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1 septembre 2019 7 01 /09 /septembre /2019 07:32

Édith SCHUSS, Perles spirituelles

L’ART ET LA NATURE SELON BAUDELAIRE (2)

La rencontre de l’art et des couleurs de la nature crée la vie

Charles Baudelaire (1821-1867)

Qu’apporte la couleur à l’œuvre d’art ?

« DE LA COULEUR

Supposons un bel espace de nature où tout verdoie, rougeoie, poudroie et chatoie en pleine liberté, où toutes choses, diversement colorées suivant leur constitution moléculaire, changées de seconde en seconde par le déplacement de l'ombre et de la lumière, et agitées par le travail intérieur du calorique, se trouvent en perpétuelle vibration, laquelle fait trembler les lignes et complète la loi du mouvement éternel et universel. — Une immensité, bleue quelquefois et verte souvent, s'étend jusqu'aux confins du ciel : c'est la mer. Les arbres sont verts, les gazons verts, les mousses vertes; le vert serpente dans les troncs, les tiges non mûres sont vertes ; le vert est le fond de la nature, parce que le vert se marie facilement à tous les autres tons1. Ce qui me frappe d'abord, c'est que partout, — coquelicots dans les gazons, pavots, perroquets, etc., — le rouge chante la gloire du vert ; le noir, — quand il y en a, — zéro solitaire et insignifiant, intercède le secours du bleu ou du rouge. Le bleu, c'est-à-dire le ciel, est coupé de légers flocons blancs ou de masses grises qui trempent heureusement sa morne crudité — et, comme la vapeur de la saison, — hiver ou été, — baigne, adoucit, ou engloutit les contours, la nature ressemble à un toton qui, mû par une vitesse accélérée, nous apparaît gris, bien qu'il résume en lui toutes les couleurs.

------

1- Excepté à ses générateurs, le jaune et le bleu; cependant je ne parle ici que des tons purs. Car cette règle n'est pas applicable aux coloristes transcendants qui connaissent à fond la science du contre point. »

La nature est couleur, émotions et vie

« La sève monte et, mélange de principes, elle s'épanouit en tons mélangés ; les arbres, les rochers, les granits se mirent dans les eaux et y déposent leurs reflets ; tous les objets transparents accrochent au passage lumières et couleurs voisines et lointaines. A mesure que l'astre du jour se dérange, les tons changent de valeur, mais, respectant toujours leurs sympathies et leurs haines naturelles, continuent à vivre en harmonie par des concessions réciproques. Les ombres se déplacent lentement, et font fuir devant elles ou éteignent les tons à mesure que la lumière, déplacée elle-même, en veut faire résonner de nouveau. Ceux-ci se renvoient leurs reflets, et, modifiant leurs qualités en les glaçant de qualités transparentes et empruntées, multiplient à l'infini leurs mariages mélodieux et les rendent plus faciles. Quand le grand foyer descend dans les eaux, de rouges fanfares s'élancent de tous côtés ; une sanglante harmonie éclate à l'horizon, et le vert s'empourpre richement. Mais bientôt de vastes ombres bleues chassent en cadence devant elles la foule des tons orangés et rose tendre qui sont comme l'écho lointain et affaibli de la lumière. Cette grande symphonie du jour, qui est l'éternelle variation de la symphonie d'hier, cette succession de mélodies, où la variété sort toujours de l'infini, cet hymne compliqué s'appelle la couleur.
On trouve dans la couleur l'harmonie, la mélodie et le contre-point. »

La symphonie des couleurs et des images à la source des émotions

« Si l'on veut examiner le détail dans le détail, sur un objet de médiocre dimension, — par exemple, la main d'une femme un peu sanguine, un peu maigre et d'une peau très-fine, on verra qu'il y a harmonie parfaite entre le vert des fortes veines qui la sillonnent et les tons sanguinolents qui marquent les  jointures ; les ongles roses tranchent sur la première phalange qui possède quelques tons gris et bruns. Quant à la paume, les lignes de vie, plus roses et presque vineuses, sont séparées les unes des autres par le système des veines vertes ou bleues qui les traversent. L'étude du même objet, faite avec une loupe, fournira dans n'importe quel espace, si petit qu'il soit, une harmonie parfaite de tons gris, bleus, bruns, verts, orangés et blancs réchauffés par un peu de jaune ; — harmonie qui, combinée avec les ombres, produit le modelé des coloristes, essentiellement différent du modelé des dessinateurs, dont les difficultés se réduisent à peu près à copier un plâtre.
La couleur est donc l'accord de deux tons. Le ton chaud et le ton froid, dans l'opposition desquels consiste toute la théorie, ne peuvent se définir d'une manière absolue :
ils n'existent que relativement. »

L’harmonie des couleurs, des lignes et des tons mariée à la nature, sous les doigts de l’artiste crée la beauté et l’émotion

« La loupe, c'est l'œil du coloriste.
Je ne veux pas en conclure qu'un coloriste doit procéder par l'étude minutieuse des tons confondus dans un espace très
limité. Car en admettant que chaque molécule soit douée d'un ton particulier, il faudrait que la matière fût divisible à l'infini ; et d'ailleurs, l'art n'étant qu'une abstraction et un sacrifice du détail à l'ensemble, il est important de s'occuper surtout des masses. Mais je voulais prouver que, si le cas était possible, les tons quelque nombreux qu'ils fussent, mais logiquement juxtaposés, se fondraient naturellement par la loi qui les régit.
Les affinités chimiques sont la raison pour laquelle la nature ne peut pas commettre de fautes dans l'arrangement de ses tons ; car, pour elle, forme et couleur sont un.
Le vrai coloriste ne peut pas en commettre non plus ; et tout lui est permis, parce qu'il connaît de naissance la gamme des tons, la force du ton, les résultats des mélanges, et toute la science du contrepoint, et qu'il peut ainsi faire une harmonie de vingt rouges différents.
Cela est si vrai que, si un propriétaire anticoloriste s'avisait de repeindre sa campagne d'une manière absurde et dans un système de couleurs charivariques, le vernis épais et transparent de l'atmosphère et l'œil savant de Véronèse redresseraient le tout et produiraient sur une toile un ensemble satisfaisant, conventionnel sans doute, mais logique.
Cela explique comment un coloriste peut-être paradoxal dans sa manière d'exprimer la couleur, et comment l'étude de la nature conduit souvent à un résultat tout différent de la nature. »

L’harmonie des couleurs, des tons et des lignes est densité de vie

« L'air joue un si grand rôle dans la théorie de la couleur que, si un paysagiste peignait les feuilles des arbres telles qu'il les voit, il obtiendrait un ton faux ; attendu qu'il y a un espace d'air bien moindre entre le spectateur et le tableau qu'entre le spectateur et la nature.

Les mensonges sont continuellement nécessaires, même pour arriver au trompe-l'œil.

L'harmonie est la base de la théorie de la couleur.

La mélodie est l'unité dans la couleur, ou la couleur générale.

La mélodie veut une conclusion ; c'est un ensemble où tous les effets concourent à un effet général.

Ainsi la mélodie laisse dans l'esprit un souvenir profond.

La plupart de nos jeunes coloristes manquent de mélodie.

La bonne manière de savoir si un tableau est mélodieux est de le regarder d'assez loin pour n'en comprendre ni le sujet ni les lignes. S'il est mélodieux, il a déjà un sens, et il a déjà pris sa place dans le répertoire des souvenirs.

Le style et le sentiment dans la couleur viennent du choix, et le choix vient du tempérament.

Il y a des tons gais et folâtres, folâtres et tristes, riches et gais, riches et tristes, de communs et d'originaux. »

                                                                                                                                                               Baudelaire, Écrits sur l’Art 1.

 

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25 août 2019 7 25 /08 /août /2019 07:47

Édith SCHUSS, Perles spirituelles
(Lien : https://www.etsy.com/fr/shop/LouiseArtKdo)

L’ART ET LA NATURE SELON BAUDELAIRE (1)

La rencontre de l’art et des couleurs de la nature crée la vie

 

Charles Baudelaire (1821-1867)

Charles Baudelaire, écrivain, poète français, est né d’un sexagénaire disciple des philosophes du 18e siècle.
Sa mère, veuve en 1827, se remarie l’année suivante avec le colonel Aupick (futur général et ambassadeur sous l’empire créé par Napoléon III, neveu de Napoléon Ier).
Révolté par ce mariage, le jeune Charles ne s’entend pas avec son beau-père. Il est mis en pension à Lyon (alors qu’il est parisien de naissance). Il en éprouve de « lourdes mélancolies », un « sentiment de destinée éternellement solitaire ».
Ce qui ne l’empêche guère de compter parmi les écrivains les plus féconds , les plus célèbres du 19e siècle, et de la littérature française.
Il commence sa carrière par la critique d’art, fonction dans laquelle il excelle également en nous gratifiant de beaux textes aux thèmes variés, avant des œuvres majeures comme
Les Fleurs du Mal, le Spleen de Paris, les Paradis artificiels

Paul SCHUSS, Les prés sous la neige (aqua 2010 (2))
(Lien : http://www.adagp.fr/fr/banque-images#/?q=cGF1bCBzY2h1c3M%3D
http://www.adagp.fr/fr/banque-images#/)

« DU PAYSAGE

Dans le paysage, comme dans le portrait et le tableau d'histoire, on peut établir des classifications basées sur les méthodes différentes : ainsi il y a des paysagistes coloristes, des paysagistes dessinateurs et des imaginatifs; des naturalistes idéalisant à leur insu, et des sectaires du poncif, qui s'adonnent à un genre particulier et étrange, qui s'appelle le Paysage historique.
Lors de la révolution romantique, les paysagistes, à l'exemple des plus célèbres Flamands, s'adonnèrent exclusivement à l'étude de la nature; ce fut ce qui les sauva et donna un éclat particulier à l'école du paysage moderne. Leur talent consista surtout dans une adoration éternelle de l'œuvre visible, sous tous ses aspects et dans tous ses détails.
D'autres, plus philosophes et plus raisonneurs, s'occupèrent surtout du style, c'est-à-dire de l'harmonie des lignes principales, de l'architecture de la nature.

Quant au paysage de fantaisie, qui est l'expression de la rêverie humaine, l'égoïsme humain substitué à la nature, il fut peu cultivé. Ce genre singulier, dont Rembrandt, Rubens, Watteau, et quelques livres d'étrennes anglais offrent les meilleurs exemples, et qui est en petit l'analogue des belles décorations de l'Opéra, représente le besoin naturel du merveilleux. C'est l'imagination du dessin importée dans le paysage : jardins fabuleux, horizons immenses, cours d'eau plus limpides qu'il n'est naturel, et coulant en dépit des lois de la topographie, rochers gigantesques construits dans des proportions idéales, brumes flottantes comme un rêve. Le paysage de fantaisie a eu chez nous peu d'enthousiastes, soit qu'il fût un fruit peu français, soit que l'école eût avant tout besoin de se tremper dans les sources purement naturelles.
Quant au paysage historique, dont je veux dire quelques mots en manière d'office pour les morts, il n'est ni la libre fantaisie, ni l'admirable servilisme des naturalistes : c'est la morale appliquée à la nature.

Quelle contradiction et quelle monstruosité ! La nature n'a d'autre morale que le fait, parce qu'elle est la morale elle-même; et néanmoins il s'agit de la reconstruire et de l'ordonner d'après des règles plus saines et plus pures, règles qui ne se trouvent pas dans le pur enthousiasme de l'idéal, mais dans des codes bizarres que les adeptes ne montrent à personne.
Ainsi la tragédie, — ce genre oublié des hommes, et dont on ne retrouve quelques échantillons qu'à la Comédie-Française, le théâtre le plus désert de l'univers, — la tragédie consiste à découper certains patrons éternels, qui sont l'amour, la haine, l'amour filial, l'ambition, etc., et, suspendus à des fils, de les faire marcher, saluer, s'asseoir et parler d'après une étiquette mystérieuse et sacrée. Jamais, même à grand renfort de coins et de maillets, vous ne ferez entrer dans la cervelle d'un poëte tragique l'idée de l'infinie variété, et même en le frappant ou en le tuant, vous ne lui persuaderez pas qu'il faut différentes morales. Avez-vous jamais vu boire et manger des personnes tragiques ? Il est évident que ces gens-là se sont fait la morale à l'endroit des besoins naturels et qu'ils ont créé leur tempérament, au lieu que la plupart des hommes subissent le leur.

J'ai entendu dire à un poète ordinaire de la Comédie-Française que les romans de Balzac lui serraient le cœur et lui inspiraient du dégoût; que, pour son compte, il ne concevait pas que des amoureux vécussent d'autre chose que du parfum des fleurs et des pleurs de l'aurore. Il serait temps, ce me semble, que le gouvernement s'en mêlât ; car si les hommes de lettres, qui ont chacun leur rêve et leur labeur, et pour qui le dimanche n'existe pas, échappent naturellement à la tragédie, il est un certain nombre de gens à qui l'on a persuadé que la Comédie-Française était le sanctuaire de l'art, et dont l'admirable bonne volonté est filoutée un jour sur sept. Est-il raisonnable de permettre à quelques citoyens de s'abrutir et de contracter des idées fausses ? Mais il paraît que la tragédie et le paysage historique sont plus forts que les Dieux.

Vous comprenez maintenant ce que c'est qu'un bon paysage tragique. C'est un arrangement de patrons d'arbres, de fontaines, de tombeaux et d'urnes cinéraires. Les chiens sont taillés sur un certain patron de chien historique ; un berger historique ne peut pas, sous peine du déshonneur, s'en permettre d'autres. Tout arbre immoral qui s'est permis de pousser tout seul et à sa manière est nécessairement abattu; toute mare à crapauds ou à têtards est impitoyablement enterrée. Les paysagistes historiques qui ont des remords par suite de quelques peccadilles naturelles, se figurent l'enfer sous l'aspect d'un vrai paysage, d'un ciel pur et d'une nature libre et riche : par exemple une savane ou une forêt vierge. »

                                                                                                                                                                                                              Baudelaire, Écrits sur l’Art 1.

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11 août 2019 7 11 /08 /août /2019 07:38

LES FEMMES DANS LE REGARD DES PHILOSOPHES FRANÇAIS DES LUMIÈRES : XVIIIe SIÈCLE (5)

Du XVIIe au XVIIIe siècle
Quelle évolution ?

S’il est légitime de s’étonner des propos de Jean-Jacques Rousseau (voir article 3), comme du regard porté sur les femmes par cet écrivain, un des philosophes les plus éminents du siècle des Lumières, celui qui influença profondément les révolutionnaires de 1789, par son ouvrage, Le contrat social, il est tout aussi légitime de constater qu’il ne fut pas le seul philosophe des Lumières à avoir à l’égard des femmes, cette attitude que l’on qualifierait volontiers aujourd’hui de « réactionnaire ».
D’autres, comme lui, firent preuve de la même fermeture d’esprit à l’égard du peuple en général, dont les femmes, du moins au début du siècle.

Le débat sur l’instruction du peuple et l’éducation des femmes par l’école instauré depuis le 16e siècle s’intensifie au début du 18e.

Faut-il ou non scolariser les enfants du peuple ?
Faut-il ouvrir l’accès de l’école aux filles ?

Ce débat, qui n’est pas spécifique au 18e siècle, commencé au 16e, voire avant, entre religieux et spécialistes laïcs de l’école et de l’instruction des enfants, atteint son paroxysme au 18e siècle avec les idées nouvelles apparues au cours de ce siècle, qui annoncent l’action des Révolutionnaires de 1789, lesquels s’évertuèrent de concrétiser les idées des Lumières dans pratiquement tous les domaines  de la vie sociale: politique, religieux économique, justice, égalité, droits individuels et collectifs, liberté, formation du citoyen…

Des philosophes, à l’instar de J. J. Rousseau, s’opposaient à l’instruction du peuple et celle des femmes pour diverses raisons : politiques, économiques, sociales…
Ainsi,
Diderot (principal initiateur de l’Encyclopédie des philosophes) affirme, comme Richelieu, un siècle plutôt, qu’« un paysan qui sait lire et écrire est plus mal aisé à opprimer qu’un autre ».

Voltaire, lui, confie comme suit à son ami La Chalotais, en 1763 : « Je vous remercie de proscrire l’étude chez les laboureurs », puis il précise en 1766 : « Il me paraît essentiel qu’il y ait des gueux ignorants. Si vous faisiez valoir comme moi une terre, et si vous aviez des charrues, vous seriez bien de mon avis ; ce n’est pas le manœuvre qu’il faut instruire, c’est le bourgeois. »
La Chalotais
ayant écrit dans son Essai d’éducation nationale paru en 1763 : « Le bien de la société demande que les connaissances du peuples ne s’étendent pas plus que ses occupation. »

François-Marie Arouet dit Voltaire (1694-1778)

Quant à Jean-Jacques Rousseau, lui aussi opposé à l’instruction du peuple, son attitude vis-à-vis de cette question découle du fond et de la logique de sa philosophie : « l’homme naît bon, la société et la civilisation le corrompent ».
Il faut par conséquent éloigner le peuple de l’instruction qui mène à la civilisation.
Dans son célèbre et original traité d’éducation il écrit : « 
N’instruisez pas l’enfant du villageois, car il ne lui convient pas d’être instruit ».

Il est sans doute opportun de rappeler ici que J. J. Rousseau fut le dissident des Lumières, isolé et persécuté, en même temps qu’un des philosophes parmi les plus convaincus de l’ardente nécessité du changement qui mettrait un terme à l’inégalité sociale, à l’arbitraire de l’aristocratie, et l’injustice caractéristiques de ce qui sera appelé plus tard l’« Ancien Régime ».

Rousseau (mort en 1778) fut ainsi un des principaux inspirateurs des Révolutionnaires de 1789.
Son message politique, de même que celui des autres philosophes français du 18e siècle, amena le philosophe allemand
Kant (1724-1804) à définir les Lumières comme l’âge de la maturité humaine, et à lui donner comme devise : sapere aude, en français : ose te servir de ta raison.

Il faut convenir que cette définition englobe toute la pensée philosophique et politique de J. J. Rousseau, de Voltaire, de Diderot, mais aussi de ceux de la deuxième vague de philosophes penseurs français qui militèrent activement pour l’instruction du peuple, de tout le peuple, pour des raisons tout aussi variées, mais qui tendent toutes à libérer le peuple de l’exploitation et de la servitude, de l’ignorance et de la superstition, ainsi qu’à l’instauration de la justice, de la liberté et de l’égalité à tous les niveaux.

C’est ainsi qu’au fil de ce même 18e siècle, d’autres philosophes des Lumières adoptent une position inverse au sujet de l’instruction du peuple, afin de lui donner les moyens de se libérer de l’obscurantisme, et de résister à ceux qui l’exploitent et le maintiennent dans la servitude des Ordres supérieurs de l’Ancien Régime.
Cette évolution dans le rang des philosophes va de pair avec celle de l’Église concernant la scolarisation (des garçons comme des filles). Les économistes de l’époque (les physiocrates) ont la même vision :
ce n’es plus le progrès de l’instruction, mais au contraire une ignorance trop répandue qui risque d’être désormais un goulot d’étranglement, de freiner la croissance économique.

Des philosophes tiennent un discours tout à fait à l’opposé de ceux de Voltaire ou Rousseau, surtout à partir de 1770, 1780. D’Holbach, Helvétius, font partie de ces philosophes radicaux qui inversent la vision du peuple par rapport à l’instruction.

Helvétius Claude-Adrien (1715-1771)

Ainsi, Helvétius déclare condamner au mépris quiconque veut retenir le peuple dans les ténèbres de l’ignorance.

Pour ces philosophes de la fin du siècle, l’ignorance annihile tout esprit critique, engendre la superstition et les préjugés ; instruire le peuple selon d’Holbach, est un moyen de l’amener à se libérer des rois et des prêtres.
Voir le Livre  « 
Enseignement et l’éducation en France. De Gutenberg aux Lumières », p.395]

Puis le siècle s’acheminant vers cet ébranlement sans précédent, cette remise en question radicale de la société d’Ancien Régime dans toutes ses composantes qui se produira en 1789,les portes de l’école s’ouvrirent de plus en plus aux enfants du peuple. Dans le même temps, La Révolution française introduit des notions nouvelles dont celle des droits individuels et collectifs, de justice sociale, d’égalité, surtout, la notion de citoyen, qui implique égalité, liberté, justice, droits.
La Révolution (tout particulièrement la Convention (1793) fera de l’instruction une étape essentielle de la formation du citoyen.

Pour les femmes cependant — hormis quelques rares privilégiées aux 16e,17e et 18e siècles, le chemin de l’école et de l’instruction menant à l’égalité avec les hommes, sera autrement plus long, plus raide et escarpé.
Ni les Lumières des philosophes, ni les principes des Révolutionnaires de 1789, n’éclaireront cette longue et difficile marche à travers les siècles.
C’est tout le sens du difficile combat d’
Olympe de Gouges (Marie Olympe Gouze dite Olympe de Gouges) (1748-1793) pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Elle réclama l’émancipation des femmes dans une fameuse Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Elle fut guillotinée en 1793.

Olympe de Gouges (1748-1793)

Et le 19e siècle ?

Honoré de Balzac (1799-1850) : J’aimerais mieux avoir une femme qui eut de la barbe qu’une femme qui eût du savoir.

Note : Voir articles du blog LA LONGUE MARCHE DES FEMMES FRANÇAISES POUR L’ÉGALITÉ HOMMES-FEMMES 1 à 5.

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4 août 2019 7 04 /08 /août /2019 07:41

LES FEMMES DANS LE REGARD DES AUTEURS FRANÇAIS DU 18e SIÈCLE (4)
LE SIÈCLE DES LUMIÈRES

De la Bergère au Berger
Réponse à Jean-Jacques Rousseau

Une réponse pleine de sens et de vivacité

Une lectrice courroucée

Une lectrice, ulcérée par le texte de J. J. Rousseau, du regard que le philosophe porte sur les femmes, réagit avec esprit et véhémence.
Mais, c’est dans l’anonymat, déguisée sous le nom de
Mademoiselle XXX, qui écrit à une hypothétique Madame XXX.
Sans doute, l’anonymat lui permet-il de se mettre à l’abri d’éventuelles réactions ou désapprobations d’hommes partageant les mêmes opinions que
J.J. Rousseau à l’égard des femmes.
Sa réponse au philosophe fut publiée dans un numéro de la revue Le Mercure, daté de mars 1763.

« Peut-être, Madame, allez-vous me taxer d'ingratitude envers M. Rousseau : Vous me représenterez que je lui dois avec mon sexe beaucoup de reconnaissance, de tout le bien qu'il en dit, de ce qu'il daigne même en parler, soit en bien, soit en mal. Mais je ne crois pas qu'il se fasse pour cela beaucoup de violence, il aime trop les femmes pour n'y pas penser, et pour n'en pas parler plus qu'il ne voudrait. On m'avait déjà prévenue qu'il nous exaltait beaucoup dans son dernier ouvrage : je n'en puis disconvenir. Mais nous ne devons pas, ce me semble, en tirer beaucoup de vanité. Il a eu soin d'effacer par le trait le plus humiliant, tout le plaisir que cela pouvait nous faire. Il veut qu'une femme soit femme et rien de plus. Si la comparaison est permise, j'oserai représenter à M. Rousseau, qu'un homme élevé comme tout homme l'est selon son état, est bien plus au-dessus de son Etre, qu'une femme. Cependant souvent vous le voyez qui non content de l'éducation qu'on lui donne, veut franchir les bornes qu'elle lui prescrit. Son génie transcendant veut être créateur. Il ajoute aux Arts et aux Sciences, qu'il possède, et veut en produire de nouvelles. S'il s'abîme dans la spéculation, il veut lire jusques dans l'avenir; il interroge les astres, il mesure leur étendue, leur distance, il prédit les révolutions qui doivent leur arriver; il fait plus, il veut comprendre celui qui les a créés. Tandis qu'il n'est point de limites pour son esprit curieux, qu'il veut pénétrer ce qui est impénétrable, et percer le voile que la Providence a mis sur ses décrets; enfin tandis qu'il s'élève jusqu'à la Divinité même, il ne sera pas permis à une femme de s'élever seulement jusqu'à l'homme, en désirant la moindre partie de l'éducation qu'on lui donne ! Serait-ce en l'imitant qu'on se ferait indigne de lui ? Je conviens qu'il faut que chacun reste dans sa sphère, mais celle d'une femme est bien étroite, et il est naturel de chercher à sortir de sa prison. Je conviens qu'il y a des devoirs d'état à remplir, que ceux d'une femme sont essentiels, et qu'elle doit les préférer à toute autre occupation. Mais enfin toutes les femmes n'ont pas... dirai-je, le bonheur ? ... Le mot serait peut-être hasardé; toutes les femmes, dis-je, ne sont pas mères, ainsi elles ne peuvent pas toutes être entourées de hardes d'Enfans. Que celles qui n'ont pas ce glorieux avantage, ayent la liberté du moins d'être entourées de brochures, il leur restera encore assez de temps pour cultiver leurs charmes, et pour plaire même à M. Rousseau. Mais me dira-t-il, elles auront le titre de bel esprit et toute fille bel esprit, restera fille, tant qu'il y aura des hommes sensés sur la terre ? Heureusement, qu'il ne le sont pas tous, et les Demoiselles beaux esprits, ne trouveront que trop à qui s'allier. Mais si elles ne trouvaient pas (le Ciel nous offre quelquefois des Phénomènes, la terre pourrait en offrir à son tour) si les hommes allaient devenir raisonnables ? Eh bien, elles auraient toujours le titre de bel esprit, et à peu de frais, s'il faut seulement pour l'acquérir être entourées de brochures. Si elles sont forcées de garder le célibat : cet état peut avoir ses douceurs; et quoiqu'en dise M. Diderot, dans son Père de Famille, il ne prépare pas toujours des regrets. La liberté qu'il laisse, peut dédommager du ridicule attaché au bel-esprit. Mais M. Rousseau me paraît trop généreux, de rejetter ce ridicule sur nous seules : nous sommes trop justes pour le recevoir entièrement ; et nous nous contenterons d'en accepter au plus la moitié : car si l'on compte au Parnasse neuf muses pour un Apollon, à peine peut-on compter ici-bas, une muse pour un bien plus grand nombre d'Apollons ; et malgré leur rareté, M. Rousseau semble douter encore de leur propre existence ! Je lui pardonne de nous avoir menacées de ne point trouver d'époux : ce sont de ces malheurs qu'on peut supporter, d'ailleurs, l'effet ne suit pas toujours la menace. Je lui pardonne aussi de nous accuser de n'avoir point de génie, nous nous contenterons de l'esprit, puisqu'il veut bien nous le laisser. Mais je ne lui pardonne point d'oser assurer, que toute femme qui écrit, a quelqu'un qui lui conduit la main. Il ne nous laisse pas même la gloire de faire du mauvais. Je ne sais; mais il me semble qu'un auteur est trop amoureux de ses ouvrages, pour les donner ainsi gratuitement. II aurait pourtant dû nommer les plumes élégantes qui ont bien voulu sacrifier leur gloire à celles des Sévignés,  de La Suze et des autres Dames illustres du dernier siècle. A l'égard des modernes qui ont quelque réputation, M. Rousseau aurait pu les prier de se laisser enfermer seulement vingt-quatre heures avec de l'encre et du papier, et par ce qu'elles auraient produit, il aurait jugé de leurs talents. Vous me direz sans doute, Madame, qu'on peut douter de bien des choses, lorsqu'on doute de la révélation : mais tout ce que M. Rousseau dira contre notre Religion, ne lui portera aucune atteinte. Qu'il prenne le ton sérieux, ou le ton ironique, ses raisonnements ne pourront l'ébranler, la Religion se soutient d'elle-même, et trouve un défenseur dans chaque conscience. Mais nous, qui osera nous défendre, quand M. Rousseau nous attaque ? Il faut donc se taire, car je n'ai déjà peut-être que trop parlé. Permettez-moi seulement de vous assurer de la vive sincérité des sentiments avec lesquels j'ai l'honneur d'être, etc. »

                                                                                                                                                                                                       Le Mercure, mars 1763

Madame de Sévigné (1626-1696)

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28 juillet 2019 7 28 /07 /juillet /2019 07:49

LES FEMMES DANS LE REGARD DES AUTEURS FRANÇAIS DU 18e SIÈCLE (3)
LE SIÈCLE DES LUMIÈRES

De Molière à Jean-Jacques Rousseau
Du classicisme à la philosophie des Lumières

Quel regard sur les Femmes ?

Dans le regard de Jean-Jacques Rousseau

Jean-Jacques Rousseau (1712-1778)

Jean-Jacques Rousseau, écrivain et philosophe de langue française, né à Genève en 1712 et mort à Ermenonville, près de Senlis, en France, en 1778, est issu d’une famille huguenote française installée en Suisse dès 1550.
Il perd sa mère en naissant et fut abandonné par son père à 10 ans. Ballotté de famille en famille, sa jeunesse ne semble pas avoir été particulièrement heureuse.
Faut-il voir là, chez l’homme adulte, une tendance au repli sur soi et le goût de la solitude ?
Toute sa vie, il souffrira du sentiment de rejet par les autres, voire de persécution, d’un complot (imaginaire) universel ourdi contre sa personne.

« Sur cette expérience, celle d’un sujet à l’écoute de sa conscience intérieure, repose sa philosophie. Il poursuit dès lors, dans la quête de soi-même, le secret du bonheur "naturel" et de la compréhension entre les hommes. »

Son œuvre s’en ressent et repose pour l’essentiel sur cette conviction : « Les hommes naissent bons, c’est la civilisation qui les corrompt. »
Son œuvre littéraire, expression fidèle de sa pensée et de sa philosophie, comporte quelques titres majeurs.

-Discours sur les sciences et les Arts.
-Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes.
-Du contrat social.
-Émile ou de l’éducation.
-Les Confessions.

Jean-Jacques Rousseau contre les femmes savantes

« Il ne convient donc pas à un homme qui a de l'éducation de prendre une femme qui n'en ait point, ni par conséquent dans un rang où l'on ne saurait en avoir. Mais j'aimerais encore cent fois mieux une fille simple et grossièrement élevée, qu'une fille savante et bel esprit, qui viendrait établir dans ma maison un tribunal de littérature dont elle se ferait la présidente. Une femme bel esprit est le fléau de son mari, de ses enfants, de ses amis, de ses valets, de tout le monde. De la sublime élévation de son beau génie, elle dédaigne tous ses devoirs de femme, et commence toujours par se faire homme à la manière de mademoiselle de L'Enclos (1). Au dehors, elle est toujours ridicule et très justement critiquée, parce qu'on ne peut manquer de l'être aussitôt qu'on sort de son état et qu'on n'est point fait pour celui qu'on veut prendre. Toutes ces femmes à grands talents n'en imposent jamais qu'aux sots. On sait toujours quel est l'artiste ou l'ami qui tient la plume ou le pinceau quand elles travaillent ; on sait quel est le discret homme de lettres qui leur dicte en secret leurs oracles. Toute cette charlatanerie est indigne d'une honnête femme. Quand elle aurait de vrais talents, sa prétention les avilirait. Sa dignité est d'être ignorée ; sa gloire est dans l'estime de son mari : ses plaisirs sont dans le bonheur de sa famille. Lecteurs, je m'en rapporte à vous-mêmes, soyez de bonne foi : lequel vous donne meilleure opinion d'une femme en entrant dans sa chambre, lequel vous la fait aborder avec plus de respect, de la voir occupée des travaux de son sexe, des soins de son ménage, environnée des hardes de ses enfants, ou de la trouver écrivant des vers sur sa toilette, entourée de brochures de toutes les sortes et de petits billets peints de toutes les couleurs ? Toute fille lettrée restera fille toute sa vie, quand il n'y aura que des hommes sensés sur la terre. »
                                                                                                                                Jean-Jacques Rousseau, Émile, Livre V

Notes

(1) Ninon de L'Enclos (1620-1705), femme galante, célèbre par son esprit et sa beauté, et dont la maison était fréquentée par les poètes et les gens du monde. Elle guida les premiers pas mondains et littéraires de Voltaire.
Au 18e siècle, les Salons de la Marquise de Lambert (rue de Richelieu) puis de Madame de Tencin (rue St-Honoré) accueillent une assistance choisie de gens de lettres, de financiers, de magistrats. On y discute arts, lettres, sciences, philosophie en ce siècle gourmand de vie mondaine et intellectuelle.

Les propos et le philosophe des Lumières : paradoxe ?

Propos étonnants !

En effet venant de l’un des écrivains-philosophes français les plus illustres du 18e siècle, faisant partie de ce petit groupe des Lumières ( de gens éclairés par les lumières de la Raison ),qui firent les premières brèches dans cet édifice multiséculaire de la Monarchie absolue, de l’arbitraire des Grands , des  aristocrates, et de la toute puissance de l’Église dans la société d’Ancien Régime.

Paradoxalement, Jean-Jacques Rousseau n’est pas le seul à mener cette charge contre les femmes, parmi les philosophes et grands penseurs du siècle des Lumières.

 

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21 juillet 2019 7 21 /07 /juillet /2019 07:37

LES FEMMES DANS LE REGARD DES AUTEURS FRANÇAIS DU 17e SIÈCLE (2)

Molière et les « Précieuses »

Molière (1622-1673)

Molière : les femmes savantes

Jean-Baptiste Poquelin (dit Molière), comédien, auteur dramatique, directeur de troupe de théâtre, français, il est l’auteur d’une œuvre prodigieuse, sans doute bâtie sur une expérience riche et variée d’acteur et de directeur de troupe. Après quinze ans de tournée triomphale dans tout le pays, il finit par s’installer à Paris où, à partir de 1659, protégé et pensionné par Louis XIV, il devient le grand pourvoyeur  officiel de la Cour en divertissements, en représentations théâtrales, musicales, danses, ballets…

Observateur perspicace de la société de son temps, Molière excelle tout particulièrement dans la peinture des mœurs qu’incarnent la plupart de ses pièces majeures :

-L’école des maris
-L’école des femmes
-Les précieuses ridicules
-Les femmes savantes
-Le bourgeois gentilhomme
-Le médecin malgré lui
-Don Juan
-Le malade imaginaire...

Il meurt sur scène  lors d’une représentation de la pièce, « le malade imaginaire »en 1673, en pleine gloire.

Par son œuvre immense et variée, Molière a fortement influencé notre passé et présent littéraire, et occupe une place à part dans la culture française et francophone. Quelques indices de cette pérennité de Molière dans la littérature française : Nuit des Molières, cérémonie des Molières, Trophée des Molières la langue de Molière pour désigner le français…

LES FEMMES SAVANTES

Les femmes dans le regard de Clitandre

« […] Mon cœur n'a jamais pu, tant il est né sincère,

Même dans votre sœur flatter leur caractère,

Et les femmes docteurs ne sont point de mon goût.

Je consens qu'une femme ait des clartés de tout,

Mais je ne lui veux point la passion choquante

De se rendre savante afin d'être savante;

Et j'aime que souvent, aux questions qu'on fait,

Elle sache ignorer les choses qu'elle sait;

De son étude enfin je veux qu'elle se cache,

Et qu'elle ait du savoir sans vouloir qu'on le sache,

Sans citer les auteurs, sans dire de grands mots

Et clouer de l'esprit à ses moindres propos.

[…] »

Molière, Les Femmes savantes, acte I, scène III.

Les femmes dans le regard de Chrysale

« [...] Il n'est pas bien honnête, et pour beaucoup de causes,

Qu'une femme étudie et sache tant de choses :

Former aux bonnes mœurs l'esprit de ses enfants,

Faire aller son ménage, avoir l'œil sur ses gens,

Et régler la dépense avec économie,

Doit être son étude et sa philosophie.

Nos pères, sur ce point, étaient gens bien sensés,

Qui disaient qu'une femme en sait toujours assez

Quand la capacité de son esprit se hausse

A connaître un pourpoint d'avec un haut-de-chausse (1).

Les leurs ne lisaient point, mais elles vivaient bien ;

Leurs ménages étaient tout leur docte entretien,

Et leurs livres, un dé, du fil et des aiguilles,

Dont elles travaillaient au trousseau de leurs filles.

Les femmes d'à présent sont bien loin de ces mœurs :

Elles veulent écrire et devenir auteurs ;

Nulle science n'est pour elles trop profonde,

Et céans (2) beaucoup plus qu'en aucun lieu du monde :

Les secrets les plus hauts s'y laissent concevoir,

Et l'on sait tout chez moi, hors ce qu'il faut savoir.

On y sait comme vont lune, étoile polaire,

Vénus, Saturne et Mars, dont je n'ai point affaire;

Et, dans ce vain savoir, qu'on va chercher si loin,

On ne sait comme va mon pot (3), dont j'ai besoin,

Mes gens à la science aspirent pour vous plaire,

Et tous ne font rien moins que ce qu'ils ont à faire ;

Raisonner est l'emploi de toute ma maison,

Et le raisonnement en bannit la raison (4)

L'un me brûle mon rôt en lisant quelque histoire,

L'autre rêve à des vers quand je demande à boire ;

Enfin je vois par eux votre exemple suivi,

Et j'ai des serviteurs et ne suis point servi.

[...]".

                                                   Molière, Les Femmes savantes, acte II, scène VII.

Notes

(1) Pourpoint : il couvrait le haut du corps ; Haut-de-chausses : la culotte.
(2) Céans : à l’intérieur de la maison.
(3) Pot : mon pot-au feu, mon repas.
(4) La raison : le bon sens pratique.

 

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15 juillet 2019 1 15 /07 /juillet /2019 09:04

LES FEMMES DANS LE REGARD DES AUTEURS FRANÇAIS DU 17e SIÈCLE (1)

La Bruyère et les femmes

Les femmes occupent une place importante dans la réflexion des auteurs français avant les philosophes des Lumières au 18e siècle.
Molière exerce sa réflexion critique sur la société de son temps dans sa « peinture des mœurs » : L’école des Maris, L’école des femmes
Les Précieuses au 17e siècle, féministes avant la lettre, reprochaient aux hommes de tenir les femmes sous leur dépendance.
Certains auteurs, comme
Foulain de la Barre (1676), parlaient déjà de l’égalité des sexes.
Les femmes apparaissent ainsi dans l’œuvre majeure de
La Bruyère, Les Caractères.

Jean de la Bruyère (1645-1696)

Jean de La Bruyère, écrivain moraliste français, a peint la société française dans son ensemble, à une époque où elle était en pleine mutation. Son regard porte sur les traits extérieurs des personnages, des modes, mais surtout sur les mœurs de cette société en profonde transformation.
Ce qui ressort de cette peinture de la société, c’est d’une part le talent d’observation concrète des personnages et des mœurs, mais aussi le style de l’auteur, elliptique, nerveux, d’une grande singularité dans la littérature de l’époque, qui contribua à son succès et à sa popularité.

(Entré à l’Académie française, en 1693.)

La Bruyère et les femmes

« 1-Pourquoi s'en prendre aux hommes de ce que les femmes ne sont pas savantes ? Par quelles lois, par quels édits, par quels rescrits (1) leur a-t-on défendu d'ouvrir les yeux et de lire, de retenir ce qu'elles ont lu, et d'en rendre compte ou dans leur conversation ou par leurs ouvrages ? Ne se sont-elles pas au contraire établies elles-mêmes dans cet usage de ne rien savoir, ou par la faiblesse de leur complexion, ou par la paresse de leur esprit ou par le soin de leur beauté, ou par une certaine légèreté qui les empêche de suivre une longue étude, ou par le talent et le génie qu'elles ont seulement pour les ouvrages de la main, ou par les distractions que donnent les détails d'un domestique, ou par un éloignement naturel des choses pénibles et sérieuses, ou par une curiosité toute différente de celle qui contente l'esprit, ou par un tout autre goût que celui d'exercer leur mémoire ? Mais à quelque cause que les hommes puissent devoir cette ignorance des femmes, ils sont heureux que les femmes, qui les dominent d'ailleurs par tant d'endroits, aient sur eux cet avantage de moins (2).

On regarde une femme savante comme on fait une belle arme ; elle est ciselée artistement, d'une polissure admirable et d'un travail fort recherché ; c'est une pièce de cabinet, que l'on montre aux curieux, qui n'est pas d'usage, qui ne sert ni à la guerre ni à la chasse, non plus qu'un cheval de manège, quoique le mieux instruit du monde.

2-Il faut juger des femmes depuis la chaussure jusqu'à la coiffure exclusivement, à peu près comme on mesure le poisson entre queue et tête.

3-Une belle femme qui a les qualités d'un honnête homme est ce qu'il y a au monde d'un commerce plus délicieux : l'on trouve en elle tout le mérite des deux sexes. »

                                                                                                        La Bruyère, Les Caractères, chap. 3 : Des femmes

Notes
(1) le rescrit est une ordonnance pontificale. Ici, décret, en général.
(2) Dans d’autres réflexions, La Bruyère vante les qualités de cœur, de beauté, de finesse de la femme.

 

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7 juillet 2019 7 07 /07 /juillet /2019 07:52

L’ÉDUCATION MODERNE, OBJECTIFS ET MÉTHODES, SELON MAURICE DEBESSE

Les mutations de l’école républicaine et leurs exigences

Maurice Debesse (1903-1998)

Maurice Debesse, professeur d’université français, de psychologie et sciences de l’éducation.
Ouvrages de référence :
— Traité de sciences pédagogiques (1974).
— L’adolescence.

De l’Instruction publique à l’Éducation nationale
Une nouvelle échelle, des moyens nouveaux, de nouvelles exigences

« LA TOUTE-PUISSANCE DE L’ÉDUCATION MODERNE

L'éducation a récemment élargi son domaine, accru ses moyens d'action, trouvé des appuis nouveaux, elle s'est imposée à l'attention des individus et des États comme une force envahissante presque irrésistible. Bref, notre temps subit un véritable raz de marée pédagogique.
La société prend de plus en plus conscience de sa fonction d'éducatrice. Longtemps elle s'était bornée à donner à la masse des jeunes un simple enseignement, c'est-à-dire les connaissances indispensables, durant les quelques années qui correspondent en gros à la troisième enfance, de six à douze ans, et qui précèdent l'apprentissage de la profession. Au terme du développement, le service militaire n'était aussi qu'une instruction technique particulière, un apprentissage du combat. De nos jours, la fonction pédagogique de la société s'est accrue en même temps qu'elle a changé de caractère. La durée de la scolarité s'est allongée par les deux bouts : extension des pouponnières et des écoles maternelles d'une part, prolongation de la scolarité obligatoire d'autre part, même pour ceux qui ne sont pas destinés à être des étudiants. L'hiatus qui subsiste encore entre la fin des études et le service militaire tend à être comblé par des institutions nouvelles qui se révèlent indispensables : organisations de jeunesse, cours d'apprentissage, etc. On peut prévoir le temps où, de ses premiers pas jusqu'à l'âge d'homme, chacun fréquentera obligatoirement une série d'écoles successives. En même temps, à la vieille conception de l'instruction reconnue insuffisante se substitue celle d'une éducation complète, à la fois physique, intellectuelle et morale. Notre
Ministère de l'Instruction publique s'est mué en Ministère de l'Éducation nationale ; le changement récent dans les mots n'a fait que consacrer un changement plus ancien dans les idées. La famille française elle-même, longtemps maîtresse dans le domaine de la formation morale, a vu son rôle décroître. On assiste ainsi à une sorte de "pédagogisation" rapide d'une partie importante de nos institutions et de la vie humaine... »

De nouveaux acteurs, de nouveaux moyens et méthodes, de nouvelles exigences

« Des moyens nouveaux d'une puissance incalculable, la presse, la radio, le cinéma, ont été mis par la science à la disposition de l'éducation moderne. D'autres ont été renouvelés par l'emploi généralisé et systématique qu'on en a fait : c'est ainsi qu'on a utilisé la puissance de communion du chant choral, des défilés et des réunions, les vertus de la camaraderie, l'action du meneur, etc. Moyens massifs, faits pour des masses : ainsi se caractérisent les techniques éducatives industrialisées, à la différence des procédés artisanaux d'autrefois, plus déliés et plus menus. La standardisation envahit, ô Montaigne, jusqu'au royaume sacré de l'Institution des enfants. Un machinisme pédagogique tend à se créer. Les éducateurs perspicaces ne s'y trompent pas ; un jeune professeur qui se rendait dans sa classe me disait naguère avec un sourire ironique un peu crispé : "Je vais à l'usine..."

Notre époque tend donc à se placer sous le signe d'une éducation à la fois intégrale et collective. Finies, les plaisanteries des siècles derniers sur le personnage du pédagogue vêtu de noir, chaussé de lorgnons, solennel et pédant, pauvre et amateur de tabac à priser. Le pédagogue d'aujourd'hui se reconnaît moins facilement. Il s'habille comme tout le monde. Il ne hante plus forcément l'école. On devine sa présence même lorsqu'on lit une affiche ou qu'on écoute la radio. A sa clientèle d'enfants, il a ajouté celle des adultes. Ses ambitions ont crû en même temps que ses moyens d'action. Il faut bon gré mal gré compter avec lui. Il est Ormuzd ou Ahriman. Bienfaisant, il peut faire l'humanité meilleure. Malfaisant, il peut la jeter dans les guerres et la destruction.

Les avantages possibles d'une éducation souveraine bien comprise ne sont-ils pas évidents ? Diffusion de la culture jusque parmi les déshérités du sort ; adaptation de chacun aux tâches qui lui conviennent ; instauration d'une ère de paix et de prospérité dans un monde formé à l'entraide et aux travaux féconds. C'est le rêve millénaire qui s'épanouit dans la République de Platon, l'Utopie de Thomas More, L’Émile de Jean-Jacques Rousseau ou les Années de voyage de Wilhelm Meister de Goethe. Mais ses dangers ne sont pas moindres : l'abus d'une éducation qui, pliant tout à ses normes, risque d'asservir l'homme au lieu de l'élever ; les erreurs commises dans le choix des valeurs qu'on veut inculquer, d'autant plus funestes qu'elles atteignent plus de gens ; l'uniformisation enfin, par le désir de créer un type social aussi parfait que possible. Le Meilleur des Mondes, d'A. Huxley, nous offre, entre autres choses, une satire féroce du "pédagogisme" industrialisé qui nous guette. Singulier monde que celui de ce roman d'anticipation où la fécondation artificielle et le développement de l'embryon se font dans des appareils soigneusement réglés, où la pensée de l'enfant est imprégnée de slogans qu'un phonographe discret répète sans cesse à son oreille pendant son sommeil ! Monde stable, aseptique et uniforme, où les seuls accidents sont dus à des erreurs de laboratoire : le meilleur des mondes... »

Quelle définition, et quels objectifs de l’éducation moderne ?
Comment y parvenir ?

« Toutefois, l'existence d'un courant puissant qui tend à niveler l'éducation ne doit pas nous rendre aveugle à d'autres choses. Ici comme en océanographie existent des contre-courants qui méritent l'attention. Nous avons cité déjà ceux qu'on désigne d'habitude sous le nom d'Éducation nouvelle (1). Il peut y en avoir d'autres qui s'élaborent en ce moment. En attendant, l'essentiel est d'avoir une vue claire du but à atteindre. Éduquer quelqu'un, ce n'est pas vouloir exalter et déchaîner les instincts et tout le potentiel héréditaire, c'est-à-dire faire agir les étrangers qui sont en lui. Ce n'est pas davantage vouloir le plier simplement à des normes sociales même excellentes, c'est-à-dire faire agir les étrangers qui sont autour de lui. C'est bien plutôt l'aider à conquérir sa personnalité qui a toujours son timbre propre, même chez les plus humbles. Car il est faux de prétendre que la notion de personne ne vaut que pour une élite. Le paysan ou le facteur tout comme le magistrat ou le chef d'entreprise ont leur façon personnelle d'appréhender le réel et de juger les événements : c'est elle qu'il faut découvrir, encourager et enrichir.»

(1) Mouvement qui, de Maria Montessori à Dewey et à Decroly, a eu le souci de favoriser l’épanouissement de chaque enfant.

Comment aller à l’essentiel ?
Former des têtes bien faites, non des têtes bien pleines ?

« Proposer aujourd'hui une éducation fondée sur la liberté de la personne humaine, n'est-ce pas nier l'évidence et se payer d'illusions ? Non. C'est se détourner d'une conception présomptueuse et fausse de l'éducation, pour restituer à celle-ci son véritable sens qu'une solide tradition philosophique et pédagogique française a toujours défendu. Il ne nous suffit pas de dresser un inventaire des idées et des pratiques courantes de notre époque pour la comprendre. Dans l'épaisseur de temps que nous vivons, hier et aujourd'hui sont solidaires de demain. Le passé n'est pas un fauteuil où s'assied la pensée, mais un tremplin d'où elle s'élance. Le présent ne lui offre que de fallacieuses images des choses, c'est donc vers l'avenir qu'elle doit se tourner. Il n'y a pas en effet de pensée vivante qui ne soit prospective. C'est à ce titre qu'il convient d'opposer, à l'idée actuelle de la toute-puissance d'une éducation mécanisée de la masse, l'idéal d'une éducation libératrice de la personnalité, qu'il faudra définir un jour. »

                                                                                                                            Maurice Debesse, Revue Les Études philosophiques philosophiques, 1947.

Voir aussi sur le même thème

Tidiane Diakité, Mutations et crise de l’école publique. Le Professeur est mort. Vive le prof, L’Harmattan.

 

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30 juin 2019 7 30 /06 /juin /2019 06:41

ATHÈNES DANS L’ANTIQUITÉ, ESCLAVAGE ET DÉMOCRATIE

Une société qui vit de l’esclavage
Présentation : André Bonnard

André Bonnard (1888-1959)

André Bonnard, professeur d’université suisse, écrivain humaniste et pacifiste, fut spécialiste de la civilisation grecque antique, notamment de la traduction d’auteurs tragiques : Eschyle, Sophocle, Euripide…
Pacifiste engagé, il fut élu, en 1949, président du Mouvement suisse des partisans de la paix, et membre du Conseil mondial de la paix.

L’esclavage à Athènes selon le professeur Bonnard.

« L’esclavage à Athènes

La démocratie — on le sait — ce n'est que l'égalité entre tous les "citoyens". Beaucoup et trop peu. Ainsi, à Athènes, on admet qu'au Ve siècle — quoique de tels calculs soient difficiles et incertains — il y avait environ cent trente mille citoyens (en comptant leurs femmes et leurs enfants, ce qui est bien loin de faire cent trente mille électeurs), soixante-dix mille étrangers domiciliés — Grecs venus d'autres cités et installés de façon durable à Athènes, mais sans y jouir des droits politiques — et enfin deux cent mille esclaves. C'est dire que, sur une population de quatre cent mille habitants, la moitié était composée d'esclaves. C'est dire aussi que la démocratie athénienne, très égalitaire en ce qui concernait les droits politiques des citoyens, ne vivait et ne se conservait, pour une large part, que grâce au travail des esclaves... »

 

Esclaves à Athènes  (IIIe siècle av JC)

Une société portée par les esclaves

« Pourquoi l'esclavage ? L'esclavage apparaît d'abord — si paradoxal que cela soit — comme un progrès. Dans les tribus grecques primitives, il n'y avait pas d'esclaves. Quand ces tribus se faisaient la guerre, on tuait les prisonniers. Très anciennement (l'Iliade en garde des traces), on les mangeait crus ou rôtis. L'esclavage naît quand on préfère conserver la vie du prisonnier, non par humanité, mais pour qu'il rapporte en travaillant ; ou alors, quand le commerce a commencé, on se met à vendre les prisonniers contre de l'argent ou autre chose. Il est probable que, lorsque les hommes se mirent à pratiquer le commerce, l'une des premières marchandises qui firent l'objet de trafic, ce furent les hommes. Mais enfin, c'était un progrès, une sorte d'adoucissement — par intérêt — de la brutalité primitive des mœurs de la guerre. »

L’esclavage, fruit de la guerre et des besoins de l’économie

« L'esclavage en effet naît de la guerre et, dans la société grecque, la plupart des esclaves sont d'anciens prisonniers de guerre. Après une bataille, ceux d'entre eux qui ne peuvent se racheter eux-mêmes sont vendus. Après un assaut, les hommes d'une ville prise sont en général passés au fil de l'épée, mais les femmes et les enfants sont tirés au sort entre les vainqueurs et gardés ou vendus comme esclaves. Ces usages ne sont pas strictement appliqués entre cités grecques. On a des scrupules à vendre des Grecs comme esclaves, scrupules qui se renforcent du fait que les esclaves grecs sont, dit-on, de mauvais rapport. Mais, dans une guerre entre Grecs et Perses ou autres peuples non grecs, la règle est rigoureuse. On cite une victoire grecque sur les Perses à la suite de laquelle vingt mille prisonniers perses furent jetés sur le marché des esclaves.

Les marchands d'esclaves suivent les armées. Le commerce des esclaves est très actif et lucratif. Il y a de grandes foires d'esclaves dans les villes grecques proches des pays barbares. Notamment à Éphèse en Ionie, à Byzance, dans des villes grecques de Sicile. A Athènes, marché d'esclaves une fois l'an. Certains trafiquants d'esclaves firent des fortunes considérables. »

Comment devenait-on encore esclave à Athènes ?

« Il y a cependant d'autres façons de devenir esclave que d'être fait prisonnier de guerre. Et d'abord la naissance. L'enfant d'une femme esclave est esclave. Il est la propriété non de la mère mais du propriétaire de la mère. Souvent d'ailleurs, et même la plupart du temps, il est exposé à sa naissance, au bord des routes, et il meurt. Le maître estime qu'il est trop coûteux de laisser vivre cet enfant, de le nourrir jusqu'à l'âge où il pourra travailler. Cette règle n'est cependant pas universelle : beaucoup d'esclaves de tragédie se vantent d'être nés dans la maison du maître. (Ne croyons pas trop les tragédies).
Une autre source de l'esclavage est la piraterie. Dans les pays dits barbares du nord des Balkans ou du sud de la Russie, des entrepreneurs en piraterie font des razzias d'où ils ramènent beaucoup de chair fraîche à vendre. Esclaves excellents, et cela se pratique même dans certains pays grecs (en Thessalie, en Étolie, par exemple) où l'autorité de l'État et de la police n'est pas assez forte pour empêcher le braconnage des chasseurs d'hommes.
Enfin le droit privé est aussi une source de recrutement de l'esclavage. N'oublions pas que, dans la plupart des États grecs, le débiteur insolvable peut être vendu comme esclave. Athènes, seule à notre connaissance, fait exception, depuis que Solon a interdit l'esclavage pour dettes. Cependant, même dans la philanthropique Athènes, le père de famille a le droit d'exposer ses enfants nouveau-nés sur les chemins — du moins jusqu'à ce qu'il les ait, dans une cérémonie analogue à notre baptême, présentés à la cité. Des marchands d'esclaves parfois les ramassent. Il y a pis : dans toutes les villes de la Grèce, sauf à Athènes, le père de famille, considéré comme le maître absolu, le propriétaire de ses enfants, peut en tout temps s'en défaire, même quand ils sont grands, et les vendre comme esclaves. Terrible tentation, aux jours d'extrême misère, pour les pauvres diables. Cette vente est interdite à Athènes, sauf pour les filles qui se sont rendues coupables de dévergondage.
Guerre, naissance, piraterie, droit privé, telles sont les principales sources de l'esclavage. »

L’esclave, un objet
      Instrument du maître

« On voit que l'esclave non seulement ne fait pas partie de la cité, mais qu'il n'est même pas une personne humaine : juridiquement, il n'est qu'un objet de propriété, objet à vendre, léguer, louer, donner.
Un philosophe ancien définit exactement sa condition, en disant que l'esclave est un "outil animé" —une espèce de machine qui offrirait l'avantage de comprendre et d'exécuter les ordres qu'on lui donnerait. L'esclave est un instrument qui appartient à un autre homme : il est sa chose. Mais la loi ne lui reconnaît aucune existence juridique. En fait il n'a pas même de nom : il porte le nom de l'endroit d'où il vient ou une sorte de sobriquet passe-partout. Son mariage n'est pas légal. Deux esclaves peuvent cohabiter, cette union peut être tolérée par le maître, elle n'est pas un mariage. Le maître peut donc vendre l'homme et la femme séparément. Leur progéniture appartient non à eux mais au maître : il la fait disparaître s'il le juge bon.
L'esclave, étant objet de propriété, ne peut exercer lui-même le droit de propriété. S'il lui arrive de se constituer un pécule, en pourboires ou d'autre façon, il ne le garde que par tolérance. Rien n'empêche le maître de le lui prendre.

Le maître a également tous les droits de correction sur l'esclave. Il peut l'enfermer au cachot, le battre, le mettre au carcan, ce qui est un supplice très pénible, le marquer au fer rouge ; il peut même — mais non pas à Athènes — le tuer, ce qui n'est d'ailleurs pas à l'avantage du maître.

L'intérêt du maître est en fait la seule garantie de l'esclave. Le maître n'a garde d'abîmer son outil. Aristote remarque à ce propos : "De l'outil il faut prendre soin, dans la mesure qui convient à l'ouvrage". Donc, quand l'esclave est un bon instrument de travail, il est sage de le nourrir suffisamment, de l'habiller mieux, de lui laisser du repos, de l'autoriser à se créer une famille, de lui laisser entrevoir cette récompense suprême et rarissime : la liberté, l'affranchissement. Platon insiste sur cet intérêt du maître à bien traiter son esclave. Il tient l'esclave pour une simple "brute", mais il ne faut pas que cette "brute" se révolte contre sa condition servile qui résulte, selon le philosophe, d'une inégalité qui est dans la nature des choses. Il admet donc qu'il faut bien traiter la "brute", et il précise : "dans notre avantage plus que dans le sien". Belle philosophie "idéaliste", comme on dit !

La situation de droit de l'esclave est donc inhumaine. Il faut même répéter qu'il n'y a pas de condition juridique de l'esclave, puisque l'esclave n'est pas tenu pour un être humain, mais un simple "outil", dont les citoyens ou d'autres se servent. »

Esclave, certes
     Mais humain
     L’esclave a une âme

« Cependant il ne faut pas manquer d'ajouter que tout cela reste un peu théorique et que les Athéniens notamment ne se conforment pas, dans la pratique de la vie quotidienne, à une doctrine qui aurait fait des esclaves une "espèce servile", destinée par la nature à rester servile et à servir les hommes, comme il y a une espèce bovine et une espèce chevaline, nettement distinctes de l'espèce humaine, et que l'homme a domestiquées. Les Athéniens étaient, dans leurs rapports avec leurs esclaves, beaucoup moins rigoureux et doctrinaires que leurs philosophes. Moins doctrinaires et plus humains, ils traitaient ordinairement leurs esclaves comme des hommes...
L'esclavage fut de toute évidence au cœur de la société antique une plaie très grave et qui la menaçait dans son existence même.
Il faut remarquer d'abord à ce propos que, si l'absence de moyens mécaniques de production fut une des causes de l'esclavage, l'existence de l'esclavage, la facilité qu'on avait à se procurer la main-d'œuvre servile en quantité suffisante eut aussi pour conséquence qu'on ne chercha pas à développer les inventions mécaniques. Elles ne se développèrent donc jamais parce qu'on disposait d'esclaves. Inversement, parce qu'on n'avait pas de machines, il fallait absolument conserver l'esclavage.
Mais ce cercle vicieux est encore plus fâcheux qu'il n'en a l'air. L'existence de l'esclavage ne se contentait pas de rendre inutile l'invention de moyens mécaniques de production : l'esclavage avait tendance à freiner les recherches scientifiques qui auraient permis la création des machines. »

L’esclavage, obstacle majeur au progrès économique et social

« C'est dire qu'il faisait obstacle au développement même de la science. C'est un fait, en effet, que la science — même si les savants eux-mêmes ne s'en rendent pas toujours compte et parfois le contestent — ne se développe et ne progresse, dans une large mesure, que pour être utile aux hommes, que pour les rendre plus libres à l'égard des forces naturelles et aussi à l'égard des oppressions sociales. Disons, à tout le moins, que c'est là une des principales raisons d'être de la science. Une science dont les recherches et les découvertes ne sont pas mises au service de l'homme, de sa libération et de son progrès, cette science-là perd sa bonne conscience et bientôt dépérit.
C'est ce qui est arrivé à la science grecque. Faute d'être stimulée par la nécessité de découvrir et développer des moyens mécaniques de production — que l'esclavage remplaçait —, elle s'est endormie, elle est morte pour des siècles, et avec elle une des forces essentielles du progrès de l'humanité. Ou alors elle s'est enfermée dans des spéculations théoriques, et le résultat, pour ce qui est du progrès, restait le même.
Il y aurait bien d'autres réflexions à faire sur le mal que l'esclavage fit à la société antique. Je remarquerai seulement qu'une société si profondément esclavagiste, où la majeure partie des créatures humaines vivait sous l'oppression des autres, une telle société était hors d'état de se défendre contre la menace de ce qu'on a appelé l'invasion des barbares. D'avance, elle était battue. Elle le fut, et la civilisation antique périt, en partie du fait de l'esclavage. »

                                                                                                                                                   André Bonnard, La civilisation grecque, Lausanne, 1954.

 

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23 juin 2019 7 23 /06 /juin /2019 08:22

SOS RACISME : RAPPORT SUR LA DISCRIMINATION AU LOGEMENT
RÉGION PARISIENNE (4)

Comment aller à l’essentiel malgré tout ?
Le vivre ensemble et la paix sociale

Sur le fond
Faire que la diversité des origines, géographiques, langues, cultures, communautés… servent l’unité de la France et la Nation.
      Comment y parvenir sans une intégration réussie ?

      Qu’est-ce que l’intégration ?

 

Les conditions du vivre ensemble heureux

Respect et reconnaissance de l’autre.
Respect des règles communes.
Respect de soi.

Ce n’est pas vivre côte à côte, ni en troupeau dans le même enclos. C’est vivre l’un avec l’autre, l’un pour tous et tous pour l’un.
Le respect est la première condition qui garantit un vivre ensemble heureux.

Le vivre ensemble s’apprend. Le vivre ensemble exige un effort constant de dépassement de soi, l’entrée en rapport avec l’autre, non par le numérique, mais par le contact physique ou spirituel, par le regard, l’attention, l’effort constant de présence à l’autre.
Mais il manquera toujours un élément essentiel au vivre ensemble, s’il ne s’accompagnait du penser ensemble, d’agir ensemble, pour construire ensemble le présent et le futur par tous, pour tous.

Les conditions d’une intégration réussie

L’intégration ainsi comprise n’est pas une option, ni un choix, mais un impératif qui s’impose à tous : immigrés, Français. Il y va de la paix sociale, en vue de l’épanouissement de tous.
Français d’origine, citoyens français d’origine étrangère, étrangers ayant choisi de s’établir en France… chacun, à son niveau, doit nécessairement prendre part à cette œuvre essentielle de paix sociale pour la construction d’un avenir commun, source de progrès individuel et collectif.
Les Africains (ou leurs parents) issus des anciennes possessions françaises d’Afrique, disposent de cet outil essentiel qui devrait contribuer à leur ouvrir les portes de la nation : la langue française qui est pour la plupart d’entre eux, plus qu’une langue : une maison, un refuge, une famille, une patrie. Pour les autres, la maîtrise de la langue n’est pas un choix mais une nécessité, une obligation, pour connaître, se faire connaître, pour comprendre et se faire comprendre.

Mais on ne peut s’intégrer seul, encore faut-il que ceux à qui on tend la main, à cette fin, daignent vous regarder.
Comment s’intégrer alors qu’ils vous tournent le dos ou refuse de vous regarder en face ?

La Civilisation, c’est aussi la capacité de s’émanciper de ces peurs ancestrales sans fondement qui nous éloignent les uns des autres.
Assimilation, association sont, avec indigènes, sans doute les trois mots les plus utilisés officiellement durant toute la colonisation française, sans que ni les Français, ni les indigènes ne puissent en apprécier la portée exacte dans le quotidien.
« 
Assimilation » prend sa source dans la révolution de 1789, précisément dans ces propos du révolutionnaire Condorcet : « Une bonne loi devrait être bonne pour tous les hommes ». Ces propos sont précisément à l’origine de l’égalité et la justice pour tous, c’est-à-dire de l’« égalité républicaine » contre les préjugés de couleur, de religion et de condition.
L’assimilation crée donc le citoyen égal à tous les autres citoyens, à égalité de droits et de devoirs.
De l’assimilation, au sens de fusion totale de l’indigène dans la nation française et son mode de vie intégral, on passe à l’« 
association » qui est définie alors comme une seule entité rassemblant le peuple français et les peuples des colonies, chaque partie conservant ses identités propres, mais tous évoluant ensemble vers le progrès, avec les mêmes droits et devoirs.

Le français, outil précieux d’intégration

Concernant l’intégration de nos jours, il ne s’agit pas de niveler : langues, identités, cultures, mais la pratique de la langue doit être l’objet d’une forte incitation. Elle doit être la condition de l’octroi de certains privilèges et prestations dont sont bénéficiaires les étrangers ou immigrés. La liste de ces prestations peut être l’objet d’une concertation inspirée par le souci des droits humains et celui de la générosité qui caractérise le peuple français.
De même il doit être demandé avec une forte incitation, aux étrangers établis sur le sol de France, d’éviter autant que possible l’usage de langues non comprises de la majorité des Français car, comment vivre avec les autres en usant d’une langue que les autres ne comprennent pas ?

Dans le même ordre d’idée, l’attention des mêmes doit être attirée sur le respect des usages en vigueur dans le pays d’accueil, tels que bruits et comportements bruyants non nécessaires, dans les lieux publics, notamment les transports en communs : bus, trains, ou dans des lieux confinés : cabinets médicaux, salles d’attente…
D’une manière générale, il convient d’éviter toutes les formes de nuisances de nature à gêner l’entourage.

[C’est le lieu de noter que les Africains n’ont pas le monopole des nuisances sonores. J’ai dû déménager à deux reprises avec ma famille, dans cette grande ville de l’ouest de la France (voisins blancs) pour échapper aux nuisances : musique à tue-tête, éclats de voix, tous les soirs, jusque tard dans la nuit.]

À la base, le respect réciproque, le civisme, sont les fondements du vivre ensemble, auxquels s’ajoutent une certaine dose de civilité et une pointe d’empathie selon les tempéraments et les circonstances.
En tout état de cause, la réciprocité constitue la règle de base.

Qui connait les Africains ?
D’hier à aujourd’hui

Les Français le savaient-ils ? Le savent-ils aujourd’hui ?
Les Français connaissaient-ils leurs colonies d’Afrique noire et leurs habitants en 1947 ?

Un véritable cri d’alarme avait été cependant lancé par les autorités françaises, ainsi que par les milieux coloniaux dans les années 1920-1930, après le constat de la profondeur de l’ignorance manifestée par une majorité de Français vis-à-vis de leurs colonies. Conscients de cette distance entre les Français et les Africains colonisés, les groupements coloniaux de même que quelques responsables politiques, jugèrent impératif la mise en œuvre d’une politique active d’« éducation coloniale » : éducation à l’Afrique et à ses habitants, bref, aux réalités économiques et humaines des colonies.
En définitive, il n’y eut pas de géographie coloniale dans les programmes scolaires en France qui puisse permettre de connaître les colonisés d’outre-mer (comme cela avait été suggéré alors), ni apprentissage des langues indigènes, ni éducation des Français à l’Afrique et aux Africains.
On en connaît quelques conséquences de nos jours.

Les Français dans leur immense majorité, connaissent beaucoup moins l’Afrique et les Africains de nos jours que du temps de la colonisation. Ils ne manifestent non plus aucune volonté de les connaître davantage, se contentant pour l’essentiel de préjugés et de stéréotypes anciens, solidement ancrés dans les mémoires depuis le début du 19e siècle, voire les 17e et 18e siècles.
En conséquence, beaucoup pensent toujours, que les Africains vivent dans les arbres et se nourrissent de cueillette et de lézards.
Par ailleurs beaucoup de Français seraient dans l’embarras de distinguer les anciennes colonies françaises des possessions britanniques ou portugaises de jadis, c’est-à-dire les actuelles Afriques francophone, anglophone, lusophone. De même ils ignorent totalement les origines et les objectifs de l’actuelle « 
Institution de la Francophonie » qui prend sa source en Afrique, dans le cerveau de quelques chefs d’État africains.
Rien d’étonnant par conséquent que beaucoup de Français commettent l’erreur de se représenter encore l’Afrique comme un bloc monolithique, alors qu’en réalité, il s’agit d’un vaste continent, le plus varié, le plus divers à tout pont de vue : géographique, économique, culturel, linguistique, humain…
Le terme le plus juste serait plutôt « 
Les Afriques ».

Quoi de commun à cet égard, entre un Gabonais et un Malien, entre un Nigérian et un Sénégalais…, hormis la couleur de peau et la colonisation européenne ?
Comment, dans ces conditions, demander aux Français un effort de discernement entre francophones et lusophones en France ? Pour eux, un Noir, c’est un noir, c’est tout. À quoi bon chercher plus loin ?
En outre, la plupart de nos compatriotes ont une vision binaire, une perception extraordinairement réduite, déformée, du monde et de l’histoire des peuples. Face au Noir notamment, cette vision se résume en deux réalités tranchées : le Blanc et le Noir, le Dominant et le dominé.

On est parfois effaré de constater, chez beaucoup de Français, une ignorance inqualifiable non seulement de l’histoire des colonies françaises d’Afrique mais aussi de leur propre histoire dans ses rapports avec l’Afrique.
Alors, face au Noir d’Afrique, on s’accroche au peu que l’on sait : le vocabulaire « 
petit nègre » que tout le monde comprend : « Toi, y en a quel pays ? »
On ne peut alors s’empêcher de penser au mot d’
André Gide, visiblement assuré de la pérennité :
« 
Moins le Blanc est intelligent, plus le Noir lui paraît bête. »

André Gide (1869-1951)

Passer des barrières qui divisent
Aux ponts qui relient
      Des actes, non des mots.

« Une étude " Les discriminations dans l’accès au logement à Paris : une expérience contrôlée", menée par la fédération TEPP du CNRS, porte sur les offres à la location privée dans Paris intra-muros, qu’elles soient publiées par des agences immobilières ou directement par les propriétaires sur des sites de mise en relation de particuliers (Le Bon Coin, ParuVendu etc.)
[…]
Les conclusions sont sans appel : un candidat perçu comme étant d’origine maghrébine a en moyenne un tiers de chances en moins de recevoir une réponse à sa demande. Pire encore, lorsque ce même candidat mentionne son statut de fonctionnaire, marquant ainsi une stabilité financière, son taux de réponses reste inférieur à celui d’un candidat perçu comme d’origine « française ancienne », ne précisant rien sur sa situation (15,5% contre 18,7%). A contrario, une personne au patronyme « français ancien » indiquant sa stabilité financière atteint un taux de réponses de 42,9% !Il apparaît dans cette étude que les personnes issues des pays d’Afrique  subsaharienne sont celles qui ont le moins de chances d’obtenir une réponse favorable à leur demande…
[…]

Il est urgent d’éveiller les consciences et que les pouvoirs publics prennent enfin toutes les mesures nécessaires afin de mettre un terme à ces discriminations qui touchent bon nombre de nos citoyens ! »
 
(https://sos-racisme.org/discrimination-au-logement-un-rapport-edifiant).

 

Ce rapide survol de quelques réalités à l’origine des préjugés dont les Noirs sont l’objet en Europe, d’une manière générale, donne sans doute une idée des difficultés à briser les stéréotypes qui enserrent l’existence de ceux qui en sont les victimes permanentes.
« 
Les humiliations subies ne s’oublient pas. Elles se transmettent de génération en génération ».
On vit avec ses blessures intérieures, qu’on sublime ou que l’on porte indéfiniment.
Quels sont les objectifs précis assignés au Rapport de SOS Racisme dénonçant les discriminations au logement ?
Sans aucun doute, il faut plus qu’un rapport pour atteindre cet objectif. Un des intérêts de ce rapport, c’est d’éveiller les consciences afin de susciter la nécessaire réflexion sur le chemin à parcourir afin de parvenir au but : le vivre ensemble, la paix sociale et l’épanouissement de tous.

Une œuvre de longue haleine
Un travail de Sisyphe ?

Cette véritable œuvre de « réhabilitation »et de fraternisation que suppose l’objectif du Rapport de SOS Racisme, se heurte à deux écueils de taille :

—l’écueil en Afrique : la faillite humaine, économique et politique de nombre d’États du continent. Il est illusoire de vouloir soigner l’image de l’Afrique et des Africains en Europe, si elle ne l’a pas été préalablement en Afrique.

—l’écueil tout aussi redoutable en France (en Europe d’une manière générale), lié à l’image de l’Afrique et des Africains, dont un certain nombre —force est de l’évoquer— ne soignent pas cette image, bien au contraire, l’abîment profondément. Or, les Français ne sont pas experts en fait de discernement, dès lors qu’il s’agit des ressortissants d’Afrique. Aussi, un Noir qui vole, ce sont tous les Noirs qui sont catalogués de voleurs. Un Noir qui ment ou triche, tous les Noirs sont menteurs ou tricheurs. Le pire, c’est l’image gravement dépréciée qu’offrent les « trafiquants de stupéfiants », qui de ce fait ruine irrémédiablement toute respectabilité due à un continent.

La réussite de toute action de réhabilitation est forcément conditionnée à celle de la lutte en vue de neutraliser tous ceux qui enfreignent la loi.
Tâche certes difficile mais non impossible.
Des programmes spécifiques d’« initiation à la France » et à la vie en France, seront élaborés à cette fin, sous l’égide et la collaboration des municipalités, des Conseils généraux et régionaux.
Quant à l’Afrique, ce dont ce continent a le plus grand besoin de nos jours, c’est d’un sursaut d’audace pour briser les chaînes multiples qui l’entravent, ainsi que  d’un sursaut d’orgueil pour émerger.

 

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