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11 juin 2016 6 11 /06 /juin /2016 17:18
Lieux de traite
Lieux de traite

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COMMENT SE PROCURAIT-ON DES ESCLAVES SUR LA CÔTE D’AFRIQUE AU 18e SIÈCLE ?

ACTEURS ET MODES OPÉRATOIRES

Un trafic aux acteurs et aux complicités multiples

 

Comment et par qui ce trafic était-il pratiqué dans le contexte nouveau du 18e siècle ?

Comment s’y prenait-on ?

On s'implantait sur les lieux de traite ( création de comptoirs pour entreposer les marchandises de traite,et de forts équippés pour les défendre, condition indispensable); et pour cela, on s'entendait avec ceux qui y habitent, c'est-à-dire qu’on pactisait avec les rois, les chefs et les intermédiaires de tout acabit, en d'autres termes. 

Il fallait ainsi mettre tous ces acteurs dans le jeu.

Une classification des acteurs de ce commerce singulier n'est pas chose aisée. Cela dépend des régions et des époques. D'une façon générale on peut affirmer que pendant toute la première moitié du XVIIIe siècle, c'est-à-dire à l’ époque où la traite est encore caractérisée par une certaine organisation, il existe une hiérarchisation parmi les protagonistes de ce trafic.

On peut grosso modo distinguer deux grandes classes, à l'opposé l'une de l'autre, qui comprennent d'un côté, ceux qui se trouvent au sommet de l'échelle, les rois, les chefs de tribus avec leurs proches, en un mot les dignitaires ; de l'autre, au bas de l'échelle, ceux qu'il conviendrait de désigner par l'expression de « collaborateurs obligés », c'est-à-dire ceux qui se sont vus un jour condamnés – malgré eux – à servir la cause de la traite. Entre ces deux grands groupes bien distincts, évoluent une série complexe d’intermédiaires, parmi lesquels opèrent des marchands occasionnels de tous ordres, des trafiquants interlopes...

Dans la première classe, tout naturellement ce sont les souverains qui contrôlent et supervisent l'ensemble des opérations. « La traite la plus fréquente – nous dit Jean-Baptiste du Casse (un des principaux officiers de la marine de Louis XIV) – se fait sous le contrôle de souverains : damels, alcaïrs, braks, manfoucs, princes, principules, que les capitaines européens traitent parfois de "puissances", comme s'il s'agissait de sa Majesté britannique ou du souverain de Versailles. Tyranneaux, tantôt débonnaires et obséquieux, tantôt féroces, toujours cupides, ils permettent aux navires de mouiller en rade et d'y séjourner... »

Les Grands, les officiels : maîtres du trafic

S'agissant de ces rois et roitelets, Ducasse poursuit : « Certains ont la tête géniale et mercantile, signent des traités en règle, gouvernent avec autorité... A côté de ces bons tyrans, les bêtes sauvages. Si les relations avec les souverains indigènes ne sont pas de tout repos, ceux-ci restent pourtant dans l'anarchique instabilité du continent noir, un certain élément de stabilité. Comme l'essentiel pour eux est d'avoir de la poudre, des oripeaux de soie, de l'alcool surtout, ou plutôt du "vitriol", ils livrent volontiers des captifs, laissent trafiquer les Européens, à condition de recevoir les plus belles marchandises et de toucher leur commission... »

Quant aux courtiers, les dénominations qu'on leur donne varient d'un lieu à un autre, chaque région ayant sa terminologie propre pour désigner les différents intermédiaires.

Cependant partout et de la même manière, ils jouissent d'une grande considération auprès des trafiquants européens. Ils en sont conscients et se prennent alors pour des personnages importants et de haut rang. Ne va-t-on pas jusqu'à tirer des coups de canon en Leur honneur lorsqu'ils apparaissent ?

Le R. P. Dieudonné Rinchon nous présente en ces termes ceux de la côte d'Angole (Angola actuel) : « ces courtiers, dénommés pompeusement ministres par les trafiquants, sont : le Mambouc, prince héritier ; le Manfouc qui commande la pointe où se fait la traite et qui fixe le prix des denrées, préside les marchés, juge les différends, détermine le montant des coutumes, des présents, le tarif ou mercuriale des captifs ; le macaye, "capitaine-mor" ou premier ministre ; le monibèle, messager des chefs ; le maquimbe, capitaine du port ; le mangof, ministre des affaires étrangères et interlocuteur des étrangers à la cour; le governador ou chef de village. »

COMMENT SE PROCURAIT-ON DES ESCLAVES SUR LA CÔTE D’AFRIQUE AU 18e SIÈCLE ? ACTEURS ET MODES OPÉRATOIRES

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Des auxiliaires obligés

A l'opposé de ce tableau des dignitaires privilégiés, celui des « collaborateurs obligés » est moins riant. Ces auxiliaires obligés se trouvent dans tous les points d'attache des Européens sur la côte, dans les comptoirs, dans les forts, à bord des bâtiments stationnés servant de marché... La plupart sont des esclaves achetés parmi lesquels vivent quelques hommes libres qui offrent leurs services à l'établissement européen moyennant un salaire fort modique. Il semble que pour nombre d'entre eux, le but était moins l'appât d'un gage assuré que le besoin de protection, car, ces gens libres qui se donnent au comptoir ou au fort sont le plus souvent des réfugiés qui fuient leur pays pour différents motifs. D'autres enfin sont d'anciens esclaves qui ont racheté leur liberté soit par leur bonne conduite et les services rendus, soit en offrant en échange de leur propre liberté, des captifs qu'ils ont pu se procurer d'une manière ou d'une autre.

Ces auxiliaires obligés sont aussi des captifs travaillant dans les champs et les plantations créés par des négriers ou par des comptoirs européens et dont les produits servent de nourriture aux résidents européens de ces comptoirs et forts, et surtout aux esclaves parqués dans les « troncs » (lieux ou sont parqués les esclaves en attendant leur embarquement pour l’Amérique). Parmi eux, il faut également citer les soldats africains attachés aux établissements ci-dessus mentionnés, et qui seront vers la fin du 18e siècle – à une époque qui marquera un nouveau tournant du commerce des esclaves – envoyés loin à l'intérieur des terres, s'emparer par la force des armes des habitants de villages isolés.

[…]

Tronc ou barrancon (parc à esclaves)
Tronc ou barrancon (parc à esclaves)

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Des intermédiaires : les incontournables

À la fin du 18e siècle, le fort français de Juda compte jusqu'à deux-cents acquérats (hommes libres au service des comptoirs et forts), hommes, femmes et enfants.

Les acquérats sont sous la protection du fort. Ils y vivent en paix et ne peuvent être vendus pour être transportés en Amérique sauf pour motif de faute grave.

Tout comme les autres collaborateurs forcés, ils servent d'intermédiaires aux employés européens du fort pour leur procurer des esclaves qu'ils achètent avec les ressources tirés de leurs services au fort ou qu'ils « poignent », expression que nous verrons bientôt à la mode vers la fin du 18e siècle.

Chacun de ces acquérats avait un rôle spécifique à jouer clans le fort : « Les domestiques employés dans notre comptoir de Whydah (Juda) au temps de Labarthe, étaient un garde magasin, deux courtiers, un portier, six tagonniers rouleurs d'eau, une blanchisseuse ou pileuse, un tronquier et un batteur de gongon pour annoncer l'ouverture et la fermeture de la traite... Quand un stationnaire [navire ancré] était attaché au comptoir, comme au Sénégal, il était en grande partie monté de nègres, laptots ou matelots, gourmets ou timoniers et râpasses ou mousses, auxquels commandait en français le maître de langue ; c'était le maître d'équipage. Tous ces employés étaient payés en toques, en ancres d'eau-de-vie et en galines de bouges [Les bouges étaient des coquillages des Maldives appelés cauris ; la galine équivalait à 5 toques ou 200 cauris ou 10 sols]. Le comptoir est abondamment garni en marchandises de troc,en eau-de-vie surtout qui fait fureur parmi les Nègres. » (Charles de la Roncière).

[…]

Cauris
Cauris

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Des entrepreneurs privés…aussi

A côté de ces serviteurs officiels, on trouve des privés, marchands ou courtiers que nous verrons plus activement à l'œuvre vers la fin du siècle. « Très souvent – écrit Gaston Martin – la négociation ne met pas directement aux prises le propriétaire indigène et l'acheteur blanc. Entre eux s'interposent les courtiers. » Il en distingue deux sortes. Dans les rades importantes comme Cabinde, Juda, Anamabou, il y a des courtiers à demeure. Ce sont pour la plupart des Européens à qui la vie régulière ne convenait plus, associés dans ces villages d'Afrique à des Négresses ou des Métisses et qui, rendant service comme interprètes et comme rabatteurs, à la fois aux princes indigènes et aux capitaines européens, deviennent des manières de personnages et font finalement fortune.

La deuxième catégorie est formée de Noirs choisis comme intermédiaires officiels par les maîtres du pays.

Fréquemment,les courtiers sont des entrepreneurs privés, marchands d'hommes, à qui les capitaines confient souvent des marchandises pour la valeur de dix, vingt, trente esclaves. Ces maquignons d'hommes savent jouer de l'offre et de la demande pour faire hausser le prix de leur « bétail » ; ils savent aussi mettre en concurrence les différents acheteurs. Ils font en tout cas payer cher leurs services en exigeant d'avance leur pot-de-vin, préalablement à toute vente, et qu'il ne faut pas confondre avec leur courtage ; « ils manquent souvent à leur parole... ils retiennent la marchandise sans fournir les Noirs convenus…Les Européens se défendent de leur mieux contre ces incessantes pilleries. Si un courtier réclame une avance, affirme Rinchon, il présente comme caution un parent ou un ami, et s'il ne parvient pas à livrer un esclave, l'otage devient captif. »

Pour aller plus loin. Voir Tidiane Diakité, La Traite des Noirs et ses acteurs africains, Berg International.

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29 mai 2016 7 29 /05 /mai /2016 07:09
CLIO CONTRE LA MÉMOIRE. L’ESCLAVAGE ET LA TRAITE, LE PASSÉ PRÉSENT

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CLIO CONTRE LA MÉMOIRE

L’ESCLAVAGE ET LA TRAITE, LE PASSÉ PRÉSENT

 

 

Éthique de l’Histoire et vécu

Hérodote (vers 484 - 420 av JC) « Le père de l’Histoire »
Hérodote (vers 484 - 420 av JC) « Le père de l’Histoire »

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Sans aucun doute, l’expérience douloureuse de la traite atlantique aura marqué les Africains d’hier et d’aujourd’hui, au plus profond de leur chair et de leur esprit, au point que pour bon nombre d’entre eux, aucune vérité, fût-elle historique ou scientifique, ne saurait avoir de sens ni d’objectivité à leurs yeux concernant ce sujet.

Leur conviction est faible, seul l’Occident est responsable et coupable, ce qui exclut d’emblée tout examen de conscience de leur part. Une telle crispation mémorielle ne sert ni la vérité, ni l’Histoire.

L’histoire d’un peuple quel qu’il soit, n’est jamais totalement dénuée d’épisodes malheureux ou douloureux, de zones obscures, voire honteuses.

Et, s’agissant de la traite des Noirs, la question essentielle est :

Comment les Européens se procuraient-ils des esclaves en Afrique entre le XVe et le XIXe siècle, sur une terre, et dans des contrées qu’ils ne connaissaient pas ?

La traite, c’est la chaîne de l’offre et de la demande.

Preuve de cette raideur intellectuelle de nombre d’Africains, la lettre reçue d’un ami, à la sortie de l’ouvrage « La traite des Noirs et ses acteurs africains » (Editions Berg.International ).

CLIO CONTRE LA MÉMOIRE. L’ESCLAVAGE ET LA TRAITE, LE PASSÉ PRÉSENT

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Regard sur un livre et son sujet

« Mon très cher Tidiane,

J'ai lu ton livre deux fois, et je le relirai encore, tant il est rempli de données et repères précieux pour nous tous, Noirs, d'Afrique ou de la diaspora. C'est un livre capital et chacun de nous devrait posséder son exemplaire à portée de main. Son avenir est définitivement devant lui !

Il y avait déjà un grand nombre d'ouvrages sur le thème de l'esclavage et de la traite, mais peu (pour ne pas dire aucun) n'ont traité aussi bien cet aspect du drame noir. Tu décris magistralement l'évolution de la traite, depuis les temps hésitants jusqu'à la fin officielle, en passant par le paroxysme de la tragédie.

J'ai salué que tu mettes en avant le fait que durant « les temps premiers », les Africains n'ont nullement participé à la traite et qu'ils ont même longtemps résisté à l'incursion des Européens. On a compris, il est vrai après une bonne moitié du livre, voire vers la fin, que les Africains « collabos » n'avaient pas le choix.

C'est ce qui nous amène à la question suivante : comment ton livre sera-t-il accueilli par les Européens ? Et par les Africains ? J'entends : dans le cadre d'un grand déballage pour savoir où sont les véritables responsabilités dans notre drame depuis ce XVème siècle et jusque (non pas 1948), mais jusqu'au moment où tu lis ma lettre.

Car, toi qui dois avoir lu mon petit texte concernant les conséquences de l'esclave et de la traite dans notre quotidien aujourd'hui, il est clair que notre drame est dans une manière de continuum qui se revêt de nouveaux habits de génération en génération ! C'est la finesse des Occidentaux qui fait croire que les choses changent ! Aujourd'hui, il n'y a plus de négriers, mais l'Africain maîtrise-il les sciences et les techniques pour simplifier sa vie au quotidien ? NON. Et qui ne veut pas qu'il maîtrise la science ?

Je sais que nous aurons l'occasion de revenir sur ces questions, Tidiane. Quant à des historiens comme Pétré-Grenouilleau, j'espère me tromper en sentant que tu leur prêtes une certaine attention. C'est eux les premiers qui demain vont se baser sur ton livre pour dire « Voyez, un Africain a écrit ci ou ça sur les roitelets, il justifie mieux que nous la responsabilité des Africains dans le drame de leurs frères ».

A part ce risque, je vois tout le bien qu'il y a dans ton livre. Mais peut-être était-il difficile, voire impossible de dire la vérité sans prendre un certain risque.

Néanmoins, je reste dans la conviction profonde que ces Africains qui vendaient leurs frères n'étaient que des « hommes drogués » par les marchands européens, « drogués » par des artifices contre lesquels nul homme au monde, nul peuple, ne pouvaient rien. De ce fait, je pense que l'histoire ne retiendra TOUTES LES CHARGES QUE CONTRE LES EUROPEENS. Les Africains seront « relaxés » avec des circonstances atténuantes. Très atténuantes. » [...]

Vision de l’auteur

« Cher Ami,

J'ai bien reçu votre courrier dont les termes me laissent sceptique.

Je mesure la différence d'appréciation entre nous sur les questions de l'esclavage et de la traite. La lecture de votre livre confirme cette différence d'approche.

Le but de mon livre n'est pas de  juger, de rechercher des responsables ou des coupables, mais de présenter des faits le plus objectivement possible, afin de favoriser la connaissance du passé, au-delà des passions et des émotions.

Dans cette tragédie sans nom que fut la traite, l'Afrique noire a besoin d'examiner de manière critique et lucide ses faiblesses passées et présentes pour progresser. Qui peut nier que la traite des Noirs ne fut pas le crime contre l'humanité le plus abominable ? Cela étant, doit-on pour autant rester éternellement dans les chaînes du passé, la tête enfouie dans les bas-fonds de l'histoire au risque de subir éternellement cette histoire, de stériliser définitivement l'esprit et le mental ? A quoi bon ressasser indéfiniment l'irréparable, si ce n'est d'en tirer les leçons qui donnent la force d'aller de l'avant ? Par ailleurs, quel peuple au monde, quelle nation, n’a pas eu sa part des blessures de l’Histoire ?

Il n'est pas question d'oublier, mais de puiser en soi les ressources nécessaires, et la force d'âme qui permettent d'affronter le passé et le présent, en vue de construire le futur. Le but n'est pas de raviver les rancunes et les plaies du passé, mais de les apaiser, et peut-être favoriser ainsi la compréhension entre les Hommes.

Quand, par ailleurs, cessera- t-on de penser en termes de race ou d'ethnie ? S'agissant de la traite des Noirs, ce sont des membres de l'espèce humaine qui ont participé au plus grand crime de notre histoire. C'est ainsi, et, exonérer ou accuser tel ou tel groupe n'est pas une démarche à laquelle j'adhère. L'opprobre de cet acte rejaillit sur l'espèce humaine dans son ensemble. Et c'est collectivement qu'il faut faire face à ce passé pour tenter collectivement de guérir les maux qu'il a générés. Telle est ma vision des choses.

Bien cordialement

Tidiane Diakité 

Autre regard

« Monsieur le Directeur des Éditions Berg International,

Comme suite à notre échange téléphonique de ce jour, je vous confirme par le présent message, le souhait du Collectif Toussaint Louverture de pouvoir accueillir Monsieur Tidiane DIAKITE ici en Picardie, pour la présentation de son nouveau livre La traite des Noirs et ses acteurs africains.

J'ai découvert ce magnifique ouvrage le 21 février, dans une petite librairie, près de la Gare de l'Est à Paris. Je suis persuadé que ce livre va briser pas mal de tabous et conduire certains de mes frères africains à se questionner honnêtement, à propos de cette tragédie humaine. Bravo à son auteur.

Je coordonne le Collectif Toussaint Louverture depuis 1990, Collectif qui a pris le relais de l'Association des Communautés Africaines pour le Bicentenaire de la Révolution Française en 1989. Et depuis 2006, ce collectif coordonne avec de faibles moyens, des animations ici et là, dans l'esprit du Comité pour la Mémoire de l'esclavage que préside Madame Françoise Vergés.

Si donc M. Diakité est libre du 8 au 10 mai 2009, c'est volontiers que nous le recevrons à Creil, Nogent, Château-Thierry, Soissons ou Compiègne, dans le cadre des cérémonies de la Journée Nationale du 10 Mai en France.

Dans l'attente, veuillez agréer Monsieur, l'expression de ma considération distinguée. »

Le Mémorial de Nantes
Le Mémorial de Nantes

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Regard sur le passé

   Nantes et Bordeaux, exemples prometteurs

« Nantes bâtit un mémorial à  l’abolition de l’esclavage

A l’issue d’un interminable débat, Nantes, capitale de la traite négrière au XVIIIe siècle, construit un mémorial, aux luttes, aux résistances contre la traite, et contre tous les esclavages, d’hier et d’aujourd’hui. Avec l’idée de servir l’Histoire de France.

« Lors du 150e anniversaire de l'abolition de l'esclavage, on avait fait édifier une petite statue sur le quai de la Fosse. Elle a été vandalisée », se souvient Maguy, Antillaise de Nantes. «La nuit suivante je me suis réveillée en pleurs, la gorge serrée. Douze ans après, les travaux du mémorial démarrent enfin. On est ému.»

Nous sommes quai de la Fosse à Nantes, là où va être construit le mémorial à l'abolition de l'esclavage. Au bord de la Loire, « seul souvenir vivant de la traite négrière », expliquent d'une même voix Maguy et quelques autres membres de l'association Mémoire d'Outre-Mer. À cet endroit, chaque 10 mai, les militants jettent une gerbe de fleurs pour commémorer l'abolition de l'esclavage.

Du XVIIe jusqu'au milieu du XIXe siècle, 1709 expéditions nantaises ont alimenté le commerce d'esclaves. Les bateaux nantais ont arraché d'Afrique 450 000 hommes, femmes et enfants pour les expédier en Amérique ou aux Antilles. Nantes s'est enrichie de la traite négrière. Comme Bordeaux, La Rochelle, à un moindre degré Lorient ou Saint-Malo, et d'autres ports européens. Au total, la traite atlantique fit 11 millions de captifs.

Nantes, depuis vingt ans, assume ce passé. Tout démarre en 1985 quand la municipalité de l'époque refuse de soutenir une exposition sur le Code noir, le texte juridique réglant la vie des esclaves à partir du XVIIe siècle. Changement de municipalité, en 1992, l'exposition des Anneaux de la mémoire, exhume un passé longtemps refoulé, occulté, amputé. D'un côté, les esclaves transportés à fond de cale, traités comme une simple marchandise. De l'autre des fortunes amassées, dont témoignent les hôtels particuliers du quai de la Fosse ou de l'île Feydeau à Nantes.

Nouveau jalon, un mémorial permanent, le seul en métropole, financé par les collectivités locales. « Il sera avant tout consacré aux luttes, aux résistances contre la traite, et contre tous les esclavages, d'hier et d'aujourd'hui », souligne Yannick Guin, un élu.

[…]

«  Il ne s'agit pas de repentance, poursuivent-ils. Mais de dire, au nom de la République, cette histoire trop souvent occultée dans les manuels scolaires. » Et encore : « Tant qu’on ne l’aura pas inscrite dans l’histoire nationale, il restera de la tension. Un mémorial, comme ceux de la Seconde Guerre mondiale à Caen ou de la Shoah à Berlin, ça sert à vivre ensemble. Comment répondre au racisme, à l'exclusion, à l'esclavage moderne, si on ne prend pas en compte ce qui a été hier ? »

Selon l'Organisation des Nations unies, 10 % de la population mondiale est aujourd'hui réduite à la condition d'esclave. Cela va de la prostitution à l'exploitation des enfants et au travail des personnes enfermées dans des camps.

Alors, ce mémorial doit servir à ouvrir les yeux : « Tout individu qui entrera dans ce lieu devrait en sortir grandi et voir le monde autrement. »

Philippe GAMBERT (Ouest France)

Mémorial de Bordeaux
Mémorial de Bordeaux

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« Bordeaux se penche sur son passé de port négrier

Bordeaux était, hier, ville d'accueil de la Journée nationale de commémoration de l'abolition de l'esclavage. Pour la première fois, la ville d'Alain Juppé a assumé solennellement son passé de port négrier en inaugurant au musée d'Aquitaine, un espace permanent consacré à l'esclavage. Entre 1672 et 1837, la capitale de l'Aquitaine fut le point de départ de près de 500 expéditions maritimes pour déporter d'Afrique quelque 130 000 esclaves vers les Antilles. « Aujourd'hui, Bordeaux est synonyme et symbole de l'espoir et de la réconciliation », a dit Michèle Alliot-Marie, ministre de l'Intérieur, présente à l'inauguration. (Ouest France)

 

Assumer son passé, c’est ouvrir la voie de la connaissance, de la rencontre et de la réconciliation des peuples.

Thucydide (vers 460-395 av JC)
Thucydide (vers 460-395 av JC)

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Propos sur l’histoire

Il n’est sans doute pas inutile de rappeler brièvement ici, ce qu’est l’Histoire, de même que les règles qui président à son écriture.

L’Histoire est une science, une discipline exigeante. Cette exigence et les règles qui commandent à son écriture la distinguent du roman, de la poésie ou du conte.

Ces règles, qui s’imposent à l’historien, ont été progressivement élaborées et précisées, au fil des siècles, depuis l’Antiquité, d’Hérodote à Thucydide, et par l’Université française, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle.

 

L’Histoire n’est pas la Mémoire. L’Histoire n’est pas faite pour charmer les oreilles, mais pour servir la vérité, autant que possible. Elle doit être fondée sur des faits irréfutables et des documents authentiques. Son écriture repose sur les qualités d’objectivité, de rigueur et d’impartialité.

 

La première règle qui s’impose à l’historien, c’est de ne rien dire de faux.

La seconde, c’est de ne rien taire qui est vrai (Gabriel Monod).

 

Pour Camille Jullian, enfin, le premier devoir de l’historien est de se mettre au travail, sans préjugé, sans colère, sans idées préconçues, ni passions.

 

L’Histoire est une science aux règles et à l’éthique exigeantes que l’historien ne saurait transgresser, y compris s’agissant de la traite des Noirs.

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14 mai 2016 6 14 /05 /mai /2016 09:17

 

L’Afrique, la traite, l’esclavage

Un passé qui dure

 

Film documentaire :

Bois d’ébène.

La traite atlantique

Réalisateur : Moussa Touré

L’AFRIQUE, LA TRAITE, L’ESCLAVAGE. UN PASSE QUI DURE.

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« Un commerce d'hommes ! Grands Dieux ! Et la nature ne frémit pas ? S'ils sont des animaux, ne le sommes-nous pas comme eux ? »

Olympe de Gouges (1748-1793).

Réflexion

Beau film, par sa qualité technique et la qualité des acteurs.

Il faut se réjouir de constater que son réalisateur est sénégalais, d’un pays qui fut un site important de la traite atlantique.

En effet, les auteurs africains (écrivains, historiens ou cinéastes),qui traitent  de cette tragédie multiséculaire sont plutôt rares. Or, si cette traite, la plus documentée, la plus vulgarisée, est un pan de l’histoire mondiale, elle constitue avant tout l’épisode sans nul doute le plus douloureux de l’histoire africaine. Dès lors, on peut légitimement s’étonner qu’il y ait si peu d’auteurs africains qui s’y intéressent.

Pourquoi les Africains, les plus touchés par cet épisode dramatique de l’histoire, ne proposent-ils pas leur propre vision de ce phénomène, qui ne soit pas une copie de ce que disent ou écrivent des auteurs non-Africains ? (ou au contraire, pourquoi certains s’enferment-ils dans une posture stérile de refus et de contestation systématique vis-à-vis de ces mêmes auteurs ?)

Leur apport aurait sans nul doute l’énorme avantage de contribuer à l’enrichissement de l’historiographie universelle sur ce sujet universel, qui recèle encore bien des zones d’ombres.

L’AFRIQUE, LA TRAITE, L’ESCLAVAGE. UN PASSE QUI DURE.

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« Ah ! Que nous sommes inconséquents, et dans notre morale et dans nos principes ! Nous prêchons l'humanité et tous les ans nous allons porter des fers à vingt mille habitants de l'Afrique ! »

Necker, De l'administration des finances de la France, 1784.

Responsables ou acteurs ?

Bien sûr, les Africains ne sont pas responsables de cet odieux trafic d’êtres humains, ni ses initiateurs. Il y eut en Afrique beaucoup de résistance dans toutes les régions touchées par ce fléau, de la part de quelques rois qui ont su mobiliser leurs peuples à cette fin, mais aussi de simples villageois qui ont su s’organiser pour résister et donner la chasse aux chasseurs d’esclaves.

Cependant, la vérité historique exige aussi de reconnaître qu’à l’inverse, des rois, des chefs, des trafiquants, des intermédiaires de tous genres, mus par l’appât du gain, et une cupidité aliénante, jouèrent un rôle éminent à tous les niveaux.

L’AFRIQUE, LA TRAITE, L’ESCLAVAGE. UN PASSE QUI DURE.

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« Chaque tasse de café sucré contient quelques gouttes de sang noir. »

                                                           Bernardin de Saint-Pierre (1737-1814).

Les faiblesses du film « Bois d’ébène »

Malgré sa qualité, sur le fond, ce film n’est pas sans reproches :

le premier reproche c’est de ne présenter qu’une seule phase et une seule facette de cette histoire qui en compte plusieurs. On ne voit ainsi ni les débuts, c’est-à-dire l’enclenchement du commerce d’esclaves, ni les premiers acteurs africains et européens, ni en conséquence le passage de la phase de razzias organisées par les Européens à la phase de signature de traités avec les rois et les chefs locaux, qui "légalisait" la capture et la vente de captifs. C’est la phase de l’organisation de la traite, avec des règles précises et des codes…

le deuxième reproche concerne la projection  du film : c’est l’absence de débat, mieux encore de commentaire accompagnant ce film, qui tienne lieu à la fois d’explication, et surtout de pédagogie, pour éclairer les esprits.

Peut-on aujourd’hui, projeter le livre Mein Kampf, ou en faire la lecture publique sans commentaire à caractère historique, explicatif et pédagogique ?

On devait, à l’Afrique, aux Africains et au monde entier, ainsi qu’à tous ceux qui auront vu ce documentaire, cette explication et cette pédagogie.

La fonction et l’intérêt d’un tel document ne doivent pas seulement consister à rappeler un passé, mais, de faire que ce passé soit suffisamment connu de tous afin qu’il ne revienne plus jamais.

Par ailleurs, l’Afrique, qui fut jadis le théâtre de la traite, apparaît de nos jours comme une des régions de prédilection de ce qu’on appelle improprement « l’esclavage moderne », dont les victimes sont essentiellement les enfants, et les acteurs essentiellement des Africains.

La leçon n’a-t-elle pas été tirée des affres de la traite atlantique, qui a sévi dans cette même région du XVe au XIXe siècle ?

Précisément, le débat ou le commentaire à caractère pédagogique aurait permis une réflexion salutaire à cet égard. Il aurait sans doute permis aux spectateurs africains de se demander pourquoi le mot esclave, qui ne désignait que les slaves, en Occident, du Xe au XVe siècle (slavus slaves esclaves), a fini par ne désigner que les Noirs, à partir du XVe siècle ? et pour toujours ? au point que pour beaucoup, aujourd’hui encore, esclave est synonyme de noir.

Les Africains auraient également pu tirer profit de la réflexion suscitée par les questions suivantes :

Pourquoi l’Afrique, du XVe au XIXe siècle ?

Pourquoi des Noirs et autant de victimes pendant si longtemps ?

Et si c’était à refaire ? L’Afrique et les Africains seraient-ils toujours victimes ?L'histoire ne sert pas seulement à expliquer le passé. Elle sert aussi à comprendre le présent et à préparer l'avenir.

La réponse à ces questions et les réflexions qu’elles inspirent auraient sûrement permis d’éviter que des enfants et des femmes soient victimes, en Afrique, aujourd’hui, de cette maladie matérialiste, de cette inhumanité.

 

L’AFRIQUE, LA TRAITE, L’ESCLAVAGE. UN PASSE QUI DURE.

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Les victimes de la cupidité et de la barbarie

La barbarisation de l'Afrique

Si l'on juge le niveau de conscience morale d'un peuple à l'aune de l'état de ses enfants, les Africains n'ont pas de quoi pavoiser. S'il est une région du monde où l'enfance est en danger et à sauver, c'est bien l'Afrique.

De tous les enfants du monde, les petits Africains sont les plus insécurisés, le plus victimes de la folie des adultes. C'est incontestablement sur ce continent que le sort de l'enfant est le plus critique, parce que, de tous, le petit Africain est le plus mal nourri, le plus mal vêtu et le moins éduqué. C'est en Afrique que les enfants sont le plus exploités.

D'abord par le travail bien que la quasi-totalité des États africains aient signé les différentes Conventions internationales sur les droits et la protection de l'enfant. Mais très peu ont chez eux une législation propre à l'enfance, encore moins de dispositions législatives ou juridiques qui reconnaissent des droits à l'enfant et le protègent. Dans ce domaine comme dans d'autres, en Afrique, les mots (comme les chiffres) n'ont pas grand sens (les pires dictatures s'arrogent l'intitulé de république et de démocratique !!). Le terme protection de l'enfance n'a pas la même signification au Bénin, au Nigeria qu'en France ou en Belgique. L'Afrique s'illustre négativement dans le palmarès mondial peu enviable des conditions de l'enfance. Si un quart de tous les enfants de la planète âgés de 5 à 14 ans, soit 250 millions, sont condamnés au travail, c'est en Afrique que ce phénomène est le plus étendu et le plus critique. Si, en nombre absolu, l'Asie compte le plus grand nombre d'enfants obligés de travailler (parce que continent le plus peuplé), c'est l'Afrique qui détient en pourcentage, le record mondial avec 41% de ses enfants économiquement actifs contre 21% en Asie et 17% en Amérique latine.

En Afrique, presque un enfant sur deux travaille contre un sur quatre pour le reste du monde, et se retrouve dès l'âge de cinq ans, ployé sous le poids d'une harassante vie de labeur.

[…]

L’AFRIQUE, LA TRAITE, L’ESCLAVAGE. UN PASSE QUI DURE.

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Ces enfants, une fois vendus par leurs parents ou razziés, sont soumis à des traitements inhumains qui n'ont rien à envier à ceux infligés à leurs lointains ancêtres dans les cales des navires négriers du XVIIIe siècle ou sur les plantations en Amérique. A peine nourris, battus, drogués, « contraints à des horaires de bête de somme, ils débroussaillent les champs dès l'aube et jusque tard dans la nuit, parfois au clair de lune. Les plus turbulents, ceux qui refusent de travailler, sont mis nus et battus devant les autres. La nuit, ils ont les pieds entravés par une lourde chaîne, afin de les empêcher de s'enfuir. Entassés dans des salles insalubres, ils sont souvent sous-alimentés. Quelques bananes plantain à midi et un bol de bouillie de maïs le soir suffisent aux yeux de leurs maîtres ... Poussant loin les limites du cynisme, certains d'entre eux n'hésitent pas à faire avaler aux enfants des stimulants pour doper leur "enthousiasme" au travail ».

 

Et cela se passe le long de l'ancienne « Côte des Esclaves » nom prédestiné de triste mémoire, là même où jadis, on venait arracher à l'Afrique son « bois d'ébène » : sa substance vive pour bâtir les fortunes de l'Amérique et de l'Europe, la condamnant ainsi à la dégradation matérielle et humaine. Aujourd'hui en ce même lieu, c'est l'Afrique qui s'arrache sa substance vive aux yeux du monde, pour devenir demain, plus qu'un continent pauvre et dégradé, le continent de l'asservissement.

[…]

L’AFRIQUE, LA TRAITE, L’ESCLAVAGE. UN PASSE QUI DURE.

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Des pratiques contraires aux conventions signées

L'UNICEF s'efforce de mettre fin à cette situation inhumaine par le biais de l'éducation et en travaillant « de concert avec les gouvernements pour interdire le trafic d'êtres humains ».

Oui, mais ce trafic, l'Afrique l'a déjà connu par le passé. N'est-il pas significatif que cette mémoire fasse aujourd'hui défaut à ce continent ?

Cette traite des Noirs dans sa nouvelle version du XXIe siècle ne se limite pas aux seules côtes africaines, elle s'étend au-delà des mers et s'installe sur les trottoirs des villes européennes : la nouvelle traite des Noires.

« Les filles sont jeunes, parfois mineures. Le réseau est tenu par des mafieux (africains) qui terrorisent ces filles. Une forme de commerce d'êtres humains jusqu'alors inconnue dans ces régions ».

[…]

L’AFRIQUE, LA TRAITE, L’ESCLAVAGE. UN PASSE QUI DURE.

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L’ancienne Côte des Esclaves et la mémoire ?

Les pays en cause sont ceux qui correspondent aux principaux points d'impact de la traite atlantique du XVIe au XIXe siècle. Ce sont les mêmes (ceux de l'ancienne « Côte des esclaves » : Bénin, Togo, Nigeria et au-delà) où l'on traquait, convoyait et « commercialisait » les enfants noirs, lieux de la déchéance humaine hier comme aujourd'hui. En Europe, les trafiquants africains d'Africains se muent en proxénètes sans cœur, sans âme ni loi, assoiffés de gains matériels, illicites et criminels. Cette prostitution « noire » sur le continent européen constitue aussi l'un des indices patents de la dégradation africaine.

L'avenir de l'Afrique peut-il reposer sur ses enfants esclaves ? L'Afrique marche à reculons depuis une trentaine d'années et il semble que ce sens de la marche soit sa marche de prédilection. C'est la « Longue Marche » dans sa version africaine. Où donc chercher le salut ? Dans la coopération internationale ?

Tidiane Diakité, L’Afrique & l’aide ou Comment s’en sortir ? L’Harmattan.

 

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14 février 2016 7 14 /02 /février /2016 08:04
LES RELATIONS FRANCE-AFRIQUE APRÈS LOUIS XIV

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LES RELATIONS FRANCE-AFRIQUE APRÈS LOUIS XIV

Sous Louis XV et Louis XVI, ruptures et permanences

 

Louis XIV (1638-1715)

France, royaume des Francs. Terre de liberté

 

Louis XV (1710-1774)

France, royaume interdit aux Noirs

Louis XIV et ses successeurs immédiats n’ont pas les mêmes rapports à lAfrique et aux Africains. Le changement fut très net dès la mort du Roi-Soleil en 1715.

Le premier signe en fut la disparition des rapports personnels noués par le roi de France avec les rois de la côte africaine. Puis, la diminution du nombre d’ambassadeurs et d’émissaires entre la France et ces royaumes africains, de même que celle de la présence de Noirs ou d’Africains à la cour du roi à Versailles. La correspondance cessa quasiment entre le roi de France et les rois du continent noir.

Bref, les relations entre le roi de France et les rois africains, sans changer véritablement de nature, ne sont plus empreints de cette familiarité et cette attention que Louis XIV avait su entretenir avec ses homologues, combinant à la fois l’art de la séduction et la fermeté à leur égard.

 

LES RELATIONS FRANCE-AFRIQUE APRÈS LOUIS XIV

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Permanences

Le commerce constitue le principal support des rapports entre la France et l’Afrique, sous Louis XIV comme sous le règne de ses successeurs, en premier lieu le commerce des esclaves que Louis XIV éleva au rang de « service d’État », et que ses successeurs menèrent à son apogée au 18e siècle.

Les voies ouvertes par Louis XIV en ce domaine furent élargies par Louis XV et Louis XVI.

 

Ruptures

Elles furent nombreuses, à commencer par l’attitude des nations européennes concurrentes de la France sur les côtes africaines. La disparition de Louis XIV dont l’ambition fut d’étendre son hégémonie sur ce continent en rabaissant, voire en éliminant ses rivaux, entraîna l’enhardissement de ces derniers, tout particulièrement les Hollandais et les Anglais. La mort du Roi-Soleil fut pour eux une véritable délivrance. Tous entreprirent de battre en brèche la « légende dorée » de la France en Afrique que Louis XIV avait su entretenir avec constance.

Les Hollandais, eux,font répandre partout sur la côte, par des émissaires africains formés et rétribués à cette fin, des informations mensongères, notamment que la France n'avait plus ni roi, ni navires de guerre ou de commerce  ni  marchandises désormais....

LES RELATIONS FRANCE-AFRIQUE APRÈS LOUIS XIV

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Suprématie anglaise

Les Anglais s’enhardirent jusqu’à attaquer et occuper Saint-Louis du Sénégal (de 1758 à 1779), cité symbole de la présence française en Afrique, première implantation durable de la France sur le continent, fondée par des marins normands, et baptisée Saint-Louis en hommage au jeune Louis XIV alors âgé de 5 ans. Outrage suprême !

Les marchands français d’Afrique sentirent rapidement la différence dans leurs rapports avec ces concurrents. Le document suivant en est une illustration.

« Nous avions encore un comptoir à Bintam. [...] Le traité de 1763 n'ayant fait aucune mention de la rivière de Gambie, les Anglais l'ont interprété comme ils l'ont voulu et ont prétendu que nous devions nous en tenir à notre comptoir d'Albreda. M. Poncet de La Rivière, nommé gouverneur de Gorée à sa reprise de possession, est le seul qui ait voulu faire quelques tentatives contre les Anglais, mais il a été désapprouvé et, depuis, on a successivement mandé aux différents commandants que le roi voulait qu'on évitât toute espèce de querelle avec les Anglais, et que celui qui troublerait l'union alors existante en répondrait sur sa tête. »

Le même mémoire poursuit :

« Les successeurs de M. Poncet, en suivant les mêmes principes, auraient pu au moins rendre compte des pertes que nous venions de faire, mais, sans intelligence et sans énergie, ils ont laissé les Anglais maîtres absolus des dépendances de cette rivière : ils ont même souffert beaucoup d'humiliations dont il est inutile de donner ici les détails... »

De fait, la suprématie anglaise qui s'installait alors sur la côte africaine à l'orée du XVIIIe siècle, ira crescendo jusqu'au XIXe.  (Tidiane Diakité, Louis XIV et l’Afrique noire, Arléa)

 

Cependant, c’est dans le domaine des rapports humains que le changement fut le plus spectaculaire et le plus rapidement perceptible. Louis XIV, son règne durant, marqua ostensiblement son attachement au continent et à ses habitants, malgré son engagement dans le commerce de traite. Il le manifesta par son attitude et l’exprima souvent :

« Nous tenons à faire comprendre à cette nation notre estime ». Il ordonna « de faire connaître aux naturels d’Afrique avec combien d’équité et de justice on les veut gouverner et que l’on ne fait aucune différence entre eux et les naturels français. »

Ou encore :

« Octroyons aux esclaves affranchis établis dans notre royaume, les mêmes droits, privilèges et immunités dont jouissent les personnes nées libres ; voulons que le mérite d’une liberté acquise produise en eux, tant pour leur personne que pour leurs biens, les mêmes effets que le bonheur de la liberté naturelle cause à nos autres sujets. »

Et, en cela il se conformait strictement aux prescriptions de l’Édit de Louis le Hutin, du 3 juillet 1315, dont les termes étaient sans équivoque :

« Selon le droit de nature, chacun doit naître franc... Considérant que notre royaume est dit et nommé le royaume des Francs, et voulant que la chose en vérité soit accordant au nom et que la condition des gens amende de nous... »

En conséquence, personne ne pouvait, en royaume de France, être lié à personne par « les liens de la servitude ancienne et primitive ». En ce domaine également, le règne de Louis XIV représente une exception, par rapport aux règnes suivants, comme étant celui où le gouvernement s'efforce de respecter l'esprit et la lettre de l'Édit de 1315.

La règle fixée par cet édit guida l’attitude de Louis XIV à l’égard des Noirs résidant sur le sol de France. Il faisait à l’époque, paradoxalement, la différence entre le statut des individus dans les colonies françaises d’Amérique, et celui de ceux vivant en métropole. Pour lui, dans les colonies : Noirs esclaves ; en métropole : Noirs libres. D’où sa philosophie du « Code Noir ».

Autrement dit, les Noirs des colonies ne peuvent retrouver la liberté que lorsqu’ils se rendent en métropole, car le sol de France rend libre, selon l’esprit de l’Édit de 1315.

  Autres temps, autres mœurs

Louis XIV, disparu en 1715, tout cela changea rapidement. Dès 1716, le gouvernement de Louis XV promulgua un édit interdisant la présence des Noirs en métropole, et instituant une « Police des Noirs ». Suivront une série de mesures préconisant le retour aux Antilles de ceux résidant en France. Louis XVI lui emboîta le pas, en décrétant à partir de 1777, une répression vigoureuse contre les Noirs et interdisant les mariages entre Noirs et Blancs.

Le Conseil Royal de la Marine fit valoir la nécessité de maintenir le statut d'esclave et de refuser la liberté aux esclaves, comme à tout Noir résidant en France, d'où l'Édit de 1716. Ce fut alors le point de départ d'un processus qui ira se renforçant, se durcissant sans cesse, en s'étendant peu à peu tout au long du 18e siècle, à tous les Noirs, esclaves transportés des colonies françaises d'Amérique, ou Noirs tout frais débarquant des côtes africaines.

L’Édit de 1777, de tous le plus répressif, instaura la création de « dépôts de Noirs » dans les principaux ports de l’Atlantique (Brest en fut le principal centre), où sont regroupés les Noirs arrêtés dans le pays en vue de leur expédition aux Antilles, et interdisant, à titre définitif, l’entrée du royaume à tous les Noirs et « gens de couleurs », quels que soient leur provenance et leur statut. Les excès dans la répression et l’exécution rigoureuse de l’Édit de 1777, souleva protestations et réactions hostiles dans le royaume.

LES RELATIONS FRANCE-AFRIQUE APRÈS LOUIS XIV

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L’opposition au roi

Au fur et à mesure de la radicalisation de ces mesures royales et la brutalité de la police des Noirs, au fil des ans, des opposants exigèrent des exceptions ou dérogations en faveur de certaines catégories de personnes de couleur, notamment celles résidant en France avant les édits royaux, celles exerçant un métier dont elles vivent honnêtement, ou un métier d’utilité publique, de même que les personnes mariées avec une Française ou un Français…

C’est alors qu’il fut créé trois statuts correspondant à trois catégories de Noirs en France :

la 1ère catégorie formée par les esclaves qui devaient obligatoirement être en compagnie d’un maître et enregistré par ce dernier.

la 2e catégorie concerne les Noirs libres résidant en France avant la déclaration royale de 1777, et qui devaient être munis d’un certificat renouvelable tous les ans.

la 3e catégorie enfin, les Africains ou Noirs transportés en France avant ou après l’Édit de 1777, et qui devaient être désignés par une nouvelle appellation, créée spécifiquement à cet effet : celle de « Francs-Noirs ».

Cette nouvelle classification ne fut d’aucune utilité, car beaucoup de Noirs y échappaient ; de ce fait, la confusion demeurait malgré tout, d’où une vigueur nouvelle pour les opposants aux mesures royales.

 

Il se créa alors un peu partout dans le royaume, ce qu’on qualifierait de « poches de résistance » à l’application stricte de ces mesures.

Les  opposants les plus véhéments se trouvaient  paradoxalement dans les rangs de la grande noblesse, ceux de la haute bourgeoisie, c’est-à-dire les couches les plus favorisées, mais aussi de l’Église, de même que quelques associations philanthropiques comme « les Amis des Noirs ». Certains parlements provinciaux dont le Parlement de Bretagne, résistèrent également à l’enregistrement des édits royaux.

Le premier témoignage de cette résistance des « Grands » est celui d’un subdélégué de Bretagne qui porte comme suit à la connaissance de son supérieur hiérarchique, l’Intendant de province, les difficultés auxquelles il se heurte dans sa circonscription.

« Monseigneur

J'ai l'honneur de vous faire passer l'Etat concernant les Nègres et les Négresses ;

Il ne s'en trouve dans mon Département que deux qui jouissent de la plus grande liberté depuis qu'ils sont en France chez le Sieur Pichot de Guerdifier qui leur accorde la faveur même de les admettre à sa table, quelque compagnie qu'il ait.

Vous trouverez, Monseigneur ci-joint une attestation de M. le Duc de Penthièvre qui fait défense de les inquiéter en aucune façon, les regardant comme entièrement libres.

Je suis avec le plus profond respect, Monseigneur, Votre très humble et très obéissant serviteur.

Ollivier Despréville

                              Au Faou le 6 Janvier 1777.»

 

[Rappelons que sous Louis XIV, à la cour du roi, un "petit noir" mangeait à la table de Madame Mancini, et que cela ne soulevait la moindre indignation.]

LES RELATIONS FRANCE-AFRIQUE APRÈS LOUIS XIV

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L’Église dans la résistance

Ces mesures vont plus loin ; afin de mieux contrôler l'application effective de l'interdiction des mariages de Noirs, il fut décidé de rendre obligatoire partout dans le royaume, les déclarations de grossesses du fait de Noirs. Ces déclarations nombreuses au début, diminuent au fur et à mesure que se durcit la législation concernant les Noirs, soit que cette législation a été suivie, appliquée, soit que les personnes concernées par de telles déclarations évitent de procéder à ces formalités de peur de représailles. On note parallèlement, dans la même période, un accroissement du nombre d'enfants abandonnés, fruits de telles grossesses, et d'amours prohibées, de même qu'une augmentation d'accouchements clandestins, au point que des arrêts du Conseil du roi faisaient défense « aux chirurgiens et matrones » de donner asile dans leurs maisons aux « filles et femmes grosses », lesquels chirurgiens et matrones étaient également tenus par les mêmes règlements, de donner « les noms et demeures des filles ou femmes grosses. »

Ces mesures furent sévèrement jugées par l’Église dont les curés avaient également reçu l’ordre royal de ne plus célébrer les mariages entre Noirs et Blancs (ni célébrations de mariages, ni baptêmes d’enfants de couples mixtes).

 

Une véritable épreuve de force s’engagea ainsi entre d’un côté la police et la justice royales, de l’autre la grande noblesse, la haute bourgeoisie, l’Église, épreuve de force qui persista jusqu’à la révolution de 1789.

LES RELATIONS FRANCE-AFRIQUE APRÈS LOUIS XIV

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Pour approfondir :

T. Diakité, la France et l’Afrique noire. De Louis XIV à Louis-Philippe. Les fondements d’une relation ambiguë. (À paraître).

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31 janvier 2016 7 31 /01 /janvier /2016 08:42

COLONISATION ET TRAVAIL, LE « DEVOIR DE CIVILISER »

Civiliser par le travail, credo de la colonisation française en Afrique

Le thème du travail est récurrent dans les rapports des observateurs européens en Afrique aux 19e et 20e siècles. Il est intimement lié à celui de la paresse supposée des Africains, au Nord comme au Sud du Sahara. Pour le colonisateur, éduquer les indigènes au travail est partie intégrante du « devoir de civiliser ».

 

 

Il est en effet attribué à l’indigène un trait de caractère dominant qu’il faut impérativement éradiquer avant de le civiliser et l’assimiler : la paresse, c’est-à-dire le refus, voire l’horreur du travail. L’extrait suivant de l’ouvrage de Balensi (1931) plante d’emblée le décor :

« En Afrique noire, "assommer les nègres de travail est une légende que l’on pourrait réfuter en répondant seulement qu’ils sont assommants… à force d’essayer par toutes les ruses, de ne pas travailler. »

 

 

Les indigènes d’Afrique du Nord ne sont pas mieux lotis. Ainsi, lit-on dans un manuel scolaire datant de 1901, où il est question de l’Algérie, la remarque suivante :

« On voit tout de suite la différence entre notre sillon, droit, régulier, profond, et le sillon tortueux, à fleur de terre de l’Arabe… »

COLONISATION ET TRAVAIL, LE « DEVOIR DE CIVILISER »

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COLONISATION ET TRAVAIL, LE « DEVOIR DE CIVILISER »

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Ces observations, parmi tant d’autres, sous-entendent qu’il est indispensable, pour faire de l’indigène un « civilisé», de lui apprendre le travail et l’obliger à travailler.

Pour le colonisateur européen, par conséquent, apprendre à travailler, inculquer par tous les moyens le goût du travail à l’indigène, constituent bel et bien un aspect essentiel de sa « mission de civiliser ».

« Faire sentir à l’indigène engourdi dans une paresse millénaire, que la condition première pour devenir un homme civilisé, c’est de travailler ; lui inculquer cette notion de travail obligatoire, comme l’inculquer à nos enfants, ce n’est pas faire œuvre de garde-chiourme, mais œuvre de civilisation. » (Le Monde colonial illustré, Travail et civilisation, 1930)

 

 

Dès lors, inculquer le goût du travail et apprendre à travailler deviennent, dans les colonies, un impératif, aussi bien dans le secteur public que dans le privé. L’administration coloniale et les commerçants, entrepreneurs, planteurs, exploitants forestiers… français ne parlent plus que d’une même voix, concernant les moyens d’atteindre cet objectif. Des théoriciens et spécialistes qualifiés, dûment mandatés, sont mis à contribution, car éduquer les indigènes au travail devient aussi un objectif essentiel pour la réussite de l’œuvre coloniale.

Comment amener l’indigène au travail ?


 

Les propositions de solution furent nombreuses à cet égard, dont la plus commode et la plus immédiate fut l’instauration de l’impôt payé en espèces, alors qu’il n’était jusque-là payé qu’en nature.

Le changement fut radical. L’irruption brutale de l’argent, du numéraire, dans la vie de sociétés de troc, celle de l’obligation rigoureuse et intransigeante du paiement de l’impôt de capitation tous les ans, entraînèrent un ébranlement aux conséquences multiples dans les sociétés. Le système, d’une efficacité terrifiante, amena les gens à bouger, à prendre l’habitude de se rendre dans les territoires voisins comme travailleurs saisonniers : du Soudan français (actuel Mali) vers le Sénégal pour occuper un emploi de saisonnier dans les champs d’arachide, ou ceux de la Haute Volta (Burkina Faso), prenant d’assaut les plantations de café ou de cacao en Côte d’Ivoire ou au Ghana… Tout est bon désormais pour se procurer l’argent nécessaire afin de s’acquitter de l’impôt, devenu la terreur de la population.

Des travailleurs se firent également enrôler massivement dans les commerces et exploitations des Français résidant dans les colonies.

 

L’argent produisit le miracle espéré.

 

L’organisation de la vie sociale s’en trouva bouleversée, de même que la répartition des tâches au sein des familles. Les gens devaient désormais chercher l’argent où ils pouvaient en trouver, avec le souci permanent de l’impôt à payer en espèces. Peu à peu, l’argent s’introduisit dans les habitudes, les coutumes ancestrales. La dot, par exemple, devait se payer non plus en nature, mais en espèces sonnantes. C’est aussi le début des voyages lointains en quête de travail qui rapporte de l’argent : en France principalement. Certaines ethnies en firent une spécialité dès le début des années 50, dans une France en pleine reconstruction, où le besoin de main-d’œuvre était criant.

Les spécialistes qui avaient préconisé, afin d’amener les indigènes au travail, de leur « créer des besoins » ont eu raison. Par ce remède miracle, l’argent s’insinuait partout dans la vie des populations, créant des besoins, mais aussi des envies et désirs nouveaux, de même qu’il permettait le développement rapide du travail salarié.

 

 

« Créer et développer les besoins personnels de l’indigène —préconisait un spécialiste— à mesure qu’il agrandira sa case, la meublera, il sentira la nécessité de se mieux vêtir, lui, sa femme et ses enfants, le besoin de mieux s’alimenter. Ses besoins s’accroîtront naturellement, et il travaillera plus naturellement pour les satisfaire. »

 

« C’est également le moyen le plus sûr —affirme-t-on— de faire avancer la civilisation, condition de tout progrès. »

 

 

Sur l’ensemble de ces thèmes, eut lieu à Paris, en 1930, une célèbre conférence, qui marqua durablement les esprits ; le sujet :

« L’avènement du consommateur dans les colonies ».

 

La conférence traita largement du thème du commerce avec les colonies, de la question des débouchés pour les produits de la métropole, des marchés coloniaux, des moyens de susciter chez les indigènes le goût des produits français…

On y relève quelques propos savoureux du conférencier qui sut capter l’attention et l’intérêt d’un public nombreux :

« Vous allez trouver un nègre, vous lui dites : je veux faire des échanges avec toi ; tu vas me donner des arachides, de la kola, de l’huile de palme, du caoutchouc, des produits de ton pays ; en échange, je vais te donner ce que je produis, moi, c’est-à-dire des chaussures, des faux-cols, des vêtements européens.

Le même nègre acceptera un bout de cotonnade, mais pas de faux-col, ni de souliers, et, quand il aura acheté ce qui lui convient, ses besoins étant satisfaits, il ne travaillera plus et n’apportera plus rien à la factorerie… »

 

En attendant, « les usines marchent et attendent les matières premières nécessaires à leur approvisionnement ; elles ne peuvent attendre que le nègre ait besoin d’un autre bout de cotonnade, ou que, désireux de plaire à quelque beauté du pays, il ait envie de se procurer un faux-col, le Noir ne travaillera qu’à ses heures. » (Conférence de Francis Delaisi publiée dans le Bulletin du Comité national de l’Organisation française pour les Colonies, 1930).

COLONISATION ET TRAVAIL, LE « DEVOIR DE CIVILISER »

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Deux visions de l’existence, deux philosophies

Pour beaucoup d’autochtones, quand l’argent nécessaire pour payer l’impôt est réuni, s’arrête le besoin de travailler, d’où l’intérêt pour eux du travail saisonnier ou ponctuel, et non un salariat prolongé dans le temps. Cet aspect constitua un véritable point d’achoppement entre Blancs et Africains dans les colonies. Suit un autre extrait de la fameuse conférence de 1930 :

« Quand le Noir a touché son argent, il n’y a plus rien à faire : il retourne dans sa tribu natale, achète deux ou trois femmes, et une douzaine de bœufs, le problème est résolu : les femmes cultivent la terre, les enfants gardent les bœufs, et lui fume le calumet sous l’arbre : il est rentier, sans crainte de dévalorisation de ses titres, c’est, à coup sûr, un sage. Allez lui proposer de revenir à la mine, il ne comprendra pas et vous enverra quelques bouffées à la figure.

[…]

L’indigène dit : "jouissons", le jour même où il a reçu de quoi jouir, et il n’attend pas que la mort le prenne en chemin. "Carpe diem" écrivait Horace ; le Nègre bantou cueille son argent, décampe, et on l’a assez vu !... »

 

(Même présentée sous une forme quelque peu caricaturale, l’analyse n’est pas dénuée de tout fondement.)

« La Civilisation, c’est nous »

Dans l’esprit des Français comme des Européens du 19e siècle en général (sans doute encore de nos jours), le mot Civilisation ne peut s’écrire ni se prononcer autrement qu’avec C majuscule car, elle est unique et indivisible.

La Civilisation, c’est celle de l’Occident européen.

Pour beaucoup d’Européens, leurs sociétés sont à l’apogée de l’évolution de l’espèce humaine. Ils ne peuvent par conséquent imaginer qu’il puisse exister une autre civilisation que la leur. Et si, par hasard, il en existait une autre, ailleurs qu’en Europe, elle ne pouvait être qu’inférieure.

Ainsi échoit à l’Européen, la mission de mener progressivement les autres peuples de l’état « sauvage » à l’état civilisé.

En Occident.

  Révolution industrielle, usine, cadence, temps

Les Européens qui commencent à coloniser l’Afrique au 19e siècle, ne sont plus ceux du 15e ou 16e siècle. La révolution industrielle à transfiguré les villes et les campagnes et profondément imprégné les esprits et les modes de vie.

À l’heure du clocher d’église se joint désormais celle de l’usine et du chantier. Le temps lui-même revêt une dimension nouvelle. On en évalue l’apport, car il a un prix. (« Time is money », le temps c’est de l’argent.)

Prix également évalué en rendement, journalier, mensuel, annuel… on va vite parce qu’il faut aller vite, pour être à l’heure, parce que la machine tourne, être à l’heure à l’usine, sur le chantier, au bureau…

La montre, instrument de délivrance autant que de torture, ornement et arme, s’impose au monde du travail comme au reste de la société. Nouvel oracle, elle rythme le mouvement, les activités et les instants de la vie.

  Choc de cultures

Tout le contraire de l’Afrique endormie à l’ombre de l’arbre du village, ou celle de ses cocotiers, où l’on ignore le temps, surtout la montre.

Albert Schweitzer, le célèbre médecin de Lambaréné (Gabon), témoigne dans les années 30 :

« Nous sommes tous usés par les formidables conflits entre l’Européen, pour qui le travail est une nécessité intérieure, qui est chargé de responsabilités et n’a jamais le temps, et le primitif qui ignore les responsabilités et a toujours le temps. »

 

Afrique indolente, assoupie, lente, où l’on vit, non à l’heure de l’horloge, mais à l’heure du soleil et de la lune, en symbiose avec la nature, où l’heure et son instrument, la montre, ne disposent d’aucun pouvoir sur l’homme qui les ignore.

Ici on regarde la lune et le soleil, non les aiguilles d’une montre, et l’on va à son rythme, imperturbable, celui que l’on a choisi.

On vit au rythme du temps long, au pas lent. Ici aucune volonté de dominer la nature, encore moins de la vaincre, pour la soumettre à la volonté des hommes. En accord avec cette philosophie de l’existence, l’homme n’est pas fait pour dominer la nature qui est source de vie. Quand elle est blessée, l’homme souffre. (Du moins à l’époque !).

 

Mais, cette vie à l’ombre de l’arbre du village, cette vie sans montre est-elle aujourd’hui la voie idéale pour s’insérer dans ce monde du 21e siècle, dans le tourbillon de la mondialisation, y prendre toute sa place, dans le sens de la marche de l’Histoire ?

COLONISATION ET TRAVAIL, LE « DEVOIR DE CIVILISER »

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Sur cet aspect, voir T. Diakité, 50 ans après, l’Afrique, Arléa, 2011.

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12 décembre 2015 6 12 /12 /décembre /2015 11:08
LA QUESTION MÉMORIELLE, UNE GUERRE SANS FIN ?

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LA QUESTION MÉMORIELLE, UNE GUERRE SANS FIN ?

 

 

Esclavage, traite, colonisation, des mémoires brouillées

 

La conférence internationale initiée par les Nations unies et tenue à Durban (Afrique du Sud), du 2 au 9 septembre 2001, avait pour objectif de réconcilier les peuples de la Terre, en conciliant les mémoires des uns avec celles des autres, afin d’apaiser les tensions entre populations dans les mêmes États et dans le monde en général. Faire qu’enfin, et pour toujours, les peuples de la Terre, quels qu’aient pu être leur passé, leur action, leur statut ou conditions, puissent s’accepter, se regarder en face, se respecter et s’aimer, non comme anciens bourreaux ou anciennes victimes, anciens maîtres ou anciens esclaves, blancs ou noirs, mais comme Humains, frères, coresponsables de la même planète, aujourd’hui et demain.

LA QUESTION MÉMORIELLE, UNE GUERRE SANS FIN ?

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Tous frères sur terre ?

Cette initiative généreuse, cette vision positive de l’Homme, capable, sinon de pardonner, du moins de comprendre, accoucha cependant de fractures douloureuses multiples, en mettant le feu aux poudres des mémoires plurielles.

 

Le choc des mémoires

 

La mémoire des uns

Ici, en France, malgré Durban, les mémoires entrent en ébullition en 2005.

 

Entre amalgames, raccourcis, amnésie réelle ou feinte, déni d’histoire, volonté d’occulter ou méconnaissance des réalités du passé, le « devoir d’histoire » apparaît comme une urgente obligation, avant le « devoir de mémoire », afin de réduire la fracture entre mémoires et donner plus de sens aux « commémorations ».

En février 2005, à la faveur d’une loi votée par le Parlement, affirmant la reconnaissance de la Nation pour l’œuvre coloniale, ainsi qu’une contribution en faveur des rapatriés d’Afrique du Nord, et un amendement engageant les auteurs de manuels scolaires à « reconnaître le rôle positif de la présence française outre-mer », ont suffi pour rallumer le brasier de la querelle mémorielle.

LA QUESTION MÉMORIELLE, UNE GUERRE SANS FIN ?

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La mémoire des autres

La colonisation, l’esclavage et la traite

 

La conférence de Durban offrait à tous, européens, Occidentaux, Asiatiques, Africains, une tribune idéale pour évoquer ressenti et rancœur, justifier ou se justifier. Ainsi, dans ce chaudron qu’on voulait havre de paix et de confiance retrouvée, les passions de ceux qui se considèrent comme victimes se donnent libre cours à travers le verbe libéré, notamment celui des Africains (dont les délégations furent les plus nombreuses) : ONG, ministres, chefs d’État… se firent face.

Pour le ministre tanzanien des Affaires étrangères, « l’esclavage et le colonialisme sont largement responsables de la pauvreté, du sous-développement et de la marginalisation économique de l’Afrique, de ses habitants et leurs descendants de la diaspora. Après plusieurs siècles d’esclavage et de colonisation – souligne-t-ill’héritage de ces systèmes effroyables d’exploitation est si profond que leurs conséquences continent et continueront pour de nombreuses années… ».

M. Tioune, l’un des porte-parole des ONG africaines, lui emboîte le pas, réclamant revanche et justice.

« Nous exigeons que l’esclavage et le colonialisme soient reconnus comme un double holocauste et comme crimes contre l’humanité, et nous exigeons réparation de la part de l’Occident pour le pillage de nos matières premières, le déplacement forcé des populations, les traitements inhumains et la pauvreté actuelle de l’Afrique, fruit de cette histoire de crimes et de spoliations… »

Et le réquisitoire des Africains continue, long et acerbe. Ironie suprême, quelques représentants de pays arabes, exigent des réparations pour la traite des Noirs ! Eux, qui ont pratiqué la traite des Noirs et l’esclavage pendant des siècles.

Ainsi, le ministre soudanais de la justice, sans sourciller, demande des réparations pour l’esclavage :

« Il faut tirer les leçons du passé – s’exclame-t-il – et notamment de la traite des esclaves qui constituait une négation de la dignité humaine et qui a permis au monde riche de se développer. Aujourd’hui, ce crime se poursuit dans le phénomène de la mondialisation, qui est injuste et inéquitable.

Nous considérons par ailleurs que les responsables de la traite et de la colonisation doivent assumer leurs responsabilités en payant des réparations. »

LA QUESTION MÉMORIELLE, UNE GUERRE SANS FIN ?

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Quelques fissures dans la mémoire africaine

La symphonie se dérègle quelque peu quand, au sein des délégations africaines, quelques voix, il est vrai isolées, s’élèvent pour lézarder la belle unanimité des réquisitoires. Parmi ces briseurs de consensus, le président Wade du Sénégal, ouvre la première brèche bien timidement cependant :

« Nous subissons encore aujourd’hui les effets de l’esclavage et les effets de la colonisation ; on ne peut pas évaluer ça en termes monétaires. Je trouve cette revendication non seulement absurde, mais aussi insultante de demander des réparations matérielles pour la mort de millions d’hommes. »

Un autre président, celui de l’Ouganda, est lui, porteur de piques, non contre les Occidentaux coupables de traite esclavagiste et de colonisation, mais contre ses frères africains :

« Ce furent aussi les divisions et les complicités africaines dans les traites négrières qui jouèrent un rôle majeur dans le développement de ce phénomène.

Si nous condamnons la cruauté blanche et arabe, alors il nous faut aussi condamner l’avidité et la myopie des chefs africains, qui se faisaient la guerre, capturaient des personnes de la tribu ennemie et les vendaient aux Blancs ou aux Arabes… »

Quant au président nigérian, il craint, à supposer que les Occidentaux s’acquittent des compensations matérielles réclamées, que ces réparations financières «  ne détériorent les relations entre les Africains du continent et ceux de la diaspora qui ont souffert de l’esclavage », en l’occurrence les descendants d’esclaves.

Enfin, dans le même registre, l’historienne Nadja Vuckovic (membre du Centre de Recherche historique et secrétaire de l’Association pour la recherche à l’EHESS) affirme : « l’ethnie Yoruba n’a jamais pardonné aux rois de l’ethnie Fond leur complicité dans l’esclavage.

Alors, qui doit-on indemniser, d’autant que la pratique de l’esclavage subsiste encore aujourd’hui dans certains pays africains ? ». [Sur ce thème, voir : Tidiane Diakité, la traite des Noirs et ses acteurs africains, Ed. Berg International, Paris].

LA QUESTION MÉMORIELLE, UNE GUERRE SANS FIN ?

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Accusés, levez-vous !

Les pays européens, précisément l’Europe des 15, sont présents à Durban, avec, au premier rang, les principales nations coloniales d’hier. Ils font front face aux accusations et présentent méthodiquement leur défense, réfutant point par point l’argumentaire de leurs accusateurs.

En première ligne, la Belgique, le Portugal, l’Espagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni réfutent les arguments les mettant en cause dans la pratique de la traite et de l’esclavage, mais aussi la colonisation, en développant notamment des arguments juridiques.

« La traite des Noirs et le colonialisme étaient parfaitement légaux lorsqu’ils furent pratiqués – assurent-ils. Dès lors, il n’y a aucune raison que ces politiques donnent droit à des réparations, puisque l’utilisation rétroactive de concepts juridiques n’est pas légale. »

D’où leur refus non seulement de présenter des excuses, mais aussi de payer des réparations.

La France tout en se montrant solidaire des autres nations accusées, semble tout de même se différencier quelque peu par ses efforts de prise de conscience des erreurs du passé. Sa position est ainsi exprimée par le ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie, Charles Josselin :

« Le Parlement français a reconnu, en mai 2000, que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan Indien, perpétrées à partir du XVe siècle contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes, sont "un crime contre l’humanité".

Il n’est pas question cependant de réduire la colonisation à ses seuls excès et à des atteintes systématiques à la dignité humaine, mais, ayons le courage d’assumer certaines évidences. Oui, le colonialisme a eu des effets durables sur les structures politiques, économiques des pays concernés. »

LA QUESTION MÉMORIELLE, UNE GUERRE SANS FIN ?

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Antillais et Africains, de faux frères ?

     Des mémoires brouillées

 

L’esclavage, la traite des Noirs et la politique d’Israël, principalement ses rapports avec le monde arabe en général, accaparèrent l’essentiel des interventions et des débats de la conférence de Durban.

Cette tribune exceptionnelle, réunissant 200 États et des milliers d’ONG, fut l’occasion d’un déballage inédit de griefs et de rancœurs séculaires, avec des affrontements inattendus. À cet égard, les points de vue antillais et africains furent loin d’afficher l’unanimité attendue, hormis sur la condamnation des Occidentaux.

Pour les premiers « les Antilles ont souffert de l’esclavage et l’Afrique de la traite » : une litote riche de sens.

LA QUESTION MÉMORIELLE, UNE GUERRE SANS FIN ?

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3 octobre 2015 6 03 /10 /octobre /2015 09:38

UNE LANGUE POUR L’UNION SACRÉE

Petite anthologie du « français-tirailleur »

 

 Demba et Dupont

Taillé sur mesure

La Première Guerre mondiale fut l’occasion pour les Français de voir affluer en France une masse d’Africains, 170891, originaires d’Afrique occidentale française (AOF), recrutés sur place et incorporés dans l’armée française. L’immense majorité de ces soldats était analphabète, beaucoup venant directement de leur village de brousse qu’ils n’avaient jamais quitté.

Recrutement au village
Recrutement au village

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Arrivés en France, de 1914 à 1918, il a fallu, avant de les envoyer au front, leur inculquer un minimum de français, afin qu’ils puissent ensuite se fondre dans l’armée, comprendre les ordres et consignes, et communiquer avec leurs camarades métropolitains. Une langue fut hâtivement créée à cette fin : le « français-tirailleur », plus tard appelé le « français-petit nègre » qui, popularisé par les tirailleurs de retour, connaîtra un énorme succès en Afrique, en influençant (aujourd’hui encore) le français parlé par beaucoup d’autochtones.

UNE LANGUE POUR L’UNION SACRÉE

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Une grammaire exotique

Le français-tirailleur fut forgé à partir de quelques langues parlées en AOF, tout particulièrement le bambara appartenant au groupe malinké, majoritairement parlé au Mali.

Le manuel rédigé qui fut le premier support de ce français spécial, est un modèle du genre, riche de signification. Son auteur décréta d’autorité que l’article n’existe pas dans les langues parlées en AOF, que le genre est toujours masculin. Ainsi, une jument devient « un cheval-femme ».

La formule magique « y en a » doit toujours remplacer le verbe être : « tirailleur y en a bon, lui toujours obéir ».

« y en a » doit aussi remplacer le verbe avoir ainsi que les démonstratifs : « Moi y en a gagner cheval ».

Les possessifs, « sa », « notre », se substituent à « pour lui », « pour nous ».

Les verbes sont toujours conjugués à l’infinitif, parfois précédés d’une indication de temps, ce qui donne : « Encore trois jours, toi partir ».

Le féminin n’existe pas, ma tête devient « mon tête ».

Quant au pluriel, il valait mieux l’éviter, ou l’exprimer par le singulier précédé de « beaucoup », ou de « trop », prononcé « tro-pe », auquel on pouvait éventuellement ajouter le nombre, ainsi : « ça y en a moutons trois ».

 

C’est ce manuel qui servit de moyen d’apprentissage du français pour les soldats africains, français également appris avant d’être enseigné par des sous-officiers ou « maîtres de langue » métropolitains.

 

Cet enseignement fut lui aussi spécifique, indépendamment de la spécificité linguistique. Les leçons étaient des leçons à thèmes, axées sur la guerre, une véritable idéologie destinée à donner aux soldats africains l’image et l’idée qu’on souhaitait qu’ils retiennent et qui puissent modeler leur vision de cette guerre et de ses protagonistes, déterminer leur action.

 

Leçon 89 :

La France, pays de paix et de liberté, injustement attaquée

Tout le monde y en a content, aimer France, parce que France y en a pays bon,

Parce que France y en a courage beaucoup,

Parce que France y en a lutter contre Allemagne,

Y en a empêcher lui faire le monde esclaves,

Comme ça, monde y en a rester libre.

France seulement y en a lutter Allemagne commencement guerre,

France y en a perdu beaucoup soldats,

Y en a perdu beaucoup tirailleurs,

Mais y en a content quand même,

Parce qu’y en a donné liberté à tous,

Y en a donné liberté au Sénégal, [Sénégal : ici terme générique désignant l’AOF]

Y en a donné liberté Belgique, et tout le monde,

Aussi tout le monde y en a content lui.

Leçon 69 :

Pourquoi l’Allemagne a-t-elle voulu la guerre ?

Allemagne y en a vouloir vaincre France,

Lui y en a travailler, y en a rien dire,

Y en a faire beaucoup canons,

Y en a faire beaucoup mitrailleuses,

Y en a faire tout ça avant guerre,

Parce que y en a vouloir manger France,

Y en a vouloir manger Sénégal [=Afrique]

Parce que Sénégal y en a France [=l’Afrique c’est la France]

Lui y en a vouloir faire tout ça esclaves pour lui,

Mais y en a travailler, y en a rien dire.

France, lui, y en a pas vouloir guerre,

Parce que France y en a pas vouloir faire canons comme Allemagne avant guerre.

Parce que France y en a bon beaucoup.

Alors, quand Allemagne y en a prêt complet,

Y en a envoyer soldats contre France,

Y en a déclarer guerre à France.

Revue de troupes noires

Leçon 70 :

Les buts de guerre de l’Allemagne

Toujours Allemagne y en a beaucoup orgueilleux, lui y en a jaloux.

Parce que France, Angleterre et pays alliés,

Y en a riche beaucoup,

Y en a colonies beaucoup.

Lui, y en a colonie un peu seulement,

Mais y en a orgueilleux,

Y en a vouloir être plus fort que tous,

Y en a vouloir être maître du monde entier,

Alors, lui, y en a préparer pendant 40 ans,

Y en a faire la guerre quand y en a prêt, complet,

Pour faire esclaves blancs et noirs, beaucoup.

Alors, tout le monde y en a lever contre lui,

Tout le monde y en a venir France pour faire bataille ;

Maintenant, y en a pas content pour ça,

Mais y en a trop tard,

Alliés y en a vouloir écraser Allemagne,

Comme ça paix y a toujours dans monde.

Si brigand y en a jeter contre ton case,

Toi, y en a faire quoi ?

Y en a appeler camarades et tout le monde y en a punir brigand.

1918, défilé de la victoire
1918, défilé de la victoire

...

Leçon 100 :

Quels avantages pour l’Afrique ?

Les leçons d’une guerre

Beaucoup tirailleurs y en a gagné citations,

Beaucoup y en a gagné Croix de Guerre,

Mais, y en a pas moyen écrire tout ici,

Parce que y en a beaucoup trop ;

Français, beaucoup aussi y en a gagner.

Français et Sénégalais [Africains] y en a bons soldats.

Y en a maintenant même chose frères,

Y en a fait bataillon ensemble,

Y en a blesser ensemble,

Sang sénégalais [Africains] y en mélangé sang français souvent.

France y en a oublier jamais ça.

Après victoire, France y en a content aider Sénégal,

Pour que Sénégal y en a être bien et heureux.

Interrogatoire

Ces leçons et cette pédagogie de la guerre ont-elles atteint leur objectif ?

Mieux qu’un discours, le loyalisme des combattants africains et leur adhésion sans réserve à la cause de la « mère-Patrie » ne s’illustrent-ils pas tout entier dans ce dialogue étonnant entre un officier allemand et un soldat africain capturé par l’ennemi avec d’autres soldats français, au cours d’un interrogatoire on ne peut plus orienté :

Toi, pas Français, toi nègre, pourquoi te battre ?

Madame la France, y en a même chose bon maman, y en a z’enfants blancs, y en a z’enfants noirs, y en a tout lé z’enfants défendre maman !

 

Madame la France
Madame la France

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29 août 2015 6 29 /08 /août /2015 09:14

LES FEMMES FRANÇAISES DANS LES COLONIES D’AFRIQUE

Des auxiliaires de la colonisation ou des nuisances pour l’image de la métropole ?

La présence de femmes françaises blanches dans les colonies d’Afrique fut l’objet d’un vif débat en France et aux colonies, du début à la fin de la colonisation.

Fallait-il admettre des Françaises dans les colonies tropicales d’Afrique, qu’il s’agisse de femmes seules ou d’épouses accompagnant leur conjoint agent de l’administration coloniale, ou opérant dans le privé : commerçant, exploitant forestier…

Dès le début de la colonisation au XIXe siècle et pour longtemps, l’accès aux colonies d’Afrique subsaharienne fut fermé aux femmes célibataires ou seules, ou sévèrement règlementé, tout comme aux hommes pauvres, non employés par l’administration, et ne justifiant pas d’un niveau de ressources jugé décent.

Les sœurs des missions (catholiques ou protestantes), celles des congrégations qui fondaient des écoles, des dispensaires ou des centres sociaux d’éducation de jeunes filles africaines, échappent à ce débat.

La question ne fut jamais véritablement tranchée et il y avait autant d’arguments favorables à cette présence (hormis celle de femmes célibataires) que d’arguments défavorables, marquant une opposition parfois farouche.

Il y eut, de la part de l’État, quelques textes, certes, mais sans réelle portée ni volonté semble-t-il, comme si les gouvernements successifs qui ont eu à se pencher sur cette question éprouvaient quelques difficultés à statuer en la matière.

LES FEMMES FRANÇAISES DANS LES COLONIES D’AFRIQUE

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L’impératif démographique

La question démographique se posait à la fin du XIXe et au début du XXe siècle en France, les gouvernants y étaient sans doute sensibles. En ces temps d’incertitude en Europe, la question était loin d’être secondaire, et le taux de natalité, dans des pays comme l’Allemagne, était regardé de près (la ligne bleue des Vosges oblige !) ; on comprend dès lors qu’en France, on se soucie du taux de natalité par rapport à celui des principales puissances du moment. La question lancinante posée était la suivante :

« La femme qui quitte la France pour aller vivre en pays tropical n’est-elle pas perdue pour la reproduction de la race française et de la race blanche ? »

 

Les services parfois reconnus qu’elle était susceptible de rendre à la France et aux autochtones, par sa présence aux colonies, pouvaient-ils compenser la perte d’enfants qu’elle aurait pu mettre au monde si elle était restée en métropole ?

 

Pour beaucoup, là résidait l’essentiel de l’argumentation en défaveur du départ des Françaises pour les colonies tropicales d’Afrique, la question ne se posant pas pour les colonies de peuplement d’Afrique du Nord, l’Algérie en particulier.

LES FEMMES FRANÇAISES DANS LES COLONIES D’AFRIQUE

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Aspect social

 

Les Françaises aux colonies rendaient d’éminents services à un double niveau.

 

      Vie privée

Tout d’abord, leur influence bienfaitrice sur leur époux était reconnue et appréciée en haut lieu comme au sein des partis dits coloniaux. Ainsi, la Française jouait de fait un rôle modérateur sur la conduite de son mari, sur lequel elle avait le plus souvent une réelle influence morale consistant généralement à le rappeler à une certaine tempérance par rapport à la consommation d’alcool ; en effet, pour certains, l’alcool était considéré comme un antidote facile contre les rigueurs du climat.

« Elle l’empêche presque toujours de sombrer dans l’alcoolisme ou dans l’opiomanie, comme il arrive à trop d’hommes sans foyer ; elle l’empêche surtout de contracter ces lamentables unions avec des femmes indigènes qui constituent, si elles se prolongent, une vraie déchéance morale… » lit-on dans un rapport d’inspection coloniale en Afrique française au tout début du XXe siècle.

 

L’inspecteur appartenait à un corps spécifique parmi le personnel de la colonisation et avait un rôle important.

Résidant en métropole, il se rendait régulièrement  en mission dans les colonies où il remplaçait de fait le ministre de tutelle qui, lui, ne se déplaçait pas. L’inspecteur colonial disposait d’un pouvoir d’investigation sans limite, mais non d’un pouvoir décisionnel. À l’issue de sa tournée, il présentait un rapport destiné au ministre des Colonies et aussi au Parlement (via le ministre), et donnait son avis sur une série de questions si on le lui demandait.

Éducatrice universelle

« La femme possédant quelques qualités qui, Dieu merci, ne sont point rares en France, jouera, en accompagnant son mari, un rôle salutaire, tant dans le modeste cadre de son intérieur que dans les milieux européens et indigènes qu’elle fréquentera, si bien que son influence ne tardera pas à avoir une répercussion sur l’atmosphère de la colonie tout entière. »

De fait, l’influence modératrice exercée par l’épouse sur son mari allait au-delà de la stricte sphère conjugale ou familiale, en agissant sur les méthodes de gouvernement de la colonie en son entier.

C’est le tempérament même de la femme —pensait-on alors— qui l’amène à influer instinctivement et positivement sur l’action des responsables de l’administration coloniale, et sur leurs rapports avec leurs sujets coloniaux.

 

      Vie publique

Ainsi, peut-on lire à ce sujet :

« Ayant presque toujours horreur de la violence, la femme empêche, par sa simple présence, bien des actes de brutalité ; elle inspire une modération et une réserve dont on ne se seraient pas départis, s’ils avaient eu son influence, les malheureux déséquilibrés qui créèrent jadis, par leurs excès, la néfaste légende des "tortionnaires coloniaux". »

 

L’action de la femme n’est pas seulement positive par les abus qu’elle empêche ; elle l’est également si l’Européen déraciné prend conscience qu’elle remplit une fonction sociale véritable vis-à-vis des indigènes, dans la mesure où elle sait s’employer intelligemment à « l’œuvre d’apprivoisement, qui est un des grands objectifs de la politique coloniale ».

 

En se faisant éducatrice, et des Européens, et des Africains, « sans affectation, elle exerce sur les indigènes de son entourage, une influence souvent plus efficace que celle de bien des administrateurs et bien des instituteurs. »

 

Mais, même utile aux colonies, la présence de la Française y est toujours soumise à cette question essentielle :

« La femme blanche peut-elle conserver sa santé sous les tropiques, et peut-elle y procréer et y élever ses enfants ? »

 

L’envers du décor

Une deuxième catégorie de femmes (d’épouses) vivant dans les colonies françaises d’Afrique, donne lieu à un autre tableau aux couleurs sans doute moins vives. On tombe du grenier à la cave.

Elles sont généralement qualifiées de « femmes légères » ou de « dévergondées », et semblent avoir posé quelques problèmes à l’administration coloniale. Les rapports ne sont pas particulièrement tendres à leur égard.

« Celles qui, incapables d’adaptation, et qui considèrent les indigènes avec mépris… ou avec trop d’amour, constituent un fléau qu’il ne faut en aucune façon tolérer dans les colonies… car, elles détruisent sûrement l’indispensable prestige de l’homme blanc sur l’homme de couleur. »

 

Ces deux types extrêmes de femmes aux colonies, « la femme apôtre, ayant l’âme d’un Livingstone, comme la femme médecin ou infirmière, dont l’action est si précieuse en Afrique du Nord, et, à l’autre bout de l’échelle morale, la femme vaine ou stupide qui, même sans être complètement dévergondée, s’exhibera, dévêtue, devant ses domestiques, sous prétexte qu’ "un Noir n’est pas un homme" ou au contraire, prendra plaisir à déchaîner parmi eux des passions déplorables et dangereuses ».

 

Ces deux catégories de femmes, l’éducatrice des hommes et la fantasque défrayant la chronique, ont rempli, en plus des rapports officiels, une partie de la littérature coloniale, de la fin du XIXe au milieu du XXe siècle.

 

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25 janvier 2015 7 25 /01 /janvier /2015 09:41

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AUX ORIGINES DE L’ABSOLUTISME EN FRANCE  

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Colbert, une volonté et une vision pour l’État et le roi

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gif anime puces 025La grandeur et la puissance de l’État.

Pour la gloire du roi

 

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Colbert (1619-1683)

 

Commis de banque passé au service de Mazarin qui en fit l’intendant de sa fortune personnelle, et l’utilisa pendant la Fronde comme intermédiaire entre la régente Anne d’Autriche et lui-même lorsqu’il se trouvait en exil, Colbert deviendra un des principaux piliers du règne de Louis XIV.

Peu avant sa mort, Mazarin le recommanda à ce dernier, auquel Colbert s’imposa très vite par l’étendue de ses compétences, sa force de travail et son acharnement à mener à bien tout ce qu’il croit bon pour la prospérité du royaume, la puissance de l’État et la gloire du roi. Sincèrement dévoué au roi et à l’État, il met à leur service son intelligence claire et méthodique, sa puissance de travail.

Si Louis XIV ne voulut pas de Premier ministre, de peur qu’il lui fasse de l’ombre, Colbert remplit amplement cette fonction sans le titre, en cumulant plusieurs charges importantes.

Devenu Contrôleur général des Finances après l’éviction de Fouquet, il cumula cette fonction avec deux secrétariats d’État dont celui de la Marine. Il fut ainsi, quinze ans durant, chargé de l’essentiel de la politique intérieure de la France.

 

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Blason de la famille Colbert

 

gif anime puces 025Le 3e grand artisan du centralisme et de l’absolutisme

 

Colbert parachève l’œuvre de Richelieu et de Mazarin, mène à la perfection la centralisation de l’État et l’affirmation de la toute puissance du roi. Louis XIV en sera la parfaite incarnation.

L’objectif prioritaire du ministre, auquel tout doit être subordonné, c’est bien la richesse et la puissance de l’État, condition de la grandeur et de la gloire du roi.

Élever le royaume de France au-dessus de tous les autres royaumes, passe par l’abaissement des autres royaumes d’Europe. Pour Colbert, l’augmentation de la puissance en argent, plus précisément en or, est l’unique moyen de parvenir à la prospérité et à la grandeur de l’État et d’assurer la gloire du roi.

Ces objectifs ambitieux nécessitent à la fois obéissance et soumission au roi, à l’intérieur et à l’extérieur, une guerre sans relâche contre les royaumes concurrents.

 

 

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Grenadier sous Louis XIV

 

gif anime puces 025La gloire par les armes

 

Pendant les 54 années de règne personnel de Louis XIV, la France connaît 29 années de guerre sans répit ! C’est que le roi aime la guerre et est avide de victoires, et pour Colbert, la guerre est un moyen de gagner des marchés, de conquérir des territoires, d’accumuler de l’or tout en affaiblissant les autres. Il invente ainsi une nouvelle forme de guerre : la guerre économique. La marine, dont Richelieu posa les fondements, inexistante sous Mazarin, prend une importance majeure sous l’impulsion de Colbert qui en fait un outil essentiel de conquête, de diplomatie et de commerce.

Il initie une politique coloniale active et agressive, appuyée sur la marine.

Les principaux ennemis de la France sont alors les Hollandais et les Anglais, puissances commerçantes et maritimes, par conséquent, ennemies naturelles, chacune d’elles prétendant exercer la suprématie économique et commerciale en Europe et dans le monde.

C’est notamment sous l’impulsion de Colbert que la France s’engagea pleinement dans le commerce d’esclaves noirs sur les côtes d’Afrique, trafic qu’il qualifiait de « commerce le plus avantageux de tous ». Il amena ainsi le roi à l’élever au rang de « service d’Etat » dès 1670 ; autre motif de confrontation longue et âpre avec les Hollandais et les Anglais, chacune des trois nations voulant s’assurer le monopole de ce commerce.


gif anime puces 543À l’intérieur : l’objectif de Colbert est atteint : le règne de Louis XIV voit l’apogée de l’absolutisme de droit divin.

 

Le-roi--lieutenant-de-Dieu-sur-terre.jpg

Bossuet, Politique tirée des propres paroles de l’Ecriture sainte, paru en 1709.

Le roi, lieutenant de Dieu sur terre

 

gif anime puces 025Le triomphe de l’absolutisme.

La monarchie de droit divin.

 

Le-Roi-Soleil.jpg

Le Roi-Soleil

 

gif anime puces 543À l’extérieur : l’armée de Louis XIV, la plus nombreuse d’Europe (230 000 hommes en 1667 et 630 000 en 1714) et la plus puissante sur terre, en impose.

Cette puissance de feu permet à Louis XIV d’annexer des territoires, parmi lesquels l’Artois, l’Alsace, la Franche-Comté, le Roussillon… et d’agrandir ainsi le royaume.

 

gif anime puces 025Le coût social de l’absolutisme

 

Le poids des guerres, le faste royal, la politique de prestige, pèsent lourdement sur la vie du peuple, tout particulièrement sur les paysans soumis à des impôts de plus en plus lourds. Des jacqueries éclatent, vite écrasées par la puissance de l’État.

La masse des paysans sombre dans une affreuse misère. Beaucoup de fermiers sont hors d’état de payer leurs loyers. Quant aux manouvriers, ils sont décimés à chaque disette.

 

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La misère des paysans

 

gif anime puces 025Racines lointaines de l’embrasement révolutionnaire

 

Il est communément admis que les principaux théoriciens de la Révolution de 1789 furent les philosophes du XVIIIe siècle : Voltaire, Rousseau, Montesquieu, Diderot…

Leurs idées et leur vision de la société ainsi que du mode de gouvernement seront les armes dont se serviront les révolutionnaires de 1789, au nom de la justice, de l’égalité, et des droits. Certes.

Cependant, plus d’un siècle avant, furent incontestablement semés les germes du mouvement révolutionnaire.

Faut-il à cet égard rappeler les revendications de l’aristocratie parlementaire de janvier 1647, puis de mars 1648, « pour servir le public et le particulier, et réformer les abus de l’État ». Dans 27 propositions adressées au roi, les parlementaires prétendaient donner une Constitution au pays et proposaient que « les impôts ne puissent plus être légalement perçus que s’ils ont été discutés et enregistrés, avec la liberté de suffrage par le Parlement de Paris ».

En outre, ils réclamaient « des garanties sérieuses en faveur de la liberté individuelle, la suppression des lettres de cachet… que toute personne arrêtée par ordre du roi soit interrogée dans les 24 heures ou relâchée… ».

Toutes doléances qui rappellent singulièrement celles contenues dans les cahiers de doléances rédigés en 1788-1789 par le peuple, principalement le tiers état, à la demande de Louis XVI.

Pour Richelieu, le peuple est comparable au mulet : plus il est chargé, plus il est docile et se tient tranquille, donc facile à manier. Autrement dit, plus le peuple est chargé d’impôts, plus il se soumet et se tait.

Cependant, quand la charge devient trop lourde à porter, il arrive que le mulet s’arrête, n’avance plus, ou plutôt cherche à renverser la charge qui l’accable.

Or, de Richelieu à Mazarin et à Colbert, le nombre considérable d’impôts, leur lourdeur et l’injustice qui les caractérisa, furent une constante.

« À bas les impiots ! » proclament les paysans du tiers état dans leurs cahiers de doléances.

 

Quant à Colbert, le dernier artisan de l’avènement de la monarchie absolue en France, la puissance de l’État et la gloire du roi avaient aussi d’autres dimensions que le fracas des armes et la loi du marché. Pour lui comme pour ses devanciers, Richelieu et Mazarin, l’essor des Arts et des Lettres, la vitalité culturelle, étaient aussi partie constitutive de la puissance, du rayonnement de la nation et, comme tels, participaient à la gloire du souverain. Aussi porta-t-il une attention particulière à l’essor culturel de la France.

 

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gif anime puces 025L’impulsion culturelle

 

Ainsi Colbert, ce travailleur acharné et méthodique, puisa dans l’art et les lettres, en parfaite complicité avec Louis XIV, l’inspiration d’une œuvre culturelle impressionnante dont suivent quelques éléments.

fleche 026l’Académie des inscriptions.

fleche 026l’Observatoire de Paris.

fleche 026la réorganisation du Jardin des Plantes.

fleche 026les Beaux-arts.

fleche 026La restauration de l’Académie de peinture.

fleche 026la création de l’Académie d’architecture et de musique.

fleche 026l’Académie de France à Rome.

fleche 026La création du cabinet des médailles…

 

Il n’est guère de grandes institutions culturelles, littéraires, artistiques, où l’on ne retrouve trace de son action ou son inspiration. En cela, il rejoint ses devanciers, Richelieu et Mazarin.

 

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Tombeau de Colbert

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18 janvier 2015 7 18 /01 /janvier /2015 09:14

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AUX ORIGINES DE L’ABSOLUTISME EN FRANCE  

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L’État chevillé au corps : deux pionniers du centralisme de l’État français : Richelieu et Mazarin  

 

Mazarin

Le cardinal Mazarin (1602-1661)

 

gif anime puces 025Le favori de la reine. Un Premier ministre souple et zélé

 

À la mort de Louis XIII, son fils, le futur Louis XIV, a moins de 5 ans. Le testament du défunt roi confie la régence à la reine Anne d’Autriche, en plaçant cependant auprès d’elle un conseil qui doit décider de toutes les affaires du royaume, à la « pluralité des voix ».

Mais, Anne d’Autriche fit casser ce testament par le Parlement (si durement traité par Richelieu et qui voyait son heure venue de relever enfin la tête). Il laisse toute liberté à la régente « avec pourvoir pour la reine, de faire choix de telles personnes que bon lui semblerait pour délibérer sur les affaires qui leur seraient proposées ».

 

Anne d'Autriche

Anne d’Autriche

 

Cependant, contre toute attente et au grand dam du Parlement et des Grands du royaume, Anne d’Autriche porte son choix sur Jules Mazarin (issu d’une ancienne famille de Sicile, installée à Rome), ami de Richelieu honni naguère de ces mêmes Grands et parlementaires, et duquel elle fit son Premier ministre. Là réside la source d’un long conflit opposant le cardinal à ces coriaces adversaires.


Anne d'A & Mazarin

Anne d’Autriche et Mazarin

 

gif anime puces 025L’entente cordiale

Entre la régente et son Premier ministre, c’est l’entente parfaite. Régnant en maître sur l’esprit et le cœur de la reine, Mazarin est bien plus maître de la France que ne l’a jamais été Richelieu.

Le jeune Louis XIV lui voue par l’entremise de sa mère, déférence et soumission.

Négligeant l’éducation livresque du jeune roi, Mazarin s’occupe, en revanche, au plus haut point, et avec un soin particulier, de son éducation politique ; là est sans doute le secret de sa puissance.

Mazarin procède, comme jadis Richelieu, à la mise au pas du Parlement et des Grands, ce qui va de pair avec l’affirmation de l’autorité de l’État, c’est-à-dire celle du roi.

Mais l’opposition au cardinal est puissante. Elle s’incarne dans un mouvement très complexe de contestation : la Fronde, terme qui désigne une période de troubles et de guerre civile s’étendant de 1648 à 1652, pendant la minorité de Louis XIV, l’enjeu étant le partage du pouvoir, une lutte sans merci entre le projet de monarchie absolue et la volonté des Grands et du Parlement d’obtenir une partie du pouvoir, et décider de la conduite des affaires du pays.

D’autre part, les impôts, toujours plus divers et plus lourds, nourrissent le ressentiment du peuple à l’égard du cardinal.

L’opposition à la personne de Mazarin et à sa politique alimente ainsi cette guerre civile et explique sa durée et son âpreté.

Souple, mais tenace dans ses convictions, très ambitieux, le cardinal subit sans se troubler, les pires affronts ; avide de biens matériels et de profits juteux pour lui-même et pour sa nombreuse famille, il se constitue une immense fortune et marie ses nièces dans les plus grandes familles du royaume.

Fin diplomate, Mazarin a su mettre ses qualités au service du roi et triompher de la Fronde comme des ennemis de l’extérieur. Malgré tout, son impopularité reste grande dans le pays.

Les nombreuses chansons qu’inspire l’hostilité à sa personne et à sa politique disent assez cette immense impopularité.

 

gif anime puces 025Les Mazarinades, expression d’une impopularité


gif anime puces 583Une « MAZARINADE »


Adieu donc, pauvre Mazarin…

Adieu, peste du carnaval.

Adieu, beau, mais méchant cheval.

Adieu, l’oncle aux Mazarinettes (1)

Adieu, cause de nos ruines…

Adieu, l’abbé à vingt chapitres. (2)

 

Adieu, seigneur à mille titres. (2)

Adieu, des ministres le chef.

Adieu, gouvernail de la nef.

Adieu, timon de ma brouette.

Adieu, ma plaisante chouette

Adieu, l’esprit de fourberie.

 

Par un blocus depuis deux mois,

Par la cherté de la farine,

Par la crainte de la famine,

Par la perte de nos trafics,

Par la réforme des tarifs,

Dont nous gardons le souvenir…

 

Enfin par toutes nos misères

Allez sans jamais revenir.

 

(1)Allusion aux nièces du cardinal.

(2)Mazarin cumulait de nombreux « bénéfices » ecclésiastiques, ainsi que les titres des terres nobles qu’il avait achetées.

 

(Texte composé après la première fuite de Mazarin, lors de la Fronde du Parlement, 1648. La deuxième fuite a lieu en 1651, lors de la Fronde des Princes.)

 

Si l’image du cardinal subit longtemps les affres de la Fronde, Louis XIV, en revanche, en tira la leçon qui guidera la pratique future de son métier de roi. En accédant au pouvoir personnel en 1661 (date de la mort de Mazarin), il prit la résolution de contenir les parlements, d’écarter la noblesse de la politique et de faire de la monarchie absolue de principe, une monarchie personnelle, où le roi, par son Conseil, administre directement le royaume et impose l’obéissance à tous ses sujets, au premier rang desquels les nobles et les parlementaires. Louis XIV définit ainsi lui-même sa politique et la philosophie  de son action.

 

Le pouvoir absolu selon Louis XIV

Le pouvoir absolu selon Louis XIV

 

gif anime puces 025La marche vers l’absolutisme

Mazarin lui en a sans doute facilité la tâche par les leçons et préceptes prodigués au jeune roi. Comme Richelieu (qui créa les intendants, « l’œil et l’oreille du roi en sa province » (ancêtres des actuels préfets), il fit de ces intendants un instrument du pouvoir royal et de sa centralisation, après les avoir rétablis.

La création des intendants par Richelieu fut en effet une véritable révolution dans l’administration des provinces. Mazarin profita de cet outil exceptionnel de surveillance étroite du royaume, support incontestable de la centralisation et de l’absolutisme.

  

 

 

gif anime puces 025Le cardinal promoteur de la culture

 

Mais, le cardinal Premier ministre ne fut pas un simple manœuvrier au service du roi ; il imprima aussi sa marque sur l’histoire du pays par l’attention constante portée aux Arts et aux Lettres ainsi qu’au raffinement culturel.

 

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La Mazarine

 

En cela le cardinal fut aussi l’émule de son éminent devancier.

Il s’illustra de façon ostensible comme protecteur des lettres, accorda une pension à des écrivains, Descartes entre autres, même pendant la retraite de celui-ci en Hollande.

fleche 026Il créa une magnifique bibliothèque : la « Mazarine » pour « la commodité des gens de Lettres et du savoir ».

fleche 026Il fonda le collège des Quatre Nations (actuel Palais de l’Institut), destiné à recevoir les élèves de l’Université appartenant aux provinces espagnole, italienne, allemande et flamande, nouvellement réunies au royaume de France.

Le cardinal avait un goût prononcé pour les arts et se plaisait à collectionner merveilles et curiosités.

Il fit venir d’Italie un grand nombre de tableaux, mais aussi des acteurs, des machinistes, qui introduisirent l’opéra en France.

fleche 026Il fonda en 1655, l’Académie de peinture et de sculpture.

fleche 026Il fonda l’Académie des Sciences de Paris.

 

Avant sa mort, le 9 mars 1661, il prit soin de présenter à Louis XIV, son collaborateur Jean-Baptiste Colbert, qui sera lui aussi un favori de grand talent, un commis hors norme, autre pilier de l’absolutisme au service du roi et de l’État.

 

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Le tombeau de Mazarin

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