie qui ait inspiré l’auteur de La Force Noire.

 

Qu’en pense-t-il ?

Mangin semble préoccupé par deux visions essentiellement :

La situation présente et à venir de la France, une guerre contre l’Allemagne paraissant inéluctable en 1910.

La qualité selon lui (réelle ou supposée) des soldats noirs (selon l’expérience qu’il a lui-même acquise des conquêtes coloniales…).

Combattants noirs

Des combattants noirs en métropole ?

Tollé ! Expression d’une indignation à peine contenue.

Quelle était la situation précise de la France, telle que la voyait le lieutenant-colonel Mangin, et qui est à l’origine de son livre ?

Tout d’abord, l’argument nataliste. Selon lui, en cette fin de 19e siècle, la France « s’enfonce dans un déclin démographique alarmant, sans précédent, quand l’Allemagne présente une démographie rayonnante. »

Pour lui « la "race française", affaiblie par la diffusion du "bien-être" et de l’ensemble des idées démocratiques, a besoin d’une régénération des valeurs familiales ».

En attendant cette régénération en métropole, « il faudra utiliser les ressources militaires de nos colonies ». Et, pour cela, « c’est vers l’Afrique noire qu’il faut se tourner, plus peuplée que l’Afrique du Nord musulmane, l’Arabe étant par ailleurs, le plus ingouvernable de tous les peuples ».

Mangin ne tarit pas d’éloges sur les combattants noirs. « Ils ont servi sous les ordres de Bonaparte en Égypte et en Italie… Ils ont une confiance inébranlable en leurs chefs, leur profond sentiment de la discipline, leur stoïcisme… leur résistance  à toutes les privations… ».

Enfin, pour lui, « le métier militaire est bien la seule situation coloniale où le Noir est réellement l’égal du Blanc ».

Pourquoi encore le Noir ?

« On peut en faire un fantassin, un cavalier, un méhariste, un canonnier conducteur, un soldat du train, un sapeur du génie, un ouvrier d’artillerie ou d’administration, un matelot de pont ou de rivière, un chauffeur-mécanicien, aussi bien dans la machine d’un bateau que sur une locomotive. ».

« Surtout, affirme-t-il, l’Afrique noire est un réservoir inépuisable de soldats et de ressources. » Ces arguments font-ils cependant l’unanimité autour de La Force Noire ?

Qui est pour ?

Peu de monde en réalité. Beaucoup y sont opposés, de tous milieux et de toutes tendances politiques. Beaucoup de sceptiques également, aussi bien parmi les civils que parmi les militaires.

Mais, Mangin et ses thèses sont soutenus par un petit groupe de militaires surnommés les « Soudanais », ce sont des amis fidèles des conquêtes coloniales : Archinard, Marchand, parmi les plus illustres.

Et parmi les hommes politiques, un soutien de poids en la personne d’Alexandre Millerand, devenu ministre de la Guerre en 1912-1915, futur président de la République.

Qui est contre ?

Les opposants à l’idée de Mangin sont les plus nombreux.

Parmi eux, les plus véhéments sont les Français des colonies, administrateurs et membres du privé, commerçants… qui redoutent, les uns, le risque de révolte parmi les indigènes, les autres, le départ au front, en métropole, qui les priverait de leurs employés formés.

Au cours d’un débat public sur le sujet, Jean Jaurès, s’adressant à Mangin au nom de son parti, déclare :

« Vous vous préparez à appeler jusqu’à 120 000 hommes, convoqués des profondeurs de l’Afrique… Dire à la nation française : "tu baisses, ta natalité diminue, tes forces déclinent, et tu seras demain, sur les champs de bataille, la proie du vainqueur germain si tu n’appelles pas à la rescousse 100 ou 120 000 Noirs ; dire cela, c’est proclamer la faillite de la force militaire de la France et nous, nous ne voulons pas la proclamer." »

Et l’Allemagne ?

Les Allemands sont furieux.

L’épouvante créée en Allemagne, à la seule idée de l’arrivée de troupes noires en Europe, dans les rangs de l’armée française, donne lieu à une vigoureuse protestation, et à un battage médiatique sans précédent dans le pays, qui persisteront bien après le déclenchement de la guerre.

Ainsi, en juillet 1915, l’Auswärtiges Amt (Ministère des Affaires étrangères), publie une note au sujet de « l’emploi contraire au droit, par la France, de troupes de couleur sur le théâtre de la guerre en Europe ». Cette note invoque les « lois de la guerre, et explique que Berlin se voyait obligé d’élever la plus solennelle protestation… contre la mise en campagne… de troupes dont la brutalité et la cruauté constituaient une honte pour la conduite de la guerre au 20e siècle ».

La note est ensuite envoyée par Berlin aux États-Unis, où elle est largement diffusée ; comme si l’Allemagne voulait prendre les Américains à témoin.

 

Mais engagée en 1914, dans une guerre combien dévoreuse de vies humaines, et devenue une guerre industrielle, une guerre de ressources, les idées du général Mangin finissent par s’imposer. L’état major s’inquiète du déficit de combattants et réclame des recrues et les moyens indispensables à la poursuite de la guerre.

L’Afrique, ses hommes et ses ressources, apparaissent comme incontournables. Et c’est l’Appel officiel de la République à l’Afrique !

 

Le triomphe de Mangin

Ils arrivent!

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9 octobre 2016 7 09 /10 /octobre /2016 07:17

LA FRANCE ET SES COLONIES D’AFRIQUE DANS L’ENTRE-DEUX-GUERRES

1919-1939

Des colonies à vendre ou à défendre ?

Exposition coloniale nationale. Marseille, 1922.

 

Avant la Première Guerre mondiale, les Français, dans leur immense majorité, semblaient d’une ignorance totale et d’une indifférence surprenante par rapport à leur Empire colonial, malgré les guerres de conquête et les discours de leurs dirigeants, de Jules Ferry à Albert Sarraut (gouverneur général de l’Indochine, puis président du Conseil, et l’un des plus grands théoriciens de la colonisation française).

Avant 1914, les partis favorables à l’expansion coloniale, les publications des partis et groupes d’intérêts coloniaux, de même que quelques membres des gouvernements successifs, ne cessaient de répéter et d’affirmer la nécessité de « l’éducation coloniale des Français », pour de multiples raisons : économiques, militaires, géopolitiques, humanitaires…

Le chef du Parti colonial le plus important de l’époque, Eugène Étienne, déplorait ainsi en 1908, « l’inertie et l’indifférence du grand public vis-à-vis de la question coloniale ».

Tirailleurs montant au front, 1918.
Tirailleurs montant au front, 1918.

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Et la Première Guerre mondiale éclata (1914-1918)

        L’Appel à l’Afrique

Il est de notoriété publique que c’est le Premier Conflit mondial qui a fait découvrir à une majorité de Français, l’existence de leurs colonies et de leur immense empire colonial.

D’abord par l’appel solennel des autorités françaises à ces colonies, principalement celles de l’AOF (Afrique occidentale française), considérées alors comme un véritable réservoir inépuisable de soldats et de ressources naturelles indispensables pour mener cette guerre.

Ensuite, les Français prirent surtout conscience de l’existence de leur empire par la présence massive en métropole de troupes coloniales venues d’Afrique, pendant toute la durée de la guerre, de 1914 à 1918, comme combattants et comme travailleurs, pour les besoins de ce conflit.

La contribution de l’Afrique à l’effort de guerre a été d’une importance insoupçonnée, nettement au-delà de ce qui était attendu.

« L’aide militaire et économique fournie par les colonies, à la métropole entre 1914 et 1919 fut fort appréciée par les hommes politiques, et les plus sceptiques vis-à-vis de la colonisation, firent, parfois très discrètement, comme Georges Clemenceau, amande honorable. »

Sans doute l’effort militaire de celles-ci justifiait-il cette appréciation :

600 000 soldats et 200 000militaires coloniaux

75 000 travailleurs coloniaux étaient morts pour la France.

D’après les archives du ministère de la Défense, le chiffre des morts et disparus se monte à 71 000, dont 35 900 Nord-africains, sur 569 000 militaires coloniaux, (chiffres nettement supérieurs selon d’autres sources).

6 millions de tonnes de denrées alimentaires…

soldat noir et son infirmière
soldat noir et son infirmière

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À l’encan ! On vend les colonies

       Les temps de l’oubli

      Retour de l’inertie coloniale de l’opinion

Curieusement, peu de temps après la fin de la guerre, l’enthousiasme pour les soldats coloniaux retomba. Après avoir fêté et célébré les troupes coloniales, nouveaux héros de la Nation, couverts de fleurs et d’éloges, les Français retombèrent dans l’ignorance et l’indifférence vis-à-vis de leurs colonies et de leurs « indigènes ».

On vit même naître et se développer une campagne d’opinion réclamant la vente de quelques colonies pour soulager la France de ses dettes (le pays étant en effet lourdement endetté après la guerre). On proposait ainsi de commencer par vendre les colonies françaises d’Asie,de même que des colonies d'Amérique, les Antilles ou la Guyane aux États-Unis. Le ministre des colonies d’alors, Louis Rollin, a beau protester, cette campagne se développait au fil des mois, durant toutes les années 1920. Le Conseil départemental de l’Allier et la Chambre de Commerce de Nancy figuraient parmi les promoteurs de cette idée de cession de colonies à l’étranger.

D’où la reprise d’une campagne, encore plus vigoureuse qu’avant la Première Guerre mondiale, afin de susciter l’intérêt des Français pour leur empire colonial. Les initiatives à cette fin furent nombreuses et vairées, aussi bien du côté du Parti colonial, des milieux d’affaires privés, que de l’État. On mit à contribution les expositions pour faire connaître l’outre-mer, mais aussi le cinéma, notamment les actualités lors de la projection de films, les cartes postales, les timbres

Partout dans le pays, aussi bien à Paris qu’en province, dans les grandes villes, furent organisés des expositions coloniales.

Cette série d’expositions culmina avec l’exposition coloniale internationale de Vincennes en 1931.

 

Exposition coloniale internationale. Paris, Vincennes, 1931.

 

Vincennes, les colonies à Paris

        Une pédagogie coloniale d’État

Cet événement devint international, d’abord par l’écho qu’il suscita — ce fut un réel succès d’affluence : 7 millions de visiteurs dont 4 millions de Parisiens, et de nombreux étrangers — et par sa durée : 193 jours, du 7 mai au 15 novembre 1931.

L’objectif du gouvernement était de donner aux Français, de façon définitive, « la conscience de leur Empire ». Mais le but essentiel avoué selon le ministre des Colonies, Paul Reynaud, c’est, au-delà de l’ancrage de l’Empire dans la conscience des Français, de célébrer l’effort colonial de la France, et justifier ainsi l’action coloniale, malgré ses erreurs dans le passé et dans le présent, et malgré ses imperfections.

Les quelques années qui suivirent l’Exposition connurent un certain frémissement à l’égard de l’Empire. Mais, là aussi, comme au lendemain de la Première Guerre mondiale, ce léger frémissement retomba bien vite.

En réalité, il manquait aux Français ce que d’aucuns qualifiaient « d’éducation coloniale ». Il fallait donc entreprendre une telle éducation, avec plus de détermination, plus de moyens, sans doute aussi d’imagination. De fait, le recul de l’idée coloniale fut une réalité de 1932 à 1935.

Hitler
Hitler

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Et Hitler arriva !

Et si l’arrivée d’Hitler au pouvoir en Allemagne en 1933 favorisait cette « éducation » des Français à leurs colonies, ou du moins une prise de conscience de l’utilité de ces colonies pour la métropole ? La menace de guerre probable, qui suintait dans quasiment tous les discours du chef du Reich, rappelait opportunément aux Français « l’Appel à l’Afrique » de 1914, et l’effort des colonies dans le Premier Conflit mondial.

Dans ses premiers discours, dans un premier temps, Hitler réclamait la restitution des colonies d’Afrique dont l’Allemagne fut privée par le traité de Versailles de 1919, parce que jugée seule coupable du déclenchement de cette guerre : les actuels Rwanda, Burundi, Cameroun, Sud-Ouest africain (aujourd’hui Namibie), colonies partagées entre la France et la Belgique,et le Togo, entre la grande Betagne et la France.

Les réclamations d’Hitler pour cette restitution devinrent successivement exigences, puis conditions pour éviter une guerre avec la France. Il est sans doute bon de préciser qu’Hitler ne voulait nullement l’Afrique, mais les colonies françaises. (Un prétexte pour attaquer la France ?)

 

Les Français, dans leur immense majorité, furent sensibles à ces menaces de guerre. Il fallut les sonder sur leur point de vue, et leur sentiment par rapport à cette nouvelle donne.

LA FRANCE ET SES COLONIES D’AFRIQUE DANS L’ENTRE-DEUX-GUERRES 1919-1939

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1936-1939 : l’ère des enquêtes d’opinion, des sondages.

        Regain de l’attachement des Français à l’Empire colonial

Jamais dans l’histoire du pays, il n’y a eu une telle avalanche d’enquêtes d’opinion et de sondages : aussi nombreux et aussi rapprochés, au rythme de plusieurs dizaines par semaine, de toutes provenances, et toujours sur le même sujet : l’opinion des Français face aux exigences et aux menaces d’Hitler au sujet des colonies.

Sondages dont la fréquence et le nombre grimpaient sans cesse, au fil du temps, au rythme des « discours-diatribes » d’Hitler contre la France.

 

Les commanditaires de ces enquêtes d’opinion étaient de plus en plus nombreux et variés : partis coloniaux, organes de presse, groupes d’intérêts coloniaux, particuliers, parlementaires, gouvernement…

Un échantillon parmi des centaines, reflet de cette crispation des esprits autour de cette question sans cesse répétée :

« Faut-il ou non céder à l’Allemagne les colonies réclamées par Hitler ? »

 

Le début de cette avalanche de sondages correspond au jour où, à Nuremberg, le 30 janvier 1937, Hitler revendiqua officiellement les colonies perdues, revendication accompagnées de menaces.

Dans le déferlement des sondages, il est à remarquer le clivage au sein de tous les bords politiques, à gauche comme à droite, entre ceux qui sont pour la restitution des anciennes colonies allemande et ceux qui s’y opposent farouchement, clivage qui s’atténue cependant au fur et à mesure qu’on approche de 1939, et tout particulièrement à partir de 1938, et pour cause !

À gauche, le journal l’Œuvre, dont la rédaction était elle-même divisée sur le sujet, posa en décembre 1936, à ses lecteurs la question :

« Faut-il céder des colonies à l’Allemagne ? »

102 671 répondirent non !

79 884 répondirent oui !

À droite, la majorité de la presse, à l’occasion de nombreux sondages, se prononçait — plutôt à cette même date — pour le refus de toute concession à Hitler.

Il serait fastidieux de révéler ici le contenu des dizaines d’enquêtes de la presse de droite.

Rapidement, la division de l’opinion, entre oui et non, se retrouvait dans toutes les familles politiques, y compris dans les partis associés au gouvernement et « à l’intérieur de chacun d’eux ».

D’une manière générale, en 1937, sous le gouvernement du Front populaire, « parmi les militants socialistes, la majorité était prête, à cette date, à des concessions coloniales étendues à l’Allemagne, alors que Léon Blum, le chef du gouvernement, ripostait que « pour travailler en commun, il fallait être sûr des intentions du partenaire ».

Inversement, certains socialistes, intransigeants, se refusaient à toute concession à Hitler. Le chef du parti socialiste Marius Moutet, s’exclamait : « La France doit garder son empire colonial quoi qu’il arrive ».

Un autre homme politique de poids, Georges Mandel, proclamait de son côté: « veillons au salut de l’Empire, qui est un et indivisible ».

Dans la même famille politique cependant, les « pacifistes inconditionnels » proclamaient : « Non ! Notre frontière n’est pas au Cameroun. Nous ne voulons pas mourir pour le Cameroun. »

 

D’une manière générale cependant, il est frappant de constater que depuis que l’Allemagne, par l’intermédiaire d’Hitler, a soulevé la question coloniale, les Français s’intéressent de plus en plus à leurs colonies.

Il n’empêche, dans le sondage IFOP (un des tout premiers), d’octobre 1938, qui posait la question : « Pensez-vous qu’il faut donner des colonies à l’Allemagne ? » 59% des Français interrogés répondaient oui ! 33% non ! 8% ne se prononcèrent pas.

Mussolini
Mussolini

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Mussolini soude l’opinion française.

        Le Duce veut des colonies !

Un basculement est nettement perceptible dans l’opinion française à partir du jour où Mussolini, lui aussi a réclamé sa part des colonies françaises. Il réclamait successivement la Tunisie, la Côte des Somalis, puis la Corse, et plus tard, il ajouta Nice et la Savoie. Les sondages réalisés depuis, sont le reflet de ce changement dans l’opinion des Français.

Dans le sondage IFOP au lendemain de la réclamation italienne, sur la question : « Pensez-vous que la France doive rendre à l’Allemagne les colonies qui nous ont été confiées par la SDN [Société des Nations, qui a précédé l’ONU] en 1919 ? »

70%de personnes interrogées répondent non !

22% répondent oui !

8% ne se prononcent pas.

« La France ne cédera pas un pouce de ses territoires à l’Italie, dût-il en résulter un conflit armé », avait réaffirmé à la quasi unanimité, la Chambre des députés, le 8 décembre, et le Sénat, le 13 décembre 1938. »

Et tous les sondages de début 1939 allèrent dans le sens d’un refus catégorique aux demandes allemandes et italiennes.

 

Beaucoup de Français avaient la conviction que quoi qu’on fasse, qu’on cède ou non des territoires à l’Allemagne, cela n’empêchera nullement Hitler d’attaque un jour la France.

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