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22 janvier 2022 6 22 /01 /janvier /2022 09:19

 

JEAN ROSTAND,

SA CONCEPTION DE L’UNIVERS

 

Jean Rostand (1894-1977)

****

Jean Rostand, biologiste et écrivain français (1894-1977). Fils d’Edmond Rostand et de la poétesse Rosemonde Gérard.

Il a fait des études supérieures à la Faculté des sciences de Paris.

Il participe à la création de la section de biologie au Palais de la découverte en 1936 puis fonde son propre laboratoire à Ville-d’Avray et se tient à l’écart des structures universitaires qu’il trouve trop contraignantes.

Féru de sciences et de lettres, il fait preuve d’une curiosité exceptionnelle : l’homme, son origine, sa parenté avec l’animal, et surtout la vie sur terre, voire dans l’univers…

 

Il est l’auteur d’une œuvre impressionnante ; sa vie fut entièrement partagée entre la science et la littérature. Il en résulte une œuvre d’une grande variété. Cette œuvre reflète pour l’essentiel dans chacun des ouvrages qui la composent,  un souci permanent du rapport entre science et société, science et morale, science et avenir. Cette œuvre fait également une place importante à la vulgarisation qui fut aussi un de ses soucis permanents. Ses travaux scientifiques firent sa renommée par leur rigueur, constamment liée au souci de l’humain, et contribuèrent à faire connaître la génétique au grand public. Jean Rostand fut par ailleurs un défenseur acharné des valeurs humanistes, du pacifisme et du mondialisme. Il fut aussi féministe et contribua avec Simone de Beauvoir, Christiane de Rochefort … à créer le mouvement féministe « Choisir la cause des femmes ».

Il entre à l’Académie française en 1959.

 

Quelques ouvrages sont particulièrement représentatifs du souci permanent du lien entre science et avenir des humains :

-Les idées nouvelles de la génétique.

-L’Homme.

-La biologie et l’avenir humain.

-L’hérédité humaine.

-Ce que je crois.

 

En politique on ne flétrit le mensonge d'hier que pour flatter le mensonge d'aujourd'hui. (Jean Rostand)

 

 

L’extrait ci-dessous est tiré de l’ouvrage « Ce que je crois ».

 

« Voici donc "ce que je crois", — étant bien entendu qu'on ne peut jamais que croire, et que toute la différence est entre les téméraires qui croient qu'ils savent et les sages qui savent qu'ils croient. Voici ce que je crois, parce qu'on ne peut s'empêcher de croire quelque chose, même quand la raison suprême serait peut-être de suspendre le jugement. Voici ce que je crois, avec mes gènes, mes hormones, mes réflexes, mon passé, mon expérience dérisoire, mon misérable savoir. Voici ce que je crois, quand je suis seul avec moi, et non pas en présence des autres, qui trop souvent nous altèrent en nous provoquant au consentement ou à la contradiction. Voici ce qui, tout compte fait, me paraît le moins impossible, le moins invraisemblable, ce pour quoi, très honnêtement, je parierais si j'avais, sur les grandes et indécidables questions, à tenir un pari, et non pas un pari frauduleux à la Pascal, où on nous fait le coup de l'angoisse et de l'infini, mais un bon pari honnête et paisible où l'on peut garder toute sa tête.

Il se pourrait qu'après tant de précautions, le lecteur ne fût même plus tenté de poursuivre. Peu m'importe ; je ne me fusse jamais résolu à pareille confession si je n'eusse auparavant énoncé nettement ce que je pense de ce que je crois.

 

Je vois beaucoup de gens qui ont la maturité politique, j'en vois moins qui ont la maturité humaine. (Jean Rostand)

 

Disons-le tout de suite, je ne crois pas que l'homme ait à sa disposition d'autre moyen de connaître que sa raison. Moyen imparfait, sans nul doute ; et je conviens que peut-être les jugements où elle nous porte sont, par construction, entachés d'erreur : il se pourrait que rien de valable ne pût éclore d'un cerveau humain, il se pourrait qu'un dieu malicieux se complût à nous abuser par l'entremise de cette raison qu'il eût déposée en nous... Mais ces risques, nous ne saurions faire autrement que de les courir, et je doute que nous ayons quoi que ce soit à gagner à faire d'emblée intervenir l'irrationnel dans le champ de ce qui nous paraît être le connaissable.

De toute manière, je suis incapable de tenir compte d'une « révélation » prétendument faite à nos aïeux dans les temps reculés de notre histoire. Si respectables que me paraissent ce genre de traditions, et quelque rôle qu'elles aient pu jouer dans notre passé moral, je ne puis accepter d'y voir des certitudes de départ. Seules valent, à mes yeux, les croyances qui, à tout moment recréables par l'intelligence, peuvent se former de novo dans l'esprit d'un homme d'aujourd'hui, à partir de matériaux fraîchement fournis par la science ou par la libre réflexion. Ce parti pris d’actualisation philosophique devait être précisé dès l'abord, afin d'éviter toute méprise. Je n'ignore pas que, pour beaucoup, cette décision d'exclure toute une portion du passé humain qu'ils jugent essentielle, ne doive apparaître comme mutilante et génératrice d'erreur ; mais, sur ce point, je ne saurais envisager le moindre compromis. Impossible, pour moi, de croire à une Vérité qui serait derrière nous. La seule vérité à laquelle je crois en est une qui se découvre lentement, graduellement, péniblement, et qui imperceptiblement s'augmente chaque jour.

Ma conviction est que l'homme se trouve tout au début de son aventure intellectuelle, que son « âge mental » est extrêmement bas au regard de celui qu'il est appelé à prendre. Cette notion de l'immaturité, de l'infantilisme de notre espèce suffirait à me convaincre que, d'un très long temps, nous n'avons à espérer que des réponses naïves et grossières aux grandes questions qui nous préoccupent. Il n'est d'ailleurs pas sûr que l'humanité ait assez d'avenir pour épuiser toute la connaissance dont sa condition cérébrale la rendrait capable, et il est extrêmement douteux que cette condition même l'habilite à une compréhension totale de l'univers.

 

 

Je croyais qu'un savant c'était toujours un homme qui cherche une vérité, alors que c'est souvent un homme qui vise une place. (Jean Rostand)

 

Que sommes-nous ? Qu’est-ce que l’homme ? Que représente-t-il dans l’ensemble des choses ? Qu’est-ce qu’une vie humaine ? Qu’est-ce qui s’efface de l’univers quand périt un individu ?

Je n’hésiterai pas à dire que, s’agissant de ces problèmes, j’aurai traversé l’existence dans un état d’incompréhension effarée. Les indications maigres et clairsemées que la science peut nous fournir à cet égard composent un étrange tableau à la Rembrandt, où quelques flaques de lumière ne font que mieux accuser la superficie des noirceurs.

Un univers de dimensions insensées, qui peut-être n’est pas infini, mais qui, de toute façon, n’est pas à notre échelle ; des milliards de nébuleuses, en chacune desquelles fourmillent les soleils, et, autour d’eux, des cortèges de planètes plus ou moins ressemblantes à la nôtre, mais dont nous ne saurons jamais rien, puisque les rêves les plus hardis de la navigation interastrale ne franchissent point les bornes de notre système solaire. Sur la petite planète qu’est notre terre, une profusion d’êtres que, pour les opposer à ce qui les environne, on appelle vivants, sans savoir au juste en quoi consiste cette vie qui les anime, et qu’il est plus facile de reconnaître que de définir. D’entre les millions d’espèces différentes où se manifeste la vie, une — la nôtre —, qui domine sur tout le reste par la vertu de ce qu’elle nomme la pensée, une que sa supériorité détache et isole au point qu’elle serait encline à se targuer d’une origine singulière si tout ne venait lui rappeler qu’elle se relie au vaste peuple des vivants.

On ne s’étonnera pas que le principal de mes croyances s’organise autour des réflexions que me suggère l’étude de la biologie. Or, l’une des choses que je crois avec le plus de force, — l’une des rares dont je sois à peu près sur —, c’est qu’il n’existe, de nous à l’animal, qu’une différence du plus au moins, une différence de quantité et non point de qualité ; c’est que nous sommes de même étoffe, de même substance que la bête. Cette solidarité, cette continuité entre le règne animal — voire tout le monde vivant — et le canton humain, elle me semble devoir s’imposer à toute personne ayant disséqué un insecte, assisté au frémissement d’un protoplasme, vu un œuf se modeler en embryon. Comment penserais-je que quoi que ce fût d’essentiel pût appartenir en propre à l’une seule des millions d’espèces qui peuplent la terre ? Pas un être organisé, si humble soit-il, dont je ne me sente le frère, et non pas affectivement mais rationnellement. Tout ce qui est dans l’homme de plus élevé, de plus rare, de plus spécifiquement humain, tout ce pour quoi nous serions portés à le mettre à part dans la nature, — qu’il s’agisse des plus hauts témoignages de la pensée logique ou des plus pures manifestations du sentiment —, je ne parviens à y voir que l’épanouissement, que l’amplification, que la majoration de ce qui déjà se montre dans la vie pullulante et anonyme des micro-organismes, dans la sensibilité des amibes, dans les tactismes des plasmodes de Myxomycètes qui glissent vers la sciure de bois, dans la micro-mémoire des Paramécies qui apprennent à ne pas ingérer de colorants nocifs.

Oui, c’est bien là, dès ce niveau modeste de la vitalité, que, pour moi, se posent certains des plus graves problèmes, ceux de la vie, de l’organisation, de l’assimilation, de la sensibilité, de la conscience, — de l’esprit. Là donc que se situent la plupart de mes interrogations, de mes étonnements et de mes doutes. Je suis inébranlablement persuadé que, si nous savions à fond le dernier des êtres animés, nous saurions sinon le tout de l’homme, du moins beaucoup plus sur lui que n’en savent ceux qui, dès à présent, se flattent d’en savoir quelques chose.

 

Sur ce point, vraiment fondamental, de l’unité essentielle de la vie, je me trouve donc en plein désaccord avec un biologiste penseur comme Rémy Collin qui, lui, n’hésite pas de faire entre l’humain et l’animal une différence radicale, puisqu’il voit en l’homme non pas seulement l’être le plus intelligent et le plus puissant de la nature, mais encore un être d’une nature spéciale, doué d’attributs incommensurables à ceux de l’animalité, un être qui, par la possession d’une conscience réfléchie, d’une âme libre et immortelle, transcende les purs mécanismes auxquels se réduisent tous les autres vivants.

Une telle conception, je l’avoue, me surprend et me déconcerte, surtout de la part d’un homme rompu à l’étude positive des phénomènes de la vitalité. Sans mésestimer pour autant, ni tâcher à étrécir tendancieusement le fossé qui sépare le psychisme humain du psychisme animal, je ne puis oublier que ce fossé n’a été creusé que par l’extinction d’êtres intermédiaires qui, à coup sûr, vécurent jadis sur notre globe, et dont on eût été bien embarrassé pour décider s’ils possédaient ou non la conscience réfléchie et la liberté.

 

 

Il faut donc aimer quelqu'un pour le préférer à son absence. (Jean Rostand)

 

 

Je ne sais pas ce que c’est que la vie, ni la conscience ni la pensée ; j’ignore l’origine et la nature de ce qui, prenant racine dans la boue cellulaire, s’est épanoui en notre cerveau ; mais, si j’étais aussi sûr que l’est un Rémy Collin que toute la sensibilité, toute la conscience des bêtes se ramenât à de la mécanique, je ne ferais point de difficulté pour étendre cette certitude jusqu’à l’homme lui-même.

La parenté de l’homme avec les animaux ne se peut expliquer rationnellement que dans le cadre de la théorie de l’évolution, ou théorie transformiste, d’après laquelle tous les êtres vivants, y compris l’homme, dérivent d’êtres un peu moins complexes, et ceux-ci d’êtres qui l’étaient un peu moins, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on arrive à des formes extrêmement simples, rudimentaires, qui seraient les ancêtres de toute vie. »

 

 

On peut imaginer une humanité composée exclusivement de femmes, on n'en saurait imaginer une qui ne comptât que des hommes. (Jean Rostand)

 

 

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