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25 août 2019 7 25 /08 /août /2019 07:47

Édith SCHUSS, Perles spirituelles
(Lien : https://www.etsy.com/fr/shop/LouiseArtKdo)

L’ART ET LA NATURE SELON BAUDELAIRE (1)

La rencontre de l’art et des couleurs de la nature crée la vie

 

Charles Baudelaire (1821-1867)

Charles Baudelaire, écrivain, poète français, est né d’un sexagénaire disciple des philosophes du 18e siècle.
Sa mère, veuve en 1827, se remarie l’année suivante avec le colonel Aupick (futur général et ambassadeur sous l’empire créé par Napoléon III, neveu de Napoléon Ier).
Révolté par ce mariage, le jeune Charles ne s’entend pas avec son beau-père. Il est mis en pension à Lyon (alors qu’il est parisien de naissance). Il en éprouve de « lourdes mélancolies », un « sentiment de destinée éternellement solitaire ».
Ce qui ne l’empêche guère de compter parmi les écrivains les plus féconds , les plus célèbres du 19e siècle, et de la littérature française.
Il commence sa carrière par la critique d’art, fonction dans laquelle il excelle également en nous gratifiant de beaux textes aux thèmes variés, avant des œuvres majeures comme
Les Fleurs du Mal, le Spleen de Paris, les Paradis artificiels

Paul SCHUSS, Les prés sous la neige (aqua 2010 (2))
(Lien : http://www.adagp.fr/fr/banque-images#/?q=cGF1bCBzY2h1c3M%3D
http://www.adagp.fr/fr/banque-images#/)

« DU PAYSAGE

Dans le paysage, comme dans le portrait et le tableau d'histoire, on peut établir des classifications basées sur les méthodes différentes : ainsi il y a des paysagistes coloristes, des paysagistes dessinateurs et des imaginatifs; des naturalistes idéalisant à leur insu, et des sectaires du poncif, qui s'adonnent à un genre particulier et étrange, qui s'appelle le Paysage historique.
Lors de la révolution romantique, les paysagistes, à l'exemple des plus célèbres Flamands, s'adonnèrent exclusivement à l'étude de la nature; ce fut ce qui les sauva et donna un éclat particulier à l'école du paysage moderne. Leur talent consista surtout dans une adoration éternelle de l'œuvre visible, sous tous ses aspects et dans tous ses détails.
D'autres, plus philosophes et plus raisonneurs, s'occupèrent surtout du style, c'est-à-dire de l'harmonie des lignes principales, de l'architecture de la nature.

Quant au paysage de fantaisie, qui est l'expression de la rêverie humaine, l'égoïsme humain substitué à la nature, il fut peu cultivé. Ce genre singulier, dont Rembrandt, Rubens, Watteau, et quelques livres d'étrennes anglais offrent les meilleurs exemples, et qui est en petit l'analogue des belles décorations de l'Opéra, représente le besoin naturel du merveilleux. C'est l'imagination du dessin importée dans le paysage : jardins fabuleux, horizons immenses, cours d'eau plus limpides qu'il n'est naturel, et coulant en dépit des lois de la topographie, rochers gigantesques construits dans des proportions idéales, brumes flottantes comme un rêve. Le paysage de fantaisie a eu chez nous peu d'enthousiastes, soit qu'il fût un fruit peu français, soit que l'école eût avant tout besoin de se tremper dans les sources purement naturelles.
Quant au paysage historique, dont je veux dire quelques mots en manière d'office pour les morts, il n'est ni la libre fantaisie, ni l'admirable servilisme des naturalistes : c'est la morale appliquée à la nature.

Quelle contradiction et quelle monstruosité ! La nature n'a d'autre morale que le fait, parce qu'elle est la morale elle-même; et néanmoins il s'agit de la reconstruire et de l'ordonner d'après des règles plus saines et plus pures, règles qui ne se trouvent pas dans le pur enthousiasme de l'idéal, mais dans des codes bizarres que les adeptes ne montrent à personne.
Ainsi la tragédie, — ce genre oublié des hommes, et dont on ne retrouve quelques échantillons qu'à la Comédie-Française, le théâtre le plus désert de l'univers, — la tragédie consiste à découper certains patrons éternels, qui sont l'amour, la haine, l'amour filial, l'ambition, etc., et, suspendus à des fils, de les faire marcher, saluer, s'asseoir et parler d'après une étiquette mystérieuse et sacrée. Jamais, même à grand renfort de coins et de maillets, vous ne ferez entrer dans la cervelle d'un poëte tragique l'idée de l'infinie variété, et même en le frappant ou en le tuant, vous ne lui persuaderez pas qu'il faut différentes morales. Avez-vous jamais vu boire et manger des personnes tragiques ? Il est évident que ces gens-là se sont fait la morale à l'endroit des besoins naturels et qu'ils ont créé leur tempérament, au lieu que la plupart des hommes subissent le leur.

J'ai entendu dire à un poète ordinaire de la Comédie-Française que les romans de Balzac lui serraient le cœur et lui inspiraient du dégoût; que, pour son compte, il ne concevait pas que des amoureux vécussent d'autre chose que du parfum des fleurs et des pleurs de l'aurore. Il serait temps, ce me semble, que le gouvernement s'en mêlât ; car si les hommes de lettres, qui ont chacun leur rêve et leur labeur, et pour qui le dimanche n'existe pas, échappent naturellement à la tragédie, il est un certain nombre de gens à qui l'on a persuadé que la Comédie-Française était le sanctuaire de l'art, et dont l'admirable bonne volonté est filoutée un jour sur sept. Est-il raisonnable de permettre à quelques citoyens de s'abrutir et de contracter des idées fausses ? Mais il paraît que la tragédie et le paysage historique sont plus forts que les Dieux.

Vous comprenez maintenant ce que c'est qu'un bon paysage tragique. C'est un arrangement de patrons d'arbres, de fontaines, de tombeaux et d'urnes cinéraires. Les chiens sont taillés sur un certain patron de chien historique ; un berger historique ne peut pas, sous peine du déshonneur, s'en permettre d'autres. Tout arbre immoral qui s'est permis de pousser tout seul et à sa manière est nécessairement abattu; toute mare à crapauds ou à têtards est impitoyablement enterrée. Les paysagistes historiques qui ont des remords par suite de quelques peccadilles naturelles, se figurent l'enfer sous l'aspect d'un vrai paysage, d'un ciel pur et d'une nature libre et riche : par exemple une savane ou une forêt vierge. »

                                                                                                                                                                                                              Baudelaire, Écrits sur l’Art 1.

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