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26 septembre 2021 7 26 /09 /septembre /2021 08:26

 

LA FAIM CHRONIQUE, PREMIER INDICATEUR DU SOUS-DÉVELOPPEMENT

 

La faim extrême déshumanise

Josué de CASTRO (1908-1973)

Un cas parlant, celui décrit dans le livre « Géopolitique de la faim » de Josué de Castro dont le texte qui suit est un extrait.

Josué de CASTRO, né à Recife en 1908 et mort à Paris en 1973, a été une personnalité brésilienne connue dans le monde entier.
Après le coup d'État militaire de 1964 au Brésil, Josué de Castro a vécu en France. Il a enseigné à l’université Paris VIII (anciennement Centre universitaire expérimental de Vincennes).

Il a été médecin, expert en nutrition, enseignant, géographe, écrivain, homme politique et a fondé l’institut de nutrition de l’université fédérale de Rio de Janeiro.

En 1952 il a été élu président du conseil exécutif de la FAO.
En 1953 il a obtenu le prix Franklin Roosevelt.
En 1954 : prix international de la paix.

Son ouvrage « Géopolitique de la faim » (1951) sur les problèmes de la faim et le sous-développement a éveillé les consciences. L’utilisation des principes de la géographie et de l’écologie a apporté une nouvelle lumière sur la complexité du phénomène de la sous-nutrition.

Quelques autres ouvrages publiés en français :

  • Les conditions de vie des classes ouvrières de Recife
  • L’alimentation brésilienne à la lumière de la géographie humaine
  • Alimentation et acclimatation humaines sous les tropiques
  • La faim, problème universel.

 

La faim annihilante

« Il y a deux manières de mourir de faim : ne rien manger, et dépérir de manière vertigineuse jusqu'à l'issue fatale, ou manger de manière inadéquate, et entrer dans un régime de carence ou de déficience spécifique capable de provoquer un état qui peut aussi conduire à la mort. Plus grave même que la faim aiguë et totale, à cause de ses répercussions sociales et économiques, est le phénomène de la faim chronique et partielle, qui ronge sourdement d'innombrables populations du monde...

Il est possible, aujourd'hui, de faire une synthèse de cette action annihilante de la faim, sur la base des observations scientifiques, réalisées dans les camps de concentration en Europe durant la dernière guerre, ou dans les zones de faim qui demeurent, dans des pays peu développés ou sujets à des calamités météorologiques, ou, finalement, par des expériences de laboratoire effectuées par des spécialistes.

Les conséquences physiques de la faim sont, de manière générale, bien connues : diminution ou arrêt de la croissance, perte de poids, perte des forces, anémie, etc. Il n'est donc pas nécessaire de leur consacrer une étude détaillée. Quant aux aspects psychologiques du phénomène, ils sont beaucoup plus complexes et plus obscurs. »

 

La faim ou la sous-alimentation et ses effets multiples

« Dans cette analyse de l'influence de la faim et de la sous-alimentation sur le comportement humain, nous apporterons comme contribution effective les observations personnelles que nous avons faites dans une zone de faim épidémique au Brésil. Dans le nord-est de ce pays, en temps normal, les populations locales ont un régime équilibré à base de viande, de lait, de fromage et de maïs, produits obtenus grâce à un système d'économie mixte : agriculture et élevage de bétail. Mais, comme il s'agit d'une région sujette à des sécheresses périodiques, lorsque se produit ce cataclysme météorologique, toute l'économie régionale se désorganise et la faim aiguë fait son apparition, tuant une partie de la population et expulsant l'autre partie, en l'obligeant à émigrer vers des zones au climat plus régulier. Nous avons eu l'occasion de suivre, en plusieurs de ces épisodes de sécheresse, les transformations violentes qui surgissent dans la vie humaine de cette région.

La faim n'agit pas seulement sur le corps des victimes de la sécheresse, mais elle agit aussi sur leur esprit, sur leur structure mentale, sur leur conduite morale. Aucune calamité ne peut désagréger la personnalité humaine aussi profondément et dans un sens aussi nocif que la faim. Excités par le besoin impérieux de se nourrir, les instincts primaires s'éveillent et l'homme, comme tout autre animal affamé, montre une conduite mentale qui peut sembler des plus déconcertantes. »

 

L’homme en proie à la faim

« Son comportement se modifie comme celui des autres êtres vivants atteints dans cette même zone par le fléau de la faim, celui du bétail, celui des chauves-souris, celui des serpents. Le bétail semble perdre toute sensibilité à la douleur et parvient à manger des plantes à épines tels les cactus, qui lui blessent la bouche jusqu'au sang. Les chauves-souris et les serpents qui, en temps normal, vivent loin des habitations humaines, envahissent les maisons en période de sécheresse et attaquent l'homme pour apaiser leur faim désespérée.

Dans son action sur l'homme, la faim ne se manifeste pas comme une sensation continue, mais comme un phénomène intermittent, avec des accès et des rémissions périodiques. Au début, la faim provoque une excitation nerveuse anormale, une irritabilité extrême et, principalement une grande exaltation des sens qui s'enflamment dans un élan de sensibilité, au service presque exclusif des activités qui permettent d'obtenir de la nourriture et, donc, de satisfaire l'instinct mortifié de la faim. »

 

La faim extrême déshumanise

« Parmi les sens, ceux qui subissent le maximum d'excitation sont la vue et l'ouïe, afin de mieux orienter l'affamé dans sa recherche de nourriture. A ce moment, l'homme se présente, plus que jamais, comme un véritable animal de rapine, s'obstinant dans la recherche d'une proie quelconque pour apaiser sa faim. C'est en de telles occasions que surgissent, en cette région du Brésil, ses fameux bandits. En cette phase, disparaissent tous les autres désirs et intérêts vitaux, et la pensée se concentre exclusivement sur les possibilités de découvrir de la nourriture, par n'importe quel moyen et au prix de n'importe quel risque. C'est l'obsession de l'esprit polarisé sur un seul désir, concentré sur une seule aspiration : manger...

La personnalité se désagrège et les réactions normales à toutes les autres sollicitations du milieu extérieur, sans rapport avec le phénomène de la faim, s'éteignent peu à peu. En cette désintégration du moi, disparaissent les activités d'autoprotection et de contrôle mental et, finalement, l'individu perd totalement tout scrupule et inhibition d'ordre moral. Ainsi, la conscience éteinte, le conflit inconscient se poursuit entre les forces de satisfaction de l'instinct de nutrition et les forces dirigées par d'autres intérêts humains, l'un des deux groupes prenant le dessus d'après ce que le sociologue Sorokin appelle la « loi de diversification et de polarisation des effets. »  (Josué de CASTRO. Géopolitique de la Faim. Ed. Ouvrières 1962.)

 

Un exemple plus contemporain de déshumanisation due à la faim extrême :

L’accident aérien qui s’est produit le 13 octobre 1972 ; l’avion transportant des rugbymen uruguayens et leurs familles s’est écrasé dans les Andes. Pour survivre, les rescapés restés deux mois sans secours, ont mangé les corps des passagers décédés.

 

 

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