Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Recherche

15 septembre 2019 7 15 /09 /septembre /2019 07:29

ÉDUCATION, SOCIÉTÉ, DÉMOCRATIE (1)
JULES FERRY UN ACTEUR AVISÉ

Égalité devant l’éducation
Égalité sociale

Démocratie

Jules Ferry (1832-1893)

Jules Ferry, avocat et homme politique français fut un farouche opposant à l’empire et au régime mis en place par Napoléon III. Après la chute de ce dernier, il entreprend une carrière politique des plus riches et des plus fécondes.
Député républicain de Paris, un temps ambassadeur à Athènes (1872-1873), il fut presque continuellement au pouvoir de 1879 à 1885,

-soit plusieurs fois comme ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts (1879-1881),
-soit comme président du Conseil (1880-1883),
-soit comme ministre des Affaires étrangères (1883-1885).
Il imprima sa marque dans trois domaines essentiels de la vie politique et sociale du pays :

-l’affermissement du régime républicain.
-une législation scolaire d’ampleur : l’enseignement gratuit, obligatoire et laïc dans le primaire : « les lois scolaires ».
-l’expansion et la colonisation françaises dont il fut un ardent partisant et un théoricien inspiré.
Jules Ferry fut également à l’origine du vote des lois relatives à la liberté de réunion (supprimées sous l’Empire), ainsi que de la liberté de la presse et des syndicats.
Sa politique coloniale, tout particulièrement la conquête de Tonkin provoqua sa chute en 1885.

Monument à Jules Ferry dans le jardin des Tuileries, Paris

Les fondations essentielles de l’égalité républicaine : l’égalité de l’éducation

Discours sur l’égalité d’éducation (1870)

« J'ai moi-même choisi ce sujet ; je l'ai défini : De l'égalité d'éducation, et je suis sûr que, parmi les personnes qui me font l'honneur de m'entendre, il en est un grand nombre qui, à l'aspect de ce titre un peu général, un peu mystérieux, se sont' dit : quelle est cette utopie ? Or, ma prétention est de vous montrer que l'égalité d'éducation n'est pas une utopie ; que c'est un principe ; qu'en droit, elle est incontestable et qu'en pratique, dans les limites que je dirai, et en vertu d'une expérience décisive que j'ai principalement pour but de vous faire connaître, cette utopie apparente est dans l'ordre des choses possibles.
Qu'est-ce que d'abord que l'égalité ? est-ce un mot retentissant ? une formule vide de sens ? n'est-ce qu'un mauvais sentiment ? n'est-ce qu'une chimère ?
L'égalité, messieurs, c'est la loi même du progrès humain ! c'est plus qu'une théorie : c'est un fait social, c'est l'essence même et la légitimité de la société à laquelle nous appartenons. En effet, la société moderne, aussi bien que la société ancienne, est la démonstration vivante et quotidienne de cette vérité, qui devient de nos jours de plus en plus visible : à savoir que la société humaine n'a qu'un but, qu'une loi de développement, qu'une fin dernière : atténuer de plus en plus, à travers les âges, les inégalités primitives données par la nature. »

 

L’éducation, premier devoir républicain

« Le siècle dernier et le commencement de celui-ci ont anéanti les privilèges de la propriété, les privilèges et la distinction des classes ; l'œuvre de notre temps n'est pas assurément plus difficile. A coup sûr, elle nécessitera de moindres orages, elle exigera de moins douloureux sacrifices; c'est une œuvre pacifique, c'est une œuvre généreuse, et je la définis ainsi; faire disparaître la dernière, la plus redoutable des inégalités qui viennent de la naissance, l'inégalité d'éducation. C'est le problème du siècle et nous devons nous y rattacher. Et quant à moi, lorsqu'il m'échut ce suprême honneur de représenter une portion de la population parisienne dans la Chambre des députés, je me suis fait un serment : entre toutes les nécessités du temps présent, entre tous les problèmes, j'en choisirai un auquel je consacrerai tout ce que j'ai d'intelligence, tout ce que j'ai d'âme, de cœur, de puissance physique et morale, c'est le problème de l'éducation du peuple.
L'inégalité d'éducation est, en effet, un des résultats des plus criants et les plus fâcheux, au point de vue social, du hasard de la naissance. Avec l'inégalité d'éducation, je vous défie d'avoir jamais l'égalité des droits, non l'égalité théorique, mais l'égalité réelle, et l'égalité des droits est pourtant le fond même et l'essence de la démocratie.
Faisons une hypothèse et prenons la situation dans un de ses termes extrêmes ;
supposons que celui qui naît pauvre naisse nécessairement et fatalement ignorant ; je sais bien que c'est là une hypothèse, et que l'instinct humanitaire et les institutions sociales, même celles du passé, ont toujours empêché cette extrémité de se produire ; il y a toujours eu dans tous les temps, — il faut le dire à l'honneur de l'humanité, — il y a toujours eu quelques moyens d'enseignement plus ou moins organisés, pour celui qui était né pauvre, sans ressources, sans capital. Mais, puisque nous sommes dans la philosophie de la question, nous pouvons supposer un état de choses où la fatalité de l'ignorance s'ajouterait nécessairement à la fatalité de la pauvreté, et telle serait, en effet, la conséquence logique, inévitable d'une situation dans laquelle la science serait le privilège exclusif de la fortune. Or, savez-vous, messieurs, comment s'appelle, dans l'histoire de l'humanité, cette situation extrême ? c'est le régime des castes. Le régime des castes faisait de la science l'apanage exclusif de certaines classes. Et si la société moderne n'avisait pas à séparer l'éducation, la science, de la fortune, c'est-à-dire du hasard de la naissance, elle retournerait tout simplement au régime des castes. »

L’éducation, condition première de la démocratie

« A un autre point de vue, l'inégalité d'éducation est le plus grand obstacle que puisse rencontrer la création de mœurs vraiment démocratiques. Cette création s'opère sous nos yeux ; c'est déjà l'œuvre d'aujourd'hui, ce sera surtout l'œuvre de demain ; elle consiste essentiellement à remplacer les relations d'inférieur à supérieur sur lesquelles le monde a vécu pendant tant de siècles, par des rapports d'égalité.

Les sociétés anciennes admettaient que l'humanité fût divisée en deux classes : ceux qui commandent et ceux qui obéissent ; tandis que la notion de commandement et de l'obéissance qui convient à une société démocratique comme la nôtre, est celle-ci : il y a toujours, sans doute, des hommes qui commandent, d'autres hommes qui obéissent, mais le commandement et l'obéissance sont alternatifs, et c'est à chacun à son tour de commander et d'obéir.

Voilà la grande distinction entre les sociétés démocratiques et celles qui ne le sont pas. Ce que j'appelle le commandement démocratique ne consiste donc plus dans la distinction de l'inférieur et du supérieur; il n'y a ni inférieur ni supérieur ; il y a deux hommes égaux qui contractent ensemble, et alors dans le maître et dans le serviteur, vous n'apercevrez plus que deux contractants ayant chacun leurs droits précis, limités et prévus ; chacun leurs devoirs, et, par conséquent, chacun leur dignité.

Voilà ce que doit être un jour la société moderne ; mais — et c'est ainsi que je reviens à mon sujet, — pour que ces mœurs égales dont nous apercevons l'aurore, s'établissent, pour que la réforme démocratique se propage dans le monde, quelle est la première condition ? C'est qu'une certaine éducation soit donnée à celui qu'on appelait autrefois un inférieur, à celui qu'on appelle encore un ouvrier, de façon à lui inspirer ou à lui rendre le sentiment de sa dignité ; et, puisque c'est un contrat qui règle les positions respectives, il faut au moins qu'il puisse être compris des deux parties.

Enfin, dans une société qui s'est donné pour tâche de fonder la liberté, il y a une grande nécessité de supprimer les distinctions de classes. Je vous le demande, de bonne foi, à vous tous qui êtes ici et qui avez reçu des degrés d'éducation divers, je vous demande si, en réalité, dans la société actuelle il n'y a plus de distinction de classes ? Je dis qu'il en existe encore ; il y en a une qui est fondamentale, et d'autant plus difficile à déraciner que c'est la distinction entre ceux qui ont reçu l'éducation et ceux qui ne l'ont point reçue. Or, messieurs, je vous défie de faire jamais de ces deux classes une nation égalitaire, une nation animée de cet esprit d'ensemble et de cette confraternité d’idées qui font la force des vraies démocraties, si, entre ces deux classes, il n’y a pas eu le premier rapprochement, la première fusion qui résulte du mélange des riches et des pauvres sur les bancs de quelque école.

D'une nouvelle direction de la pensée humaine, un nouveau système d'éducation devait sortir. Ce système se développa, se précisa avec le temps, et un jour il trouva son prophète, son apôtre, son maître dans la personne d'un des plus grands philosophes dont le dix-huitième siècle et l'humanité puissent s'honorer, dans un homme qui a ajouté à une conviction philosophique, à une valeur intellectuelle incomparable, une conviction républicaine poussée jusqu'au martyre ; je veux parler de Condorcet. C'est Condorcet qui, le premier, a formulé, avec une grande précision de théorie et de détails, le système d'éducation qui convient à la société moderne.»

                                                                                   Jules Ferry, Discours sur l’égalité d’éducation,1870.

Partager cet article
Repost0

commentaires