IMMIGRATION ET « VIVRE ENSEMBLE » : DE L’INCONNU AU CONNU
Les conditions du mieux vivre ensemble : la pédagogie de l’autre
L’homme, ce nomade
On ne peut rompre les barrières érigées entre les hommes si l'on ignore leurs fondements. L'étude des migrations, quel que soit l'aspect sous lequel on l'envisage, ou la région où on la mène, exige une vision globale du phénomène au niveau de la France entière en rapport avec son passé, son présent et son évolution socio-économique.
Les migrations de toute nature : travail, économie, famille, culture... sont un des traits saillants de l'histoire nationale, une des données majeures de notre temps, vraisemblablement du futur, et une des clefs de la compréhension de ce siècle.
Les migrations, les mouvements de personnes d'un point à un autre du globe, ne sont pas une nouveauté, même si les discours et les médias tendent à persuader l'opinion publique que l'on assiste à des phénomènes inédits. Ces mouvements sont une constante dans l'histoire. La nouveauté réside sans doute plus dans la relation que l'on fait aujourd'hui du phénomène migratoire que dans sa permanence. Cette relation, amplifiée par le nombre, l'importance et la force des médias ainsi que des moyens de communication, est elle-même fonction de l'ouverture du monde par-delà les frontières, c'est-à-dire la globalisation, qui met les peuples et les esprits en mouvement.
Tidiane Diakité, L’immigration n’est pas une Histoire sans paroles. Les Oiseaux de Papier,2008
Un monde et un contexte nouveaux
Pour Catherine Wihtol de Wenden (spécialiste des migrations),
en ce début de 21e siècle, le monde est entré en migration : du Sud au Nord, du Nord au Nord, du Sud au Sud et du Nord au Sud : un phénomène qui n’est pas massif mais continu, malgré les politiques restrictives mises en place et les pratiques de dissuasion destinées surtout aux opinions publiques.
La situation politique, économique, démographique, culturelle et sociale de nombreuses régions de départ crée une propension structurelle à la migration, moins en raison de la pauvreté et de la croissance de la population, d’ailleurs souvent en baisse, que de l’absence d’espoir chez des jeunes de plus en plus urbanisés, scolarisés, informés grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. Ils vivent leur entrée en mobilité comme une odyssée moderne.
D’autres facteurs, comme le chômage massif, l’absence de liberté dans les régimes autoritaires, les changements climatiques, les crises et conflits politiques rendent la migration inéluctable en réponse à l’insécurité politique, économique, sociale, sanitaire qui sévit dans de nombreux pays.
Autrement dit, un monde sans mobilité n’est plus concevable, pas plus que n’est envisageable la fermeture hermétique des frontières étatiques, même si le droit de réguler les flux migratoires sur leur espace national fait implicitement partie des prérogatives régaliennes des États.
Cependant, aucun pays, si riche, si puissant soit-il, ne peut, à lui seul, inverser cette donnée majeure du siècle, et se barricader dans ses frontières.
Que faire ?
Partant de ces considérations, la recherche de solutions viables, qui concilieraient les intérêts de tous, de ceux qui partent comme de ceux qui accueillent, devient dès lors à la fois cause nationale et cause internationale. C’est une véritable collaboration universelle qu’il s’agit de promouvoir, qui soit à la fois un forum et un socle solide de coopération, réunissant pays riches et pays pauvres, foyers d’émission de flux migratoires, aires de destination de flux.
Une telle coopération, inscrite dans l’agenda des nations comme prioritaire et essentielle, irait au-delà de la seule création de développement dans les pays pauvres et pays émetteurs de flux, viserait l’Homme dans sa globalité : son épanouissement intégral, matériel et moral, culturel et social, politique et sécuritaire.
De ce côté-ci de la frontière
Et pour ceux qui ont franchi la barrière (légalement) et qui sont chez nous ?
Quelle solution ?
Les connaître et se faire connaître d’eux.
Des passerelles vers l’autre
Pour un enrichissement mutuel
Plus que le nombre réel de migrants, cette impression d’envahissement et de dépossession de soi ou de son identité, les incompréhensions, la méfiance ou les exaspérations viennent le plus souvent de l’ignorance, sinon de la méconnaissance réciproque, à commencer par celle des motivations de départ, mais aussi de la façon de vivre, des modes de vie et des manières d’être, bref, des conventions établies, qui régissent le quotidien et influencent le regard porté sur l’autre… l’étranger, celui qui est différent.
Si les migrants sont en moyenne plus qualifiés que la population du pays dans lequel ils arrivent, comme l’affirme De Wenden, si l’on compte effectivement des personnes de plus en plus diplômées et formées, il y a aussi, parmi les arrivants, celles qui, parties de leur village, sont directement arrivées à Marseille, Lyon, Rennes ou Lille…
Par ailleurs, même pauvres, démunis et vivant dans les pires conditions matérielles, ces arrivants gardent pour la plupart leur bonne humeur, leur gaîté et une apparente joie de vivre. Alors qu’en face d’eux, des Français plus riches, vivant dans le confort, à l’abri du besoin vital, apparaissent tristes, d’humeur maussade, le visage fermé, l’air antipathique…
Cette différence de tempérament ou de manière d’être peut en soi constituer une source d’incompréhension, voire de frictions.
De plus, les premiers vivent avec leurs habitudes, leurs manières d’être en public comme en privé. Ils parlent trop fort, voire crient en parlant, en téléphonant, ou entre eux dans la rue, dans les transports en commun, les espaces publics fermés ou les salles d’attente… Certains crachent par terre. Ce qu’ils ont toujours fait chez eux sans y voir le moindre mal.
A ce lot de ruraux déracinés (qui ont tendance à vivre comme au village), il convient d’ajouter une fraction d’éléments marqués par l’échec scolaire et la faillite de l’éducation dans leur pays d’origine.
Une pédagogie du vivre ensemble
En général, dans la culture des immigrés africains tout particulièrement, celui qui garde le visage fermé ou qui ne parle pas, ni ne rit, qui ne prend pas spontanément part à la conversation, même sans y être invité, est considéré comme méchant.
Celui qui se met ostensiblement à l’écart est qualifié d’asocial, donc à fuir.
Pour ceux qui ont choisi la France, qui sont entrés régulièrement sur son sol, qui souhaitent s’installer et vivre avec les Français, il serait souhaitable de créer des structures spécifiques ayant pour objet de les « initier » à la France, sans la prétention de leur imposer le mode de vie des autochtones, mais de les informer des us et coutumes, des manières de vivre et des règles qui régissent la vie en société dans ce pays, le pays d’accueil.
Cette sensibilisation ou imprégnation à la France et aux Français est concevable au moyen d’une pédagogie appropriée, dont les municipalités joueraient les premiers rôles, par l’entremise de bénévoles ou d’associations, de manière que cela ne génère pas un coût budgétaire supplémentaire. Mais, une telle structure exige une pédagogie active, fondée sur le goût de l’autre et le sens de l’intérêt commun.
Concrètement, la tâche ainsi dévolue aux municipalités consisterait tout d’abord à faire prendre conscience que la paix sociale se construit patiemment, par des passerelles jetées entre les natifs et les étrangers. Pour ce faire, il importe que chaque commune moyenne et grande (chaque quartier des grandes agglomérations) dispose d’un lieu de rencontre, qui serait un passage obligé, qui soit en même temps centre d’information et de formation à la civilité : la « maison de la citoyenneté et du vivre ensemble ».
Lieu où l’étranger disposerait librement et facilement de toutes les informations régissant sa vie, comme des informations se rapportant à la vie, à la manière de vivre, aux us et coutumes qui régissent le quotidien des nationaux. Et surtout :
ses droits et obligations.
la culture commune et l’histoire locale.
l’apprentissage de la langue pour les non francophones.
La réussite d’un tel système d’insertion des étrangers, qui soit aussi une véritable passerelle vers l’intégration, implique que l’on ne fasse pas de l’immigration un sujet de politique politicienne aux visées ou arrière-pensées électorales, ce qui compromettrait durablement la paix sociale.
Elle suppose : sens de l’intérêt général, amour de la France, de son présent et de son avenir.