Feu sur le prof !
L'enseignant se bat seul, contre tous : les familles, l'administration, la hiérarchie... sans oublier les agressions des élèves dans certains établissements.
Si le système scolaire français n'est pas tendre avec les jeunes, il ne l'est pas davantage avec les enseignants, aujourd'hui humiliés, dévalorisés, démoralisés.
Le regard de la presse
De l’intérieur
Chez les enseignants, les retraites ne sont que la face émergée d'un malaise bien plus profond. Confrontés, en direct, aux tensions et aux multiples violences nouvelles – physiques et morales – d'une société plus anxiogène que jamais, ils sont minés par une sorte d’énorme lassitude professionnelle et morale. Non seulement ils se sentent démonétisés et dévalorisés, mais ils ont le sentiment d'avoir perdu leurs repères, le sens de leur mission, pis d'être abandonnés à eux-mêmes, d'être placés en situation d'échec... Et, qui plus est, d'être considérés comme les seuls responsables de cet échec. Leur désenchantement et leur colère sont à la mesure de cette crise d'identité...
Ouest-France, l'analyse du mouvement de grève des enseignants au printemps 2003
Les coups subis par les enseignants ne sont pas uniquement portés par les élèves et la hiérarchie scolaire, mais aussi par les parents qui sont généralement solidaires de leurs enfants dans le dénigrement des professeurs, voire les agressions dont ces derniers sont l'objet. Pour la hiérarchie comme pour les parents, l'échec des enfants est généralement imputé aux enseignants. Le professeur devient ainsi le bouc émissaire qui masque les carences structurelles éducatives des uns et les lâchetés des autres.
Parmi les fardeaux du prof figure en bonne place la pression institutionnelle et sociale, celle de la hiérarchie et des familles, sourde et aveugle, qui lui demande chaque jour plus et trop, sans aucune considération de ses moyens, de ses difficultés professionnelles ou privées, de sa réalité de vie. Le prof devient cette machine à tout faire, dont on peut disposer à volonté pour résoudre tous les maux de la société.
Le regard de la presse
De l’extérieur
Si les professeurs français vont si mal, c'est que personne ne les aide à accomplir leur mission. Ni la société, ni leurs ministres successifs, ni leurs syndicats...
Une chose est sûre, le corps enseignant [...] est aujourd'hui, en France « un corps psychotique », qui voit des fantômes partout, qui se sent agressé et mal aimé. Pourquoi ? Tout simplement parce que les collèges et les lycées ont la lourde tâche de « sauver les valeurs républicaines ». Or ces valeurs sont attaquées de toutes parts.
L'enseignement secondaire a cessé de fonctionner comme une garantie d’ascenseur social, et cela dans un contexte où les partis n'offrent plus d'espoir, où les Eglises n'occupent plus les enfants après l'école, où es syndicats ont cessé d'encadrer et d'intégrer les immigrés, et surtout, où la famille n'est plus un refuge face à toutes les menaces. On demande au professeur d'être le « soldat civil » de la République alors que la situation n'a plus rien à voir avec ce qu’elle était à l’époque ou fut créée l'école publique, gratuite, obligatoire et laïque. Les conditions du sacerdoce éducatif ont changé. Le monde est moins aimable ; les élèves, moins réceptifs et moins soumis... Les ministres et les projets de réforme se succèdent sans rien changer...
El Pais( quotidien espagnol), in Courrier international, juin 2003
A l’époque « où fut créée l'école gratuite, obligatoire et laïque », le professeur, c'était « Monsieur le professeur » ; aujourd’hui, ce n'est plus le professeur, mais le « prof ». Un indice révélateur : rares sont les enseignants de collège et de lycée qui emploient couramment et spontanément le vocable « professeur ». Pour la plupart, l'ordinaire, c'est « prof » y compris en présence de leurs élèves à qui ils demandent de venir les voir « en salle des profs ». L’usage de ce mot « prof » n'est pas anodin. Il y a 40 ans, c'était le « professeur ». Mais les mutations seraient minimes voire insignifiantes si elles ne s'incarnaient que dans une simple évolution sémantique. Plus conséquemment, elles concernent égaiement l'élève et la famille
Des élèves arrivent en classe saturés d'images et de sons, tous éléments qui empêchent de penser, de réfléchir et rendent en conséquence le sujet peu réceptif intellectuellement et passif. Or, à quoi professeur sert le professeur sinon à amener l'élève à penser par lui-même, à le rendre capable de raisonnement, de jugement autonome et libéré ? La « télé » aurait-elle tué le professeur ? Les élèves attendent du prof que son cours les mette dans « la situation du spectateur devant sa télé avec beaucoup d'images et de jeux. Certains demandent davantage : que le professeur disparaisse derrière les images et les jeux, qu'il les laisse rêver ou bâiller ».
Même en accédant à tous ces vœux, la paix scolaire n'est pas toujours garantie pour autant. Et dans ce combat inégal, le prof n'a pas toujours le dessus.
Tidiane Diakité, Mutations et crise de l'école publique. Le Professeur est mort, vive le prof, L'Harmattan.
Que faire ?
Rallumer la flamme sacrée
La passion du métier, le désir ardent de servir l’école sont des réalités constantes chez beaucoup d’enseignants. Leur mérite est d’autant plus grand. Ceux-là permettent de nuancer ce tableau gris-sombre de l’école de la République. Il faut à la fois les encourager et multiplier leur nombre. Beaucoup aiment ce métier. Ils souhaiteraient l’exercer le mieux possible.
A cette fin, il est urgent de procéder à une profonde refondation de l’honorable Institution : marier l’école à son temps, afin de lui conserver la plénitude de sa mission fondatrice, mission de formation du citoyen accompli : libre, épanoui et social.
C’est à cette œuvre de salut public qu’il faut convier toute la nation par-delà les clivages politiques, sociaux, culturels afin de mener à bien la tâche car l’école n’est la propriété ni des enseignants, ni des parents, ni des politiques. Elle ne doit pas être l’otage du temps politique, trop court et trop inconstant par rapport au temps de la nation.
C’est à la reconquête de son école que doit s’employer la nation tout entière en élaborant une véritable charte pour l’école du XXIe siècle.
Sauver l’école pour bâtir tous ensemble la Cité harmonieuse de demain, pour tous.