Mali, un petit pas en avant, deux grands pas en arrière ?
Alternance ou anarchie ?
On croyait le Mali installé dans la démocratie depuis la révolte populaire qui mit fin au régime sanguinaire autocratique du général président Moussa Traoré, en 1991. Le pays avait alors bénéficié, sur la scène africaine et au niveau mondial, du label flatteur de "modèle de démocratie en Afrique". Si cet édifice rayonnant de l'extérieur s'est effondré aussi facilement, c'est sans doute qu'il manquait de fondations solides.Démocratie? Non! Vernis vite effacé." C'est ainsi que nous sommes, dès qu'on gratte un peu le vernis: de petits barbares." ( Pierre Loti)
Ce coup d'Etat survient au moment sans doute le plus critique de l'histoire du Mali. Au-delà de la perte de crédit international, il constitue un pis -aller, une fuite en avant, loin d'apporter au pays la solution des maux multiples qui le rongent depuis bien longtemps : le "mal malien".
Ce coup d'Etat sera une impasse même si ses auteurs ne manquent pas d'arguments.
Les raisons invoquées :
Les revers militaires humiliants subis face à la rébellion touarègue au nord du Mali, les combattants de l'armée nationale se plaignant d'être mal équipés, mal guidés par leurs supérieurs jugés inefficaces et corrompus. Ces plaintes s'adressent aussi et surtout à un chef d'Etat et un gouvernement jugés mous, laxistes, incompétents, défaitistes, également corrompus.
Tels sont les principaux griefs formulés, qui ont poussé les officiers du rangs et des "sans grades" à sortir de leur caserne pour s'emparer du pouvoir par la force des armes.
La situation créée par ce coup de sang est telle aujourd'hui que le pays se trouve coupé en deux, entre partisans et adversaires de la junte putchiste, plus une bonne fraction de neutres ou d'attentistes dans la population.
Quelles que soient les motivations des soldats mutins, que leur mouvement aboutisse ou non, cet événement offre l'occasion d'une radiographie du pays, l'état réel, social et moral du peuple malien. A l'évidence, ce pays ne se porte pas bien de nos jours : rébellion et tentative de scission des Touaregs au nord ; le même Nord en proie à l'action déstabilisatrice de trafiquants mafieux et criminels de tout acabit.
La même région également gangrenée par les menées criminelles des islamistes terroristes d'AQMI (Al- Qaïda au Maghreb Ismalique), le tout couronné par la passivité et le laxisme du gouvernement, la corruption qui semble gagner toutes les sphères de l'Etat et de la société. Ce mal en passe de devenir endémique est fortement souligné par les militaires putchistes comme par une bonne fraction de la société civile.
Les propos d'un jeune Malien, spontanément adressés à l'envoyé spécial du quotidien Le Monde, en reportage dans le sud du Mali, sont assez révélateurs à cet égard :
Vous allez à Bamako [la capitale] ? Alors, dites à Sanogo [le capitaine leader de la junte], que la jeunesse du Mali le soutient. Que la corruption nous empêche de vivre, qu'il faut payer pour avoir un emploi, surtout un emploi de fonctionnaire. Il y a un prix pour tout, et quand on n'a pas d'argent, on ne peut pas travailler, comme nous. Le putsch, il faut que ce soit un putsch pour nous, sinon, ce sera une dictature comme les autres. (Le Monde, 27 mars 2012).
Démocratie et éthique sont indissociables, comme le sont démocratie, éthique et développement. La démocratie sans éthique n'est guère viable. Or, la corruption qui n'a cessé de gagner du terrain dans le pays est en passe de constituer un obstacle majeur à tout effort de développement et de progrès social. Cest ce tout qui entre dans la construction de la culture démocratique qu'il faut entreprendre avec méthode dans ce pays aux ressources humaines fabuleuses par ailleurs: un peuple courageux , fier et disponible.
Un coup d'Etat militaire, quel que soit le pays où il se produit, est toujours le signe d'un mal-être, d'un dysfonctionnement institutionnel ou d'une dégradation de la vie sociale. Le Mali n'échappe pas à ce diagnostic. La construction de la démocratie s'y heurte à ces maux.
Le Mali, selon toute apparence, semble sur une pente dangereuse pour son histoire et son avenir, par l'accumulation de facteurs destructeurs de l'Etat et de la nation parmi lesquels une certaine évanescence de valeurs fondatrices de la conscience malienne.
La démocratie ne se limite pas au vote. C'est surtout une culture qui se forge et s'acquiert, un état d'esprit.
A cet égard, le Mali, par le coup d'Etat du 22 mars 2012, confirme l'immaturité de sa déocratie en apportant la preuve que la culture démocratique est loin d'être une réalité dans ce pays où l'on semble confondre démocratie et anarchie, liberté et laisser-aller.
La différence avec son voisin, le Sénégal, est saisissante, surtout en ce mois de mars 2012. Là-bas, renforcement des institutions et de l'esprit démocratique par un exemplaire scrutin présidentiel le 25 mars. Ici, coup d'Etat mortel porté à la démocratie ainsi qu'aux institutions qui la fondent.
Après la régression sociale incarnée dans le nouveau code de la famille promulgué en décembre 2011 qui marque plus fortement que jamais l'infériorité de la femme dans la sphère familiale et sociale, la régression politique et civique ?
Il faut espérer que ce coup de force militaire, orchestré par de jeunes militaires excédés et frustrés, ne mettra pas un point final au processus démocratique initié en 1991, et ne signifiera pas son hibernation prolongée.
En sortir rapidement afin de relever les défis multiples majeurs qui assaillent le pays, c'est la condition du sauvetage et du renouveau de la nation.