Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Recherche

16 avril 2017 7 16 /04 /avril /2017 07:15

LA POLICE DES NOIRS EN FRANCE AU XVIIIe SIÈCLE

SOUS LOUIS XV ET LOUIS XVI ②

 

La déclaration royale (1777).

Les interdits de mariage.

La résistance

 

 

Après la déclaration royale de 1777 et les édits royaux qui la complètent sous le règne de Louis XVI, les Noirs et « gens de couleur » furent interdits de mariage dans le royaume.

De nombreux documents d’archives municipales et départementales font état de résistances plus ou moins acharnées et plus ou moins structurées, à la volonté royale.

 

 

Lex Rex , le Roi c’est la loi

Les opposants aux édits royaux interdisant ces mariages se divisent grosso modo en deux camps. D’un côté,

La Grande noblesse

La Grande bourgeoisie

L’Église

De l’autre,

Les philanthropes

Les philosophes et autres penseurs humanistes.

On compte dans leurs rangs des personnalités bien connues qui s’engagèrent ouvertement dans la défense des Noirs, tels l’Abbé Raynal, l’Abbé Grégoire, J.J. Rousseau [Voir article LA POLICE DES NOIRS EN FRANCE AU XVIIIe SIÈCLE SOUS LOUIS XV ET LOUIS XVI ①]

 

Selon une disposition de l'Édit de 1777 sur la police des Noirs, mais aussi de celui de 1778, il fut formellement interdit aux Noirs libres ou non de contracter aucun mariage sur le sol du royaume de France. Cela avivait l'opposition des grandes familles nobles ou bourgeoises, mais aussi impliquait l'Église pour la célébration de telles unions. [L'Edit de 1716 autorisait ces mariages sous la réserve de l'accord préalable des maîtres d'esclaves ou de Noirs.]

L'Ordonnance du Siège de l'Amirauté de Nantes concernant les Noirs ou Mulâtres datée du 22 Janvier 1777 rappelle aussi cet article de l'Edit :

Il requiert pareillement qu'il soit fait très expresses inhibitions et défenses à tous Nègres libres et non libres, de l'un et de l'autre sexe, qui peuvent être dans le ressort de ce siège, à leurs maîtres d'y donner leur consentement ; et à tous Prêtres et Secteurs, de faire faire de semblables mariages, sous quelque prétexte que ce puisse être ; il lui sera provisoirement décerné commission (au Procureur du Roi), pour appeler et poursuivre les Recteurs qui se sont plusieurs fois ingérés de faire ces mariages. Au surplus, il sera permis au Procureur du Roi de faire imprimer, publier, lire et afficher la présente remontrance et l'Ordonnance du siège, partout où besoin sera, dans l'étendue de son ressort... .

 

 

Contrats et célébrations de mariages interdits

Ces mesures vont plus loin ; afin de mieux contrôler l'application effective de l'interdiction des mariages de Noirs, il fut décidé de rendre obligatoire partout dans le royaume, les déclarations de grossesses du fait de Noirs. Ces déclarations nombreuses au début, diminuent au fur et à mesure que se durcit la législation concernant les Noirs, soit que cette législation a été suivie, appliquée, soit que les personnes concernées par de telles déclarations évitent de procéder à ces formalités de peur de représailles. On note parallèlement, dans la même période, un accroissement du nombre d'enfants abandonnés, fruits de telles grossesses et d'amours prohibées, de même qu'une augmentation d'accouchements clandestins, au point que des Arrêts du Conseil du roi faisaient défenses aux chirurgiens et matrones de donner asile dans leurs maisons aux filles et femmes grosses, lesquels chirurgiens et matrones étaient également tenus par les mêmes règlements, de donner les noms et demeures des filles ou femmes grosses.

Dans ces déclarations de grossesses étaient mentionnés les nom et qualité des parents de la fille, les nom et âge de la fille, les nom et qualité de l'auteur de la grossesse, éventuellement les nom et qualité de son maître, ainsi que l'âge de la grossesse. Au fur et à mesure du durcissement de la législation, dans bien des déclarations était mentionné le caractère accidentel de la grossesse, l'auteur de l'acte était alors un inconnu qui a abusé de la fille... ainsi qu'on le constate dans le cas suivant :

Anne Sorin, fille de Jacque Sorin, de la paroisse de ... laquelle a déclaré être âgée d'environ vingt-deux ans, et être grosse d'environ cinq mois du fait d'un inconnu qui l'a abusée forcément au troisième étage de la maison de Louis Guérin...[Archives municipales de Nantes]

Autre exemple de déclaration :

Perrine Tremeau, fille d'un cuisinier, enceinte des œuvres de Louis dit Polidor, nègre de nacion (sic) demeurant chez le Sieur de la Villestreux père, négociant à la Fosse....

Les grossesses de femmes noires devaient également faire l'objet d'une déclaration quel qu'en soit l'auteur, Blanc ou Noir, la déclaration suivante en donne un exemple :

Hélène, négresse, chez le Sieur Guillodeu, négociant à la Fosse, enceinte du fait d'Antoine, nègre chez le même.

Ou encore :

Anne, mulâtresse esclave, grosse des œuvres de Ratier, quarteron

 

 

Mariages mixtes interdits

Quant aux mariages entre personnes de race noire et de race blanche et vice-versa, ou seulement entre personnes de race noire, leur interdiction posa un certain nombre de difficultés surtout du côté de l'Église qui était depuis fort longtemps habituée à célébrer de tels mariages, et qui ne faisait point de discrimination, la seule condition exigée étant pour elle que les époux fussent baptisés et catholiques. Mais, la rigueur de la loi, la pression de l'administration furent telles que l'Église fut au fil des années contrainte de céder. Sa position passe par un certain nombre de phases, qui vont de la célébration clandestine de mariages, à l'obéissance passive, pour aboutir ensuite à une peur panique des représailles qui entraîne le refus pur et simple de la célébration de ces unions. Deux exemples sont assez significatifs de cette attitude de l'Église face à la pression de l'administration royale. Le premier de ces exemples est un échange de lettres entre l'Intendant de Montpellier et le curé de Villefranche de Laurangais dans le département de Toulouse. Il y aurait eu à Villefranche de Laurangais le mariage d'une mulâtresse répondant au nom de Marie-Claire, en contravention à l'Arrêt du 5 Avril 1778. Le curé répond qu'il ignore cet Arrêt relatif au mariage des Noirs, mulâtres et gens de couleur avec des blancs ; qu'il s'agit de son prédécesseur le curé Gélis, qui a voulu marier sa nièce Marie-Claire amenée des Isles par son frère décédé, qui lui a laissé une dot de 6 000 livres avec le Sieur Pierre Veres, chirurgien, que le curé Gélis est décédé. Il n'est pas dit clairement si le mariage a eu lieu. Il n'est sans doute pas inutile de reproduire ici l'essentiel de cette correspondance et tout d'abord la lettre de l'Intendant de Languedoc au subdélégué de Toulouse dont la teneur est la suivante :

 

Montpellier le 7 Mai 1778

Vous trouverez ci-joint Monsieur, un nombre d'exemplaires de l'Arrêt que SA Majesté vient de donner relativement aux mariages des Noirs, mulâtres et autres gens de couleur avec les Blancs ; je vous prie de le faire publier et afficher dans les principales villes et gros lieux de votre département jusqu'à concurrence du nombre que je vous envoie. Vous voudrez bien tenir aussi la main à son exécution...

 

Le subdélégué de l'Intendance du Languedoc écrit à son tour au Consul [magistrat élu dans les villes du Sud du royaume, chargé de l’administration municipale sous l’Ancien régime] de Villefranche et lui fait part de ce qui suit en ces termes :

 

Vous trouverez ci-joint, Monsieur, une lettre du curé de Dapse (?) communauté de Villefranche de Laurangais par laquelle il m'informe du mariage entre les nommés Marie-Claire, mulâtre (sic) avec un blanc, malgré les dispositions de l'Arrêt du Conseil du Roi du mois d'Avril 1778, qui vous est connu. Je vous prie de vous informer et de me marquer depuis quel temps cette mulâtresse est revenue en France, si le don dont le curé parle est réel, avec la substitution annoncée en faveur des pauvres ; s'il a été passé un contrat de mariage, si le mariage a été béni, qui a signé la dispense de deux bans, et donné la permission d'épouser devant le premier prêtre requis ; le nom, la qualité et la demeure du mari, l'endroit où ils seront...

 

Suit la réponse à cette lettre à l'adresse du subdélégué de l'Intendance du Languedoc à Toulouse :

 

Monsieur

Voici les éclaircissements que nous avons pu trouver au sujet de la nommée Marie-Claire et en réponse aux demandes que vous nous faites par votre lettre...

1°- Que cette fille vint avec le Sieur Gélis A., habitant ici, venant des Isles où il avait demeuré fort longtemps. Ledit Sieur Gélis se disait le père de cette fille ; et il y a environ quinze ans de cette arrivée que par lors cette fille avait environ trois ans ; on assure qu'elle était quarteron, et il est évident qu'elle est plutôt blanche que noire.

- Le don de 6 000 livres fait à cette fille par Monsieur Gélis, ancien curé du pays, le frère dudit Sieur Gélis se disant père de cette fille est nullement vrai.

- Il n'est pas de notre connaissance qu'il y ait eu contrat...

- Il n'est pas non plus de notre connaissance que le mariage a été effectué.

- Sur le rapport de notre curé,  ce sont MM. les Grands vicaires qui ont signé la dispense des deux bans.

- Le Sieur P. Veres fiancé de cette fille est chirurgien...

Voilà, Monsieur, tous les renseignements que nous pouvons vous donner touchant cette affaire...

Sabatier-Consul Maire  [Archives départementales de Haute Garonne]

 

 

 

Des exemples nombreux de cas symboliques de la rigueur de la loi

Le deuxième exemple, certes plus complexe, révèle à la fois l'attitude de la grande noblesse et celle de l'Église au stade où la législation ne tolérait la moindre inobservance des prescriptions royales. Ce cas se présente ainsi :

Un nègre âgé de soixante ans et établi depuis près de cinquante ans en France (à la date de 1778) où il est venu enfant a gagné quelques biens au service de ses maîtres... Il allait se retirer et se marier à une paysanne... quand parut la déclaration du 9 Août 1777 qui ordonne aux Noirs de quitter le royaume. Il a satisfait à ce qu'exige l'article X de la déclaration en faisant déclaration au juge royal voisin, ce qui lui permet de rester en France. Mais quoique la déclaration ne défende pas les mariages, M. le marquis de Rumont, héritier des anciens maîtres de ce nègre et seigneur de ses villages, a conseillé à ce nègre de différer son mariage jusqu'à ce qu'il en ait demandé les ordres de M. de Sartine. [Antoine Comte d’Alby, homme d’État français, lieutenant général de la Police. (1759-1774), puis Secrétaire d’État ) à la Marine (1774-1780)].

Il reçut de ce dernier une "réponse prohibitive". L'exempt [ancien officier de la Police sous l’Ancien Régime] de la maréchaussée de Malesherbes a écrit une pareille lettre au Ministre et a reçu la même réponse négative.

Là-dessus, survient l'Arrêt du Conseil du 9 Avril 1778 qui interdit sur toute l'étendue du territoire du royaume, tout mariage de gens de couleur. Dès lors, le mariage n'est point célébré et ne peut plus se faire. Le document relatif à ce cas précise :

 

Cependant, il faut avouer que ce malheureux et la fille qu'il allait épouser ont fait une faute. Dans le temps où leur mariage était convenu et où on ne prévoyait rien qui pût l'empêcher, la fille est devenue grosse. Si cet homme n'avait pas eu le scrupule de demander les ordres du Ministre suivant le conseil de son maître, il serait marié il y a six mois, la fille qu'il devait épouser ne serait pas déshonorée, l'enfant qui naîtra ne serait pas bâtard car aucune loi ne leur défendait de se marier et aucun curé ni notaire ne pouvaient leur refuser leur ministère....

 

S'ensuit alors un long échange de lettres entre le marquis de Malesherbes et d'autres personnages qui pouvaient de près ou de loin être partie prenante dans cette affaire à un titre ou un autre, affaire dont la complexité s'accroissait de jour en jour. Tout d'abord, cette lettre dont l'auteur s'efforce de faire valoir des arguments à la fois d'ordre moral et d'ordre juridique en faisant observer à Monsieur de Sartine :

 

1-qu'il naîtra toujours en France un enfant mulâtre soit qu'il soit bâtard, soit qu'il soit légitime.

2- qu'aucune faute n'est plus excusable que celle de gens qui sont sur le point de se marier.

3- qu'on peut regarder ce mariage comme avant la défense, puisqu'il l'avait été si M. le marquis n'avait pas connu M. de Sartine et dit à ce nègre de différer et qu'il se chargerait d'en parler au Ministre. C'est dans la précaution qu'on lui a fait prendre qu'est la cause de son malheur.

4- que pour cette raison, la dispense qu'on pourrait accorder à ce malheureux ne tirerait à aucune conséquence d'autant plus que je ne crois pas qu'il y ait un seul autre nègre dans le pays.... Il me semble que tous les motifs commencent à rendre cette demande favorable, et j'observe que c'est dans de semblables cas que l'Église a toujours accordé des dispenses pour les mariages prohibés.

Puisqu'il n'y a point de loi qui déclare ces mariages nuls, point de défenses faites aux curés, mais seulement un Arrêt du Conseil qui défend aux partis de contracter mariage sous peine d'être renvoyés aux colonies, une lettre de M. de Sartine à l'Intendant serait suffisante.

 

Ces mêmes arguments d'ordre juridique et humanitaire sont repris par M. de Malesherbes dans une lettre qu'il adressa au curé de Malesherbes, l'exhortant à célébrer ce mariage et dont voici la copie.

 

Voici, Monsieur, ce que je pense sur ce qui concerne votre fonction dans l'exécution de l'Arrêt du conseil du... concernant les mariages des nègres.

La loi défend aux nègres de se marier aux blancs, mais c'est à eux personnellement que cette défense est faite et non aux curés ; et la preuve que M. de Sartine n'a voulu faire aucune injustice personnelle aux curés : résultat premier de la peine annoncée par cet Arrêt qui est d'être renvoyé aux colonies, peine qui ne peut concerner que les contractants ; deuxièmement, la défense est portée par un Arrêt du Conseil ; en effet, si l'intention du roi avait été de faire défense aux curés de les marier, cette défense ne pourrait être consignée que dans une déclaration. La raison en est que suivant les lois expresses de l'Eglise et du royaume, le curé ne peut pas refuser son ministère aux fidèles de sa paroisse qui se présentent pour se marier.

Pour que la différence de couleur fût un obstacle légal, il faudrait que cela fût porté dans une loi authentique, une loi dont le curé peut exiger en justice réglée si son paroissien le somme de le marier.

L'intention du roi à cet égard est encore manifestée dans la réponse très sage que M. de Sartine a faite à M. le Curé de R... Il lui représente qu'il s'en remet à sa prudence, ce ne serait certainement pas ainsi que le Ministre s'expliquerait s'il était question d'une loi à l'exécution de laquelle le curé fût obligé.

L'affaire étant remise à la prudence du curé de procéder à la célébration en avertissant seulement son paroissien du risque qu'il court et à cet effet lui faisant connaître l'Arrêt du Conseil dont le Ministre lui a donné connaissance. C'est alors au Nègre de voir s'il en veut courir les risques... SA Majesté a voulu obvier aux mariages des nègres qui deviennent trop fréquents et pourraient à la longue influencer sur la race des hommes en France, mais en même temps, il a voulu faire réserve d'en excepter ceux qui sont dans un cas aussi favorable qu'un homme comme celui-ci qui est depuis 58 ans établi en France, n'a plus d'autre patrie et cependant veut se marier, à qui le mariage est plus nécessaire (vieillesse) qu'à un Français qui a une famille, des frères. C'est dans cette intention que par un Arrêt du Conseil dont l'exécution reste dans les mains du Ministre qui peut suivant les circonstances fermer les yeux.

Ainsi, c'est un nègre qui veut se marier et pressentir l'Intendant de la province ou le Ministre lui-même et à s'assurer qu'on ne lui fera point subir la peine de la transportation qui serait bien cruelle pour un homme de soixante ans absolument acclimaté en France....

 

Le paysan et son seigneur

Tandis que le premier groupe d’opposants aux mesures royales : grands aristocrates, grands bourgeois et membres de l’Église, multiplient les procédures et les réclamations, notamment auprès des parlements, pour adoucir ou empêcher l’application stricte desdites mesures, le second groupe se structure et développe des idées tendant à remettre en cause le principe même de l’esclavage. Rassemblée autour de personnalités de premier plan, l’association les Amis des Noirs, a comme tête de proue des militants déterminés, parmi lesquels : Lafayette, Mirabeau, La Rochefoucauld, Condorcet, Lavoisier, l’abbé Sieyès, Brissot, Benjamin Constant, madame de Staël, son fils Gustave et son gendre, le duc de Broglie… Ils sont tous menacés de mort par les représentants des grands planteurs des Antilles pour avoir exigé l’abolition de l’esclavage, et pour militer e ce sens.

L’action de l’association, la Société des Amis des Noirs, quoique moins radicale et moins pragmatique que son homologue et modèle britannique, ne fut pas sans incidence dans le débat sur l’abolition de l’esclavage. En effet, ces personnages influents relient le sort des esclaves noirs à celui de toutes ces humanités souffrantes en France : en tout premier lieu les paysans pauvres, sans terre, exploités par les seigneurs, victimes de toutes les formes d’injustices et d’inégalités sociales, accablés d’impôts, de corvées et de misères.

D’où l’idée d’abattre l’ancien système social, politique et économique, prônée par les philosophes des Lumières.

L’idée d’abolition de l’esclavage rejoint ainsi celle de l’abolition des privilèges pour la liberté, la justice et l’égalité pour tous.

Partager cet article
Repost0

commentaires