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8 septembre 2019 7 08 /09 /septembre /2019 07:51

Édith SCHUSS, Perles spirituelles

L’ART ET LA NATURE SELON BAUDELAIRE (3)

La rencontre de l’art et des couleurs de la nature crée la vie

Charles Baudelaire : critique d’art avisé

Charles Baudelaire (1821-1867)

La couleur au cœur de l’œuvre d’art

« DE L’IDÉAL ET DU MODÈLE

La couleur étant la chose la plus naturelle et la plus visible, le parti des coloristes est le plus nombreux et le plus important. L'analyse, qui facilite les moyens d'exécution, a dédoublé la nature en couleur et ligne, et avant de procéder à l'examen des hommes qui composent le second parti, je crois utile d'expliquer ici quelques-uns des principes qui les dirigent, parfois même à leur insu.
Le titre de ce chapitre est une contradiction, ou plutôt un accord de contraires; car le dessin du grand dessinateur doit résumer l'idéal et le modèle.
La couleur est composée de masses colorées qui sont faites d'une infinité de tons, dont l'harmonie fait l'unité : ainsi la ligne, qui a ses masses et ses généralités, se subdivise en une foule de lignes particulières, dont chacune est un caractère du modèle.

La circonférence, idéal de la ligne courbe, est comparable à une figure analogue composée d'une infinité de lignes droites, qui doit se confondre avec elle, les angles intérieurs s'obtusant de plus en plus. 
»

 

Couleurs, lignes, harmonie, symphonie font la qualité de l’œuvre d’art

« Mais comme il n'y a pas de circonférence parfaite, l'idéal absolu est une bêtise. Le goût exclusif du simple conduit l'artiste nigaud à l'imitation du même type. Les poètes, les artistes et toute la race humaine seraient bien malheureux, si l'idéal, cette absurdité, cette impossibilité, était trouvé. Qu'est-ce que chacun ferait désormais de son pauvre moi, — de sa ligne brisée ?

J'ai déjà remarqué que le souvenir était le grand critérium de l'art; l'art est une mnémotechnie du beau : or, l'imitation exacte gâte le souvenir. Il y a de ces misérables peintres, pour qui la moindre verrue est une bonne fortune; non-seulement ils n'ont garde de l'oublier, mais il est nécessaire qu'ils la fassent quatre fois plus grosse : aussi font-ils le désespoir des amants, et un peuple qui fait faire le portrait de son roi est un amant.

Trop particulariser ou trop généraliser empêchent également le souvenir ; à l'Apollon du Belvédère et au Gladiateur je préfère l'Antinoüs, car l'Antinoüs est l'idéal du charmant Antinoüs.

Quoique le principe universel soit un, la nature ne donne rien d'absolu, ni même de complet(1) ; je ne vois que des individus. Tout animal, dans une espèce semblable, diffère en quelque chose de son voisin, et parmi les milliers de fruits que peut donner un même arbre, il est impossible d'en trouver deux identiques, car ils seraient le même ; et la dualité, qui est la contradiction de l'unité, en est aussi la conséquence(2). C'est surtout dans la race humaine que l'infini de la variété se manifeste d'une manière effrayante. Sans compter les grands types que la nature a distribués sous les différents climats, je vois chaque jour passer sous ma fenêtre un certain nombre de Kalmouks, d'Osages, d'Indiens, de Chinois et de Grecs antiques, tous plus ou moins parisianisés. Chaque individu est une harmonie; car il vous est maintes fois arrivé de vous retourner à un son de voix connu, et d'être frappé d'étonnement devant une créature inconnue, souvenir vivant d'une autre créature douée de gestes et d'une voix analogues. Cela est si vrai que Lavater a dressé une nomenclature des nez et des bouches qui jurent de figurer ensemble, et constaté plusieurs erreurs de ce genre dans les anciens artistes, qui ont revêtu quelquefois des personnages religieux ou historiques de formes contraires à leur caractère. Que Lavater se soit trompé dans le détail, c'est possible ; mais il avait l'idée du principe. Telle main veut tel pied; chaque épiderme engendre son poil. Chaque individu a donc son idéal.

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(1)Rien d’absolu : —ainsi, l’idéal du compas est la pire des sottises ; — ni complet :— ainsi il faut tout compléter, et retrouver chaque idéal.
(2)Je dis la contradiction, et non pas le contraire ; car la contradiction est une invention humaine. 
»

Auguste Rodin, Le penseur

La beauté est variété, en art comme en d’autres domaines

«Je n'affirme pas qu'il y ait autant d'idéals primitifs que d'individus, car un moule donne plusieurs épreuves ; mais il y a dans l'âme du peintre autant d'idéals que d'individus, parce qu'un portrait est un modèle compliqué d'un artiste.

Ainsi l'idéal n'est pas cette chose vague, ce rêve ennuyeux et impalpable qui nage au plafond des académies ; un idéal, c'est l'individu redressé par l'individu, reconstruit et rendu par le pinceau ou le ciseau à l'éclatante vérité de son harmonie native.

La première qualité d'un dessinateur est donc l'étude lente et sincère de son modèle. Il faut non-seulement que l'artiste ait une intuition profonde du caractère du modèle, mais encore qu'il le généralise quelque peu, qu'il exagère volontairement quelques détails, pour augmenter la physionomie et rendre son expression plus claire.

Il est curieux de remarquer que, guidé par ce principe, — que le sublime doit fuir les détails, — l'art pour se perfectionner revient vers son enfance. — Les premiers artistes aussi n'exprimaient pas les détails. Toute la différence, c'est qu'en faisant tout d'une venue les bras et les jambes de leurs figures, ce n'étaient pas eux qui fuyaient les détails, mais les détails qui les fuyaient; car pour choisir il faut posséder.

Le dessin est une lutte contre la nature de l'artiste, où l'artiste triomphera d'autant plus facilement qu'il comprendra mieux les intentions de la nature. Il ne s'agit pas pour lui de copier, mais d'interpréter dans une langue plus simple et plus lumineuse.

L'introduction du portrait, c'est-à-dire du modèle idéalisé, dans les sujets d'histoire, de religion ou de fantaisie, nécessite d'abord un choix exquis du modèle, et peut certainement rajeunir et revivifier la peinture moderne, trop encline, comme tous nos arts, à se contenter de l'imitation des anciens. »

Baudelaire, Écrits sur l’Art 1.

Louis XIV

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