Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Recherche

17 février 2019 7 17 /02 /février /2019 09:15

L’Afrique partagée (1885)

L’IMMIGRATION AFRICAINE EN FRANCE : MUTATION DU VOCABULAIRE ET DU REGARD (3)

Les victimes collatérales de la « marée noire »

(Note : « marée noire » : vague importante de migrants en provenance d’Afrique noire)

La marée noire, facteur de « désintégration » massive ?
    Ceux d’avant et ceux d’après

La marée noire apparaît comme un melting-pot puissant, implacable, qui broie, nivelle individualités et conditions (conditions sociales, conditions de vie) des Africains installés de longue date en France (qui y ont fait leur vie en parfaite harmonie avec les autochtones), et arrivants fraîchement débarqués des navires de fortune. Tous sont désormais des chats gris, du moins dans le regard de nombre de Français.
Aucun discernement entre l’ancien et le nouveau, le connu et l’inconnu, y compris entre le bon grain et l’ivraie. Un chat gris est un chat gris. C’est si commode, parce que si reposant pour l’esprit.
La marée noire a donc cette faculté exceptionnelle d’agir sur le jugement et la mémoire de nombre d’autochtones, de dissoudre ainsi des amitiés anciennes, parfois vieilles de 10, 20 ans ou davantage.
Les lendemains et surlendemains de fortes « marées noires » sont propices à l’observation de ces mutations dans les relations entre vieux amis. La distance apparaît aussitôt dans le regard et les attitudes.

De vieux collègues avec lesquels on a communié, il y a peu, dans la passion du métier, ne vous reconnaissent plus. Si quelques téméraires souhaitent malgré tout conserver les liens anciens avec leur ami, devenu « chat gris », quelques précautions élémentaires s’imposent désormais afin d’éviter les regards indiscrets ou malveillants. Plusieurs choix s’offrent, parmi lesquels le téléphone (de préférence les SMS), car, en ces temps nouveaux, il ne sied pas de s’afficher avec un « migrant ». Il faut un minimum de discrétion. Les soirées animées autour du verre de l’amitié appartiennent désormais au passé.
Cette froideur des relations anciennes est aussi constatée chez son kiné ou son coiffeur habituel. Ils ont dorénavant le « bonjour » triste, le regard éteint. Ce qui n’incite guère à l’échange confiant et convivial d’antan. L’heure est désormais au masque, à la retenue contrainte de toute manifestation de franche cordialité, de spontanéité. C’est un peu triste, mais que faire ?

Et pourtant, que de choses à dire !
    Que de chose à partager ?

Comment intégrer, comment insérer ceux qui viennent d’ailleurs et qui ont choisi la France ?

Intégrer ou insérer ceux qui souhaitent vivre en France avec les Français apparaît non seulement comme une nécessité, mais surtout comme une obligation absolue, qui exige une disponibilité d’esprit et de cœur de ceux qui reçoivent. 0n n’intègre pas, le regard fermé, la tête baissée.
La première obligation, c’est l’apprentissage de la langue. Le migrant doit se plier à cette discipline qui ne doit rien avoir de facultatif.
L’apprentissage de la langue doit être accompagné d’une forte incitation à la parler en public, dans les lieux de contact avec les autochtones, transports en commun, spectacles… C’est la condition pour connaître le pays, ses habitants, son histoire, ses us et coutumes. C’est aussi le meilleur moyen de se faire connaître et se faire comprendre. Cet apprentissage doit comporter un volet important concernant les règles de civilité, de bienséance en usage dans le pays d’accueil.

Un problème insoluble ?

« L'immigration constitue et constituera de plus en plus pour des peuples entiers une stratégie de survie. Elle est désormais liée à la mondialisation et à ses conséquences et ne peut de ce fait être traitée de façon isolée et indépendante d'autres aspects de ce phénomène. Elle est pour une bonne part liée à l'état du monde. Trois facteurs comptent dorénavant comme sources génératrices de flux migratoires : la persistance de guerres dans certaines régions du globe, le manque de démocratie dans une fraction importante des États du monde, enfin le décalage grandissant de niveau économique entre Nord et Sud. Les pauvres dans ce monde sont de plus en plus pauvres et de plus en plus nombreux ; ils entendent ne pas demeurer éternellement pauvres et miséreux. Que faire ? »

Initier les nouveaux arrivants à la France, à sa culture, à son histoire, c’est une autre condition de l’intégration réussie. Mais avant tout, il faut connaître la France, sa spécificité parmi les autres nations d’Europe et du monde.

Qu’est-ce que la France ?
    La France dans le monde ?

« La France n'est ni une simple province du monde, ni un simple quartier du village planétaire. La France, c'est le monde, par la géographie, l'histoire, la culture, par l'impact du génie français sur l'Univers tout entier. La première raison de cet universalisme est sans doute géographique. L'espace national français couvre le monde entier. Cette présence planétaire lui confère le troisième espace maritime mondial ainsi que le bénéfice d'une diversité climatique unique : tous les types de climat, tous les types de flore et de faune. Une telle position l'associe implicitement à la gestion et à la coresponsabilité du monde, liant son sort à celui du reste de la planète. Sa langue est en conséquence l'une des langues internationales après avoir été la première langue de la diplomatie et de la culture pendant plus de trois siècles, jusqu'au traité de Versailles en 1919 ; 180 millions de personnes vivant pour la plupart dans d'anciennes colonies françaises l'utilisent quotidiennement et prioritairement. La Fiance a inventé des formes originales de liens politiques avec des pays d'Afrique et les Etats francophones du monde, matérialisées par les institutions des sommets France-Afrique et la Francophonie. La France maintient en permanence des troupes sur le continent africain (5000 soldats).
Elle possède le quatrième commerce extérieur du globe et occupe la troisième place pour les investissements dans le monde. Elle est en retour le troisième pays d'accueil pour les investissements étrangers. Les entreprises françaises détiennent une participation dans plus de 16 000 entreprises dans le monde ; ces filiales emploient 2 550 000 salariés. Un Français sur quatre est concerné par les activités de la France avec l'étranger. Cette diversité française unique en Europe et dans le monde fait de la France le pays le plus visité au monde avec en moyenne 70 millions de touristes par an, loin devant les Etats-Unis.
La deuxième raison qui identifie la France au monde est historique au sens large, au-delà de l'histoire de la colonisation ; elle est aussi culturelle et scientifique. Qu'est-ce qui différencie fondamentalement la France des autres nations d'Europe et du monde ? Les valeurs fondatrices de la société française et de la République mettent en avant ce qui unit les hommes et les élève vers plus d'humanité. »

La France et ses valeurs fondamentales : liberté, égalité, fraternité, laïcité

Dans cette initiation de l’étranger, quel que soit son pays d’origine, quelle que soit sa culture initiale d’appartenance (dont il n’est nullement obligé de se défaire, mais, qui ne doit en aucune manière s’opposer à la connaissance ou l’acquisition, surtout au respect de celle du pays d’accueil), l’étude systématique et approfondie des valeurs de la République est primordiale.
La France fait partie des principales puissances colonisatrices du 19e siècle Elle a possédé un empire colonial important en Afrique et ailleurs sur la planète. Cette extension sur le monde fait partie de son histoire.

Grandeur et servitude

« La France a toujours su ouvrir la voie et guider. Cette colonisation qui n'a pas tenu toutes ses promesses, ses plaies mal cicatrisées ne doivent pas faire douter des capacités de la France. Elle a les ressources pour régénérer le monde. Un pays doit s'ouvrir ou se fermer. Le destin de la France, c'est l'ouverture. Son passé d'héritière des Lumières ainsi que de 1789, celui de promoteur de la démocratie universelle, l'autorise à initier et conduire à l'aube de ce troisième millénaire la nouvelle croisade pour la paix des hommes sur une planète assainie. La France doit œuvrer à l'avènement d'une nouvelle conscience citoyenne planétaire qui pourrait s'inscrire autour de trois axes fondamentaux :

-Démocratiser la vie internationale.

-Humaniser la mondialisation.

-Protéger et sauvegarder la qualité de l'environnement.

Si l'histoire lui fournit la légitimité d'une telle mission, la géographie lui en trace la voie. Carrefour de l'Europe et du Monde par sa présence sur tous les continents grâce à ses possessions d'outre-mer et sa langue, la France est de droit qualifiée pour parler le langage de l'universel. C'est sa grandeur et sa servitude. Elle ne peut s'y dérober. Les étrangers sur son sol, ressortissants de toutes les régions de la planète qui sont en situation irrégulière et qui choisissent de se mettre en travers des lois de la République ou qui manifestent la volonté évidente de nuire à la paix du pays et à la tranquillité des Français doivent être priés d'aller ailleurs. Mais la fermeture des frontières ne doit en aucun cas déboucher sur la fermeture des esprits et des cœurs dont la xénophobie, le racisme et le réflexe anti-l'autre sont une des manifestations car la France, c'est la France. L'Allemagne peut fermer ses frontières et s'en trouver fort bien, peut-être. L'Espagne ou le Danemark peuvent fermer leurs frontières et s'estimer heureux, sans doute... La France, en fermant ses frontières enferme sa civilisation, arrête son rayonnement et trahit son destin. L'immense capital d'amour, de respect et de confiance innée dont elle jouit à l'étranger et presque partout dans le monde doit être préservé quelle que soit par ailleurs la difficulté des temps et de la tâche. »
                                                                                                               (Voir Tidiane Diakité, France que fais-tu de ta République ?, L’Harmattan, Paris, 2004)

La France n’est elle-même que quand elle parle le langage de l’Universel. Ses valeurs sont sa meilleure arme et son meilleur bouclier.

 

Partager cet article
Repost0
10 février 2019 7 10 /02 /février /2019 08:57

L’Afrique partagée (1885)

L’IMMIGRATION AFRICAINE EN FRANCE : MUTATION DU VOCABULAIRE ET DU REGARD (2)

Au pays de « nos ancêtres les Gaulois »
Quand la« marée noire » est là !
Tous les chats sont gris

La mutation du vocabulaire et du regard

Bref aperçu historique

Des Trente Glorieuses à nos jours, quoi de neuf pour les immigrés africains en France ?
Les immigrés africains anciens et nouveaux, tous gris, désormais uniformes : le nivellement.
Il échappe à beaucoup qu’il y a autant d’immigrés que d’histoires, de personnalités, de regards, que différence ne signifie pas hiérarchie, de même que couleur de peau ne signifie pas uniformité.
Par ailleurs, un  immigré (migrant !), fût-il étranger, a aussi sa part d’humanité.

Dès la fin des Trente Glorieuses, vers 1974-1975, s’opère un changement radical dans les conditions d’’entrée en France des ressortissants d’Afrique.
Avant cette date, pour un ressortissant de l’Afrique française (ex-colonies), une simple carte d’identité valide suffisait pour entrer en France, y compris par avion.
À partir des années 1975-1980, un passeport, signé par les autorités du pays de départ suffisait pour se rendre en France.
Mais de puis les années-1980-1990, le passeport doit obligatoirement comporter le visa de l’ambassade de France.

Des conditions d’accès nouvelles. Un vocabulaire et un regard nouveaux

Toute une mutation du vocabulaire suit :

-l’immigré devient le migrant, le réfugié, l’exilé, le clandestin, indésirable, suspect (qui doit baisser le front et raser les murs).
Ainsi réduit à la clandestinité, même parfois avec des papiers en règle, et faisant preuve d’une conduite à tout point irréprochable, avec une conscience aiguë du respect des règles du pays d’accueil, le migrant est suspect, car dans l’imaginaire de beaucoup, il est  chargé  de tous les maux et de toutes les tares.
Si la chance lui sourit, il devient « l’indésirable utile », voué aux tâches les moins gratifiantes, taillable et corvéable à merci, sans droits ni recours.
Cela étant, objectivement, aucun pays ne peut être contraint d’accueillir sur son sol, ceux qu’il ne veut ou ne peut pas recevoir (à l’exception de quelques cas spécifiques, généralement définis par les instances internationales), depuis que les frontières (au sens moderne du terme) existent. C’est précisément une des fonctions de la frontière physique depuis le Moyen Age.
Telle est la loi que tout migrant devrait avoir assimilée.

Faut-il forcer ces frontières malgré tout ? C’est-à-dire, les franchir sans l’accord du pays de destination ?
Chaque pays reçoit ou non des migrants selon son histoire, ses réalités et ses critères propres. Cela fait partie de ses prérogatives de souveraineté.

Collection L'Inacceptable

« La collection "L'Inacceptable" s'ouvre à celles et ceux, oiseaux aux plumes froissées, qui veulent dénoncer et contribuer à combattre la sauvagerie ordinaire du peuple de la Terre, celui-là même que l'on dit civilisé.

Pratiques odieuses, irresponsables, imbéciles, devenues normales et acceptables, barbarie érigée en dogmes... l'homme sait justifier l'injustifiable. L'Humain se doit de ne pas l'accepter.

Ouvrir les yeux et dire non.

Vaincre toutes les formes de dictatures, les manipulations, le non-respect du vivant, l'ignorance et la lâcheté ordinaires.

Donner à voir, hausser les consciences individuelles et collectives, c'est ce à quoi, humblement, mais avec détermination, cette collection voudrait contribuer.

Ouvrons les yeux.

Osons croire que le meilleur est à venir.

Rêvons, en pleine conscience, et ... Espérons en demain. »

Note de l’éditeur
« Si ce livre entre dans la collection "L'Inacceptable", ce n'est pas que l'immigration soit en elle-même... inacceptable, ceci est une évidence.

Ce qui nous fait l'intégrer, à côté de livres axés sur des pratiques à nos yeux inacceptables, c'est le traitement imposé à certains humains dans l'irrespect le plus total des Droits de l'Homme.

L'immigration et l'intégration sont des questions difficiles et complexes et il est illusoire de croire en des solutions toutes faites.

D'une part, les accueillants et les accueillis ont tous des droits et des devoirs les uns envers les autres, d'autre part il existe des limites imposées par l'économie, la politique et le social.

"L'Inacceptable" se situe ici dans le non-respect de l'autre, quand les notions de partage, de justice et de morale sont bafouées par des intérêts triviaux dans une relation dominant-dominé. »

« Des Africains en France ? Oui, mais des sujets français, des indigènes

La Première Guerre mondiale ouvrit la porte de la France aux Africains qui arrivèrent massivement pour la première fois sur le sol français. Ce fut l'occasion pour un grand nombre de Français de voir de près des Africains et de découvrir que la France avait un Empire colonial des plus vastes qui s'étendait sur tous les continents : Afrique, Amérique, Asie, Océanie et que, dans ce vaste Empire vivaient des Noirs, des Jaunes, des Arabes.
Mais, il existait aussi des soldats coloniaux dans l'armée française bien avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale : un corps spécial, les "tirailleurs" noirs de l'armée (les tirailleurs - fantassins - indigènes algériens existaient depuis 1842). Les premières unités de soldats noirs furent créées au Sénégal dès 1857 par le gouverneur Louis Faidherbe. D'autres unités furent par la suite formées dans d'autres territoires d'Afrique noire. En 1900, toutes ces unités de soldats noirs de l'armée française furent incorporées dans l'armée coloniale sous la même appellation de "tirailleurs sénégalais", même si les soldats qui composaient ce corps étaient issus d'autres territoires que le Sénégal, c’était la majorité.
Avant d'être utilisées en Europe, ces troupes noires ont participé à toutes les guerres de conquêtes coloniales du
XIXe siècle dont elles étaient le fer de lance, encadrées par des soldats français. »

Tirailleur sénégalais

« Et aujourd'hui ? Pourquoi la France malgré tout ?

"Nos ancêtres les Gaulois"

L'utilisation de la main-d'œuvre issue des colonies en temps de guerre n'avait rien de conjoncturel. Elle se poursuivit après le Second Conflit mondial. Seules les modalités s'adaptèrent aux évolutions économiques, institutionnelles et politiques.
Dès 1941-1942, l'emploi de cette main-d'œuvre spécifique fut la règle aussi bien en zone libre qu'en zone occupée. Les Indochinois et les Nord-africains furent particulièrement utilisés mais aussi les travailleurs issus de l'AOF et AEF. Pendant toute la durée de la guerre et les années qui suivirent la Libération, leur utilisation fut aussi nécessaire que strictement réglementée. Les Archives départementales d’Ille et Vilaine (entre autres), recèlent de nombreux documents émanant aussi bien de l' "État français" que du gouvernement de la IV
e République ,précisant avec vigilance et minutie les modalités de l'emploi de la main-d'œuvre venue des colonies.
Il est stipulé dans un document du même ordre daté du 7 juin 1943 émanant du Ministère d'État au Travail adressé aux Préfets régionaux et départementaux et concernant l'emploi de "
travailleurs indigènes indochinois", que "ces indigènes ne seraient pas inquiétés dans le cas où ils seraient trouvés porteurs d'un contrat de travail pour l'Allemagne ou travaillant dans une entreprise allemande". »

Tirailleur sénégalais

Et l’école française d’Afrique ?

« Si les indépendances instaurent des nations et des nationalités africaines, le passé n'est pas aboli pour autant, il s'incruste profondément et durablement dans les esprits et dans les cœurs. De ce point de vue, la colonisation française est loin d'être une simple parenthèse sans lendemain. Avant les députés, les ministres africains, les soldats et les travailleurs africains en France, il y eut surtout l'école.

 

Au commencement était l'école.

Il est un fait qu'il ne faut ni nier ni oublier et dont l'impact est immense. C'est qu'en toute chose, dans l'enseignement dispensé au sein de ces écoles de "seconde catégorie", celles des petits Africains, les Français apparaissaient comme le "modèle" par excellence, modèle à suivre aussi bien pour la langue (qui avait le suprême avantage d'être une langue écrite) que la culture, la science, la technique... De plus, la France apparaissait surtout comme la bienfaitrice universelle de ses colonies. Toute cette idéologie coloniale étant véhiculée par les manuels, les images, les symboles, mais aussi les chants scolaires.

Or, les souvenirs ne meurent pas, ils dorment.

Ces chants, peu à peu, se substituaient dans les têtes et dans les cœurs aux berceuses des mamans africaines, chants et images qui imprégnèrent fortement les jeunes esprits africains.

Ce sont là quelques mobiles occultés, refoulés, de l'immigration africaine en France.

 

Émigrer, c'est partir pour être. Partir est à la fois une culture et une nécessité. Le retour parmi les siens confère respect et considération. A ces traits culturels anciens se sont superposées d'autres motivations. La première est sans aucun doute l'émergence, au lendemain des indépendances africaines, de régimes dictatoriaux qui incitent au départ. Ensuite, les difficultés économiques génératrices de pauvreté et de misère sont une autre motivation. Aujourd'hui, c'est donc essentiellement le besoin de sécurité qui met les hommes en mouvement : sécurité économique, morale, politique.

A force d'entendre parler de leurs ancêtres les Gaulois, les Africains ont envie d'aller voir à quoi ressemblent ces ancêtres. Cette boutade d'un sociologue ghanéen est riche de sens et de sous-entendus. Qu'est-ce qui peut donc bien attirer ces étrangers immigrants ressortissants des anciennes colonies d'Afrique en ce début de XXIe siècle en France où on leur signifie qu'ils n'y sont pas attendus ? Ce qui les y attire est certainement la conséquence de l'arrivée chez eux de certains étrangers à une période de leur histoire des siècles plus tôt, tout particulièrement de la deuxième moitié du XIXe au milieu du XXe siècle. Dans ce flux d'anciens colonisés vers la France, deux phases se distinguent nettement à l'analyse des motivations. "France" a été et reste pour ces anciens colonisés ou leurs descendants le mot magique qui leur chante dans la tête, avant comme après les indépendances africaines, et qui ne peut donc laisser indifférent. Aller en France pour pouvoir ensuite dire un jour "je suis allé en France" constitue en soi, encore de nos jours, pour beaucoup, un objectif. Cette magie du mot "France" envoûte littéralement et met l'esprit en transe. Aller en France ou être allé en France force le respect et l'admiration. C'est une carte de visite équivalant à un passeport qui ouvre l'accès à un échelon social supérieur. »

« "Quand un enfant entend parler à l'école de nos ancêtres les Gaulois,  il entre dans un monde culturel aliénant par rapport à sa propre culture. On lui parle de la Reine d'Angleterre et on lui apprend davantage sur les Gaulois que sur sa propre ethnie. Ses aspirations le poussent vers l'Occident... L'Occident tire avantage de cette aliénation culturelle. Pourquoi les produits de l'Hexagone sont-ils si présents dans les anciennes colonies françaises ? s'interroge l’auteur de l’article. Question à laquelle il répond : en raison de l'identification des Africains à la culture d'origine de ces marchandises. Et de poursuivre : l'Occident ne peut à la fois accepter les avantages de cette aliénation (l'exportation de sa culture et de ses produits) et en refuser les inconvénients, l'attrait exercé sur les migrants"[Vivant Univers, n°543, mai-juin 2001, p15].
 En effet, le déversement sur les populations africaines de produits occidentaux de toutes sortes au lendemain des indépendances, ainsi que d'images racoleuses de sociétés de consommation, le tout facilité par la révolution des transports et celle des médias ( aujourd’hui, internet et les réseaux sociaux), constitue pour ces populations des sources de tentation qui les submergent.
Outre l'aspect culturel ou le prestige intellectuel, le titre de "Patrie des Droits de l'Homme" fait de la France la destination naturelle de tous ceux qui se sentent menacés dans leur existence ou dans leur liberté. Mais où en est la France en matière d'accueil et d'intégration des immigrés ? »En ce domaine d’une importance capitale, une clarification des textes, des règles et des actes  pour les pays de départ des migrants, comme pour les intéressé eux-mêmes, de mêmes que pour les Français, ‘impose.

                                            Voir Tidiane Diakité, L’Immigration n’est pas une Histoire sans paroles, Ed. Les Oiseaux de Papier.

 

Partager cet article
Repost0
3 février 2019 7 03 /02 /février /2019 08:53

L’Afrique partagée (1885)

L’IMMIGRATION AFRICAINE EN FRANCE : MUTATION DU VOCABULAIRE ET DU REGARD (1)

Au pays de « nos ancêtres les Gaulois »
Avant la « marée noire »

Pourquoi sont-ils venus en France hier ?

Il ne s’agit pas ici de faire un historique des relations de la France avec le continent  africain depuis le 17e siècle, ni de présenter un aperçu de l’histoire de la colonisation française en Afrique (pourquoi l’Afrique ?).
Il ne sera même pas fait mention ici, de l’apport de l’Afrique à la France pendant les heures sombres de son existence : 1ère et 2e Guerres mondiales, grande dépression économique des années 1930 (1930-1939).
On ignorera notamment les 818 000 hommes recrutés sur le continent africain, de 1914 à 1918 (449 000 militaires, et 187 000 travailleurs nord-africains pour moitié).
N’apparaitront pas non plus ici, l’épisode essentiel du ralliement de l’AEF et de l’AOF à la France Libre, et les milliers de combattants africains qui se sont illustrés dans le maquis à partir de 1940 pour le général de Gaulle et pour la France.
L’apport des combattants indigènes d’Afrique pendant, et après la guerre, fut reconnu et salué. Ainsi  pour le général Mangin, promoteur de la « Force Noire », « Le sang versé sur les champs de bataille a créé, entre les soldats de la métropole et ceux des colonies, une fraternité couronnée de succès ».
René Viviani, Président du Conseil, approuve en déclarant :« Nous sommes frères dans la même douleur, nous sommes frères dans le même combat, nous communions ensemble dans la certitude de la victoire, nous défendons le sol, la civilisation, la justice… »
Quand au Petit Journal, parlant des soldats africains, il écrit : « Ils ont conquis de leur sang le titre de citoyen français ».

Le contexte actuel, propice au doute et au scepticisme généralisés, même s’il s’agit de faits d’histoire incontestables, amènera sans doute d’aucuns à se demander si la colonisation française a bien existé.

Le chercheur de terres à coloniser
Une suprématie technique et une logique d’expansion

La colonisation, partie intégrante de l’histoire de France, comme de l’histoire mondiale

« Sans doute, nul ne pourra de façon objective et définitive, tirer un bilan de la colonisation française de l'Afrique. Quelques thèmes et quelques aspects précis ne peuvent que mener, par leur analyse, à un débat sans limites. Certes, la colonisation française a réveillé des peuples intellectuellement assoupis en leur permettant de coexister dans la paix assurée par une administration moderne et leur ouvrant la voie vers la modernisation. Incontestablement, une "paix française" exista bel et bien en Afrique du temps de la colonisation, mettant un terme à une anarchie suicidaire. C'est beaucoup.

Cette colonisation fut un apport considérable pour une bonne partie de la planète en décloisonnant des peuples, leur permettant de communiquer au moyen d'une langue aux vertus universelles et universalistes. Elle mit en valeur des ressources naturelles qui, sans elle, resteraient enfouies et inutilisées pour le bien de l'humanité. Mais, elle a aussi beaucoup cassé, d'abord humainement et de ce fait, semé les germes d'une défiance multiséculaire. En mesurant chichement son action en faveur de la formation à la science et à l'esprit moderne, en ne voyant dans l'école coloniale qu'un simple instrument à produire des subalternes, ces outils animés, en évitant par ailleurs de promouvoir les cultures autochtones, elle laissa les populations africaines entre deux eaux, entre déculturation et acculturation. Le présent de ces peuples s'en ressent encore, de même que les rapports entre Français et Africains. Dans ses colonies, la République se soucia peu de ses valeurs et de sa devise.

La pire erreur de la France partout dans ses colonies, en Indochine comme en Algérie ou en Afrique subsaharienne, ce fut de mépriser les élites "francisées" c'est-à-dire profondément et sincèrement attachées à la France, à sa culture et à ses valeurs auxquelles elles ont cru jusqu'au bout. En refusant le dialogue, en humiliant perpétuellement ceux qui ne demandaient qu'à se fondre en elle, la France (les Français) a péché par complexe de supériorité et de suffisance qui n'est en fait que la marque d'un déficit d'intelligence politique. Une telle cécité se paie toujours très cher. Comment la justifier du reste au regard des principes de la République, quand on pense surtout que le summum de cette politique de cécité et de réaction fut atteint sous la IVe République au lendemain du Second Conflit mondial, de la mise en place des Nations unies ainsi que de la Déclaration universelle des droits de l'Homme ? Le constat est évident : la France se montra en deça d'elle-même (dans la mesure où la réalité fut en dessous des promesses, et les actes en opposition avec les principes proclamés). "Il y a deux façons de diffuser de la lumière : être la bougie, ou le miroir qui la reflète." De quelle manière la République a-t-elle diffusé sa lumière en Afrique ?

 

Hier, l'Empire colonial français permit d'assurer le rang de la France dans le monde, il fut la preuve et le moyen par lequel la France peut prétendre à rester une grande puissance selon le général de Gaulle ; de même aujourd'hui, le soutien et les voix des Etats africains accordés à leur ancienne métropole dans les instances internationales lui permettent de conserver sa place sur les premières marches de l'échelle des nations du monde( même si, aujourd’hui, la suprématie française sur le continent est fortement remise en question, par les Chinois, entre autres). Mais, était-ce là le but initial ? Quel fut le but premier de la France en s'engageant dans l'aventure africaine au XIXe siècle ?
Un juriste français définit la colonisation avant 1912 comme suit :

Coloniser, c'est se mettre en rapport avec des pays neufs, pour profiter des ressources de toute nature de ces pays, les mettre en valeur dans l'intérêt national et en même temps apporter aux peuples primitifs qui en sont privés, les avantages de la culture intellectuelle, sociale, scientifique, morale, artistique, littéraire, commerciale et matérielle, apanage des races supérieures. La colonisation est donc un établissement fondé en pays neuf par une race avancée, pour réaliser le double but que nous venons d'indiquer. »

L’apport de l’Afrique française ?

« Cependant, au fil des ans, le premier de ces objectifs semble l'avoir emporté sur le second, si l'on en juge par cette autre définition donnée de la colonisation par Rondet-Saint, directeur de la ligue maritime et coloniale, dans un article paru dans la "Dépêche Coloniale" du 29 novembre 1929 : Il ne faut pas se lasser de le répéter : la colonisation n 'est ni une intervention philosophique, ni un geste fondamental. Que ce soit pour nous ou pour n'importe quel autre pays, elle est une affaire. Qui plus est, une affaire comportant invariablement à sa base des sacrifices de temps, d'argent, d'existence, lesquels trouvent leur justification dans la rémunération.

La réalité est sans doute que la définition de la colonisation fut variable en France, des intellectuels aux marchands, des militaires aux politiques, au gré des tempéraments, des circonstances de la vie nationale ou internationale, des intérêts privés ou collectifs. On passe ainsi de l'assimilation culturelle à l'exploitation pure des ressources matérielles, de l'association à la domination, du paternalisme au mépris érigé en système de gouvernement. Ernest Renan n'avait-il pas déjà, dès 1871, tracé la voie et d'avance scellé les destins ? Telle la "genèse divine" des trois ordres de l'Ancien Régime : noblesse, clergé, tiers état (ceux qui combattent, ceux qui prient, ceux qui travaillent), il proclame : La nature a fait une race d'ouvriers. C 'est la race chinoise, d'une dextérité merveilleuse, sans presque aucun sentiment d'honneur ; gouvernez-la avec justice en prélevant d'elle par le bienfait d'un tel gouvernement un ample domaine au profit de la race conquérante, elle sera satisfaite. Une race de travailleurs de la terre : c’est le nègre : soyez pour lui bon et humain et tout sera dans l'ordre. Une race de maîtres et de soldats, c’est la race européenne. Que chacun fasse ce pourquoi il est fait et tout ira bien.

Ainsi, le système de la hiérarchisation sociale des trois ordres, contesté en France et aboli par la Révolution de 1789 se trouvait transposé dans les colonies françaises, fondé non sur la naissance ou le mérite mais sur la "race." Enfin, Albert Bayet, dans son discours au Congrès de la ligue des Droits de l'Homme en 1931 proclame : Le pays qui a proclamé les Droits de l'Homme a, de par son passé, la mission de répandre où il le peut, les idées qui ont fait sa propre grandeur. Oui, mais dans les colonies aussi ? En Algérie, en Indochine, en Afrique ? »
                                                                    (Voir Tidiane Diakité, France que fais-tu de ta République ?, L’Harmattan, Paris, 2004)

 

Partager cet article
Repost0
11 novembre 2018 7 11 /11 /novembre /2018 10:06

MADAME SARTIN SCRUTE LA CONDITION DES FEMMES EMPLOYÉES À TEMPS PARTIEL

Prévenir les abus par l’information, la pédagogie et la loi ?

Pierrette Sartin (1911-2007) est une psycho-sociologue du travail qui s'est intéressée à la vie professionnelle et à la condition des femmes. Romancière, poète et critique littéraire. Elle a collaboré à divers journaux et revues dont le quotidien "La Croix", la revue « Humanisme et entreprise ». M. Sartin fut spécialiste des problèmes du travail des jeunes et de la femme.

La revue « Humanisme et entreprise » fut créée en 1959 et éditée par l’Association des Anciens Élèves des Lettres et Sciences humaines de l’Université de Paris. Elle est consacrée à la réflexion sur le monde du travail et du management.

L’emploi des femmes à temps partiel, un travail de longue haleine pour vaincre obstacles matériels et socioculturels

« Personne ne songera à nier aujourd'hui que la vie des femmes qui cumulent une activité professionnelle aux horaires extrêmement lourds, aux cadences rapides, et une vie familiale dans des logements insuffisants, avec un budget modeste, la charge des enfants et du ménage, l'impossibilité de se faire aider, ne soit trop souvent un enfer. Alléger cette charge en leur offrant de travailler quatre heures au lieu de huit heures paraît donc, à première vue, une mesure saine aussi bien sur le plan de l'économie que sur le plan humain et sur celui de la famille. Et l'on peut s'étonner que ni les femmes qui travaillent, ni les syndicats, ni les employeurs n'accueillent avec grande faveur cette mesure, et que ce mode de travail soit si peu développé en France. S'il est plus répandu dans certains pays étrangers, il n'y est pas, autant qu'on serait porté à le croire, institutionnalisé, et il n'a pas donné tous les résultats qu'on en pouvait attendre...

C'est sans doute dans la complexité même de ce problème qui ne constitue pas un problème unique, mais plutôt une mosaïque de problèmes particuliers, de cas d'espèce au sens élargi du terme, qu'il faut chercher une des raisons de l'insuccès de cette formule. »

Rechercher les obstacles à vaincre par l’information, la pédagogie et la loi

«  Les obstacles qui freinent le développement du travail à temps partiel sont de tous ordres : il y a les obstacles légaux et les obstacles techniques, les obstacles psychosociologiques et les obstacles d'organisation. Il y a le manque d'information, à tous les échelons, des intéressés, qui empêche non seulement d'avoir une vue d'ensemble du problème, mais aussi d'avoir, dans ce domaine, une politique cohérente, courageuse et éclairée. Il y a aussi les mentalités routinières et les bonnes volontés maladroites qui croient que le bon sens allié à ce qui paraît une évidence suffisent pour régler cette épineuse question.

Sur le plan pratique, le problème est double : il s'agit, d'une part d'amener les employeurs à utiliser à temps partiel cette réserve de travailleurs que constituent les femmes, et d'autre part d'amener, parmi celles-ci, celles qui n'ont pas d'activité professionnelle à en exercer une.

Dans les deux camps en présence, les obstacles ne sont pas les mêmes, les genres de problèmes diffèrent.

Une enquête faite à Cologne en 1956 a bien montré que les vues des chefs d'entreprise ou des directeurs de personnel et celles des travailleuses, appartenant à la même profession, ne concordaient pas quant aux chances de succès et aux modalités de réalisation d'un emploi massif des travailleuses à temps partiel. Cette divergence de vues n'est pas particulière à l'Allemagne ; on la retrouve aussi dans les autres pays et elle est sans doute une des raisons de l'échec de beaucoup d'expériences. »

Quels objectifs pour améliorer la condition du travail partiel féminin ?

« Il ne suffira donc pas de réduire les obstacles qui empêchent les employeurs d'utiliser à temps partiel les femmes inoccupées. Il faudra encore amener celles-ci à accepter ce mode de travail, et le leur rendre suffisamment attrayant pour qu'elles fassent l'effort, soit d'acquérir une nouvelle formation professionnelle, soit de se recycler, soit d'apprendre pour la première fois un métier. Le but recherché étant, sans doute, de réduire la charge qui pèse sur les mères de famille, mais aussi d'amener sur le marché du travail un nombre plus grand de travailleurs, il faudra que les mesures prises n'aboutissent pas au résultat contraire en amenant les femmes à quitter leur emploi à temps plein pour se contenter d'un emploi à temps partiel. Cela s'est vu en Suède et chez nous aussi, et le risque est particulièrement grand dans certains secteurs, comme le secteur hospitalier où les horaires sont très lourds, les salaires peu élevés et le personnel insuffisant. Il faudra en outre que ces mesures n'aboutissent pas à désorganiser complètement le travail à temps plein, l'octroi aux travailleurs de garanties mal étudiées pouvant amener ceux-ci à préférer deux emplois à temps partiel à un emploi à temps plein (ce risque sera évidemment limité en période de chômage ou de récession ; mais il sera augmenté au contraire en cas de sur-emploi, c'est-à-dire précisément au moment où les entreprises auront le plus besoin d'avoir un personnel stable et travaillant à temps plein).

Si, en revanche, les avantages donnés aux employeurs sont trop grands, ceux-ci pourront s'en servir pour peser sur les salaires, par exemple en utilisant deux équipes de travailleurs à mi-temps, chaque groupe n'ayant que le salaire le plus bas et perdant de surcroît le droit aux allocations de chômage accordé aux travailleurs qui subissent des réductions d'horaires. L'Inspection du Travail est trop souvent débordée par la multiplicité et par la complexité de ses tâches pour empêcher les abus. Et dans l'un et l'autre cas, le marché de l'emploi risque de se trouver désorganisé... »

La solution : un personnel spécialisé dans le fonctionnement du temps partiel féminin ?

« Il ne faut pas perdre de vue que le travail à temps partiel ne doit être qu'une facilité accordée et non une obligation. Mais, devant les pressions économiques, cette "facilité" risque de demeurer lettre morte. Et c'est dans ce domaine-là surtout que des garanties doivent être cherchées. A ce propos, on peut retenir la proposition faite de ne pas chercher à développer le temps partiel à l'échelon national, mais seulement à l'échelon de la région ou du département, et après avoir réuni une commission départementale qui comprendrait des représentants de l'État, des travailleurs et des salariés. Cette commission déciderait de l'opportunité ou de l'inopportunité de développer les emplois à temps partiel dans une région déterminée. Ainsi éviterait-on que celui-ci ne soit détourné de ses fins qui sont à la fois d'amener un plus grand nombre de femmes sur le marché du travail et d'améliorer le sort de celles qui, aujourd'hui, travaillant à plein temps, ne peuvent conserver leur emploi et s'occuper de leurs enfants qu'en sacrifiant l'un ou l'autre, quelquefois les deux, et le plus souvent, pour éviter ce sacrifice, ne sacrifient qu'elles-mêmes, c'est-à-dire leur santé et leurs chances de promotion.

Comme on le voit par ce bref tour d'horizon qui comporte bien des lacunes, le problème est vaste et complexe. Essaie-t-on d'améliorer certains abus, on ouvre la porte à d'autres ; de réformer certaines pratiques anormales, on compromet tout un édifice sans être assuré que les réformes ne seront pas pires que le mal. C'est tout un problème qu'il faudrait repenser, dans son contexte et aussi en lui-même, en fonction de l'évolution de l'économie, de l'évolution des structures et de celle, aussi, des esprits. Car, en fait, le travail des femmes à temps partiel n'est qu'un aspect de ce problème beaucoup plus vaste qui est celui du travail féminin. On y retrouve dans leurs grandes lignes les mêmes idées, les mêmes craintes, les mêmes difficultés et les mêmes lacunes qui prennent leur source dans le fait que les femmes ne sont encore que tolérées dans le monde du travail, qui de tout temps a été un monde masculin fait pour l'homme et par lui, et mal adapté à leurs besoins et à leurs aptitudes. Cette entrée des femmes dans le monde du travail heurte encore la mentalité traditionnelle, non seulement celle des hommes, mais celle de beaucoup de femmes qui ne sont nullement préparées à y entrer et qui n'en ont pas le désir. Ce qui se justifie aisément à la fois par leur éducation, par la carence des parents pour qui le mariage est la seule fin envisagée pour leurs filles, et par les conditions, inhumaines dans bien des cas, faites à celles qui cumulent la charge d'un foyer et celle d'un métier. »

Vaincre les crispations culturelles ou traditionnelles par la bienveillance et la justice

« Enfin, ces difficultés viennent aussi de la nature féminine elle-même, faite pour la maternité, fonction qui a longtemps été incompatible avec les dures lois du travail.

Dans l'état actuel de nos lois, de notre économie et de nos mœurs, étendre le travail à temps partiel est peut-être une mesure qui s'impose. Elle ne sera un progrès que dans la mesure où elle ne donnera pas lieu à de nouveaux abus, mais permettra à la nation de mieux utiliser les énergies disponibles, de consolider les liens familiaux, de ménager la santé et la promotion de celles qui, aujourd'hui, doivent supporter le double fardeau du travail à l'extérieur et du travail domestique et dont les horaires atteignent ainsi 80 à 100 heures par semaine. Il n'en reste pas moins que le travail à temps complet est et doit demeurer le mode normal de travail, celui qui est acceptable et accepté par le plus grand nombre, qu'il s'agisse d'ailleurs de ceux qui emploient ou de ceux qui sont employés. »

Madame P. Sartin, Revue « Humanisme et entreprise » (1964).

Commentaire

       Point de vue

Dans les années 1950-1960, l’entrée des femmes dans le monde du travail heurtait encore certaines mentalités en France, même si l’apport des femmes dans la vie de la nation, pendant les moments critiques, notamment lors des deux guerres mondiales, fut inestimable.

Pour certaines mentalités, encore au début du 21e siècle, les femmes au travail, à temps partiel comme à temps plein, sont plus ou moins tolérées.

Comment de telles attitudes se justifient-elles en 2018 ?  (Tidiane Diakité)

 

Partager cet article
Repost0
23 septembre 2018 7 23 /09 /septembre /2018 07:26

AFRIQUE : LES PRINCIPALES ENTRAVES À L’ÉMERGENCE (4)

Pour les lettres et les chiffres, l’Afrique en marge

 

Réconcilier l’Afrique avec le livre et l’écrit, la lecture et les chiffres :

       Une mission de salut public pour l’Afrique et pour le monde

L’urgence, c’est ouvrir les yeux pour ouvrir les consciences par une véritable promotion du livre, la culture de l’écrit, afin de mettre l’Afrique au diapason du monde, en la sortant des ornières de l’Histoire où elle gît et patauge depuis plus de six siècles.

Cette révolution des consciences n’a que trop tardé. Ce faisant, l’Afrique s’est laissée trop ballotter, piétiner, humilier. Elle n’a plus le privilège, comme les nations et peuples d’Europe, d’évoluer progressivement, de s’adapter sans à-coups, aux transformations du monde, à la vie moderne.

L’Afrique est en retard, elle n’a plus le luxe de traîner. D’où l’urgence de cette prise de conscience pour avancer, la tête haute, vers l’émergence, résolument. Sinon, elle restera longtemps encore en marge, comme elle l’est depuis le 16e siècle, et les Africains continueront d’être ces « damnés » de la terre qu’ils sont depuis tant de temps,  végétant entre mépris et condescendance.

Dans cette démarche de remontée (si l'Afrique en a la volonté),  vers la surface, vers les autres et vers elle-même, elle peut, avec intelligence et discernement, se nourrir de l’expérience d’autres régions comparables dans le monde, qui sont, elles aussi, passées de la domination politique, économique et culturelle, à la souveraineté véritable, à l’émancipation et à l’émergence, sans pour cela copier servilement, mais en gardant à tout prix ses valeurs et sa personnalité. Le tout, c’est d’avoir une vision, la détermination, mieux, la foi.

L’Afrique et les Africains dans le regard de l’Européen au début du 20e siècle

« Il est, dans nos colonies d’Asie, et du Moyen-Orient, des races à qui notre civilisation doit beaucoup.

La grande Asie millénaire nous a jadis comblés de ses dons. Sa plus lointaine antiquité à fourni la floraison merveilleuse de la culture grecque, de nobles germes d’art et de pensée.

La vieille Chine a changé l’allure du monde en inventant l’imprimerie, la poudre, la boussole.

L’islam sarrasin a enrichi et revivifié l’Occident médiéval obscurci de pesantes ténèbres, de toutes les splendeurs de la littérature, de la poésie et de l’esthétique persane et arabe ; et la renaissance actuelle de l’islam n’est explicable que par la force des survivances d’un passé éclatant. » [Albert Sarraut, Grandeur et servitude coloniales, 1931] (Voir aussi article de blog du 09/10/2016, « La France et ses colonies d’Afrique dans l’entre-deux-guerres : 1919-1939).

 

Et les peuples d’Afrique noire ?

« … Auprès des races brunes et jaunes de l’Asie, qui peuvent alléguer leurs titres magnifiques dans l’histoire, les races noires de l’Afrique se présentent les mains à peu près vides devant la confrontation européenne.

Leur contribution au progrès est pour ainsi dire inexistante. Les Noirs sont bien, pour le moment, les "frères attardés" ». [Idem]

 

Verdict sévère, mais, avec un droit d’appel. Le « pour le moment » est apprécié. En conséquence, il ne ferme pas la porte à ces peuples noirs qui peuvent, à tout moment, infirmer ce jugement. Cela ne dépend que d’eux, d’eux seuls.

L’administrateur colonial et historien, Maurice Delafosse, complète le tableau :

« Jusqu’ici en effet, l’Afrique noire ne nous a livré aucun monument, en dehors de quelques ruines qui ne racontent pas leur histoire et qu’on ne sait à qui attribuer, ou de quelques tombeaux qui peuvent aussi  bien remonter à cinquante ans qu’à cinq mille ans et dans lesquels on trouve de tout sauf des indications précises, à moins qu’une inscription arabe ne vienne nous apprendre qu’il s’agit de sépultures modernes.

Les Noirs n’ont rien écrit, à l’exception de rares ouvrages en arabe dont les plus anciens que l’on possède actuellement datent du XVIe siècle et qui, copiés le plus souvent les uns sur les autres, ne renferment, sur l’histoire ancienne du pays que quelques pages, ou ce qui peut être la vérité, se trouve obscurci par la légende et par le souci de tout rattacher à l’islam et à la famille de Mahomet. [en Afrique de l’Ouest]

Beaucoup plus nombreuses et plus riches sont les traditions conservées oralement parmi les indigènes, mais elles sont devenues bien confuses dès qu’il s’agit de faits remontant à plusieurs siècles et, sans aucunement nier leur valeur, il convient de n’user de cette source de renseignements qu’avec la plus extrême prudence.

Lorsque par hasard des renseignements géographiques ou ethniques semblent se rapporter aux Nègres ou à leur pays, ils sont noyés dans un amalgame d’impossibilités et d’obscurités d’où il est extrêmement malaisé de faire jaillir la lumière. » (Voir aussi article de blog du 02/07/2011, « Écriture de l’histoire).

 

Une image écornée par l’histoire et des historiens, à reconstruire : par les Africains, dans la vérité et l’éthique de l’histoire

Telle est l’image de l’Afrique noire, telle qu’elle apparaît aux Européens à l’orée du 20e siècle, et s’imprime dans leur mémoire pour la durée.

 

Écrit, art, culture

Qu’est-ce qui a donc manqué aux peuples d’Afrique noire par rapport à ces peuples d’Asie et du Moyen-Orient dont le passé est si magnifié par les Occidentaux ?

Et c’est précisément parce qu’ils sont adossés au souvenir de ces brillantes civilisations du passé, à leur splendeur restée vivace dans les mémoires, que ces peuples (Chine, Inde, Japon, Iran…) relèvent  aujourd’hui la tête, pour remettre en question et contester la domination européenne, et manifester la volonté de concurrencer les peuples européens et les dépasser demain, en se servant ainsi du rayonnement culturel de leur passé, rayonnement fondé sur la culture de l’écrit dont découlent l’art, l’architecture, l’application concrète des mathématiques, de la géométrie tout particulièrement.

 

« Les chiffres et le calcul, partant l'écrit, constituent ces instruments de découverte, d'exploration, d'ordonnancement, de déconstruction et de reconstruction du monde et de soi.

La colonisation hier, l'esclavage avant-hier, la néocolonisation (sous ses formes multiples), bref, toutes ces phases de l'Histoire où l'Afrique a été vaincue, dominée, humiliée par l'Occident ne peuvent se justifier sans la conscience que l'Afrique a échappé à cet enfantement fondateur au cours des siècles, source et moteur de transformation du monde. Mais le fait d'en être conscient devrait permettre aux Africains de concevoir et de forger les outils de leur refondation culturelle, enrichis de ceux venus d'ailleurs et aujourd’hui à leur portée. L'absence d'écriture (plus précisément de culture de l'écrit) a valu à l'Afrique des millénaires de vie culturelle méconnue, les artistes africains anciens n'ayant pas signé leurs œuvres. Sur les centaines de milliers d'objets d'art africains introduits en Europe aux XIXe et XXe siècles, d'abord par des explorateurs, puis par les colonisateurs, on ne relève aucun nom ; aucun ne porte la signature de son auteur. Or l'art - peinture, sculpture, musique... - a besoin de cette matérialisation par la signature, qui sert d'intermédiaire entre l'artiste et son public.

Racontée, la vie de l'artiste confère une densité supplémentaire à l'œuvre, contribue à sa connaissance ainsi qu'à son analyse. En même temps qu'elle lui garantit la durée, l'écriture lui donne une identité.

Un tableau anonyme a moins de rayonnement qu'un tableau identifié, inséré par conséquent dans un contexte historique et culturel qui l'enrichit. C'est l'écriture qui donne à l'œuvre l'épaisseur qui transcende le temps. Elle lui garantit cette bruissante et luisante immobilité qui est immortalité.

[…]

L'écriture, le papier, les chiffres, le calcul, mis au service des armes, ont assuré la suprématie militaire des Arabes hier, des Occidentaux aujourd'hui. Le papier est indissociable de ce qu'il est convenu d'appeler « le miracle arabe ». Si les Arabes, petit peuple surgi du désert de sable aride et brûlant, au VIIIe siècle, ont su conquérir en l'espace de quelques décennies un empire aussi vaste et organisé, c'est grâce à l'écriture, qui leur permit de traduire les connaissances des peuples conquis et de s'imposer par les armes avant de briller par les sciences et la culture du VIIIe au XIIIe siècle.

La foi, confortée par l'écriture et le papier, fut le tremplin pour les conquêtes, les victoires, ainsi que pour le rayonnement scientifique et culturel du monde musulman.

[…]

À Fez, au Maroc, dès 1184, quatre cents moulins à papier "fonctionnaient à plein". Ce seul fait contient déjà en germe la victoire de 1591 du sultan du Maroc Moulay sur l'empereur de Gao l'Askia Ischac. Le chef de sa petite troupe de mercenaires vainquit facilement les trente mille soldats de l'empereur sonrhaï (ou de Gao, du Mali actuel) ; les soldats marocains étaient armés de mousquets (arme moderne de l'époque) face aux soldats de l'empereur sonrhaï armés de bâtons.

Soldats africains, croyant faciliter leur victoire, s’étaient abrités derrière des centaines de bœufs pris pour bouclier. Ces bœufs, effarouchés aux premiers coups de mousquets, pris de panique, se retournèrent contre eux et les chargèrent.

[…]

L'écrit rassemble et fédère les esprits, unit les générations et pose des passerelles entre elles, clarifie et synthétise les idées et les concepts mieux que la parole. Il vainc l'oubli et permet la confrontation du passé et du présent dans une dynamique de progrès. L'écriture est sans conteste "la plus grande des révolutions", celle qui façonne la pensée, arme l'esprit pour la conquête de soi et de l'univers. C'est "l'outil de l'intelligence" créatrice par excellence. Sans l'écriture, il n'est ni héros ni génie. Elle fut le ciment des différentes composantes de l'Empire musulman comme de l'Empire carolingien en favorisant le sentiment d'unité, consolidant en cela l'impact religieux, lui-même fédérateur. En Occident, les peuples furent rassemblés et fédérés au Moyen Âge par Charlemagne sous la bannière du christianisme. Sous cet empereur, l'écriture carolingienne, la "Caroline", fut inventée afin d'unifier l'empire, c'est-à-dire l'Occident chrétien. D'une manière générale, la foi chrétienne fut indéniablement le ciment de l'unité européenne depuis le IVe siècle, grâce à la Bible, donc grâce à l'écriture.

Les croisades du Moyen Âge ont renforcé ce sentiment d'unité de "peuple européen" face aux autres, à ceux d'autres religions. Rien de tel en Afrique, qui ne connut aucun de ces liants, et où le cloisonnement géographique, renforcé par le défaut de culture écrite, renforça la segmentation des peuples, la méfiance réciproque, le sentiment d'insécurité à l'égard d'autres groupes. Les peuples du Sahel constituent l'exception dans une moindre mesure par l'organisation d'États, royaumes et empires fédérateurs et puissants. Au moment même où l'imprimerie consolidait les États naissants de l'Europe des XVe et XVIe siècles, les quelques États africains célèbres du Moyen Âge périclitèrent au contact des Européens, vaincus par la science et les techniques militaires, filles de l'écriture et du calcul.

Par ailleurs, le lien entre les sciences et la guerre est établi depuis les temps les plus anciens. Les équations et la balistique vont de pair. Galilée, qui a ouvert l'ère de la science positive ainsi que celle de la recherche rationnelle, et dont les écrits sont devenus le ferment de l'Europe savante du XVIIIe siècle et des siècles postérieurs, a lancé l'idée que la langue mathématique "permet de lire le grand livre de la nature", et que cette même langue faisait la force des armées. Il mit en effet la science mathématique et physique ainsi que ses travaux scientifiques en général au service de l'arsenal de la marine de Venise, qui lui doit tant de victoires. » [Tidiane Diakité, 50 ans après, l’Afrique, Arléa].

 

Partager cet article
Repost0
17 juin 2018 7 17 /06 /juin /2018 06:49

L’ÉCOLE CANTONALE. RÉMINISCENCES. 1950-1960

Souvenirs et nostalgie

L’école cantonale

Chant au goût de bonbons au miel

Ils vont à l’école,

Tous les écoliers,

En troupes frivoles

Parmi les sentiers.

 

Les petites filles

Ont de beaux boubous,

Dans leurs cheveux brillent

De jolis bijoux.

 

Hauts comme trois pommes

De petits garçons,

Fiers comme des hommes

Chantent des chansons…

 

CM1-CM2. Textes d’ouverture au monde et à nous-mêmes

LE DEVOIR À L’ÉCOLE

Travaille de ton mieux à l'école où tu es placé ; applique-toi de tous tes efforts à profiter de ce qui t'est enseigné. Songe bien qu'on pourrait déjà tirer un certain travail de tes petits bras et de tes petites jambes. On ne le fait pas cependant. Une comparaison va t'expliquer pourquoi.

 

Quand le maïs a poussé en herbe et que le champ ressemble à une prairie, on pourrait le couper et le faire manger au bétail, qui ne demanderait pas mieux. Mais cette herbe-là n'est pas une herbe comme les autres. Qu'on laisse avancer la saison, et de chaque tige il va sortir un épi de grains de maïs, dont les hommes se nourrissent, et que Je propriétaire, s'il ne le consomme, vendra argent comptant.

 

Eh bien ! tu es, toi aussi, un pied de maïs. Si l'on t'employait, dès à présent, à travailler autant que tu le peux sans te rien apprendre, tu ne serais jamais qu'un manœuvre, ne sachant ni lire, ni écrire, ni compter ; tu ne vaudrais jamais que ce que valent tes bras, tes jambes, tes épaules, tes reins. Mais si l'on permet à ton intelligence de se développer par l'instruction, à la valeur de ton corps tu ajouteras celle de ton esprit ; tu pourras devenir non seulement un ouvrier, mais un contremaître ou un patron, l'égal d'un homme bien plus riche et plus favorisé que toi ; tu pourras te faire la place dont tu seras digne par ton courage et ton intelligence.

Veux-tu bien comprendre ta situation ? Ta famille et ton pays s'appliquent à te mettre entre les mains un outil admirable, dont c'est toi qui dois surtout profiter. Ils s'imposent pour cela des sacrifices. Que demande-t-on en échange ? De la bonne volonté, rien de plus. Si tu n'apportais pas cette bonne volonté, tu serais un ingrat.

Ch. Bigot.

L’utilité du savoir

(Légende balali-Moyen-Congo)

Dieu créa l'Afrique et le reste du monde, puis les hommes noirs et les hommes blancs. En Afrique, il plaça tout ce qui peut faire plaisir aux créatures humaines : des biches sans nombre pour les chasseurs, des rivières poissonneuses pour les pêcheurs, les fruits qui croissent sans peins, une température toujours chaude. Dans le reste du monde, il mit le froid, la glace, la neige, la terre ingrate, mais aussi les livres et le savoir qu'ils renferment.

Il demanda tout d'abord aux hommes noirs de choisir le pays qu'ils voulaient. Bien entendu les Noirs choisirent l'Afrique, et les Blancs durent se contenter du reste du monde. Or l'avenir démontra que les Noirs avaient commis une grosse sottise. Certes les Blancs eurent très froid et ils furent obligés de travailler sans cesse pour tirer la nourriture de leur maigre sol ; mais le savoir des livres leur donna une merveilleuse puissance grâce à laquelle ils construisirent des maisons confortables, confectionnèrent des vêtements moelleux et chauds, obligèrent la terre à leur donner des récoltes abondantes et des fruits savoureux.

Et c'est pourquoi les Noirs, qui ont compris leur erreur, désirent tellement s'instruire à leur tour.

A. Davesne

Ce que c’est qu’un livre

Voici ce qui se serait passé entre deux hommes, dont l’un savait lire et l’autre ne savait pas : « Que regardes-tu dans ce papier ? demandait l’ignorant. — Oh ! si tu savais, répondit le lecteur, comme cela est amusant ! Il y a là des personnes qui parlent ; on entend avec les yeux. » La définition n’était pas mauvaise ; beaucoup de personnes pourraient s’en faire honneur.

Cet homme, en effet, a compris ce que c’est qu’un livre. Si je demandais la définition d’un livre, j’embarrasserais bien des gens. On sait que c’est un assemblage de feuilles de papier sur lesquelles on a imprimé des caractères ; mais ce qui constitue véritablement le livre, on ne le sait pas, faute de réflexion.

Un livre est une voix qu'on entend, une voix qui vous parle : c'est la pensée vivante d'une personne séparée de nous par l'espace ou le temps ; c'est une âme. Les livres réunis dans une bibliothèque, si nous les voyions avec les yeux de l'esprit, représenteraient pour nous les grandes intelligence de tous les pays et de tous les siècles qui sont là pour nous parler, nous instruire et nous consoler. C'est là, remarquez-le bien, la seule chose qui dure : les hommes passent, les monuments tombent en ruines ; ce qui reste, ce qui survit, c'est la pensée humaine.

(Discours populaire)

Enfant que vas-tu faire à l’école ?

 

À l’école, que vas-tu faire, petit enfant ?

Je vais apprendre à lire pour savoir ce qu’il y a dans les livres. Écoutez bien. Tout en tournant ces pages tachées de noir, n’entendez-vous pas un bruissement confus de voix venues de je ne sais où, du fond des abîmes des siècles passés ? Ce sont les morts qui parlent sans que désormais aucune force puisse faire taire leur parole…

À l’école, que vas-tu faire, petit enfant ?

Je veux savoir comment, au travers des cieux, se propage d’un monde à l’autre la lumière ; comment au choc des nuages s’allume la flamme rapide de l’éclair. Je veux voir monter la sève depuis les robustes racines du chêne jusqu’aux fines dentelures de feuillage qui couronnent sa tête. Je veux voir circuler par mille canaux jusque dans les replis du cerveau le fleuve rouge du sang…

À l’école, que vas-tu faire, petit enfant ?

Alors que je n’étais pas encore, que n’étaient pas non plus et mon père et ma mère que je connais, d’autres étaient que je ne connais point. Chers êtres mystérieux qui avez fait la Patrie, je ne veux pas seulement savoir vos noms, je veux savoir aussi vos actes. Je veux apprendre l’histoire.

 

À l’école, que vas-tu faire, petit enfant ?

... Je suis venu en ce monde pour être utile, pour être juste, pour être bon... Je ne suis encore, il est vrai qu'un petit enfant, mais je veux être un homme. On n'est pas seulement un homme par la taille. On est aussi un homme par la raison et par le cœur.

École de mon pays, je t'apporte mon âme. De cette jeune âme plus débile encore que le corps qui l'enveloppe, fais une âme française, fais une âme humaine...

Léon Deries (Salut à l’école)

Ajoutons à l’humanité

On ne vous demande pas des miracles, on désire seulement que vous laissiez quelque chose après vous. « Celui qui a planté un arbre avant de mourir n'a pas vécu inutile. » C'est un proverbe indien qui le dit. En effet, il a ajouté quelque chose à l'humanité. L'arbre donnera des fruits, ou tout au moins de l'ombre, à ceux qui naîtront demain.

Un arbre, un toit, un outil, une arme, un vêtement, un remède, une vérité démontrée, une découverte scientifique, un livre, une statue, un tableau : voilà ce que chacun de nous peut ajouter au trésor commun.

Il n'y a pas aujourd'hui un homme intelligent qui ne se sente lié par des fils invisibles à tous les hommes passés, présents et futurs. Nous sommes les héritiers de tous ceux qui sont morts, les associés de tous ceux qui vivent, la providence de tous ceux qui naîtront.

Pour témoigner notre reconnaissance aux mille générations qui nous ont fait graduellement ce que nous sommes, il faut perfectionner la nature humaine en nous et autour de nous. Pour remercier dignement les travailleurs innombrables qui ont rendu notre habitation si belle et si commode, il faut la livrer plus belle et plus commode encore aux générations futures.

Nous sommes meilleurs et plus heureux que nos devanciers, faisons que notre postérité soit meilleure et plus heureuse que nous. Il n'est pas d'homme si pauvre et si mal doué qui ne puisse contribuer au progrès dans une certaine mesure.

Celui qui a planté l'arbre a bien mérité, celui qui le coupe et le divise en planches a bien mérité ; celui qui assemble les planches pour faire un banc a bien mérité ; celui qui s'assied sur le banc, prend un enfant sur ses genoux et lui apprend à lire, a mieux mérité que tous les autres. Les trois premiers ont ajouté quelque chose aux ressources de l'humanité ; le dernier a ajouté quelque chose à l'humanité elle-même. De cet enfant il a fait un homme éclairé, c'est-à-dire meilleur.

E. About (Le Progrès)

Partager cet article
Repost0
10 juin 2018 7 10 /06 /juin /2018 07:15

FAUT-IL INSTRUIRE LES INDIGÈNES DES COLONIES FRANÇAISES D’AFRIQUE ? (5)

L’enseignement colonial en Afrique : programmes, bilan, réflexions critiques

AOF-AEF

Les programmes élaborés pour l’instruction des indigènes dans les colonies françaises d’Afrique ont fait l’objet de réflexions et de critiques plus ou moins acerbes depuis les origines, dès le 19e siècle. L’essentiel des critiques et de leurs auteurs sont français, parfois même administrateurs ou responsables coloniaux. La nouveauté, c’est que les remarques concernant l’enseignement colonial en général (méthodes, objectifs, personnel…) proviennent de plus en plus d’intellectuels africains formés par l’école française en France pour la plupart.

 

Bilan et réflexions critiques

Au-delà des programmes et méthodes, les critiques portent surtout sur le bilan d’ensemble de l’enseignement colonial.

Ainsi, au tout début du 20e siècle (la première école française  ayant été ouverte à Saint-Louis du Sénégal en 1817).

« En 1907, l'A.O.F. entière ne compte que 76 écoles de village, 33 écoles régionales (les deux tiers des cercles en sont donc dépourvus) et 12 écoles urbaines.

En 1912, les effectifs scolaires publics s'élèvent à 11.000 élèves, auxquels s'ajoutent 2.600 élèves de l'enseignement privé. » (Dans J. Suret-Canale, déjà cité).

Le même informateur ajoute :

« A la fin de 1914, les effectifs scolaires sont estimés à 17.000 en A.O.F. (Sénégal : 4.500 ; Haut-Sénégal et Niger : 3.000 ; Guinée : 2.600 ; Côte d'Ivoire : 3.400 ; Dahomey : 3.000 ; Niger : 400 ; Mauritanie : 100).

Mais les crédits consacrés à l'enseignement en A.O.F. demeurent faibles (moins de 2 millions en 1914).

La guerre bloque les progrès enregistrés de 1912 à 1914. En 1922, les effectifs scolaires d'A.O.F. s'élèvent à 25.000 pour les écoles publiques, auxquels il faut ajouter un peu moins de cinq mille élèves dans les écoles privées.

En 1944, ils atteindront 57.000 pour les écoles publiques, 19.000 pour les missions. »

Puis

« En 1944, les effectifs sont les suivants : 18.000 pour l'enseignement public (dont 2.000 filles), 16.000 pour l'enseignement privé reconnu, plus de 100.000 pour les "écoles de catéchisme".

C'est la situation de l'A.E.F. qui demeure la plus lamentable. Un arrêté de 1925 prévoit une organisation semblable à celle de l'A.O.F. mais n'est pas appliqué. 14 instituteurs sont recrutés de 1920 à 1924, 21 de 1926 à 1930.

Au Tchad, en 1921, la situation rappelle (en pire) celle du Soudan avant 1900 : une école avec 50 ou 60 élèves fonctionne à Fort-Lamy. Mais elle est restée fermée six mois en raison du départ en congé de l'unique instituteur. Il s'y ajoute dix "écoles de circonscription" confiées à des agents des services civils, des sous-officiers, ou des moniteurs africains dont les connaissances sont des plus sommaires. »

Déjà en 1846, un rapport sur l’instruction publique au Sénégal, signé des 7 noms de la Commission dépêchée là-bas à cette fin concluait :

« La France les a dominés, mais ne les a pas instruits. Les Européens les ont traités comme des instruments sans intelligence, bons à la satisfaction de leurs passions, à écouler les marchandises… ils ont négligé l’avenir intellectuel et moral d’une population intéressante à plus d’un titre… »2

 

Les effectifs ne sont pas seuls en cause

Ainsi

« Pour le régime colonial, l'instruction des masses présente un double péril : en élevant la qualification de la main-d'œuvre, elle la rend plus coûteuse ; d'autre part elle conduit les masses colonisées à prendre conscience de l'exploitation et de l'oppression auxquelles elles sont soumises.

Mais d'autre part l'appareil d'exploitation économique, d'oppression administrative et politique, ne peut fonctionner sans un minimum de cadres subalternes autochtones, courroies de transmission et agents d'exécution entre 1' "encadrement" européen et les masses. Avec l'extension de l'économie de traite, avec le progrès de la technique — si lent soit-il à se manifester — avec le perfectionnement (ou l'alourdissement) de la machine administrative, la colonisation est obligée de former de tels cadres en nombre croissant.

La politique coloniale en matière d'enseignement s'explique par cette contradiction.

Pour la colonisation, l'instruction est un mal nécessaire. On s'efforcera donc de limiter sa diffusion au minimum strictement indispensable, en quantité comme en qualité.

Et, puisqu'on ne peut se passer de l'enseignement, on cherchera à l'utiliser au mieux des intérêts de la colonisation. La dépersonnalisation culturelle entre ici dans les moyens de cette politique. On donnera à ces agents subalternes une formation purement française, on les convaincra de la supériorité exclusive de cette culture européenne dont ils ont le privilège d'obtenir quelques miettes, et on leur inculquera qu'elle les place bien au-dessus de leurs frères restés " sauvages", "incultes".

En même temps on s'efforcera de les modeler suivant les règles du "bon esprit" : ils doivent reconnaître la supériorité du Blanc, de sa civilisation qui les a sauvés de la cruauté sanguinaire des "roitelets barbares", lui vouer respect, reconnaissance et surtout obéissance.

[…]

Ainsi, l'A.O.F. de 1945 ne comportait aucun cadre autochtone ayant suivi l'enseignement supérieur. Médecins africains diplômés de l'école de Médecine de Dakar et instituteurs diplômés de Ponty constituaient la couche supérieure de l'élite intellectuelle. L'école normale W. Pontv comptait 281 élèves (dont 42 dans la section enseignement), l'école de Médecine de Dakar 106 élèves.

Le seul agrégé africain avait fait ses études en France, et y enseignait dans un lycée de province1.

[…]

Le bilan est simple : en 1945 on peut estimer que partout la proportion des illettrés dépasse 95 % de la population. En A.O.F., le pourcentage des enfants effectivement scolarisés par rapport aux enfants en âge de fréquenter l'école est de 3,34 % : par territoire, il varie de 0,82 % (Niger) à 4,25 % pour le Sénégal et 7,8 % pour le Dahomey. Encore faut-il tenir compte, pour expliquer ce dernier pourcentage, comme pour ceux de l'A.E.F. (6,1 %) du Togo (16,1 %) et au Cameroun (17,3 %) des effectifs considérables des écoles privées, dont le niveau est extrêmement bas. »

Ce qui inspire cette réflexion de l’inspecteur général Delage, à propos des méthodes d’enseignement et des contenus jusque-là en vigueur dans les colonies d’Afrique :

« Notre enseignement colonial (ne pourra) en aucun cas, se limiter à un simple dressage. Il ne s'agira pas de donner aux Noirs les quelques notions de langage, d'écriture, de calcul et d'hygiène destinées à faciliter la compréhension des ordres du Blanc.

Il ne s'agira pas de perfectionner un automate à notre service. Notre école africaine ne saurait être conçue comme une école de boys. »

Les griefs à l’encontre du système d’enseignement sont nombreux et variés.

Abdou moumouni (1929-1991)

Professeur Abdou Moumouni (1929-1991), Nigérien, agrégé de Physique en 1956, fait partie de ces intellectuels africains qui ont mené une réflexion approfondie sur le système d’enseignement colonial, [voir L’Éducation en Afrique, Editions MASPERO (1964)]. Il fut Consultant de l'UNESCO sur les questions d'éducation en Afrique ,et occupa de nombreuses fonctions internationales.

 

20e siècle, entrée en scène d’intellectuels africains.1924-1946.

Dans son ouvrage, L’Éducation en Afrique, Abdou Moumouni cite G. Hardy :

« Jusqu’en 1924 donc, pont d’école "obligatoire pour tous" à la Jules Ferry, encore moins de classes calquées sur leurs homologues françaises, mais en terre africaine. On ne saurait être plus explicite que ces quelques extraits de texte officiels :

"Deux ou trois ans de scolarité, une cinquantaine d’élèves par classe. Nous n’avons pas de temps à perdre. Allons aux besognes essentielles ?... Dans les écoles de villages ! il est bien entendu que ce français (langue commune) sera simple autant que possible, et limité à l’expression d’idées courantes, à la désignation d’objets visuels, sans raffinement de syntaxe et sans prétention à l’élégance. Et ce sera avant tout du français parlé. »

L.S. Senghor

Les premières élites africaines contre les programmes, les méthodes et les objectifs de l’enseignement colonial

En effet, ces premières élites formées en France, ont, comme aspiration principale pour la plupart,l’« assimilation » miroitée par la IIIe République et souvent présentée comme objectif majeur de la colonisation.

De tous ces « évolués », le plus connu, en France notamment, c’est le député sénégalais, Léopold Sedar Senghor, élu sous la IVe République, Senghor apparaît comme le véritable porte-étendard, le plus constant de la lutte contre l’enseignement colonial, qu’il qualifie d’« enseignement au rabais ». Son objectif, c’est l’unification définitive des programmes scolaires, en gommant toute différenciation entre programmes métropolitains et programmes scolaires en Afrique.

Sont vœu ne fut exaussé qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

En effet, jusque-là, seul le Sénégal connaissait un système d’enseignement digne de ce nom ; il fut la seule colonie rebelle à l’école rurale.

Les élites coloniales d’alors, les premiers députés à siéger au Palais Bourbon, à l’exemple de Senghor, ont réclamé, partout, en AOF notamment, un système d’enseignement qui garantisse aux jeunes Africains, l’accès à la culture et à la promotion sociale.

Les programmes scolaires de la métropole et ceux des colonies unifiées, l’AOF fut rattachée à l’Académie de Bordeaux jusqu’à la fin de la colonisation.

Georges Hardy  (1884-1972)

1924 : loi de scolarité obligatoire en Afrique francophone

         Inversion des hiérarchies traditionnelles

Sous l’impulsion de Georges Hardy, alors tout puissant responsable de l’enseignement colonial, les « lois Jules Ferry » : scolarité obligatoire, furent introduites en Afrique. Mais pour l’essentiel, ce sont des fils d’esclaves ou ceux de catégories sociales « mineures » qui furent envoyés à l’école, les anciens aristocrates ou anciens chefs refusant de « donner leurs enfants aux Blancs ». C’était pour eux une manière de résister à la domination coloniale. ( Tout comme lors de la Première Guerre mondiale, pour le recrutement de soldats africains, le chef de canton, ou  le chef de village, simple exécutant de l’administration coloniale, n’envoyait, pour l’’essentiel ,que des recrues de « condition  sociale inférieure »).

Mais à l’accession à l’indépendance, le colonisateur parti, les fils d’anciens esclaves, scolarisés, formés à l’école française, devinrent les responsables politiques des nouveaux États, au grand dam des descendants de familles de classe élevée.

Un bilan de l’école coloniale ? Pour qui ? Les Français ou les Africains ?

       Ce qu’ils ont gagné (les uns et les autres) vaut-il ce qu’ils ont perdu ?

Tout d’abord il convient de rendre justice aux premiers instituteurs pionniers de l’instruction en Afrique.

Qu’ils soient métropolitains ou autochtones, blancs ou noirs, ils méritent la reconnaissance publique, vu les conditions dans lesquelles ils ont exercé leur métier.

Par ailleurs l’apprentissage de la langue française fut pour les Africains une ouverture au monde, mais aussi et surtout, le brassage des populations de l’Afrique francophone, (ouverture de l’Afrique à l’Afrique par conséquent) en brisant les multiples barrières linguistiques.

Quant à la France, en niant ou méprisant les langues et cultures africaines, le colonisateur s’est privé d’une ouverture sur une richesse culturelle et humaine inestimable, car, une langue (ou une culture), quelle que soit son importance ou l’étendue de sa sphère de diffusion, exprime une vision spécifique du monde. L’apprendre, ou la reconnaître, c’est enrichir sa propre culture. Cette richesse aurait sans doute permis d’enrichir davantage le français et le Français, de même que les relations entre Africains et Français, hier et aujourd’hui.

1. Il s’agit de L. S. Senghor, futur président du Sénégal et membre de l’Académie française.

2. Archives nationales du Sénégal : Instruction des indigènes.

 

Partager cet article
Repost0
3 juin 2018 7 03 /06 /juin /2018 07:08

FAUT-IL INSTRUIRE LES INDIGÈNES DES COLONIES FRANÇAISES D’AFRIQUE ? (4)

Programmes, bilan, réflexion critique de l’enseignement colonial

AOF-AEF

Programmes et objectifs

Les programmes, de même que les méthodes d’enseignement, sont fonction des objectifs de l’enseignement colonial en Afrique.

Les textes officiels, de 1817 à 1945, mettent en adéquation programmes, méthodes et objectifs. Ces textes demeurent en conséquence les matériaux premiers de toute réflexion sur l’instruction des indigènes dans les colonies d’Afrique.

Ainsi, celui promulgué par le gouverneur général de l’AOF, Camille Guy en 1922, fixe l’orientation générale :

« De l'air, avant tout de l'air ! s'écrie le gouverneur Camille Guy. Les bons programmes ne s'obtiennent qu'en élaguant, non en ajoutant. Enseignement du français, des sciences élémentaires, des travaux professionnels et enseignement technique approprié au milieu et c'est suffisant. A agir autrement on ne prépare pas des citoyens français, mais des déclassés, des vaniteux, des désaxés, qui perdent leurs qualités natives et n'acquièrent que les vices des éducateurs. C'est par ce système qu'on crée de toutes pièces des René Maran et qu'un beau jour apparaît un roman comme Batouala, très médiocre au point de vue littéraire, enfantin comme conception, injuste et méchant comme tendances. »1

Dans la lignée de ce texte, un autre gouverneur général de l’AOF précise en 1924 :

« Si nos écoles ainsi conçues (avec des programmes voisins de ceux utilisés en France. J.S.-C.) nous donnèrent de nombreux collaborateurs d'un loyalisme éprouvé, elles formèrent aussi, hélas, un contingent important de déracinés aigris qui devinrent nos contempteurs et nos ennemis.

Fallait-il les fermer comme d'aucuns le conseillaient ? Une solution aussi radicale, outre qu'elle n'était pratiquement pas réalisable, aboutissait à abandonner à leur propre inspiration l'éducation de nos sujets, ou, ce qui serait plus dangereux encore, aux initiatives des adversaires de la colonisation.

Il ne s'agissait donc pas d'abandonner, il fallait réformer l'enseignement. »2

Qu’apprennent-ils à l’école, concrètement ?

 "Dans l’esprit du temps l’enseignement dont l’intention majeure reste pourtant la même (reproduire le système colonial et favoriser l’exploitation des richesses) ne cherche nullement à accélérer le processus de scolarisation, ni à développer l’enseignement de qualité", selon A. Tirefort  (déjà cité).

Et le texte promulgué,émanant du gouverneur général  de L'A.O.F.précise:

« Considérons l’instruction comme chose précieuse qu’on ne distribue qu’à bon escient et limitons-en les bienfaits à des bénéficiaires  qualifiés. Choisissons nos élèves tout d’abord parmi les fils de chefs et notables… » (Gouverneur général Roume, 1924).

Et Georges Hardy (voir article 2 du blog du 20 mai 2018), principal responsable de l’enseignement colonial dans l’entre-deux-guerres fixe le cap :

« L’école sera tout bonnement préparatoire à toutes sortes d’apprentissages agricole, industriel, commercial. Civiliser une population indigène, ce n’est pas la faire entrer brusquement dans les cadres, et les habitudes de notre vieille société ; la moindre expérience permet d’affirmer qu’une telle entreprise ne peut aboutir, qu’elle n’est pas exempte de dangers. »

En conséquence, les programmes proposent un enseignement pratique, autour de l’apprentissage du français, comme précisé ci-dessous :

« Éviter que l'enseignement des indigènes ne devienne un instrument de perturbation sociale

Le français doit être imposé au plus grand nombre d'indigènes et servir de langue véhiculaire dans toute l'étendue de l'Ouest africain français. Son étude est rendue obligatoire pour les futurs chefs, et cette mesure constitue une innovation de l'arrêté3. Il n'est pas admissible, après quarante ans d'occupation, que tous les chefs sans exception, avec lesquels nos relations de service sont journalières, ne puissent entrer en conversation directe avec nous. » (Dans J Suret-Canale, déjà cité).

L’enseignement agricole, une place de choix dans les programmes, derrière le français

Selon une voix autorisée, Jean Suret-Canale, spécialiste de ce sujet :

« L'enseignement « agricole » devient obligatoire, et l'on y consacre jusqu'à la moitié des horaires, la classe proprement dite étant réduite à quatre heures et demie par jour.

Des champs, des plantations, des troupeaux, sont annexés à l'école et leur entretien devient la préoccupation essentielle. C'est d'après leur état et leur rendement qu'on note les instituteurs

Un document officiel donne de ce système l’appréciation suivante :

"Les résultats de l'école de village ne furent guère brillants. Dans ces écoles, l'enfant, parfois recruté de force, devait souvent collaborer à l'exploitation de la ferme annexée à l'école où il exerçait des travaux pénibles et le plus souvent dépourvus de valeur éducative. C'est pourquoi certains préféraient prendre la fuite." (L’enseignement dans les territoires d’outre-mer, Documentation française, Notes et Études documentaires, n° 1896).

 

Dépourvues de tout matériel moderne, ces écoles ne peuvent donner aucun enseignement agricole valable ; quant à l'agriculture traditionnelle, les jeunes élèves qui la pratiquent avec leurs parents depuis le plus jeune âge n'ont rien à apprendre en cette matière et en savent souvent plus que leurs maîtres.

L' "enseignement agricole" se réduit ainsi à des corvées manuelles. »

 

Malgré la place de choix attribuée aux deux matières considérées comme les plus importantes des programmes scolaires, le français et l’agriculture, les résultats révélés par différentes enquêtes officielles font état d’un déficit chronique de la seconde.

Nonobstant la réforme du gouverneur général des Colonies, Jules Brévié, en 1935, l’enseignement agricole paraît en grande difficulté par rapport aux objectifs à atteindre.

 

D’une manière générale, au-delà de l’échec de l’enseignement agricole, c’est l’ensemble du système scolaire mis en place dans les colonies qui est en cause, pour de multiples raisons.

Les réflexions critiques sur son bilan se font jour, de plus en plus nombreuses et incisives, y compris parmi les administrateurs coloniaux, les penseurs et intellectuels français, de même que les premières élites africaines, sorties de l’école française.

Le premier, Charles Régismanset , haut fonctionnaire du ministère des colonies(voir article 2 du blog du 20 mai 2018), en dévoilant des intentions cachées de l’action coloniale de la France en Afrique, sème le doute, peut-être inconsciemment, sur l’engagement réel de la France pour le progrès matériel, social, culturel de ses indigènes.

C’est sans doute que les premiers intéressés, les indigènes, et plus précisément leurs premières élites formées, mettent en parallèle cette déclaration et les intensions proclamées dès le début de la colonisation au 19e siècle. D’autant plus que des voix encore plus autorisées abondent dans le sens de Régismanset, tout spécialement Maurice Delafosse (voir blog article « Galerie de portraits de colonisés français au XIXe siècle (2) », 17/11/2017).

Maurice Delafosse (1870-1926)

Historien, administrateur colonial, humaniste

Maurice Delafosse écrit  ainsi en 1921 :

« Si nous condescendons à être francs vis-à-vis de nous-mêmes, nous sommes bien forcés d’avouer que ce n’est pas l’altruisme qui nous a conduits en Afrique, au moins en tant que nation. Que de pieux missionnaires, ayant voué leur vie au salut de l’âme de leurs semblables, soient allés là-bas dans le seul but d’être utiles à leurs frères noirs, en l’autre vie sinon en celle-ci, je l’admets volontiers. Mais ce ne sont point de pareils motifs qui nous ont amenés à planter notre pavillon au Sénégal et sur les côtes de Guinée, ni à batailler avec les indigènes pour leur faire accepter notre autorité.

Tantôt nous voulions assurer des débouchés à notre commerce ou des ressources de matières premières à notre industrie, tantôt nous éprouvions le besoins de protéger la sécurité de nos nationaux ou le besoin de ne pas nous laisser devancer par des rivaux étrangers, tantôt nous étions mus par le désir obscur et inconscient de procurer un peu de gloire ou de grandeur à notre patrie, tantôt nous obéissions simplement aux caprices du hasard ou suivions la trace d’un explorateur, parce que nous croyions ne pas pouvoir faire autrement. En aucun cas je ne découvre, comme mobile de notre expansion coloniale en Afrique, la volonté réelle et raisonnée de contribuer au bonheur des populations que nous sommes allés subjuguer. C’est là une excuse que nous donnons facilement après coup, ce ne fut jamais un dessein…

Loin de moi de jeter la pierre à ceux qui ont poussé la France dans cette voie… Mais la générosité de leurs intentions n’a pas dépassé les frontières de la patrie française et l’action nationale qu’ils ont mise en mouvement, pour admirable qu’elle ait été et qu’elle demeure du point de vue national, n’en fut pas moins égoïste du point de vue humain. »4.

1. C. Guy, A.F., 1922, n° 1, p. 43. René Maran, administrateur colonial antillais, avait dans son roman Batouala, qui obtint le prix Goncourt en 1922, dénoncé l'atroce condition des Noirs du Congo et dépeint avec réalisme le milieu administratif. Il souleva la colère des coloniaux. L'auteur devait finir, d'ailleurs, dans la plus parfaite orthodoxie coloniale.

2. Communication à l'Académie des Sciences coloniales de M. le gouverneur général Jules Brévié, le 13 octobre.

3. Arrêté du 1er mai 1924.

4. Maurice Delafosse, Sur l’orientation de la politique indigène de l’Afrique noire, A.F., R.C., 1921.

 

Partager cet article
Repost0
27 mai 2018 7 27 /05 /mai /2018 07:34

FAUT-IL INSTRUIRE LES INDIGÈNES DES COLONIES FRANÇAISES D’AFRIQUE ? (3)

Écoles, enseignants

Maîtres autochtones et maîtres métropolitains

Coexistence et hiérarchie

AOF-AEF

Écoles : la diversité est la règle

       —Diversité des noms ou appellations.

       —Diversité des statuts des établissements et du personnel.

On distingue ainsi :

       —L’école de village (la moins bien dotée).

       —L’école du canton (école cantonale).

       —L’école de la région (école régionale)…

Mais aussi :

       —École des fils de chefs.

       —École des otages…

(Écoles des otages, écoles des fils de chefs, crées par Faidherbe, gouverneur du Sénégal à partir de 1854. Etablissements où sont scolarisés de force des fils de chefs ou de notables ayant résisté à la domination coloniale, l’objectif étant d’en faire des auxiliaires dociles. Le Sénégal et le Soudan (actuel Mali) furent les principales régions d’implantation de ces écoles).

Enfants de l'École des otages créée  à Saint-Louis (Sénégal) par Faidherbe  

On distingue également des écoles sans nom : celles fondées par des militaires au cours de la conquête coloniale : de 1854 à 1900 ce sont pour la plupart des écoles éphémères, dont le destin est lié à l’histoire de la guerre et la conquête des régions d’implantation, en conséquence, des plus précaires.

On distingue aussi les écoles de Nomades (Peuls, Touaregs…). Écoles itinérantes, sans implantation fixe, où l’instituteur se déplace avec les propriétaires et les troupeaux, au quotidien. L’instituteur doit s’adapter ou démissionner (ou déserter).

Jean Suret-Canale (1921-2007) professeur français  d’histoire

 

Architecture générale de l’école française d’Afrique

« La structure établie était la suivante.

L'enseignement primaire élémentaire serait donné dans trois sortes d'écoles :

  • au niveau inférieur, l’école de village où enseigneraient des moniteurs indigènes. On y apprend les « rudiments de la langue française et du calcul » et l'on se propose d'y « initier les enfants aux travaux agricoles » ;
  • au niveau supérieur, l’école régionale, sise au chef-lieu cercle, comprenant outre les classes préparatoire et élémentaire tenues par des adjoints, un cours moyen tenu par un instituteur européen remplissant les fonctions de directeur. Les études y sont sanctionnées par un certificat d'études primaires élémentaires (C.E.P.E.) local, d'un niveau inférieur à celui de la métropole ;

— parallèlement, l’école urbaine, aux chefs-lieux de colonies et dans les grands centres, donnera aux enfants de la population européenne et assimilée un enseignement suivant les programmes français conduisant au C.E.P.E.

L'enseignement professionnel se limita à une école, l’école Pinet-Laprade, à Gorée, qui fonctionna de 1904 à 1924. Elle formait des contremaîtres, mais devait donner sa formation pratique à l'extérieur, « dans des ateliers publics et privés ».

L'enseignement primaire supérieur et commercial fut donné par l’école Faidherbe à Saint-Louis. Les écoles primaires supérieures (dont une seule était alors créée) devaient recruter au niveau du C.E.P.E. ; la durée des études était de deux ans, mais pouvait être réduite à une année selon les besoins de recrutement en personnel subalterne.

Enfin une école normale à Saint-Louis, formera pour toute l'A.O.F. les cadres africains dans deux sections, section normale (instituteurs) et section administrative (interprètes, chefs). Elle recrute parmi les meilleurs élèves des E.P.S. et la durée des études y est de trois ans. C'est la vieille « Ecole des fils de chefs » qui en tiendra lieu. » (Jean Suret-Canale, Afrique noire, occidentale et centrale, 1961)

Les écoles des congrégations religieuses qui, en plusieurs régions précédèrent l’école publique, sont implantées au Sénégal, mais surtout en Afrique équatoriale pour la plupart.

« Les lois sur les congrégations amenèrent l'administration coloniale, en 1903, à retirer aux religieux la gestion des écoles publiques. Ceux-ci conservèrent toutefois celles qui étaient attachées en propre aux missions et créèrent par la suite des écoles privées, que l'administration subventionna au moins en A.E.F.

Conduit pour la première fois à s'occuper des choses de l'enseignement, le gouvernement général de l'A.O.F., par trois arrêtés du 24 novembre 1903, institua un système scolaire qui devait durer, à quelques détails près, aussi longtemps que le régime colonial lui-même. » (id)

 

Saint-Louis du Sénégal, berceau de l’école publique laïque en Afrique

En matière d’enseignement, le Sénégal fut un véritable laboratoire. Ce qui fut implanté à Saint-Louis (première possession française d’Afrique depuis Louis XIV), s’étendit peu à peu sur l’ensemble du Sénégal, puis sur l’ensemble de l’A.O.F et plus tard, sur l’A.E.F.

En effet, la 1ère école française fut fondée à Saint-Louis du Sénégal par l’instituteur bourguignon Jean Dard (voir plus loin).

 

Saint-Louis du Sénégal (19e S)

Jean Dard, instituteur français, né le 21 juin 1789 en Côte d’Or, mort à Saint-Louis du Sénégal en 1833, à 44 ans,a ouvert la première école française d’Afrique noire en 1817.

Deux ans plus tard, en 1819, s’installait à Saint-Louis, la congrégation des religieuses de Saint-Joseph de Cluny, fondée par la mère Javouhey.

Les maîtres : recrutement et fonction

« Faute de personnel, on continua à recruter comme instituteurs un peu n'importe qui (colons ou commerçants ruinés, agents de factoreries licenciés par leurs patrons), et, en marge de leurs fonctions, on fit appel aux militaires et fonctionnaires.

En 1906, on comptait en Guinée 12 écoles régionales (tous les cercles n'en possédaient pas), une école urbaine et une école de filles à Conakry, et trois écoles de village seulement. En tout 1.345 élèves, dont 243 filles, fréquentaient les écoles publiques. Les pères tenaient en outre 3 écoles, avec 83 élèves. Le personnel comptait 13 instituteurs et 6 institutrices européens, 18 moniteurs et 2 monitrices africains.

En 1907, l'A.O.F. entière ne compte que 76 écoles de village, 33 écoles régionales (les deux tiers des cercles en sont donc dépourvus) et 12 écoles urbaines.

En 1912, les effectifs scolaires publics s'élèvent à 11.000 élèves, auxquels s'ajoutent 2.600 élèves de l'enseignement privé.

Quant à l'A.E.F., elle continue à ignorer à peu près complètement le problème de l'enseignement, qui est abandonné aux missions.

Le premier crédit budgétaire ouvert à ce titre (12.000 francs) le sera en 1906, au Gabon, pour l'établissement d'une école laïque à Libreville. Au budget de 1911, le Gabon avait prévu, sur 2.200.000 francs, 25.000 francs pour l'enseignement. Il n'en sera utilisé que 5.406,84 francs, trois des quatre écoles existant en 1910 ayant été fermées faute d'instituteurs. A celle de Libreville, seule demeurée ouverte, l'enseignement était donné par des agents des services civils, moyennant une indemnité supplémentaire. La même année, le Moyen-Congo avait consacré à l'enseignement un peu moins de 20.000 francs; l'Oubangui et le Tchad, absolument rien.

Un arrêté du 4 avril 1911 avait prévu la création d'un cadre du personnel enseignant : il ne fut pas appliqué.

De 1910 à 1919, cinq instituteurs seulement furent recrutés pour l'A.E.F.

C'est seulement en 1912 que l'A.O.F. fit un premier pas vers la réalisation des principes posés en 1903.

Il est alors créé un service de l'Enseignement, dirigé par le gouverneur général (qui ainsi n'abdique pas) assisté par un inspecteur de l'Enseignement de l'A.O.F. Le premier inspecteur sera Georges Hardy, agrégé d'histoire et de géographie, ancien élève de l'Ecole normale supérieure.

L'école normale, l'école Pinet-Laprade, l'école administrative Faidherbe et l'école des pupilles mécaniciens de la Marine (Dakar) sont placées sous son autorité directe et prennent un caractère fédéral. L'école normale, jusque-là simple « section normale » créée en 1904 à l'école des fils de chefs, est transférée de Saint-Louis à Gorée : elle prendra bientôt le nom d'école normale William Ponty. » (id)

Un pionnier méconnu : Jean Dard.

Le premier instituteur du Sénégal, Jean Dard, apprend le wolof, rédige le premier dictionnaire français-wolof, la première grammaire wolof, et plaide pour l’enseignement de base en wolof, mais il ne fut pas suivi.

L’intention de Dard de faire du wolof une langue écrite et enseignée était originale et d’ailleurs en contradiction avec les intentions de ses protecteurs parisiens. Il fut donc rappelé en France.

L’idée de commencer l’instruction en langue maternelle des jeunes autochtones dans les possessions françaises d’Afrique occidentale fut définitivement abandonnée, du moins dans l’enseignement public.

 

Une hiérarchie bien établie

Une hiérarchie quasi implicite s’établit entre maîtres autochtones et maitres métropolitains, dès l’arrivée de ces derniers sur le continent.

En 1919, une réforme fut tentée par l’instituteur français Dupont, alors directeur de l’École Normale William Ponty. Il fit prendre un décret dont l’objet était d’amener les instituteurs autochtones à préparer et obtenir les mêmes diplômes que leurs collègues français. « Cette décision souleva un tollé des milieux coloniaux, et tout spécialement de certains instituteurs européens, estimant inadmissible que les futurs instituteurs africains puissent avoir les mêmes titres qu'eux (voire, pour certains des titres supérieurs) et prétendre ainsi à 1 'égalité de situation et de traitement ». Dupont rappelé en France, l'arrêté ne fut jamais appliqué.

Jean Suret-Canale explique ainsi l’hostilité des instituteurs français à l’application de ce décret. Pour lui « Mais il y avait aussi des instituteurs européens compétents et ayant l'amour du métier. Même marqués par l'empreinte coloniale, ils ne pouvaient, de par leurs origines et leurs fonctions, partager intégralement les conceptions régnant en milieu administratif ; ils croyaient à la « mission civilisatrice » de la France ; ils croyaient à leur tâche d'éducateurs chargés de former des « Français Africains » et ces vues, en dépit de leurs aspects paternalistes, les conduisaient souvent à aller dans leur enseignement au-delà des limites fixées par la prudence coloniale »

Jean Suret-Canale justifie aussi cette différence de traitement entre Français et Africains :

« Mais il y avait aussi des instituteurs européens compétents et ayant l'amour du métier. Même marqués par l'empreinte coloniale, ils ne pouvaient, de par leurs origines et leurs fonctions, partager intégralement les conceptions régnant en milieu administratif ; ils croyaient à la « mission civilisatrice » de la France ; ils croyaient à leur tâche d'éducateurs chargés de former des « Français Africains » et ces vues, en dépit de leurs aspects paternalistes, les conduisaient souvent à aller dans leur enseignement au-delà des limites fixées par la prudence coloniale »

La différence de condition et de traitement entre Européens et Africains persistera encore longtemps, et ne fut remise en cause que bien après la Deuxième Guerre mondiale.

 

Partager cet article
Repost0
20 mai 2018 7 20 /05 /mai /2018 07:31

FAUT-IL INSTRUIRE LES INDIGÈNES DES COLONIES FRANÇAISES D’AFRIQUE ? (2)

En France, un débat long et âpre : 1878- 1946.

L’Afrique après le partage : 1885. Afrique britannique, française, allemande, portugaise, belge.

 

La perspective de l’ouverture des études supérieures aux autochtones des colonies ébranla sans doute  la conscience de quelques membres des gouvernements successifs, de même que des intellectuels de haut rang.

 

Les doctrinaires de l’enseignement différencié

         Diversité et convergence des arguments

 

De tous les opposants à l’instruction des indigènes en langue française, Louis Vignon (1859-1932), professeur à l’École coloniale, fut sans aucun doute le plus déterminé, le plus constant et le plus prolixe. Il fut surtout celui qui développa l’argumentaire le plus riche et le plus varié, et surtout, le plus incisif.

Pour lui, s’il faut, malgré tout, instruire les indigènes, cela doit se faire uniquement dans leur langue et cette instruction doit se placer « au seul point de vue utilitaire ».

Concrètement, pour Vignon « une grosse difficulté est la résistance que présente l’intelligence même des autochtones »

Une autre difficulté pour lui se présente dans le coût financier, « le poids de la dépense que représenterait l’instruction dispensée aux indigènes en français, notamment le recrutement des maîtres en métropole ».

Louis Vignon a un autre souci, de nature philosophique et culturel, celui de « dénationaliser nos sujets par une instruction trop européenne ».

Le professeur Vignon s’indigne par ailleurs de constater que la question de l’instruction des indigènes ne figurait pas initialement dans le projet et dans le programme de colonisation de la France avant 1892. « Et voilà que tout à coup, en cette année 1892, un cri est jeté : il faut instruire nos indigènes ! ».

Et Vignon de s’en prendre à ceux qu’il nomme « les zélés de l’instruction des indigènes ». Le premier visé est Jules Ferry. Sous l’impulsion de ce dernier en effet, dans la foulée des réformes qui ont abouti aux lois scolaires de 1881-1882, quelques écoles aux ambitions limitées : enseignement d’un français sommaire associé à une « légère formation professionnelle », furent initiées en Kabylie (Algérie).

Les responsables fanatiques de cette tendance sont : « Jules Ferry, Burdeau, Léon Bourgeois, Combes qui se montrèrent parmi les plus ardents ».

Vignon semble ne pas croire un seul instant à l’intérêt de cette instruction des indigènes en français, n’y voyant que des inconvénients pour la France ainsi que pour les indigènes eux-mêmes à terme.

Prenant le contre-pied d’un partisan de l’instruction des indigènes en français, il écrit :

« Encore Albin Rozet, Paul Bourde jugeaient-ils hier le mouvement trop lent. « Le jour, écrivait le premier, où notre Nord-Africain parlera français, il sera véritablement une terre française et un prolongement de la patrie. Il sentira et pensera comme la France. » Et Bourde dans le Temps : « L'enseignement des indigènes est la clef de voûte de notre œuvre au delà de la Méditerranée. De lui dépend l'avenir de notre nation elle-même, car ce n'est que par l'instruction que la France peut espérer absorber les 15 millions d'indigènes qu'elle va désormais porter logés dans ses flancs. »

Ce sont là, hélas, des attitudes, des mots et, pour partie, des illusions ! La question est loin d'être aussi simple parce qu'au fond, et tréfonds, on rencontre l'irréductible opposition des mentalités, des civilisations ; que ces mentalités sont édifiées à travers les âges. Africains et Asiatiques ne sont point, comme le croient les assimilateurs idéologues, des « attardés » qu'il suffit de prendre par la main pour .en faire des Français ; ce sont d'autres hommes. La seule présence des européens, leur mode de vivre, leur action économique troublent déjà les indigènes profondément, et sur tous les points du monde. Leur porter avec précipitation langue, livres, idées, les troublera bien davantage. S'il ne s'agissait que de mettre le Noir, l'Arabo-Berbère, l'Annamite en état d'échanger avec son administrateur, son employeur, les mots usuels nécessaires : réclamations, explication de la feuille d'impôt, conditions d'engagement de travail, taux du salaire... cela ne soulèverait aucune objection. Une question seulement se poserait, qui, suivant les possessions, recevrait différentes réponses : sur tant de millions d'indigènes, combien en est-il de centaines ou de milliers qui aient suffisamment chance de rencontrer administrateurs ou colons pour qu'il soit nécessaire de leur donner ce petit bagage ? et pour, l'ayant acquis, l'entretenir et le conserver ? Mais, — et voici la grosse préoccupation, le danger, — l'enseignement de notre langue ne portera pas à nos sujets que des mots, il leur portera aussi des idées, idées tout à fait différentes des leurs, élaborées peu à peu à travers les siècles par des cerveaux autrement construits, travaillant autrement. »

 

De toute évidence, Vignon ne croit guère aux arguments des partisans de l’assimilation par le truchement de la langue française.

Scepticisme ainsi exprimé :

« avant de songer à jeter dans le courant de la civilisation européenne des esprits qui en sont si éloignés, il serait mieux de s’inquiéter de la place que pourront prendre "nouveaux instruits" et "intellectuels" dans leur propre pays. D’abord, pourquoi le dissimuler ? Il n’est pas certains que, du moins pendant un temps, ils reçoivent au sortir de nos écoles bon accueil de la part de leurs coreligionnaires. En q’y rendant, ne se sont-ils pas, en quelque sorte, mis hors de la communauté ? »

Poursuivant son argumentation, de l’Afrique du Nord à l’Afrique noire :

« En Afrique noire, la question se présente sous d'autres aspects. Ici, comme au Maghreb, la nécessité d'une langue véhiculatrice se fera peu à peu sentir, — nécessité économique, politique aussi, pour cette raison qu'à des tribus différentes, parlant cent dialectes et qui se battaient hier, nous avons imposé la paix française. Poussés par la nécessité, les Noirs de quelques parties du Sénégal, ont essayé, un temps, d'écrire leurs parlers avec les caractères arabes, mais outre l'imperfection du système, il ne serait pas sage de favoriser dans nos possessions la propagation de la langue en laquelle s'écrit le Coran. »

Et, comme prenant à témoin la conscience nationale, aujourd’hui et demain, il présente sa réflexion et son point de vue sur cette question sinon comme un devoir, du moins comme service rendu à sa patrie.

« Les préoccupations n’ont cessé d’apparaître à chaque ligne de cette étude, comme le souci de tenir à une juste mesure — mesure que nos gouverneurs tentent toujours de passer. La difficulté, pour nos sujets, de prendre d'un coup l'instruction française, de retenir ce qui leur aura été enseigné ; celle, pour les gouvernements coloniaux, de recruter de bons maîtres ; puis, encore, la préoccupation de résister à l'élévation des dépenses afin de boucler leur budget, constitueront des "surfaces de flottement" qui modéreront la "fureur scolaire". Si, — et en quelle mesure, — nos indigènes se modifieront au contact des idées nouvelles ; s'ils se rapprocheront ou éloigneront de leurs éducateurs, l'avenir le dira. Une seule chose apparaît dès maintenant certaine au sociologue, c'est que l'instruction primaire, professionnelle, secondaire, supérieure, technique ne transformera nulle part Noirs, Arabo-Berbères et Jaunes en des Français : déterminés physiologiquement et psychologiquement dans leur mentalité par l'hérédité, le milieu, la société, ils demeureront ce qu'ils sont, des Noirs, des Arabo-Berbères, des Jaunes, n'évolueront que suivant les possibilités et les modes de représentation de leurs cerveaux. »

Puis,

« Ainsi la France est la seule nation coloniale qui, obéissant au sentiment, méconnaissant les faits, a, dès la première heure, donné à ses sujets des droits politiques extraordinaires ; la seule qui convie leurs élus non seulement dans des assemblées locales, mais encore dans les assemblées métropolitaines. Ce faisant elle expose ses colons, sa domination, aux plus graves dangers en même temps qu'elle dévoye les populations ; ce faisant elle refuse de tenir compte des enseignements de la nature. »

Enfin, Louis Vignon clôt son long exposé, dense et argumenté par une mise en cause générale de la politique coloniale de la France au début du 20e siècle.

« Une chose est apparue bien nettement : la confusion des méthodes et des principes, l'incohérence des solutions, la contradiction des résultats. »

Sans avoir la densité, la variété et la force de conviction de l’argumentation du professeur Vignon, Georges Hardy est aussi un farouche défenseur de l’enseignement différencié. Pour lui, c’est une véritable aberration que d’enseigner le même programme aux élèves de métropole et à ceux des colonies.

Georges Hardy (1884-1972)

Georges Hardy, professeur d’histoire, haut fonctionnaire de l’Enseignement colonial. Il est l’artisan d’une réforme profonde de l’enseignement dans les colonies françaises.

 

Plaidoyer pour un enseignement différencié dans les colonies

         École de l’élite

         École de la masse

 

Sa philosophie de l’instruction des indigènes est des plus simples et des plus limpides.

Pour lui « les écoles coloniales ne doivent former, parmi les indigène qu’un petit nombre d’élites dont les autorités ont besoin pour faire fonctionner les rouages de la colonisation en dispensant à la masse un enseignement minimal. »

Georges Hardy considérait en effet, comme « dangereux pour le système colonial donc pour la métropole, la formation d’élites indigènes nombreuses, surnuméraires, qui s’insurgeraient si l’on ne pouvait leur offrir d’emplois à la hauteur de leur qualification. Elles nourriraient un sentiment de frustration qui les pousserait à embrasser la cause nationaliste ou indépendantiste ».

Il écrivait à ce propos en 1932, dans la revue L’Afrique française, s’agissant du système d’enseignement colonial

« il faut prévoir, pour les autres, c’est-à-dire la majorité, un vaste "terre-plein" qui restera au niveau de la vie indigène et qui la refléterait fidèlement. Autrement, établir une séparation nette entre les écoles destinées à former des élites, et une école populaire, une bonne école toute simple, pas savante pour un sou, exclusivement consacrée à améliorer le genre de vie traditionnel, soucieuse avant tout de ne pas déraciner, de ne pas désaxer, de ne pas déséquilibrer… »

Simple et pragmatique à souhait, cette philosophie de Georges Hardy rallia nombre de suffrages dans les rangs des opposants à l’enseignement unifié.

Parmi toutes les voix plaidant pour un enseignement différencié et spécifique aux colonies, la plus éminente fut celle dAlbert Sarraut, le deuxième plus grand théoricien de la colonisation française avec Jules Ferry, par sa longévité politique. Avocat, député radical-socialiste  de 1902 à 1924 ,puis sénateur radical-socialiste de 1926 à 1940, plusieurs fois ministre, notamment ministre des colonies de 1920 à 1931, puis de 1932 à 1933, il eut la haute main sur l’enseignement colonial pendant toute la durée de l’entre-deux-guerres et fut unanimement considéré comme le principal responsable de ce département jusqu’en 1940.

Sa personnalité et ses principales responsabilités politiques et gouvernementales (gouverneur général de l’Indochine : 1926-1928,puis de 1934 à  1935 ; président du Conseil  octobre-novembre 1933, puis janvier-juin 1936), firent de lui, le mieux placé de tous pour faire admettre la nécessité de prévoir pour les colonies, un enseignement différent de celui de la métropole.

Albert Sarraut (1872-1962)

Le triomphe de l’enseignement différencié dans les colonies

 

C’est donc tout naturellement qu’Albert Sarraut, ministre des Colonies fixe le cap.

« Instruire les indigènes est assurément notre devoir... Mais ce devoir fondamental s'accorde par surcroît avec nos intérêts économiques, administratifs, militaires et politiques les plus évidents.

L'instruction en effet, a d'abord pour résultat d'améliorer la valeur de la production coloniale en multipliant dans la foule des travailleurs indigènes la qualité des intelligences et le nombre des capacités ; elle doit en outre, parmi la masse laborieuse, dégager et dresser les élites de collaborateurs qui, comme agents techniques, contremaîtres, surveillants, employés ou commis de direction, suppléeront à l'insuffisance numérique des Européens et satisferont à la demande croissante des entreprises agricoles, industrielles ou commerciales de colonisation... »

C’est également A. Sarraut qui mit un terme au long débat sur l’ouverture de l’enseignement supérieur aux autochtones. Là, comme ailleurs, sa voix fut prépondérante. Il fixa les règles et sa philosophie en ce domaine.

« Les hautes spéculations sont un vin capiteux qui tourne facilement les têtes. Certains tempéraments n’offrent aucune résistance aux excitants… l’enseignement supérieur suppose, avec hérédité préparatoire, un équilibre des facultés réceptives, un jugement dont seule une faible minorité de nos sujets et protégés sont encore capables… »

 

 

Quelques années plus tôt, un autre haut fonctionnaire du ministère des Colonies, Charles Régismanset (1877-1945), écrivait dans un essai (1907):

« Je ne souhaite point que l’éducation noire soit poussée trop avant… tant que les populations  seront les plus faibles, elles admettront le droit du plus fort. Le jour où le "plus fort" désarmerait, le jour où elles auraient compris l’admirable mensonge de toutes ces abstractions, elles auraient tôt fait — les Amanites nous en donnent déjà un avant-goût — de dénoncer ce prétendu "contrat d’association", de s’insurger contre la tutelle et l’exploitation européennes ».

Et il résume sa philosophie en cette formule lapidaire : « assimilation irréalisable ou association hypocrite, deux systèmes également en contradiction flagrante avec le fait. »

 

Partager cet article
Repost0