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9 avril 2017 7 09 /04 /avril /2017 07:30

LA POLICE DES NOIRS EN FRANCE AU XVIIIe SIÈCLE

SOUS LOUIS XV ET LOUIS XVI 

 

 

Comment interdire l’entrée du royaume aux Noirs et gens de couleur ?

Une remise en question inattendue

 

Une tâche difficile à laquelle se consacrent les successeurs du Roi-Soleil

La première difficulté résulte sans doute de la nouveauté de la mesure d’interdiction d’entrée et de séjour de cette catégorie de la population alors communément désignée par les termes de noirs et gens de couleur.

Une autre difficulté vient aussi de l’avantage que certains Français trouvaient dans la présence, dans le pays, de ces  noirs et gens de couleur.

Par ailleurs, cette France de la deuxième moitié du 18e siècle est aussi celle des Lumières, des philosophes, où naissent et s’épanouissent les notions de droit, justice, liberté…

Alors que les Noirs de France avaient jusque-là bénéficié de la coutume en vigueur dans le royaume depuis l’édit de Louis X le Hutin, du 3 juillet 1315, qui, après avoir rendu leur liberté aux serfs du domaine royal, interdit toute forme de servitude dans le pays, se heurtèrent soudain à une mesure contraire, leur déniant toute liberté dans ce même royaume.

Les termes de l’édit de 1315 étaient cependant sans équivoque sans son libellé :

Selon le droit de nature, chacun doit naître franc… considérant que notre royaume est dit royaume des Francs, et voulant que la chose en vérité soit accordant au nom, et que la condition des gens amande  de nous…

En termes clairs : on naît libre de par la nature ; et toute personne privée de liberté devient libre dès l’instant où elle foule le sol du pays des Francs.

 

Cette coutume ne concernait pas cependant les esclaves vivant hors du royaume, y compris ceux des colonies françaises d’outre-mer. Il suffisait cependant à un esclave voulant recouvrer sa liberté, de se rendre en métropole pour être aussitôt affranchi s’il était esclave auparavant.

 

 

Antinomie : franc et servitude

En conformité avec cette règle, Louis XIV a longtemps bataillé contre les gros planteurs de retour en France (ou en vacances) avec leurs esclaves, qui, de par la coutume ancienne du royaume, étaient déclarés libres. [Voir article de mon blog : Noirs et Africains en France sous les successeurs de Louis XIV, daté du 21 novembre 2011]

 

Louis XIV mourut en 1715. Dès l’avènement de Louis XV (Régence), le nouveau règne crée une police des Noirs en 1716 (édit de 1716), qui sera suivi de bien d’autres édits, sous ce règne et  sous celui de Louis XVI. Cet édit et les suivants durcissent la loi ainsi que la répression contre les récalcitrants, le tout culminant dans l’édit du 9 août 1777 dit Déclaration du roi. Il interdit l’entrée eu royaume à tous les gens de couleur, sauf aux domestiques, et ordonne l’expulsion de ceux qui s’y trouvent.

 

 

Déclaration du roi, 9 août 1777

Déclaration de 1777 sur le séjour des esclaves en France

Louis, par la grâce de Dieu roi de France et de Navarre : à tous, présents et à venir, salut. Par nos lettres patentes du 3 septembre dernier, nous avons ordonné qu’il serait sursis au jugement de toutes causes ou procès concernant l’état des noirs de l’un ou de l’autre sexe, que les habitants de nos colonies ont amenés avec eux en France pour leur service ; nous sommes informés aujourd’hui que le nombre des noirs s’y est tellement multiplié, par la facilité de la communication de l’Amérique avec la France, qu’on enlève journellement aux colonies cette portion d’hommes la plus nécessaire pour la culture des terres, en même temps que leur séjour dans les villes de notre royaume, surtout dans la capitale, y cause les plus grands désordres ; et, lorsqu’ils retournent dans les colonies, ils y portent l’esprit d’indépendance et d’indocilité, et y deviennent plus nuisibles qu’utiles. Il nous a donc paru qu’il était de notre sagesse de déférer aux sollicitations des habitants de nos colonies, en défendant l’entrée de notre royaume à tous les noirs. Nous voulons bien cependant ne pas priver ceux desdits habitants que leurs affaires appellent en France, du secours d’un domestique noir pour les servir pendant la traversée, à la charge toutefois que lesdits domestiques ne pourront sortir du port où ils auront été débarqués, que pour retourner dans la colonie d’où ils auront été amenés. Nous pourvoirons aussi à l’état des domestiques noirs qui sont actuellement en France. Enfin, nous concilierons, par toutes ces dispositions, le bien général de nos colonies, l’intérêt particulier de leurs habitants, et la protection que nous devons à la conservation des mœurs et du bon ordre dans notre royaume.

A ces causes, etc.

Article 1. – Faisons défenses expresses à tous nos sujets, de quelque qualité et condition qu’ils soient, mêmes à tous étrangers, d’amener dans notre royaume, après la publication et enregistrement de notre présente déclaration, aucun noir, mulâtre, ou autres gens de couleur de l’un ou de l’autre sexe, et de les y retenir à leur service ; le tout à peine de 3.000 livres d’amende, même de plus grande peine s’il y échoit.

Article 2. – Défendons pareillement, sous les mêmes peines, à tous noirs, mulâtres ou autres gens de couleur de l’un ou de l’autre sexe, qui ne serait point en service, d’entrer à l’avenir dans notre royaume, sous quelque cause et prétexte que ce soit.

Article 3. – Les noirs ou mulâtres qui auraient été amenés en France, ou qui s’y seraient introduits depuis ladite publication, seront, à la requête de nos procureurs ès sièges des amirautés, arrêtés et reconduits dans le port le plus proche, pour être ensuite rembarqués pour nos colonies, à nos frais, suivant les ordres particuliers que nous ferons expédier à cet effet.

Article 4. – Permettons néanmoins à tout habitant de nos colonies qui voudra passer en France, d’embarquer avec lui un seul noir ou mulâtre de l’un et de l’autre sexe, pour le servir pendant la traversée, à la charge de le remettre, à son arrivée dans le port, au dépôt qui sera à ce destiné par nos ordres, et y demeurer jusqu’à ce qu’il puisse être rembarqué ; enjoignons à nos procureurs des amirautés du port où lesdits noirs auraient été débarqués, de tenir la main à l’exécution de la présente disposition, et de les faire rembarquer sur le premier vaisseau qui fera voile dudit port pour la colonie de laquelle ils auront été amenés.

Article 5. – Les habitants desdites colonies, qui voudront profiter de l’exception contenue en l’article précédent, seront tenus, ainsi qu’il a toujours été d’usage dans nos colonies, de consigner la somme de 1.000 livres, argent de France, ès mains du trésorier de la colonie, qui s’en chargera en recette, et de se retirer ensuite par devers le gouverneur général ou commandant dans ladite colonie, pour en obtenir une permission qui contiendra le nom de l’habitant, celui du domestique noir ou mulâtre qu’il voudra emmener avec lui, son âge et son signalement ; dans laquelle permission la quittance de consignation sera visée, à peine de nullité, et seront lesdites permission et quittance enregistrées au greffe de l’amirauté du lieu du départ.

Article 6. – Faisons très expresses défenses à tous officiers de nos vaisseaux de recevoir à bord aucun noir ou mulâtre ou autres gens de couleur, s’ils ne leur représentent ladite permission duement enregistrée, ainsi que la quittance de consignation ; desquelles mention sera faite sur le rôle d’embarquement.

Article 7. – Défendons pareillement à tous capitaines de navire marchand de recevoir à bord aucun noir, mulâtre ou autres gens de couleur, s’ils ne leur représentent la permission enregistrée, ensemble ladite quittance de consignation, dont mention sera faite dans le rôle d’embarquement ; le tout à peine de 1.000 livres d’amende pour chaque noir ou mulâtre, et d’être interdits pendant trois ans de toutes fonctions, même du double desdites condamnations en cas de récidive ; enjoignons à nos procureurs ès sièges des amirautés du lieu de débarquement, de tenir la main à l’exécution de la présente disposition.

Article 8. – Les frais de garde desdits noirs dans le dépôt, et ceux de leur retour dans nos colonies, seront avancés par le commis du trésorier général de la marine dans le port, lequel en sera remboursé sur la somme consignée en exécution de l’article 5 ci-dessus ; et le surplus ne pourra être rendu à l’habitant, que sur le vu de l’extrait du rôle du bâtiment sur lequel le noir ou mulâtre domestique aura été rembarqué pour repasser dans les colonies, ou de son extrait mortuaire, s’il était décédé : et ne sera ladite somme passée en dépenses aux trésoriers généraux de notre marine, que sur le vu desdits extraits en bonne et due forme.

Article 9. – Ceux de nos sujets, ainsi que les étrangers, qui auront des noirs à leur service, lors de la publication et enregistrement de notre présente déclaration, seront tenus dans un mois, à compter du jour de la dite publication et enregistrement, de se présenter par devant les officiers de l’amirauté dans le ressort de laquelle ils sont domiciliés, et, s’il n’y en a pas, par devant le juge royal dudit lieu, à l’effet d’y déclarer les noms et qualités des noirs, mulâtres, ou autres gens de couleur de l’un et de l’autre sexe qui demeurent chez eux, le temps de leur débarquement, et la colonie de laquelle ils ont été exportés : voulons que, passé ledit délai, ils ne puissent retenir à leur service lesdits noirs que de leur consentement.

Article 10. – Les noirs, mulâtres, ou autres gens de couleur, qui ne seraient pas en service au moment de ladite publication, seront tenus de faire, aux greffes desdites amirautés, ou juridictions royales, et dans le même délai, une pareille déclaration de leurs noms, surnom, âge, profession, du lieu de leur naissance, et de la date de leur arrivée en France.

Article 11. – Les déclarations prescrites par les deux articles précédents seront reçues sans aucun frais, et envoyées par nos procureurs èsdit sièges, au secrétaire d’État ayant le département de la marine, pour, sur le compte qui nous en sera rendu, être par nous ordonné ce qu’il appartiendra.

Article 12. – Et attendu que la permission que nous avons accordée aux habitants de nos colonies par l’article 4 de notre présente déclaration, n’a pour objet que leur service personnel pendant la traversée, voulons que lesdits noirs, mulâtres ou autres gens de couleur demeurent, pendant leur séjour en France, et jusqu’à leur retour dans les colonies, en l’état où ils étaient lors de leur départ d’icelles, sans que ledit état puisse être changé par leurs maîtres, ou autrement.

Article 13. – Les dispositions de notre présente déclaration seront exécutées nonobstant tous édits, déclarations, règlements, ou autres à ce contraires, auxquels nous avons dérogé et dérogeons expressément.

Si donnons en mandement à nos amés et féaux conseillers, les gens tenant notre cours de parlement à Paris, etc.

Donné à Versailles, le 9 août 1777

 

Une population partagée

Pour une application stricte de la nouvelle loi, la police sévit de façon extrêmement brutale contre les Noirs et gens de couleur. Des situations et droits acquis de longue date sont remis en cause. Cette déclaration du roi décide la création de lieux de regroupement de Noirs dans des dépôts dénommés dépôts de Noirs, situés dans les ports, en vue d’expulser tous les Noirs vers les îles d’Amérique, sans aucune considération de leur pays d’origine. Ainsi, un Noir originaire de Martinique pouvait se retrouver en Guadeloupe, un Noir originaire de Madagascar en Martinique…

Le dépôt le plus important fut implanté à Brest.

Photographie, Y. Le Douget

in Annick Le Douget, Juges, Esclaves et Négriers en Basse-Bretagne, 1750-1780, l’émergence de la conscience abolitionniste.

 

 

La population est quelque peu désemparée, perplexe.

Les autorités royales, avec la police des Noirs, sont les seules engagées avec détermination et zèle dans ces opérations ; la population, elle, est désemparée, perplexe.

En effet, durant toute la période du règne de ces deux monarques, jusqu’à la Révolution qui mit fin à la police des Noirs, l’attitude de la population fut partagée, de l’étonnement à l’attentisme, puis pour  une fraction, à la résistance et à la désobéissance à la volonté royale.

Ces sentiments mêlés se retrouvent dans l’avis  du Chevalier de Boufflers, ancien gouverneur du Sénégal.

 

Chevalier de Boufflers

Stanislas Jean de Boufflers, marquis de Remiencourt, plus souvent appelé le Chevalier de Boufflers (1738-1815), poète français.

Destiné à l’Église, il refuse d’entrer dans les ordres et opte pour la carrière militaire. Il devient gouverneur du Sénégal en 1785. C’est lui qui a fait de Gorée la capitale de la colonie française du Sénégal qui le restera jusqu’en 1929.

Revenu en France en 1788, il se remet à la poésie. En 1789, envoyé aux États Généraux, à Versailles, au début de la Révolution, il s’y montre enthousiaste et fervent partisan des idées nouvelles. Mais, effrayé par le tourbillon de la Révolution, il émigre après le 10 août 1792, date de la chute de la royauté.

De retour en France en 1800, il se retire dans ses terres et se consacre à la poésie.

 

 

Des arguments caractéristiques d’une situation

Les propos du Chevalier de Boufflers pourraient se résumer ainsi : Il faut les renvoyer du royaume, mais, ils peuvent être utiles à la France.

Sa lettre adressée au responsable de la police des Noirs en 1778, commence par exposer les principales raisons qui militent contre l’introduction des Noirs sur le sol de France, avant un plaidoyer bien argumenté pour montrer le contraire.

A Monsieur le Comte

Principales raisons contre l'introduction des Nègres en France :

1°- Ils prennent en France un esprit indépendant qui devient d'un exemple dangereux et qui a de mauvaises suites à leur retour dans les colonies.

- On trouve dans ces colonies tous les moyens nécessaires pour leur donner l'éducation dont ils peuvent avoir besoin sans qu'on soit obligé de les emmener en France.

- Il faut prévenir les mariages mixtes et le mélange des couleurs.

Motifs pour faire quelques exceptions en faveur de la colonie du Sénégal :

1°- Il est en général d'une sage prévoyance de s'opposer à l'introduction des Nègres en France à cause de l'indiscipline et de l'insolence que les esclaves d'Amérique contractent dans leurs voyages et des suites fâcheuses qui en résultent à leur retour dans les colonies.

Mais, ces raisons sont absolument étrangères à la colonie du Sénégal. Si je propose de faire venir quelques Noirs pour un temps limité, ce ne sont que des habitants libres, et ce n'est que dans l'intérêt de leur donner un commencement d'éducation au service du roi et au commerce de la nation dans nos établissements sur la Côte d'Afrique. Cet objet est d'autant plus intéressant qu'il est presque impossible, dans l'état actuel des choses d'avoir dans ce pays là de bons facteurs et de bons directeurs de comptoirs. Les naturels du pays, par ignorance et leurs vices en sont absolument incapables. Les Blancs de leur côté n'y sont point propres...

- S'il existe dans les colonies d'Amérique assez de maîtres en tout genre pour former les nègres aux talents et aux métiers dont ils sont susceptibles, il n'en est pas de même dans la concession française en Afrique... A l'utilité de cette éducation se joint celle de faire prendre à ces noirs une idée de nos mœurs, de nos arts, de notre luxe, de notre politesse pour qu'une fois retournés dans leurs pays, ils y fixent les regards et l'attention de leurs compatriotes...

Les enfants qui résulteraient de la débauche qu'on prévoit, seraient assez reconnaissables pour ne tromper aucun regard et peuvent au bout de deux ans, être renvoyés dans nos colonies d'Amérique... (Archives Nationales).

 

Rien n’y fait. Les conditions d’application de la Déclaration de 1777 renforcées par celles de l’édit de 1778, ne laissent aucun répit aux personnes concernées, Louis XVI voulant une stricte application de sa volonté.

Pour les esclaves amenés à Paris, la permission délivrée par les administrateurs sera enregistrée au greffe du siège de la Table de Marbre à Paris ; il faudra indiquer d'une manière précise le métier et le maître chargé d'instruire les esclaves (article 3). Les esclaves devant apprendre un métier ne pourront être gardés plus de trois ans en France ; sinon, ils seront confisqués au profit du roi (article 6) ; "les habitants des colonies qui voudront s'établir dans notre royaume ne pourront y garder dans leurs maisons aucuns esclaves de ni l'un ni l'autre sexe, quand bien même ils n'auront pas vendu leurs habitations dans leurs colonies..."(article 7). Pour chaque Nègre non renvoyé, outre qu'il sera confisqué, le maître devra payer 1 000 livres, somme consignée d'avance pour obtenir la permission de l'emmener (article 8). Quant à ceux qui sont actuellement en France, les maîtres seront tenus d'en faire dans trois mois la déclaration au siège de l'Amirauté, en s'engageant en même temps à les renvoyer dans un an (article 9). "Les esclaves nègres qui auront été emmenés en France ne pourront s'y marier, même du consentement de leurs maîtres, nonobstant ce qui est porté par l'article 7 de notre Edit du mois d'Octobre 1716, auquel nous dérogeons quant à ce "article 10". Dans aucun cas, ni sous quelque prétexte que ce puisse être, les maîtres qui auront emmené en France des esclaves de l'un ou de l'autre sexe ne pourront les y affranchir que par testament ; et les affranchissements ainsi faits ne pourront avoir lieu qu'autant que le testateur décidera avant l'expiration des délais dans lesquels les esclaves emmenés en France doivent être renvoyés dans les colonies (article 11). Enfin, il est prescrit d'élever les esclaves dans la religion catholique, apostolique et romaine. (Archives Nationales).

 

 

Les Indésirables

Les méthodes et moyens utilisés à la fois contre les Noirs et gens de couleur et contre les Français réfractaires ou militants actifs opposés à la volonté royale, sont de plus en plus nombreux et considérablement durcis.

Parmi les moyens utilisés : la pression chaque jour plus accrue contre les Français qui contestent la loi d’expulsion : aristocrates, marins établis, parlements, surtout le Parlement de Paris et celui de Bretagne, membres de l’Église : prêtres, curés…

Le comptage des Noirs fut aussi un de ces moyens. Obligation était faite à chaque localité ou ville de donner le nombre de Noirs qui y résidaient, avec indication de l’identité, sexe, âge, adresse…Très souvent, les chiffres fournis par les habitants étaient considérablement minorés. Certains s’y refusaient, s’exposant ainsi aux sanctions encourus.

L’Église se trouvait parfois face à des situations des plus cocasses : une des raisons principales de son entrée en dissidence par rapport à la volonté royale, fut l’interdiction du mariage entre des Noirs entre eux, et entre Noirs et Blancs.

En effet, une ordonnance du roi datée du 5 avril 1778, complétant la Déclaration de 1777, précise :

Sont interdits les mariages entre Noirs et Blancs et il est fait défense à tous notaires de passer aucun contrat de mariage entre eux, et tout curé de célébrer ou bénir ces mariages, à peine d’amende.

À cet égard, les propos résignés d’un curé, frustré après s’être heurté à la rigueur de la loi et avoir de ce fait renoncé au mariage qu’il s’apprêtait à célébrer, sont significatifs de l’impuissance de l’Église face à la volonté royale.

Monsieur et cher confrère.

Tout considéré, je ne puis me déterminer à passer outre pour le mariage de M. Domingue et je suis au désespoir de ne pouvoir effectuer la promesse que j'ai faite avec bien de la peine à M. de Malesherbes que je respecte et honore infiniment : ce serait aller directement contre les intentions de SA Majesté et contrairement à l'Arrêt de son Conseil ; ce n'est point à moi d'appliquer la loi, mais de m'y conformer à la lettre ; je suis vrai, j'aime la paix, je ne veux point d'embarras et je crains de me compromettre ; d'ailleurs mes amis et même mes confrères ne me le conseillent pas.

[…]

       Curé de Rumont

 

[Malesherbes : le seigneur qui avait sollicité le curé pour le mariage de Domingue, le Noir à son service]

 

Par ailleurs, l’objectif visé par la décision royale étant de vider le royaume de toute présence de Noirs, la surveillance constante, la traque permanente, et l’expulsion de toute femme noire enceinte vers les colonies, devient un volet important de l’action de la police des Noirs.

 

Malgré tout quelques Français sont partisans des mesures édictées contre les Noirs, et font preuve de zèle pour les défendre.

Ce sont d’abord des travailleurs blancs qu’inquiète le nombre croissant de Noirs sur le marché du travail. Quelques affrontements ou troubles sont signalés dans des villes, comme à Bordeaux où ce genre d’affrontement semble avoir connu un développement important. (Archives municipales de Bordeaux).

Parmi les soutiens des nouvelles mesures, on compte également, d’après les Archives de la ville de Paris, des femmes blanches des maisons closes, qui protestaient contre la concurrence des femmes noires.  Elles réclamaient bruyamment le renvoi de ces dernières aux colonies, parce qu’elles nuisaient à leur commerce.

Quelques années plus tard, lorsque la Convention décréta l’abolition de l’esclavage, des femmes s’écrièrent sur la place du marché à Paris : Ma foi, on nous fout de belles sœurs noires, nous ne pouvons  jamais vivre avec des femmes comme cela.(Cohen B. William, Français et Africains, Les Noirs dans le regard des Blancs, Gallimard, Paris, 1981).

 

Cependant, en définitive, les mesures royales incarnées par la police des Noirs, n’atteignirent jamais leur objectif, à la mesure de la volonté du roi ; jamais les autorités ne prirent le dessus en ce domaine.

 

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commentaires

G
Vous procédez à une lourde confusion. Il ne s'agit pas d'une création de police au sens commun actuel (troupe, corps, bureau), mais dans ce cas de l'édit d'une règlementation de restriction de la circulation et de la déclaration obligatoire des noirs sur certains territoires ("police" au sens de règles, comme police de typographie, ou être policé)
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Je vous remercie pour votre commentaire. Mais avez-vous lu l’article dans sa totalité ? On parle de la « police » du 18e siècle, terme employé comme tel à cette époque. Ne pas confondre non plus « police des noirs » du 18e siècle et « Code noir » sous Louis XIV, initié par Colbert. <br /> <br /> De quoi s’agit-il ?<br /> Bien entendu, il ne s’agit pas d’une police montée, armée de matraques et d’armes pourchassant les Noirs dans les villes et villages de France sous l’Ancien régime, mais d’une législation spécifique, élaborée sous les règnes de Louis XV et Louis XVI, après la mort de Louis XIV.<br /> C’est sous Louis XVI, et par la volonté de ce roi, que la législation connut sa forme définitive, la plus élaborée en 1773. <br /> [Voir aux Archives nationales les références suivantes : <br /> -Déclaration de 1777 sur le séjour des esclaves en France, (9 août).<br /> -Déclaration pour la police des noirs enregistrée au Parlement de Paris, le 24 août 1777.]<br /> <br /> Cette Déclaration fixe les objectifs et les méthodes de cette police spécifique dont la raison d’être est l’interdiction de la présence et du séjour de Noirs et des « sang-mêlé » sur le sol de la métropole.<br /> Cette catégorie de population étant de ce fait, interdite (sauf dérogation expresse obtenue du roi par les propriétaires d’esclaves noirs désirant rejoindre la métropole pour des raisons précises.<br /> L’obtention de cette dérogation pour le séjour de Noirs en métropole précisait un délai fixé, à ne pas dépasser sous peine de perdre ses esclaves noirs, alors acheminés vers les lieux de détention appelés « Dépôt de Noirs ».<br /> Pour l’essentiel de l’existence et de l’action de la police des Noirs, voir les documents dont la consultation s’impose à tout chercheur désirant se faire une idée précise de cette législation sur les Noirs dans le royaume de France de Louis XV à Louis XVI (la Police des Noirs fut supprimée par la Révolution française de 1789).<br /> Le plus complet des documents sur la législation de la Police des Noirs peut être consulté :<br /> -Archives nationales, Fichier Isambert-Déclaration, 27 août 1777.<br /> -Archives nationales, Déclaration 27 août 1777. Recueil général des anciennes lois françaises : T25 : PNG.<br /> <br /> Ces documents en dépôt aux Archives nationales (Paris) peuvent être avantageusement complétés par une consultation des Archives départementales du Finistère.<br /> De même les archives municipales de Brest sont une source de documentation bibliographique intéressante. (La ville de Brest ayant été abrité le plus grand Dépôt de Noirs du royaume, d’où la richesse de ces documents et écrits sur ce sujet). T.D.<br /> <br />
E
Petite rectification, la Déclaration du Roi date du 9 août 1777, et non du 9 juillet. :)
Répondre
Merci pour votre vigilance. TD