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23 octobre 2016 7 23 /10 /octobre /2016 07:16

COLONEL MANGIN, LE PÈRE DE LA « FORCE NOIRE »

Les Noirs dans l’armée française, le combat acharné d’un utopiste à la fin du 19e siècle

 

 

Charles Mangin (1866-1925)

Charles Mangin, général français de la Première Guerre mondiale, né à Sarrebourg, est marqué par la défaite de 1870, qui voit le rattachement de l’Alsace-Lorraine à l’Empire allemand. Ses parents, ne voulant pas être sujets allemands, choisissent de rester français et quittent leur terre natale. Le jeune Charles a 4 ans. Après une formation militaire à Saint-Cyr, il choisit la carrière militaire. Officier, il participe activement aux campagnes de conquêtes en Afrique, entre autres au Soudan (Mali actuel), sous le commandement du général Louis Archinard, qui a permis la pénétration française dans ce territoire. À ce titre, Archinard est considéré comme le fondateur de la colonie du Soudan français.

Mangin s’illustre brillamment dans cette campagne où il se fait remarquer. Il participe aussi à la Mission Congo-Nil (1898-1903) connue sous le nom de Mission Marchand, où il se fait aussi remarquer pour ses qualités militaires, mais il est meurtri par l’épisode de Fachoda.

Charles Mangin participe ensuite à la conquête du Maroc, sous les ordres de Lyautey. Considéré comme l’acteur principal de la conquête de ce pays (1907-1912), après la prise de Marrakech, il est nommé colonel, puis, à la veille de la guerre, en 1913, promu général de brigade. Il jouera ensuite un rôle éminent dans les opérations de la guerre, de 1914 à 1918.

 

Un homme inspiré par la guerre et l’Afrique, mais surtout obsédé par l’avenir de la France

Cependant, ce ne sont pas ses titres chèrement conquis au front qui le feront entrer dans l’histoire, mais  une initiative originale, voire saugrenue pour l’époque, surtout audacieuse : il prône l’engagement de soldats noirs au sein de l’armée française ! Il essuie bien des salves et des quolibets, mais il n’en démord pas, et pour le faire savoir, il publie un livre bien argumenté dont le contenu apparaît d’une singularité audacieuse : La Force Noire.

Ce livre, publié en 1910, résume le combat idéologique de sa vie de militaire et de citoyen.

Si des troupes noires avaient combattu pour la France jusque-là dans les colonies, jamais elles n’avaient été engagées en France et en Europe.

Pourquoi ce livre, pourquoi cette idée inattendue ?

Un certain nombre de commentaires furent faits à cet égard, mais sans l’avis de l’intéressé. De tous, le plus connu et commenté, mais aussi le plus retenu, est celui d’une personnalité publique de haut rang de l’époque, Adolphe Messimy.

Adolphe Messimy (1869-1935)

Comme Charles Mangin, Adolphe Messimy sort de l’école militaire de Saint-Cyr. Il embrasse la carrière militaire, mais à la différence de Mangin, il quitte l’armée pour se consacrer à la politique.

D’abord député, puis successivement ministre des Colonies et ministre de la guerre (1911-1912 et en 1914), c’est lui qui œuvre pour le changement de la tenue (rouge) des soldats français au début de la guerre. C’est également lui qui impose Joffre à la tête du commandement français.

Que dit le député Messimy en 1910 quand sort le livre de Mangin, La Force Noire ?

« L’Afrique nous a coûté des monceaux d’or, des milliers de soldats et des flots de sang, elle doit nous le rendre avec usure. », pour justifier la participation des Africains à la guerre de défense de la mère-patrie.

D’autres que Messimy ont développé abondamment la même thèse.

Autrement dit, l’Afrique doit payer sa conquête par la France.

Certes. Sauf qu’à ma connaissance, l’Afrique n’a jamais demandé à la France d’aller la combattre pour la coloniser et la dominer. Et d’autre part, ces guerres de conquêtes coûtèrent des vies françaises, mais bien plus encore de vies africaines.

Par ailleurs, je doute fort que ce soit là, la philosophie qui ait inspiré l’auteur de La Force Noire.

 

Qu’en pense-t-il ?

Mangin semble préoccupé par deux visions essentiellement :

La situation présente et à venir de la France, une guerre contre l’Allemagne paraissant inéluctable en 1910.

La qualité selon lui (réelle ou supposée) des soldats noirs (selon l’expérience qu’il a lui-même acquise des conquêtes coloniales…).

Combattants noirs

Des combattants noirs en métropole ?

Tollé ! Expression d’une indignation à peine contenue.

Quelle était la situation précise de la France, telle que la voyait le lieutenant-colonel Mangin, et qui est à l’origine de son livre ?

Tout d’abord, l’argument nataliste. Selon lui, en cette fin de 19e siècle, la France « s’enfonce dans un déclin démographique alarmant, sans précédent, quand l’Allemagne présente une démographie rayonnante. »

Pour lui « la "race française", affaiblie par la diffusion du "bien-être" et de l’ensemble des idées démocratiques, a besoin d’une régénération des valeurs familiales ».

En attendant cette régénération en métropole, « il faudra utiliser les ressources militaires de nos colonies ». Et, pour cela, « c’est vers l’Afrique noire qu’il faut se tourner, plus peuplée que l’Afrique du Nord musulmane, l’Arabe étant par ailleurs, le plus ingouvernable de tous les peuples ».

Mangin ne tarit pas d’éloges sur les combattants noirs. « Ils ont servi sous les ordres de Bonaparte en Égypte et en Italie… Ils ont une confiance inébranlable en leurs chefs, leur profond sentiment de la discipline, leur stoïcisme… leur résistance  à toutes les privations… ».

Enfin, pour lui, « le métier militaire est bien la seule situation coloniale où le Noir est réellement l’égal du Blanc ».

Pourquoi encore le Noir ?

« On peut en faire un fantassin, un cavalier, un méhariste, un canonnier conducteur, un soldat du train, un sapeur du génie, un ouvrier d’artillerie ou d’administration, un matelot de pont ou de rivière, un chauffeur-mécanicien, aussi bien dans la machine d’un bateau que sur une locomotive. ».

« Surtout, affirme-t-il, l’Afrique noire est un réservoir inépuisable de soldats et de ressources. » Ces arguments font-ils cependant l’unanimité autour de La Force Noire ?

Qui est pour ?

Peu de monde en réalité. Beaucoup y sont opposés, de tous milieux et de toutes tendances politiques. Beaucoup de sceptiques également, aussi bien parmi les civils que parmi les militaires.

Mais, Mangin et ses thèses sont soutenus par un petit groupe de militaires surnommés les « Soudanais », ce sont des amis fidèles des conquêtes coloniales : Archinard, Marchand, parmi les plus illustres.

Et parmi les hommes politiques, un soutien de poids en la personne d’Alexandre Millerand, devenu ministre de la Guerre en 1912-1915, futur président de la République.

Qui est contre ?

Les opposants à l’idée de Mangin sont les plus nombreux.

Parmi eux, les plus véhéments sont les Français des colonies, administrateurs et membres du privé, commerçants… qui redoutent, les uns, le risque de révolte parmi les indigènes, les autres, le départ au front, en métropole, qui les priverait de leurs employés formés.

Au cours d’un débat public sur le sujet, Jean Jaurès, s’adressant à Mangin au nom de son parti, déclare :

« Vous vous préparez à appeler jusqu’à 120 000 hommes, convoqués des profondeurs de l’Afrique… Dire à la nation française : "tu baisses, ta natalité diminue, tes forces déclinent, et tu seras demain, sur les champs de bataille, la proie du vainqueur germain si tu n’appelles pas à la rescousse 100 ou 120 000 Noirs ; dire cela, c’est proclamer la faillite de la force militaire de la France et nous, nous ne voulons pas la proclamer." »

Et l’Allemagne ?

Les Allemands sont furieux.

L’épouvante créée en Allemagne, à la seule idée de l’arrivée de troupes noires en Europe, dans les rangs de l’armée française, donne lieu à une vigoureuse protestation, et à un battage médiatique sans précédent dans le pays, qui persisteront bien après le déclenchement de la guerre.

Ainsi, en juillet 1915, l’Auswärtiges Amt (Ministère des Affaires étrangères), publie une note au sujet de « l’emploi contraire au droit, par la France, de troupes de couleur sur le théâtre de la guerre en Europe ». Cette note invoque les « lois de la guerre, et explique que Berlin se voyait obligé d’élever la plus solennelle protestation… contre la mise en campagne… de troupes dont la brutalité et la cruauté constituaient une honte pour la conduite de la guerre au 20e siècle ».

La note est ensuite envoyée par Berlin aux États-Unis, où elle est largement diffusée ; comme si l’Allemagne voulait prendre les Américains à témoin.

 

Mais engagée en 1914, dans une guerre combien dévoreuse de vies humaines, et devenue une guerre industrielle, une guerre de ressources, les idées du général Mangin finissent par s’imposer. L’état major s’inquiète du déficit de combattants et réclame des recrues et les moyens indispensables à la poursuite de la guerre.

L’Afrique, ses hommes et ses ressources, apparaissent comme incontournables. Et c’est l’Appel officiel de la République à l’Afrique !

 

Le triomphe de Mangin

Ils arrivent!

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