Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Recherche

8 novembre 2020 7 08 /11 /novembre /2020 16:11

POÉSIE ENGAGÉE

Léon-Gontran Damas, Hoquet

 

« Hoquet

Et j'ai beau avaler sept gorgées d'eau
trois à quatre fois par vingt-quatre heures
me revient mon enfance dans un hoquet secouant
mon instinct
tel le flic le voyou
Désastre
parlez-moi du désastre
parlez-m'en

Ma mère voulant d'un fils très bonnes manières à table
les mains sur la table
le pain ne se coupe pas
le pain se rompt
le pain ne se gaspille pas le pain de Dieu
le pain de la sueur du front de votre Père
le pain du pain
Un os se mange avec mesure et discrétion
un estomac doit être sociable
et tout estomac sociable se passe de rots
une fourchette n'est pas un cure-dents
défense de se moucher
au su
au vu de tout le monde
et puis tenez-vous droit
un nez bien élevé ne balaye pas l'assiette
Et puis et puis
et puis au nom du Père
du fils
du Saint-Esprit
à la fin de chaque repas
Et puis et puis
et puis désastre
parlez-moi du désastre
parlez-m'en

Ma mère voulant d'un fils mémorandum
si votre leçon d'histoire n'est pas sue
vous n'irez pas à la messe dimanche avec
vos effets de dimanche
Cet enfant sera la honte de notre nom
cet enfant sera notre nom de Dieu
Taisez-vous
vous ai-je dit qu'il vous fallait parler français
le français de France
le français du Français
le français français

Désastre
parlez-moi du désastre
parlez-m'en

Ma mère voulant d'un fils
fils de sa mère
Vous n'avez pas salué voisine
encore vos chaussures de sales
et que je vous y reprenne dans la rue
sur l'herbe ou sur la Savane
à l'ombre du monument aux morts
à jouer
à vous ébattre avec untel
avec untel qui n'a pas reçu le baptême

Désastre
parlez-moi du désastre
parlez-m'en

 

Ma mère voulant d'un fils très do
très ré
très mi
très fa

 

très sol
très si
très do
ré-mi-fa
sol-la-si
do
Il m'est revenu que vous n'étiez encore pas
à votre leçon de violon
un banjo
vous dites un banjo
comment dites-vous
un banjo vous dites bien un banjo
Non monsieur
vous saurez qu'on ne souffre chez nous
ni ban
ni jo
ni gui
ni tare
les
mulâtres ne font pas ça

laissez donc ça aux nègres. »
                                   
Léon-Gontran Damas, Pigments, Guy Lévi-Mano, 1937, Réédition Présence africaine, 1962.

Léon-Gontran Damas, né à Cayenne (Guyane) en 1912, mort à Washington en 1978, est un écrivain, poète et homme politique français.
Issu d’un père guyanais et d’une mère martiniquaise, le jeune Léon-Gontran appartient à une famille créole aisée.
Cependant il s’engagea pleinement aux côtés de Léopold Sedar Senghor et Aimé Césaire dans la création, l’animation et l’émergence du Mouvement de la Négritude, dont il fut un des chantres reconnus pour son dynamisme et sa création littéraire, tout particulièrement deux œuvres : Pigments et Retour de Guyane.

 

Sa formation, son éloquence firent de lui un partenaire apprécié de la négritude.
Après de brillantes études secondaires à Cayenne, il poursuit des études universitaires en droit et en langues (russe, japonais, baoulé (une des principales langue de Côte d’Ivoire) à l’École des langues orientales à Paris, où il rencontre de nombreux intellectuels et artistes noirs, tous militants de la reconnaissance des valeurs de la culture noire, incarnée par le négritude.

 

Avec Senghor et Césaire notamment il prend position contre l’assimilation et critique la colonisation.
Cette lutte inspire son œuvre littéraire dont la Revue du Monde noir (1931-1932) puis Veillées noires, contes nègres de Guyane…

 

Ses acticités littéraires bien fournies ne l’empêchent pas de s’engager brièvement en politique. Député de la Guyane de 1948 à 1951.  Il est proche du Parti communiste et à la section française de l’Internationale ouvrière.
Il effectue de nombreux voyages en Afrique « pour faire connaître et promouvoir les cultures africaines, afin de faire émerger un sentiment d’appartenance à une identité africaine. »

Léon-Gontran Damas (1912-1978)

 

Partager cet article
Repost0
1 novembre 2020 7 01 /11 /novembre /2020 09:06

OBSERVATION ET RÉFLEXION

Hier, aujourd’hui, demain

 

Extrait de

Tidiane Diakité, Dialogues impromptus à une voix,
                           Archéologie d’une conscience, 2001.

« Ce siècle a incontestablement du bon. Qui le nierait ? Même si ses nouvelles valeurs, au rang desquelles l'intempérance, sous toutes ses formes : la vitesse, la consommation, les technologies de l'information... sont sujets de préoccupation. On veut aller vite, trop vite, on veut consommer vite, trop vite, on veut vivre vite, trop vite... Ainsi, les fruits sont-ils « mûris » et consommés avant terme ; de même les veaux, moutons, volailles... Toutes valeurs qui ont écrasé les vieilles valeurs non marchandes. On va d'autant plus vite que l'on vit dans un monde sans repères. De ce point de vue, à la devise olympique universellement admise "plus vite, plus fort, plus haut", je substituerais "plus fort, plus haut, mais moins vite". En voulant aller plus vite, trop vite, deux notions qui sont deux données fondamentales de notre existence, la patience et la durée se perdent ; perte aux conséquences incalculables. On perd le sens de la patience. Or sans patience, il n'est guère de durée, ni de persévérance ou de constance, ni résistance. On ne sait plus attendre, on ne sait plus désirer, ni se désirer. On veut tout, tout de suite. On veut brûler le temps. En brûlant le temps, on se brûle.

On a tendance à oublier qu'il faut d'abord apprendre à marcher avant de courir ou sauter, et que la meilleure façon de marcher, c'est de mettre un pied devant l'autre et de recommencer. Se voulant le siècle de la vitesse, notre siècle est aussi devenu celui de l'instantané. Ainsi nous ne vivons plus que sur des ressorts émotionnels et instantanés. Un événement chasse l'autre en l'espace de quelques heures au mieux ; une mode chasse l'autre, une réforme chasse l'autre, une invention chasse l'autre... Bref, nous assistons à un ping-pong vertigineux de l'esprit, de la réflexion, qui ne permet plus la pensée dense, mûrie et clairement élaborée. On confond vitesse et action, on confond technique et vitesse alors que technique, du grec tekhnikos, formé sur tekhnê, signifie art, art manuel. Or, l'art est lenteur et profondeur, lenteur d'exécution et profondeur de sens. Quelle mentalité individuelle, collective ou sociale cela engendre-t-il ? Quel sort cela fait-il subir à la hiérarchie des valeurs, à la valeur des choses, au sens de la durée, de la fidélité, en un mot de la vie ? L'échelle des valeurs en est brouillée en bien des cerveaux.

A l'inverse, ceux qui ne peuvent suivre cette course endiablée constitue une catégorie à part qui, ayant perdu le sens de l'instant, soit se réfugient dans la contemplation nostalgique passive et recueillie du passé, soit sont tétanisés par la peur du futur, l'angoisse du lendemain, pain béni pour les charlatans en passe de constituer une classe sociale nouvelle, aux effectifs sans cesse en hausse et à la science chaque jour mieux élaborée.

           Ce monde, avec la connivence de la science et des techniques sous toutes leurs formes balance entre deux pôles : le pôle de l'excessivement complexe et celui de la simplification extrême, le pôle de la "perfection des moyens et celui de la confusion des sens". Il devient ainsi d'une part difficile de faire simple dans un monde de tumulte et de fracas où l'écume des vagues empêche de percevoir le mécanisme profond des marées, où le superficiel recouvre les tendances lourdes, l'image et le virtuel, la réalité profonde. De l'autre, la simplification excessive de certains actes quotidiens de la vie suscite des interrogations : de son fauteuil, appuyer sur un bouton pour avoir son petit déjeuner, appuyer sur un autre pour faire ses courses toujours sans bouger de sa chaise, ou demain, voter à toutes les élections sans sortir de chez soi... En tuant tout effort, en éliminant tout goût et toute raison d'agir du corps et de l'esprit, ne tue-t-on pas un peu la vie ? Il est un autre risque à mon sens : la coupure inégale du monde entre la très petite minorité de ceux qui conçoivent ces machines sophistiquées, ces "machines de vie" et l'immense majorité de consommateurs passifs, de corps et d'esprit.

          Ces nouvelles valeurs ont leurs nouveaux maîtres et leurs nouveaux prêtres parmi lesquels l'argent trône à une place de choix. De son piédestal, il régente à sa guise le monde et les mœurs. Une société n'a de valeur que par rapport à la valeur qu'elle accorde à l'homme. Or, la recherche de l'argent pour l'argent, tout comme celle de la science pour la science, tend vers la négation de l'homme. Devenu une valeur en soi qui prime sur l'essentiel, il se livre et se livrera encore longtemps au massacre impuni des vieilles valeurs, celles qui ont régi le monde depuis des millénaires : celles de partage, de solidarité, de respect de la vie humaine... Il sévit jusque dans le sport où l'idéal olympique des Anciens s'est vu tordre le cou en glissant de la noblesse de la couronne de laurier ou de fleurs remise au vainqueur à la médaille monnayable en espèces clinquantes et sonores. Continuant sa marche inexorable et triomphale, il s'insinue dans toute catégorie de sport et en vicie l'esprit et les principes. C'est donc lui qui, plus que jamais donne le ton à ce monde débridé en folie où l'on consomme de plus en plus sans savoir comment produire, ni qui produit quoi. Avec la complicité de l'audimat et de la publicité, nos sociétés sont à ses pieds. Vous avez dit Audimat ? Car la télévision est bien l'un de ses nouveaux maîtres, nouvelle Pythie des temps modernes, oracle des oracles, encensée par ses desservants attitrés, les "Grands Prêtres", elle ne se contente pas de perturber la messe du dimanche (pour ce faire la science avait déjà depuis le seizième siècle fait l'essentiel du chemin et à présent le confessionnal à émigré de l'église au studio de télévision), elle décide de la vie des foyers, unissant et désunissant, mais assénant à tous son enseignement et sa bonne parole. Les formateurs d'aujourd'hui (ceux des enfants comme des adultes), impuissants face à son flot verbal intarissable tentent — mais avec des outils dérisoires — de la dompter en la soumettant aux règles et à l'art de la pédagogie. Jusqu'où ne montera-t-elle pas, couplée à l'informatique et ses réseaux ?

          Ainsi, l'une des différences entre la société d'hier et celle d'aujourd'hui, c'est qu'hier, on sortait de chez soi pour "aller aux nouvelles", tandis que de nos jours, on rentre chez soi pour "aller aux nouvelles". Hier, on sortait de chez soi pour aller à la messe du curé aujourd'hui, on rentre chez soi pour subir le prêche des médiats. Cela change tout ; par cette magie, on connaît mieux ceux qui vivent à des milliers de kilomètres alors qu'on ignore tout du voisin le plus proche. On ne sait ni son nom, ni sa profession, ni ses goûts ou ses soucis... J'ai la conviction que si les sociétés occidentales coulent, ce sera le fait de cet individualisme forcené qui mène à toutes les formes de lâcheté et à tous les degrés de l'incivisme. La télévision, sans contrôle est facteur de désocialisation. Monde du virtuel, monde du paraître, elle contribue au dysfonctionnement social en noyant les consciences sous des flots d'images sans messages.

Dans ce monde ballotté entre les extrêmes, entre la culture de l'argent et la culture de mort, les ratés sont légion. En économie tout d'abord, ce qui serait de nature à susciter interrogation et inquiétude (donc inciter à la réflexion prospective et constructive), c'est que nous entrons de plus en plus dans un système où la richesse crée la pauvreté et la misère. Plus certaines entreprises réussissent et grossissent leurs chiffres d'affaires de façon faramineuse, plus elles développent en leur sein et autour d'elles chômage, misère et désolation. Dans le même ordre d'idée, nos villes sont de plus en plus peuplées de morts-vivants sociaux qu'on nomme "exclus", c'est-à-dire la masse des laissés-pour-compte de la consommation sans compter les infirmes du désir car, la consommation de tout, la consommation pour la consommation est l'une des formes de la servitude : la servitude moderne, qui nous couvre de chaînes quand nous nous croyons libres, qui nous consume quand nous croyons consommer. L'alternative est simple : ou il s'instaurera au niveau mondial un système plus concret et plus ouvert de coopération et d'harmonisation de l'économie et des systèmes économiques, ou on va vers une nouvelle forme de barbarie engendrée par l'abondance de biens. Cette concurrence économique effrénée entre les nations du monde a comme aboutissement logique l'intensification du chômage, car le risque ultime, c'est l'économie pour l'économie, l'économie sans les hommes et contre les hommes. Plus une entreprise prospère, plus ses actions sont florissantes à la Bourse, plus elle licencie de travailleurs et fait des malheureux, brise des vies et instaure le désarroi. Tant que la compétition exacerbée implique la compétitivité à tous crins, celle-ci, avec la complicité de celle-là, mènera au productivisme qui nécessitera plus de délocalisations et plus de licenciements, ce qui ne peut qu'aviver les tensions de toutes sortes au sein des nations et entre nations, car cette compétition sans limites ni lois est aussi une forme de guerre qui ruine les bases de l'entente et de la paix. »

 

 

Partager cet article
Repost0
25 octobre 2020 7 25 /10 /octobre /2020 08:33

Édith SCHUSS, Chardon bleu
(https://edith-artiste-peintre-intuitive.com/)

ART ET TECHNIQUE

Que devons-nous à l’art ?

Pierre Francastel (1900-1970)

Pierre Francastel ((Paris, 1900 – 1970), un historien et critique d'art français est issu par son père, d'une famille d'artistes et de journalistes et par sa mère, d'une famille de la noblesse belge.
Études littéraires classiques à la Sorbonne et attaché au service d'architecture du château de Versailles.
Thèse de doctorat en 1930 sur la sculpture du domaine royal de Versailles.
Il fut aussi chroniqueur dans plusieurs revues et auteur de nombreux ouvrages.
Il est une figure majeure de l'histoire de l'art au XXᵉ siècle, considéré comme un des fondateurs de la sociologie de l'art.

Pierre Francastel fut un innovateur de talent dans le domaine de l’étude de l’art. Il est l’inventeur de la « sociologie historique comparative » Pour lui « l’art n’est pas seulement un pur plaisir esthétique, mais, une production sociale en relation étroite avec son environnement politique, social, religieux et scientifique ».
Ses nombreux ouvrages développent pour l’essentiel cette philosophie de l’art. Entre autres :

-Art et Sociologie
-Art et peinture
-Histoire de la peinture française
-Art et Technique…

Place de l’art dans la société

« Les développements du machinisme et l'industrialisation d'une part, les progrès des sciences spéculatives et appliquées d'autre part, ont abouti à une transformation complète de l'univers.
La question se pose donc de savoir quels sont les rapports nouveaux qui se sont établis dans la civilisation contemporaine entre les arts et les autres activités fondamentales, particulièrement les activités techniques, de l’homme.
La réponse habituellement donnée à cette question est assez curieuse. Les critiques et les historiens ont tendance à affirmer que l'art s'est séparé de l'humain. (...)

L'opposition de l'Art et de la Technique se résout dès qu'on constate que l'art est lui-même, dans une certaine mesure, une technique sur le double plan des activités opératoires et figuratives. Prétendant expliquer l'art en fonction de sa fidélité à la représentation du réel, les critiques et les historiens ont faussé les points de vue. On n'explique pas un langage en fonction des choses qu'il nomme ou des rapports d'idées qu'il exprime. Le but de l’art n'est pas de constituer un double maniable de l'univers ; il est, à la fois, de l'explorer et de l’informer d'une manière nouvelle. La pensée plastique qui existe à côté des pensées scientifique ou technique appartient, à la fois, au domaine de l'action et de l'imagination. L'art ne libère pas l'homme de toutes les contraintes, il ne lui offre pas le moyen d’appréhender et de traduire dans l'absolu des sensations, il constitue un mode de connaissance et d'expression mêlé à l’action. Il existe aussi dans l'ordre de l'imaginaire une fusion de la logique et du concret. A travers les images l'homme découvre, à la fois, l'univers et son besoin de l'organiser. Entre l'art et la technique il ne s'agit donc pas d'une opposition ni d'une identification globale. Le conflit surgit lorsqu'on prétend soustraire au réel l'ordre de l’imaginaire. C'est dans la technique que se rencontrent l'art et les autres activités spécifiques de l'homme. Le domaine de l'art, ce n'est pas l'absolu, mais le possible. Par l’art, les sociétés rendent le monde un peu plus commode ou un peu plus puissant et elles parviennent parfois à le soustraire aux régies de fer de la matière ou aux lois sociales et divines pour le rendre momentanément un peu plus humain. (...) »

L’art et la technique : opposition ou complémentarité dans l’évolution des sociétés ?

« Les artistes ne jouent pas dans une société un rôle d'isolés, indépendamment des techniciens et des penseurs. A la conception d'histoires séparées des différentes disciplines et des différentes activités humaines, il convient de substituer une conception enfin globale des capacités d’expression d'une société qui se modèle en s exprimant. L'art moderne n'a pas le caractère d’un jeu solitaire et gratuit. Adoptant un mode d'expression spécifique un homme ne se retranche pas de la communauté. Les artistes sont aussi des hommes qui créent des Objets. Ces objets peuvent être étudiés comme représentatifs de sensations et d'actions qui ne sont pas nécessairement contradictoires, avec les impressions et les structures qui permettent à d'autres catégories d'individus, dont le corps est formé dans le même milieu technique et naturel, de s’exprimer et de créer aussi des objets de civilisation. A travers l'objet d'art, il est légitime de rechercher des formes et des notions caractéristiques de l'homme entier d'aujourd'hui. L'art n'est pas le domaine des valeurs de refuge, ouvertes à l'homme qui craint la destinée. (...) »

L’art joue-t-il un rôle pacificateur des esprits ?

« Les produits de la pensée technique peuvent être objectivement confrontés avec ceux des pensées scientifique ou plastique dans un même système de compréhension. L'artiste qui compose un tableau ou qui élabore une sculpture produit des objets de civilisation qui, d’un certain point de vue, possèdent des caractères communs avec les œuvres issues de l'activité la plus spéculative, la plus expérimentale ou la plus mécanique de la société. Dans tous les cas il y a production de choses possédant une extériorité par rapport au producteur, utilisables par d'autres et à l'occasion desquelles se produisent des interférences de jugement et d'action. (...)

L'œuvre d'art est, en effet, un objet au sens le plus matériel, le plus concret du terme. Elle est, si l'on veut, une chose. Un tableau se situe dans notre entourage familier comme un meuble ; il se déplace, il se manie, il s'entretient, il s'échange, il s'altère. Il est réel, concret et utile au même titre qu'un ustensile quelconque de la vie courante. En même temps, les uns n'y voient qu'un signe d'éducation ou de richesse, mais les autres y voient, en outre, un ensemble d'éléments ou de signes suggestifs soit de méditation soit de signification qui tantôt conduisent au plaisir de la contemplation et tantôt engendrent des opinions immédiatement utilisables dans le comportement journalier. Par conséquent, l'œuvre d'art est le produit unique d'une activité qui se situe, à la fois, sur le plan des activités matérielles et des activités imaginaires d'un groupe social donné. Dans les deux cas, au surplus, elle possède un double caractère sociologique et individuel, au même titre que la personnalité de l'homme qui l'a produite. »  (Pierre FRANCASTEL, Art et technique, bib. Médiations)

Paul SCHUSS, Le Manoir en Hiver
(Lien : http://www.adagp.fr/fr/banque-images#/?q=cGF1bCBzY2h1c3M%3Dhttp://www.adagp.fr/fr/banque-images#/)

Partager cet article
Repost0
18 octobre 2020 7 18 /10 /octobre /2020 08:23

LA NATURE HUMAINE (1)
CONSCIENCE DE SOI ET CONNAISSANCE DE SOI

Peut-on se connaître ?
Peut-on réellement connaître l’autre ?

 

L’Homme, un mystère complet, une énigme insondable ?
Pensées convergentes

Blaise Pascal (1623-1662)

 

Blaise Pascal (Clermont-Ferrand, 1623-Paris, 1662). Philosophe, savant, écrivain français, fut d’une précocité intellectuelle exceptionnelle.
À 16 ans, il écrit un traité sur les coniques.
À 19 ans il invente la machine d’arithmétique (la Pascaline).
À partir de 1646, il mène des travaux et entreprend une expérience sur l’existence du vide.
Puis à partir de cette date, s’enchaînent expériences, inventions et travaux de grande qualité : mathématiques, physique…
Ses pensées philosophiques, d’une grande nouveauté, complètent une œuvre aussi impressionnante que variée.
Ses « pensées » sont une mine digne d’un véritable génie.

« Il faut se connaître soi-même. Quand cela ne servirait pas à trouver le vrai, cela au moins sert à régler sa vie, et iI n'y a rien de plus Juste. » (Blaise Pascal) 

 

Théodule Ribot (1839-1916)

 

Théodule Ribot, (Guingamp, 1839-Paris, 1916), fut un psychologue et un philosophe français de grand renom. Agrégé de philosophie, enseigna à la Sorbonne après la soutenance d’un doctorat de psychologie, puis au Collège de France
Féru de novations variées, passionné par le métier d’enseignant, il fut également à l’origine de méthodes pédagogiques et didactiques toujours appréciées.
Décoré de la Légion d’honneur, il fut auteur d’une œuvre essentiellement consacrée à l’Humain, dans toutes ses dimensions…
Parmi sa riche production littéraire, trois ouvrages apparaissent comme des outils d’introspection et de connaissance l’autre d’un grand intérêt philosophique :

-les maladies de la mémoire
-les maladies de la volonté

-les maladies de  la personnalité

« La conscience ne nous révèle à chaque instant notre moi que sous un seul aspect, entre plusieurs possibles. (...)

Pour saisir la personnalité réelle, concrète et non une abstraction qui prend sa place, il ne s'agit pas de se renfermer dans sa conscience, les yeux clos, et de l'interroger obstinément ; il faut au contraire ouvrir les yeux et observer. L'enfant, le paysan, l'ouvrier, les millions de gens qui courent les rues ou les champs, (...), qui n'ont jamais lu de dissertations sur le moi et le non-moi, ni même une ligne de psychologie, ont chacun leur personnalité bien nette et à chaque instant l'affirment instinctivement. Depuis cette époque oubliée où leur moi s'est constitué, c'est-à-dire s'est formé comme un groupe cohérent au milieu des événements qui l'assaillent, ce groupe se maintient sans cesse, en se modifiant incessamment. Pour une grande part, il est composé d'états et d'actes presque automatiques qui constituent chez chacun le sentiment de son corps et la routine de la vie, qui servent de support à tout le reste, mais dont toute altération, même courte et partielle, est immédiatement sentie. Pour une bonne part encore, il est composé d'un ensemble de sensations, images, idées représentant le milieu habituel où l'on vit et se meut, avec les souvenirs qui s'y rattachent. Tout cela représente des états organisés, solidement liés entre eux, se suscitant les uns les autres, formant corps. (...)

La personnalité réelle s'affirme non par la réflexion, mais par les actes.

Voyons maintenant la personnalité factice ou artificielle. Lorsque le psychologue, par l'observation intérieure, essaye, comme il dit, de se saisir lui-même, il tente l'impossible. Au moment où il se met à la tâche, ou bien il s'en tient au présent, ce qui ne l'avance guère ; ou bien, étendant sa réflexion vers le passé, il s'affirme le même qu'il y a un an, dix ans ; il ne fait qu'exprimer savamment et laborieusement ce qu'un paysan sait aussi bien que lui. Avec l'observation intérieure, il ne peut saisir que des phénomènes fugitifs, et je ne sache pas qu'on ait rien répondu à ces remarques si justes de Hume : "Pour ma part, lorsque j'entre au plus intime de ce que j'appelle moi, je me heurte toujours à telle ou telle perception particulière de froid, de chaud, de lumière ou d'ombre, d'amour ou de haine, de plaisir ou de peine. Je ne surprends jamais mon moi dépouillé de toute perception ; je n'observe jamais rien que la perception..."

Chercher par l'analyse à saisir un tout synthétique comme la personnalité ou, par une intuition de la conscience qui dure à peine quelques secondes, à embrasser un complexus comme le moi, c'est se poser un problème dont les données sont contradictoires. Aussi, en fait, les psychologues ont procédé autrement. Ils ont considéré les états de conscience comme accessoires et le lien qui les unit comme l'essentiel, et c'est ce mystérieux dessous qui, sous les noms d'unité, d'identité, de continuité est devenu le véritable moi. Il est clair cependant que nous n'avons plus ici qu'une abstraction ou, plus exactement, un schéma. A la personnalité réelle s'est substituée l'idée de la personnalité, ce qui est tout autre chose. Cette idée de la personnalité ressemble à tous les termes généraux formés de la même manière (sensibilité, volonté, etc.) ; mais elle ne ressemble pas plus à la personnalité réelle que le plan d'une ville à la ville elle-même.

En résumé, réfléchir sur son moi, c'est prendre une position artificielle qui en change la nature ; c'est substituer une représentation abstraite à une réalité. Le vrai moi est celui qui sent, pense, agit, sans se donner en spectacle à lui-même ; car, il est par nature, par définition, un sujet ; et, pour devenir un objet, il lui faut subir une réduction, une adaptation à l'optique mentale qui le transforme et le mutile. » (Th. RIBOT, Les maladies de la personnalité. Ed. Félix Alcan. 1907.)

 

Paul Valéry (1871-1945)
 

Paul Valéry (Sète, 1871- Paris, 1945), est un écrivain  français prolixe, auteur d’une œuvre fort riche.
De la poésie, il passe à l’art, à la musique, aux mathématiques, tout en s’intéressant à la philosophie, à la connaissance de soi et du monde. « Les carnets » sont un reflet de cet éclectisme caractéristique de son œuvre couronnée par des distinctions prestigieuses : Grand  officier de la Légion d’Honneur, Prix Louis-Barthou…

« Peut-être l'accroissement de la conscience de soi, l'observation constante de soi-même conduisent-ils à se trouver, à se rendre divers ? L'esprit se multiplie entre ses possibles, se détache à chaque instant de ce qu'il vient d'être, reçoit ce qu'il vient de dire, vole à l'opposite, se réplique et attend l'effet... se connaître n'est que se prévoir, se prévoir aboutit à jouer un rôle...
Il ne faut jamais oublier que dans l'observation que nous faisons de nous, il entre infiniment d'arbitraire. (...) Le vrai que l'on favorise se change par là insensiblement sous la plume dans le vrai qui est fait pour paraître vrai. Vérité et volonté de vérité forment ensemble un instable mélange où fermente une contradiction et d'où ne manque jamais de sortir une production falsifiée. » (Paul Valery. Variété II.)

« Nous ne pensons jamais que ce que nous pensons nous cache ce que nous sommes. » (Paul Valery, Monsieur Tesle.)

 

Partager cet article
Repost0
27 septembre 2020 7 27 /09 /septembre /2020 07:38

.  ;

UN PEU DE POÉSIE PAR CES TEMPS DIFFICILES

Maurice Carême, né 12 mai 1899 à Wavre et mort le 13 janvier 1978 à Anderlecht,
poète et écrivain belge de langue française

.  ;

PONCTUATION

- Ce n’est pas pour me vanter,
Disait la virgule,

Mais, sans mon jeu de pendule,
Les mots, tels des somnambules,
Ne feraient que se heurter.

- C’est possible, dit le point.
Mais je règne, moi,
Et les grandes majuscules,
Se moquent toutes de toi,
Et de ta queue minuscule.

- Ne soyez pas ridicules,
Dit le point-virgule,
On vous voit moins que la trace
De fourmis sur une glace.
Cessez vos conciliabules,
Ou tous deux, je vous remplace !

                                                                                                                                                          Maurice Carême, Au Clair de la lune.

 

Partager cet article
Repost0
7 juin 2020 7 07 /06 /juin /2020 07:20

 

JEAN-JACQUES ROUSSEAU : ÉMILE, DE L’ENFANT AU CITOYEN

Les principes d’une éducation conforme à la nature pour le bonheur de l’individu et de la société

J-J Rousseau (1712-1778)

Quoique original et solitaire, J-J. Rousseau fut un des principaux acteurs de la philosophie des Lumières, auprès de Diderot, Voltaire… un de ceux dont les idées ont le plus influencé l’action des révolutionnaires de 1789.
Original, car contrairement au groupe des autres philosophies français, il s’est toujours opposé aux notions de progrès et de civilisation.
Quasiment toute son œuvre découle de cette vision de l’homme, de la société et de l’évolution du monde. Conception originale qui se trouve toute entière dans cette litote :

« Tout est bien sortant des mains de l’Auteur des choses, tout dégénère entre les mains de l’homme. »

Autrement dit, « l’homme naît bon, la société et la civilisation le corrompent » ou encore « l’homme est né libre et partout il est dans les fers ».
Émile sera éduqué selon les principes de Rousseau, l’objectif étant de créer l’« homme naturel ».
Pour cela, il faut protéger l’enfant contre l’influence néfaste de la civilisation.
Pour Rousseau, cette éducation doit se faire à la campagne, à l’abri de tout contact avec la société, en laissant à l’enfant la liberté, qui doit se former par sa propre expérience.
Contrairement à la méthode prônée par les autres philosophes du 18e siècle qui recommandent une formation scientifique de qualité, Rousseau s’attache à la formation morale, aux qualités de cœur, à l’honnêteté, à la vertu…
Enfin, bien qu’Émile soit élevé à la campagne, le but de son éducation, c'est d’en faire un bon père de famille sociable, honnête, un citoyen modèle.

[NB : Quelques parents, qui appliquèrent à la lettre les principes d’éducation préconisés par Rousseau, furent déçus des résultats.]

« Conscience ! Conscience ! Instinct divin, immortelle et céleste voix. » (J-J. Rousseau)

« Laissez mûrir l’enfance dans les enfants »

"Quand je me figure un enfant de dix à douze ans, sain, vigoureux, bien formé pour son âge, il ne me fait pas naître une idée qui ne soit agréable, soit pour le présent, soit pour l'avenir : je le vois bouillant, vif, animé, sans souci rongeant, sans longue et pénible prévoyance, tout entier à son être actuel, et jouissant d'une plénitude de vie qui semble vouloir s'étendre hors de lui. Je le prévois dans un autre âge, exerçant le sens, l'esprit, les forces qui se développent en lui de jour en jour, et dont il donne à chaque instant de nouveaux indices ; je le contemple enfant, et il me plaît ; je l'imagine homme, et il me plaît davantage ; son sang ardent semble réchauffer le mien ; je crois vivre de sa vie, et sa vivacité me rajeunit."

 « Malheur à qui n’a plus rien à désirer ! Il perd, pour ainsi dire tout ce qu’il possède. » (J-J. Rousseau)

"L'heure sonne, quel changement ! À l'instant son œil se ternit, sa gaieté s'efface ; adieu la joie, adieu les folâtres jeux. Un homme sévère et fâché le prend par la main, lui dit gravement ; « Allons, Monsieur », et l'emmène. Dans la chambre où ils entrent j'entrevois des livres. Des livres ! Quel triste ameublement pour son âge ! Le pauvre enfant se laisse entraîner, tourne un œil de regret sur tout ce qui l'environne, se tait, et part, les yeux gonflés de pleurs qu'il n'ose répandre, et le cœur gros de soupirs qu'il n'ose exhaler.

Ô toi qui n'as rien de pareil à craindre, toi pour qui nul temps de la vie n'est un temps de gêne et d'ennui ; toi qui vois venir le jour sans inquiétude, la nuit sans impatience, et ne comptes les heures que par tes plaisirs, viens, mon heureux, mon aimable élève, nous consoler par ta présence du départ de cet infortuné ; viens... Il arrive, et je sens à son approche un mouvement de joie que je lui vois partager. C'est son ami, son camarade, c'est le compagnon de ses jeux qu'il aborde ; il est bien sûr, en me voyant, qu'il ne restera pas longtemps sans amusement ; nous ne dépendons jamais l'un de l'autre, mais nous nous accordons toujours, et nous ne sommes avec personne aussi bien qu'ensemble.

Sa figure, son port, sa contenance, annoncent l'assurance et le contentement ; la santé brille sur son visage ; ses pas affermis lui donnent un air de vigueur ; son teint, délicat encore sans être fade, n'a rien d'une mollesse efféminée ; l'air et le soleil y ont déjà mis l'empreinte honorable de son sexe ; ses muscles, encore arrondis, commencent à marquer quelques traits d'une physionomie naissante ; ses yeux, que le feu du sentiment n'anime point encore, ont au moins toute leur sérénité native, de longs chagrins ne les ont point obscurcis, des pleurs sans fin n'ont point sillonné ses joues. Voyez dans ses mouvements prompts, mais sûrs, la vivacité de son âge, la fermeté de l'indépendance, l'expérience des exercices multipliés. Il a l'air ouvert et libre, mais non pas insolent ni vain : son visage, qu'on n'a pas collé sur des livres, ne tombe point sur son estomac ; on n'a pas besoin de lui dire : « Levez la tête » ; la honte ni la crainte ne la lui firent jamais baisser.

Faisons-lui place au milieu de l'assemblée : Messieurs, examinez-le, interrogez-le en toute confiance ; ne craignez ni ses importunités, ni son babil, ni ses questions indiscrètes. N'ayez pas peur qu'il s'empare de vous, qu’il prétende vous occuper de lui seul, et que vous ne puissiez plus vous en défaire."

« Il n’y a pas de bonheur sans courage, ni de vertu sans combat. »  (J-J. Rousseau)

« N’attendez de l’enfant que la vérité naïve et simple, sans ornement, sans apprêt, sans vanité. Il vous dira le mal qu’il a fait ou celui qu’il pense, tout aussi librement que le bien. »

"N’attendez pas non plus de lui des propos agréables, ni qu’il vous dise ce que je lui aurai dicté ; n’en attendez que la vérité naïve et simple, sans ornement, sans apprêt, sans vanité. Il vous dira le mal qu’il a fait ou celui qu’il pense, tout aussi librement que le bien, sans s'embarrasser en aucune sorte de l'effet que fera sur vous ce qu'il aura dit : il usera de la parole dans toute la simplicité de sa première institution [...].
Il ne sait ce que c'est que routine, usage, habitude ; ce qu'il fit hier n'influe point sur ce qu'il fait aujourd'hui : il ne suit jamais de formule, ne cède point à l'autorité ni à l'exemple, et n'agit ni ne parle que comme il lui convient. Ainsi n'attendez pas de lui des discours dictés ni des manières étudiées, mais toujours l'expression fidèle de ses idées et la conduite qui naît de ses penchants."

« Toute méchanceté vient de la faiblesse ; l’enfant n’est méchant que parce qu’il est faible. » (J-J. Rousseau)

"Vous lui trouvez un petit nombre de notions morales qui se rapportent à son état actuel, aucune sur l'état relatif des hommes : et de quoi lui serviraient-elles, puisqu'un enfant n'est pas encore un membre actif de la société ? Parlez-lui de liberté, de propriété, de convention même ; il peut en savoir jusque-là, il sait pourquoi ce qui est à lui est à lui, et pourquoi ce qui n'est pas à lui n'est pas à lui : passé cela, il ne sait plus rien. Parlez-lui de devoir, d'obéissance, il ne sait ce que vous voulez dire ; commandez-lui quelque chose, il ne vous entendra pas ; mais dites-lui : « Si vous me faisiez tel plaisir, je vous le rendrais dans l’occasion » ; à l'instant il s'empressera de vous complaire, car il ne demande pas mieux que d'étendre son domaine, et d'acquérir sur vous des droits qu'il sait être inviolables. Peut-être même n'est-il pas fâché de tenir une place, de faire nombre, d'être compté pour quelque chose ; mais s'il a ce dernier motif, le voilà déjà sorti de la nature, et vous n'avez pas bien bouché d'avance toutes les portes de la vanité [...].

Il est parvenu à la maturité de l'enfance, il a vécu de la vie d'un enfant, il n'a point acheté sa perfection aux dépens de son bonheur; au contraire, ils ont concouru l'un à l'autre. En acquérant toute la raison de son âge, il a été heureux et libre autant que sa constitution lui permettait de l'être. Si la fatale faux vient moissonner en lui la fleur de nos espérances, nous n'aurons point à pleurer à la fois sa vie et sa mort, nous n'aigrirons point nos douleurs du souvenir de celles que nous lui aurons causées ; nous nous dirons : Au moins il a joui de son enfance ; nous ne lui avons rien fait perdre de ce que la nature lui avait donné. " (Rousseau, Émile ou De l’éducation)

« Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit, et l’obéissance en devoir. »  (J-J. Rousseau)

 

Paul SCHUSS, Plaisir d'un soir d'été

Partager cet article
Repost0
31 mai 2020 7 31 /05 /mai /2020 07:32

MARC AURÈLE, EMPEREUR PHILOSOPHE

L’homme Singularité Humanité

Marc Aurèle (121-180 ap. J.C.)

« On se sent en soi-même un plaisir secret lorsqu’on parle de cet empereur ; on ne peut lire sa vie sans une espèce d’attendrissement ; tel est l’effet produit qu’on a une meilleure opinion de soi-même, parce qu’on a une meilleure opinion des hommes » (Montesquieu)

Connaissant la vie, la pensée et l’œuvre de Marc Aurèle, peut-on raisonnablement contredire Montesquieu après cette opinion qu’il exprime sur l’empereur-philosophe ?

Pour Hippolyte Taine (philosophe, critique et historien français, 1828-1893) « Marc Aurèle  est l’âme la plus noble qui ait vécu ».

Dion Cassius (vers155 après J.C.- vers 235), historien romain, dit de son compatriote : « Ce que j’aime le plus en lui, c’est que, dans des difficultés extraordinaires et hors du commun, il parvint à se surpasser et à sauver l’empire. »

 

(note : Allusion sans doute aux victoires éclatantes remportées par Marc Aurèle qui, comme chef de guerre et contre son naturel et ses préférences : la philosophie et la méditation, s’est métamorphosé à la grande surprise de tous, en guerrier intraitable pour voler de victoire en victoire dans les guerres défensives, face aux ennemis dont le dessein était d’envahir l’empire romain, en profitant de l’inexpérience du jeune empereur).

Droiture morale inégalée
     Empathie universelle
     Maîtrise de soi et don de soi en toute circonstance

« C'est là ce qui rend à jamais admirables et l'homme et ses Pensées. Si l'exemple, en effet, que nous donna la vie de Marc-Aurèle, fait qu'on a, comme l'écrit Montesquieu, "meilleure opinion de soi-même, parce qu'on a meilleure opinion des hommes", la lecture et la méditation de ses Pensées nous restent comme un ferment d'énergie vitale, d'acceptation détachée, de conscience sereine, de dignité divine et, en un mot, comme l'introduction à la vie la plus noble et la plus généreuse que puisse mener un mortel à son poste, en vivant en compagnie des Dieux et en se consolant, en pratiquant le bien, du mal que font les hommes. » (Mario Meunier)

 

De quelque côté qu’on l’observe, Marc Aurèle apparait comme une personnalité unique en son genre, comme celui qui en impose, non par sa taille ou son physique, ni même par ses faits d’arme, mais par sa simplicité en toute chose, son humilité et le respect de l’autre, quel qu’il soit.
S’il a fait la guerre, c’est par devoir non seulement pour sa patrie, Rome, mais pour l’Univers, contre ceux qui voulaient la conquérir et réduire son peuple en esclavage. Il s’en est expliqué.

Mais, ce qui marque encore plus sa singularité, voire son unicité, c’est cette quasi vénération pour la Nature avec toutes ses composantes. Sa profonde générosité et son incomparable humanité en toutes circonstances, débordent l’espèce humaine pour toucher la Nature au sens le plus large imaginable : du fauve magnifique de la forêt, « piaffant » de force et de puissance physique, au petit oiseau frêle, tout droit sorti du nid où il fut protégé par ses géniteurs , au petit insecte cherchant sa voie au milieu d’un troupeau de bœufs, de l’arbre magnifique par son feuillage rayonnant.
Cette empathie sans limite va jusqu’au petit poisson étouffant dan le ruisselet en voie d’assèchement, qu’il faut sauver…

Dans son regard toujours empreint de tendresse et d’humanité, comme dans tous ses propos, Marc Aurèle semble venu au monde pour le service exclusif de toute la Nature au sens que donne à ce mot le philosophe et médecin Sextus Empiricus (vers 160-vers201 après J.C.)

« Si nous voulions savoir ce qu’est l’Homme, nous devrions savoir d’abord ce qu’est l’animal », comme ce qu’est un arbre également, au sens de Marc Aurèle, bref, tous les êtres, animés et inanimés.

Chez bien des philosophes grecs anciens, il est peu de différence entre l’homme et l’animal, entre l’animal et la plante, toutes ces vies étant inextricablement imbriquées comme l’affirme Marc Aurèle.

Par ailleurs, l’éducation de Marc Aurèle, futur philosophe stoïcien comme futur empereur romain et auteur des Pensées, sous le regard attentionné d’une mère pétrie de culture grecque ancienne, le prédisposait sans doute non seulement à la présence d’animaux auprès des hommes,  comme au mélange des conditions et des sorts des uns et des autres.

En effet, les contes et comptines racontés par les mères près du berceau pour endormir leur enfant, achèvent d’imprégner profondément cette vision de l’Univers. C’était surtout le cas des enfants grecs de l’Antiquité.

Hymne à la Nature

« Tout ce qui te convient, ô Monde, me convient aussi ! Rien n’est pour moi prématuré ou tardif de ce qui pour toi vient à point.
Tout ce que m’apportent tes saisons est pour moi un fruit savoureux, ô Nature ! Tout vient de toi ; tout est en toi ; tout rentre dans toi.
La Terre aime la pluie. Le Ciel divin aime aussi la pluie. Le Monde aime produire tout ce qui doit se produire. Je dis donc au  Monde : "J’aime ce que tu aimes !"
 »
(Marc Aurèle, Pensées).

Toute la nature est belle

« Les épis courbés vers la terre, le sourcil du lion, l’écume qui coule de la gueule des sangliers, et tant d’autres choses qui, lorsqu’on les observe en détail, sont loin d’être belles, nous plaisent pourtant parce qu’elles sont des ornements des êtres et qu’elles dérivent de leur nature.

Si nous avions un sens, une intelligence plus profonde des lois de la production de l’univers, tout nous paraîtrait harmonieux, même ce qui n’est qu’un prolongement accidentel des choses. Nous regarderions alors les vrais gueules béants d’animaux sauvages avec autant de plaisir que celles dont les peintres et les sculpteurs nous donnent une représentation imaginaire. Une vieille femme, un vieillard, pourraient avoir, à nos yeux guidés par la sagesse, une jeunesse, une beauté, les charmes mêmes de l’enfance. » (Marc Aurèle, Pensées).

« La Nature rend chacun de nous capable de supporter ce qui lui arrive. » (Marc Aurèle, Pensées).

 

Partager cet article
Repost0
17 mai 2020 7 17 /05 /mai /2020 09:14

PETITE VISITE DOMINICALE AUX SAGES DE LA ROME ANTIQUE DONT LA PENSÉE LUMINEUSE ÉCLAIRE TOUJOURS NOTRE CHEMIN (2)

CICÉRON : HUMANISME ET HUMANITÉ

La Famille Humaine

Cicéron (nom latin : Marcus Tullius Cicero), 106-43 av J.C.
Mort assassiné à 63 ans.

Homme politique, orateur hors paire, rhétoricien, écrivain romain, Cicéron est un des hommes publics les plus brillants de l’une des périodes les plus troublées de l’histoire de Rome : la charnière entre la fin de la République et la naissance de l’Empire. Chacun de ces deux systèmes politiques ayant ses partisans et ses adversaires.
Le tempérament de Cicéron le prédisposait (sans doute) à l’engagement politique dans l’un ou l’autre des deux camps.

Bien qu’issu d’une famille plébéienne(ou de la bourgeoisie, équivalent de tiers état de la France d’ancien Régime) et non de la noblesse comme la plupart des hommes politiques de son temps, il s’éleva au-dessus de sa condition sociale, à force de volonté, d’intelligence et de savoir-faire, jusqu’à se hisser au  plus sommet de la hiérarchie politique romaine en devenant sénateur.
Après de brillantes études de droit et une solide formation en rhétorique, il met à profit son talent d’avocat et son éloquence verbale. Sa carrière politique en fut sans doute bénéficiaire, en même temps qu’une telle situation crée généralement une cohorte de jaloux et d’opposants « naturels ».
« 
Cicéron est de ces humanistes qui ne mettent rien au dessus de la littérature. » dira de lui un de ses biographes. Certes, mais il est aussi de ces intellectuels qui ne rechignent pas à retrousser leurs manches pour descendre dans l’arène en vue de défendre « bec et ongles » leurs idées dès l’instant qu’ils sont persuadés que cela en vaut la peine.

Jules César (100-44 av J.C.)

L’homme de lettres, l’humaniste, ne peut en conséquence se tenir à l’écart du tumulte politique qui agite Rome et dont les principaux protagonistes, issus de la plus haute noblesse romaine ont nom : Jules César, Pompée, Catilina…
Cicéron ne peut demeurer à l’écart de la guerre qui oppose César à Pompée. Il se range au côté du futur vaincu : Pompée.
Sa carrière politique ne pourra s’en remettre.
Exilé de Rome, il rentre après avoir effectué son temps d’exil imposé par la loi. Puis dans le conflit qui l’oppose à Antoine, il est encore perdant et assassiné en 43 av J.C.
Mais sa prodigieuse production littéraire lui permet de briller autrement, et longtemps, en Europe, notamment au 19e siècle, puis partout dans le monde cultivé, de tout temps.

L'assassinat de Cicéron illustré dans De casibus virorum illustrium (France, XVe siècle)

Quel meilleur régime politique pour la Cité ?  ce demande Cicéron.

La République ou la Monarchie ?
La République, c’est la justice, le respect de tous les citoyens, l’intégrité absolue.

La Monarchie

« En lui-même en effet, le gouvernement royal non seulement n’a rien qui appelle la réprobation, mais ce pourrait, si je pouvais me satisfaire d’une forme simple, être celui que de beaucoup je préfèrerais aux autres formes simples, à condition qu’il observât son caractère véritable, c’est-à-dire que par le pouvoir perpétuel d’un seul, par son esprit de justice et sa sagesses, le salut, l’égalité et le repos des citoyens fussent assurés. […]
Voyez-vous maintenant comment un roi est devenu un despote et comment, par la faute d’un seul, la meilleure forme de gouvernement est devenue la pire. […] Sitôt en effet que ce roi s’est écarté de la justice dans la domination qu’il exerce, il devient un tyran, et l’on ne peut concevoir d’animal plus affreux, plus hideux, plus odieux aux hommes et aux dieux. » (De la République [51 av J.C.], livre II).

Loi naturelle, loi divine

« Il est une loi, la loi vraie, la droite raison, conforme à la Nature, présente en tous les êtres, toujours d'accord avec elle-même, éternelle, dont la voix nous prescrit nos devoirs, dont les menaces nous détournent du mal, loi dont l'homme de bien ne méconnaît jamais ni les prescriptions ni les défenses, et à laquelle seuls les méchants se montrent indifférents. Cette loi n'admet ni amendement ni dérogation ; l'abroger est impossible. Ni le Sénat ni le peuple n'ont le pouvoir de nous en affranchir (...) Elle est la même à Rome et à Athènes, la même aujourd'hui, la même demain.

C’est cette seule et même loi, éternelle, immuable, qui embrasse tous les peuples et tous les temps, car c'est aussi un seul et même Dieu, maître commun et souverain de tous les êtres, qui l'a conçue, méditée, fixée. Désobéir à cette loi, c'est mépriser la nature humaine, c'est s'infliger ainsi le plus terrible châtiment, quand même on échapperait à ce qu'on regarde comme des supplices. » (Cicéron, De la République)

 

Cicéron : pensées et actions du philosophe humaniste

La culture générale

« Pour le véritable orateur, tout ce qui fait partie de la vie humaine, pour autant qu'il y est engagé et qu'elle est la matière de son art, doit être étudié, écouté, lu, disputé, mis en question. Car l'éloquence est une des plus grandes vertus : certes, ces dernières sont toutes égales et pareilles, mais pourtant certaines plus que d'autres ont l'éclat de la beauté ; il en est ainsi de cette puissance qui, ayant embrassé la science du réel, développe si bien en paroles ce que l'esprit perçoit et décide, qu'elle peut, en pesant sur les auditeurs, les pousser où elle veut. Mais plus grande est cette force, plus elle doit être accompagnée de probité, et d'extrême prudence. Si nous donnons les richesses de la parole à des gens qui manquent de ces vertus, nous n'en aurons pas fait des orateurs, mais nous aurons livré des armes à des fous furieux. (De l’orateur)

Le rire et l’éloquence

« En ce qui concerne son domaine, et, pour ainsi parler, ses frontières, le ridicule consiste en une sorte de honte et de laideur. L'on rit seulement ou surtout de ce qui, sans être honteux soi-même, fait remarquer ou signale quelque honte. (...) Il appartient tout à fait à l'orateur d'exciter le rire : c'est que la bonne humeur même vaut de la bienveillance à celui qui l'a excitée ou bien que l'acuité d'esprit, souvent concentrée en un mot, excite toujours une surprise admirative, surtout dans une réponse, mais parfois aussi dans le harcèlement des attaques ; le ridicule brise aussi l'adversaire, le gêne, l'affaiblit, le terrifie, le réfute : il montre que l'orateur est cultivé, raffiné, de bon ton ; surtout, il adoucit et relâche tristesse et sévérité, et dissout par la plaisanterie et par le rire des motifs d'hostilité qu'il serait difficile d'amenuiser par l'argumentation (...) Ni la méchanceté insigne et jointe au crime, ni l'extrême misère ne se prêtent au rire. Les fripons réclament des blessures plus fortes que celles du rire ; l'on ne doit point se jouer des malheureux, à moins, par hasard, qu'ils ne se vantent ; surtout, il faut accorder beaucoup à l'attachement mutuel des hommes afin d'éviter des paroles imprudentes contre ceux qui sont aimés. » (Id)

Perfection de la nature

« Mais cette merveille incroyable que la nature a presque partout accomplie, apparaît aussi dans le langage : ce qui comporte en soi le plus d'utilité possède aussi la dignité, et même souvent le charme. C'est pour le salut et pour la conservation de tous les êtres que nous voyons le monde et l'univers ainsi constitués : un ciel sphérique, la terre au milieu, maintenue par la force et l'impulsion qui lui sont propres, la marche circulaire du soleil (...), la lune, selon qu'elle s'approche ou s'éloigne, recevant sa lumière (...). Ces êtres ont une telle vertu que le moindre changement détruirait leur cohérence, une telle beauté qu'on ne peut concevoir l'idée d'une vision plus parfaite. Reportez maintenant votre attention sur l'aspect et la figure des hommes, ou même des autres vivants. Vous trouverez qu'aucune partie du corps n'a été forgée sans quelque nécessité, et que sa beauté, dans l'ensemble, a été comme parfaite par l'art, non par le hasard. Que dire des arbres, dans lesquels le tronc, les branches, les feuilles ne servent qu'à maintenir et préserver la nature ? Nulle part, cependant, le charme n'est absent. Mais laissons la nature, voyons nos arts (...). Les colonnes soutiennent les temples et les portiques ; mais elles n'ont pas plus d'utilité que de noblesse. Le faîte illustre du Capitole, comme ceux des autres sanctuaires, a été bâti non par le charme, mais par la nécessité même. En effet, l'on avait d'abord cherché par quel moyen l'eau pourrait s'écouler des deux côtés du toit, et la noblesse du fronton a fait suite à son utilité, si bien que, même si le Capitole avait été bâti dans le ciel où il ne peut pleuvoir, il semble que, sans son fronton, la noblesse lui aurait fait défaut. Il en va de même dans toutes les parties du discours : l'utilité, la nécessité presque engendrent une certaine douceur mêlée de grâce... » ((Id)

L’éloquence parfaite unit toutes les formes de beauté

« Celui-là sera donc éloquent, répétons-le, qui pourra dire les petites choses sur un ton humble, les moyennes, sur un ton mesuré, les grandes avec gravité (...). Il n'y a aucune espèce de mérite oratoire qui ne soit dans mes discours, sinon dans sa perfection, au moins à titre d'essai et d'esquisse. Nous n'arrivons pas au but, mais nous voyons ce qui lui convient. Et nous ne parlons pas aujourd'hui de nous, mais de l'éloquence : là, nous sommes si loin d'admirer nos œuvres, nous sommes si difficiles et moroses que Démosthène lui-même ne nous satisfait pas ; pourtant il se dresse seul parmi tous dans tous les genres d'éloquence, mais il ne remplit pas toujours mes oreilles : si avide et si vaste est leur attente, qui toujours appelle quelque chose d'immense et d'infini... » (Id)

Le droit naturel

« Les hommes les plus savants ont trouvé bon de partir de la loi ; ils font bien, à mon avis, s'il est vrai, selon leur définition, que la loi est la raison suprême, inscrite dans la nature, qui ordonne ce qui doit être fait et interdit le contraire. Cette même raison, lorsque dans l'esprit humain elle a reçu affermissement et perfection, est la loi. C'est pourquoi ils pensent qu'elle est constituée par la prudence. (...) Mais puisque tout notre discours traite un sujet qui intéresse le peuple, il sera parfois nécessaire de s'exprimer de façon populaire et d'appeler loi le texte écrit qui fixe ce qu'il veut par une prescription ou une interdiction. Cependant, pour fonder le droit, nous partirons de cette loi suprême qui est née de tous temps, avant la constitution de la loi écrite, ou même des cités » (Des lois)

Cicéron consul

Un consul populaire

« J’ai déclaré dans le sénat que je me comporterais en consul populaire. Quoi de plus populaire que la paix dont semblent se réjouir non seulement les êtres animés, mais nos maisons et nos champs ? Quoi d’aussi populaire que la liberté ? Non seulement les hommes, mais les animaux eux-mêmes la préfèrent à tout. Quoi de plus populaire que le repos ? Il est si favorable qu’après nos ancêtres, après les hommes les plus courageux, vous avez estimé devoir affronter les plus grandes peines pour jouir enfin du repos – surtout s’il s’y joint le pouvoir et la dignité (…). Comment donc, citoyens, pourrais-je n’être pas populaire, quand je vois tous ces biens, la paix, à l’extérieur, la liberté, privilège de votre nom et de votre race, le repos à l’intérieur, enfin tout ce qui vous est précieux et cher, mis sous la sauvegarde et pour ainsi dire le patronage de mon consulat ? Car vous ne devez pas considérer comme populaire ni même utile cette largesse déjà annoncée, qu’on peut bien faire miroiter en paroles, mais qui est irréalisable à moins de ruiner les caisses publiques ; en vérité, on ne peut considérer comme populaires le bouleversement des tribunaux, l’impuissance de la justice, la restitution de biens des condamnés… » (Discours au peuple sur la loi agraire)

« Il faut respecter tous les hommes, les nobles et les autres. » (Cicéron)

 

Partager cet article
Repost0
3 mai 2020 7 03 /05 /mai /2020 07:14

Louis XIV (1638-1715)

LOUIS XIV ET SES CONTEMPORAINS DANS LE REGARD DES PEUPLES DE LA CÔTE AFRICAINE (2)

Le fatalisme, puissant facteur de dissolution de la volonté et d’aliénation de l’esprit

Le Roi-Soleil

Louis l’Africain

En réalité la France ne fut pas la première nation d’Europe à frayer le chemin du continent africain. Les Français furent de loin devancés par les Portugais qui s’y implantèrent dès le 15e siècle.
Les Portugais furent suivis par les Hollandais, redoutables ennemis du Roi Soleil, puis par les Anglais.
De la fin du 16e au début du 17e siècle, les ressortissants des autres pays d’Europe ne pouvaient se rendre en Afrique noire, s’y déplacer et entreprendre des activités commerciales sans la permission des Portugais.
Pourtant, Louis XIV fut de tous les souverains d’Europe, celui qui eut l’impact le plus fort sur les peuples d’Afrique, et de tous, celui qui sut créer avec les souverains locaux, les relations les plus solides.

Colbert Jean-Baptiste (1619-1683)

C’est Colbert, principal ministre de Louis XIV, qui fut à l’origine de l’empire colonial français d’Afrique. En effet, il fit miroiter au roi les avantages considérables du commerce des esclaves, en rapport avec la mise en valeur des colonies françaises d’Amérique (Antilles).
Avant le début du règne de Louis XIV, les marins normands ont fondé des postes (ou comptoirs) pour leurs activités commerciales sur les côtes du Sénégal, de même que sur le fleuve du même nom, commerce essentiellement fondé alors sur l’ivoire, l’or, la gomme…
Des marins dieppois fondèrent un établissement à l’embouchure du fleuve Sénégal, en 1659, qu’ils baptisèrent Saint-Louis, en l’honneur du jeune roi Louis XIV né en 1638.

Saint-Louis du Sénégal

 

Mais cette suprématie portugaise fut battue en brèche, d’abord par les Hollandais, puis par les Anglais ,et enfin par les Français, sous Louis XIV, qui mena une action armée considérable afin de déloger les Hollandais de l’île de Gorée, portugaise depuis 1444.
Les Hollandais furent délogés à leur tour de cette île par les Français en 1677. Pendant les guerres napoléoniennes, les Anglais, à leur tour, occupèrent l’île de 1802 à 1804. Puis, l’île de Gorée revient à la France à la faveur de la paix d’Amiens à partir de 1817. Gorée est ainsi le symbolise vivant de la rivalité acharnée entre Européens, en Afrique, du temps de Louis XIV.
Si les Portugais exercèrent une suprématie sans partage sur le continent noir du 15e siècle au début du 16e, les Français, sous le règne de Louis XIV, à leur tour, exercèrent la même suprématie vers la fin du 17e siècle, avant de la céder aux Anglais, à l’extrême fin du XVIIIe, et au XIXe siècle.

 Gorée

Français et Africains
Regards croisés

«Le regard porté sur les Africains n'est guère homogène ; les opinions défavorables voisinent avec des appréciations à leur avantage. Parmi les auteurs de relation de voyage de cette dernière catégorie, figure Villault de Bellefond, envoyé spécial de la Compagnie des Indes Occidentales, qui eut, en cette qualité, l'avantage de voyager tout le long des côtes africaines. Séduit et admiratif, il écrit :
"C'est pourquoi je leur ai donné cette relation [aux Français], pour leur faire voir que ce pays n'est pas si mauvais qu'on le dépeint, mais au contraire qu'il est beau et bon [...]. C'est là véritablement que la demeure serait agréable : tout contribue à y faire couler doucement la vie : la beauté et bonté du pays, le naturel doux et traitable de ses habitants, le riz et autre chose pour la nourriture, le gain considérable et les lieux propres à bâtir."

Partout où il se trouve sur la côte d'Afrique, et à chaque étape c'est le même débordement d'enthousiasme pour ce continent. Ainsi présente-t-il la Côte-des-Dents :

"C'est une des plus belles terres que l'on voie aux Côtes de Guinée : les coteaux et les vallées y sont admirables, la roche des montagnes, qui est rouge, dans la nuance des verdures dont elles sont ombragées, forme un aspect des plus délicieux ; mais entre toutes ces places, celle du Grand-Drouin et du Rio-Saint-André sont les plus belles. [...]. Pour le Rio-Saint-André, c'est, de toute l'Afrique, le plus propres à bâtir. Le séjour d'Afrique serait préférable à l'Europe si tout y ressemblait à cette terre de laquelle relève Sierra Leone."

Ces sentiments d'admiration vont aussi aux hommes et aux femmes, à leur physique aussi bien qu'à leurs traits de caractère.

Un autre voyageur, un religieux, qui se rendit en Afrique avant Villault de Bellefond, fait preuve de compréhension, voire d'une certaine indulgence. Il constate chez les naturels du Sénégal une certaine "brutalité de vivre", contrastant selon lui avec "la politesse que l'on pratique parmi les Français". Mais il n'en tire aucune conclusion défavorable à l'égard de ces "hommes noirs"; il considère la civilité comme "un privilège accordé par Dieu aux Européens, et dont ils doivent lui rendre grâce."

Les voyageurs contemporains du Roi-Soleil ont émis des propos bruts et directs, le plus souvent produits de leurs observations et de leur intuition, sans idée préconçue ni théorie orientée, contrairement à ceux du 19e siècle qui, pour un grand nombre, ont traduit leurs observations et leurs impressions en jugement de valeur, théorisant sur la supériorité ou l'infériorité des races, reliant couleur de peau et civilisation. Ils ont ainsi conclu sur l'infériorité et l'incapacité des Noirs africains à évoluer ; d'où la nécessité de leur trouver un tuteur qui les prît en main pour leur faire gravir, par étapes, les marches escarpées de l'échelle de la Civilisation ; en un mot, les civiliser ; mission sacrée dont l'homme blanc s'assigna la tâche sur le continent africain.

Pour l'explorateur britannique David Livingstone, cependant : "Il est aussi malaisé de résumer les qualités et les aptitudes ou inaptitudes du Noir-type que celles du Blanc-type." Et surtout, écrit-il : "Le Noir d'Afrique n'est ni meilleur ni pire que la plupart des enfants des hommes."

Les Français dans le regard de l'Africain

Dans le regard de l'Africain, les Français, c'est d'abord le roi de France vu par les souverains africains et leur entourage, ainsi que par les Grands, les chefs du royaume. Pour tous, cela ne souffre aucun doute, Louis XIV est le plus grand monarque d'Europe et du monde. Un roi inégalé par sa puissance, sa fortune, sa beauté et sa magnificence.

Les représentants de la France en Afrique ont, d'une certaine manière, contribué à la construction de cette image dans l'esprit des souverains africains qui les recevaient. Ainsi, André Bruë, en visite chez le roi siratik, dit "qu'il était venu pour renouveler l'ancienne amitié qui avait été de temps immémorial entre la Compagnie royale d'Afrique et lui, que cette Compagnie qui avait pour protecteur le plus puissant roi du monde, estimait si fort son amitié".

Les rois africains ont tant de fois entendu parler, par les Français, de cette puissance inégalée du toi de France, qu'ils ont fini par faire leur cette affirmation et l'image d'un monarque à la puissance incommensurable. Ainsi, le roi Acassiny d'Issiny, comme on l'a vu dans sa lettre à Louis XIV transmise par le chevalier d'Amon, le qualifie de "plus grand Empereur de l'Univers".

 

Les rois africains firent preuve d'une grande curiosité à l'égard du roi de France, curiosité mêlée de respect, d'admiration, mais aussi de crainte. La plupart d'entre eux furent littéralement subjugués par la grandeur et la puissance supposées de leur homologue français et ne cessèrent de manifester à son égard une déférence marquée.

Nonobstant la propagande hollandaise, continue et insidieuse. qui fait des Français les derniers de l'Europe pour la richesse et la maîtrise du commerce, les rois africains ont une idée fixe, à laquelle ils se sont toujours tenus : le roi des Français est le roi le plus puissant, et la France est la meilleure nation d'Europe. Si les Français sont parfois réputés piètres commerçants, leurs produits sont toujours considérés comme les meilleurs.

 

Louis XIV et ses sujets ne sont pas admirés seulement pour la puissance de leurs armes et le rayonnement de la nation, mais aussi et surtout pour le bon goût et les délices de leurs marchandises, au premier rang desquelles se placent les liqueurs, et par-dessus tout l'eau-de-vie, prisées par les rois et leur entourage, par les chefs, les marchants et négociants. Les présents faits aux rois par Louis XIV sont la parfaite illustration de l'excellence des produits français. C'est donc avec les Français qu'il faut faire commerce ; c'est donc eux qu'il faut accueillir de préférence à toute autre nation d'Europe, et c'est eux qu'il faut admirer et imiter.

 

Mais c'est par cette puissance même et cette force d'attraction irrésistible que les Français inspirent également la méfiance. Dans le regard composite des Africains, deux sentiments dominent : l'admiration et la crainte ; cette dernière suscitant la méfiance.

Cette méfiance est d'abord le fait des rois. De nombreux exemples en sont rapportés dans les mémoires et rapports, tel le suivant, extrait du Journal d'André Bruë :

 

"Le roi du Cayor ayant exprimé avec insistance le souhait de voir un vaisseau français de près, Bruë voulut combler ce désir somme toute assez légitime venant de la part d'un souverain qui avait toujours fait commerce le plus fructueux avec la seule nation de France. Il fait amener un navire appareillant avec un déploiement inhabituel de pompes. Le roi Latir-Fal Soucabé, entouré de tous les dignitaires du royaume et des courtisans, se rendit sur le rivage pour contempler ce spectacle. Mais c'est seulement du rivage qu'il entendait jouir dudit spectacle. On fit faire quantité de mouvements à ce petit vaisseau ; et les Français s'étaient attendus que le roi monterait à bord. Mais, soit qu'il craignît la mer, ou, qu'ayant à se reprocher ses extorsions et ses violences [perpétrées si souvent aux dépens des Français], il appréhendait qu'ils ne le retinssent prisonnier, il n'osa se procurer cette satisfaction. "

 

Cet épisode n'est pas sans intérêt quant à la nature des relations des Français avec les Africains de la côte en ce 17e siècle finissant. Le commerce de traite constituant le ressort principal de ces rapports, comme tel, il nourrissait à la fois crainte et méfiance, non seulement du côté des rois, mais aussi des marchands d'esclaves et dans le peuple.

Cette méfiance de la part des rois et de la population semblait justifiée, car des sources relatent plusieurs cas où le roi et sa suite, invités à monter à bord d'un navire en signe d'amitié avec le capitaine, se sont retrouvés dans les chaînes au milieu d'autres esclaves, parfois vendus par les mêmes.

De simples marchands d'esclaves pouvaient être aussi victimes de ces mauvaises aventures, qui, à force de se répéter, finissaient par apparaître comme des risques du métier, qui entraient pour partie dans le regard que l'Africain portait sur le Blanc en général.

En définitive, le regard des Africains restait largement tributaire du contexte de l'époque des rencontres entre Français et autochtones, regard fait d'admiration profonde, de crainte et de méfiance. »  (Tidiane Diakité, Louis XIV et l’Afrique noire, Arléa, 2013, déjà  cité).

Partager cet article
Repost0
26 avril 2020 7 26 /04 /avril /2020 08:23

Louis XIV (1638-1715)

LOUIS XIV ET SES CONTEMPORAINS DANS LE REGARD DES PEUPLES DE LA CÔTE AFRICAINE (1)

Le fatalisme, puissant facteur de dissolution de la volonté et d’aliénation de l’esprit

Le Roi-Soleil

Louis XIV (1638-1715), règne personnel : 1661-1715.
Louis XIV et l’Afrique noire

 

Louis XIV, surnommé en France le « Roi-Soleil », ou le « Grand Roi », était connu et surnommé en Afrique le « plus grand Empereur de l'Univers».

Connu en Afrique sans doute autant qu’en Europe pour des raisons différentes, c’est bien Louis XIV qui a ouvert le chemin de l’Afrique noire, de même que ses portes aux Français de son temps.
Dans son palais séjournaient régulièrement de jeunes Africains qu’il avait adoptés et baptisés (tel le fameux Aniaba, premier capitaine noir de l’armée française, qui reçut du roi le commandement du régiment de Picardie où il brilla dans l’exercice de sa fonction).

Sans Louis XIV et sa « politique africaine », il n’y aurait certainement pas eu d’« Empire français d’Afrique », ni d’ « Afrique française », aux 19 et 20e siècles.
Les routes menant d’Europe à l’Afrique noire furent alors sillonnées par les « envoyés spéciaux » du roi dépêchés auprès de ses homologues africains, puis par les marchands et les voyageurs indépendants, de même que les aventuriers de tout acabit, les missionnaires aussi, ces derniers indissociables de la politique du roi, et son ambition  (non assouvie) d’évangéliser tout le continent. Enfin les explorateurs suivis des conquérants coloniaux de la IIIe République au XIXe siècle.

Les historiens français sont les grands absents de cette liste de Français sur les routes d’Afrique noire, sous Louis XIV et ses proches successeurs.
Il y eut très peu de spécialistes français de la « politique africaine » du Roi Soleil, qui manque par conséquent à l’historiographie française.

Mathéo, ambassadeur du roi d’Ardres

« Louis l’Africain »

Le regard porté par les Africains sur Louis XIV et ses contemporains détermine naturellement celui porté par les sujets du Grand roi sur le continent africain et ses peuples. Il s’agit par conséquent de « regards croisés », champ  plus vaste et plus riche de savoir.
Ce regard français est particulièrement acéré, incisif et fouineur, fouillant jusque dans les recoins de la vie des peuples et l’intimité des familles et des individus, des traditions et cultures.
Somme toute regard fourmillant de détails plus ou moins teintés de parti pris, du reste partagé, mais souvent judicieux et précieux.

 « Pour Lacroix, «  les habitants de la côte de Sierra Leone font débauche d'eau-de-vie et donnent tout ce qu'ils ont pour en avoir ».

Mais c'est surtout le couple qui retient le plus son attention.

Les plus riches, quelle que soit leur origine sociale, sont ceux qui disposent du plus grand nombre de biens sous forme de produits européens, et qui font des présents de cette nature ; ce sont aussi les plus considérés sur l'échelle sociale. Cela explique que la composition de la dot comporte une bonne part de produits européens dès le milieu du 17e  siècle, et cela ira en s'amplifiant tout au long du 18e.

 

"La dote consiste ordinairement en trois choses :

Quelques ornements, comme un collier de corail, des bagues, etc. ; quelques marchandises d'Europe, comme des habits et des étoffes ; et un coffre pour les enfermer.
Lorsqu'un homme s'éprend d'une femme, il envoie des présents à son père et à sa mère ; si ceux-ci acceptent les présents, le mariage se fait ; sinon, on renvoie [le prétendant]. Les pères font aussi souvent des présents à leur fille ; mais il n'est pas avantageux aux hommes de les recevoir ; parce que, si une femme ainsi riche conçoit de l'amour pour quelque autre que son mari, le pauvre homme n'ose pas s'en plaindre aux parents de sa femme et beaucoup moins la maltraiter. S'il le fait
on en vient d'abord à faire comparaison de ce qu'il a reçu de sa femme avec ce qu'il lui a donné. On lui reproche son ingratitude ; en un mot, qui est pauvre a toujours tort, en Guinée comme en France. Cependant, les filles riches, c'est-à-dire celles à qui leurs pères peuvent faire de grands présents, ne laissent pas d'être fort recherchées." »  (Tidiane Diakité, Louis XIV et l’Afrique noire, Arléa, 2013. (Prix Robert Cornevin, Académie Des Sciences d’Outre-mer).

« Quant à l'Afrique noire, le regard porté sur les peuples et les mœurs demeure contrasté, avec quelques convergences remarquées. La première porte sur le statut de la femme. Il apparaît de façon insistante, dans les différents récits et relations de voyage, que la condition de la femme est toujours inférieure à celle de l'homme (à quelque rares exceptions), au nord, en Sénégambie, comme au sud, en côte de Guinée.
Pour la première région, dans un chapitre dense, intitulé
Résumés des observations des premiers voyageurs du XVIIe siècle sur les usages dominants et les caractères communs aux différents peuples de la Sénégambie, la condition des femmes est ainsi décrite :
"
Le mari d'une femme adultère est en droit de la vendre comme esclave, ou de la chasser sans aucune indulgence, avec tous les enfants qu'il a d'elle. Entre les enfants, il est libre de retenir ceux qui sont assez grands pour lui rendre quelques services ; et, par la suite, il peut rappeler les autres, à mesure qu'ils deviennent capables de lui être utiles. Mais, si sa femme est enceinte au moment du crime, il est obligé, pour la vendre ou la répudier, d'attendre qu'elle soit délivrée.
Malgré la rigueur de ces lois, la plupart des nègres se trouvent honorés que les Blancs de quelque distinction daignent coucher avec leurs femmes, leurs sœurs et leurs filles. Ils les offrent souvent aux principaux officiers des comptoirs.
" »

« Les travaux pénibles du ménage sont le lot des femmes.

"Non seulement elles préparent les aliments, mais elles sont chargées de la culture des graines et du tabac, de broyer le millet, de filer et sécher le coton, de fabriquer les étoffes, de fournir la maison d’eau et de bois, de prendre soin des bestiaux ; enfin, de tout ce qui appartient à l'autre sexe dans des régions mieux policées. Elles ne mangent jamais avec leurs maris. Tandis que les hommes passent leur temps dans une conversation oisive, ce sont les femmes qui veillent à les protéger des moustiques, à leur servir la pipe et le tabac.

Quoique cette subordination soit établie pour un long usage, un mari ne néglige rien pour l'entretenir. [...] Un mari fatigué d’une femme a toujours la liberté de s'en défaire. [...] Mais, si le roi fait présent d'une femme à quelque seigneur de sa cour, il n'y a pas de prétexte qui autorise le mari à l'abandonner, quoique le prince ait toujours le droit de la reprendre.

Entre les nègres mahométans, il y a des degrés de parenté qui ôtent la liberté de se marier. Un homme ne peut épouser deux sœurs. Le roi du Cayor, Latir-Fal Soucabé, qui avait violé cette loi, reçut en secret la censure et les reproches des marabouts. "

Enfin, la plupart des voyageurs français du temps de Louis XIV soulignent un autre trait, selon eux caractéristique des hommes comme des femmes de la côte africaine :

"Le travail ne surpasse jamais leurs besoins. Si leur pays n’était extrêmement fertile, ils seraient exposés tous les ans à la famine, et forcés de se vendre à ceux qui leur offriraient des aliments. Ils ont de l'aversion pour toute sorte d'exercices, excepté la danse et la conversation, dont ils ne se lassent jamais."

 

Un autre fait unanimement relevé par tous les voyageurs concerne la notion du temps, la mesure du temps, et tout particulièrement le calcul de l'âge individuel. Ce fut une réelle découverte et un objet d'étonnement qui transparaît dans tous les récits. Le premier réflexe des Français étant de questionner sur l'âge des personnes qu'ils rencontraient, jeunes et vieux, ils s'étonnaient toujours de voir la surprise des Africains devant cette question, comme si on la leur posait pour la première fois de leur vie :

"Quand on demande quel âge ont leurs enfants, ils répondent : il est né quand tel directeur est arrivé de France, ou quand il est reparti pour la France, ou encore quand il a beaucoup plu et que les récoltes ont été abondantes, quand la foudre est tombée sur le grand arbre au milieu du village."

Cette absence de sens précis de l'état civil des personnes constitua une véritable énigme pour les Français.
Si quelques aspects de la vie et des mœurs des sociétés africaines font l'unanimité chez les contemporains de Louis XIV voyageant ou séjournant en Afrique, de nombreuses contradictions sont également relevées. Ces contradictions témoignent de l'extrême diversité des peuples, des sociétés et des cultures. »
 
(Tidiane Diakité, Louis XIV et l’Afrique noire, Arléa, 2013, déjà cité).

 

 

Partager cet article
Repost0