Il y a 300 ans, les Français d’Afrique du Sud
Pourquoi l’Afrique du Sud ?
Contexte politique et religieux : le XVIIe siècle
La Réforme a coupé l’Église chrétienne d’Europe en deux grandes branches : le catholicisme et le protestantisme, à partir du XVIe siècle. Les troubles causés par « les guerres de religion » sont nombreux et avec des conséquences durables.
Une conséquence majeure : l’interférence de la religion dans les politiques nationales avec plus ou moins de vigueur selon les États et les époques.
Le règne de Louis XIV, avec la Révocation de l’Édit de Nantes en 1685 pèse sur la vie et le destin des « Réformés » ou protestants français.
Exposés aux brimades, aux dragonnades et persécutés pour leur foi, les protestants quittèrent en grand nombre la France de Louis XIV pour trouver refuge en Angleterre, en Prusse, en Suisse. Nombreux furent ceux qui gagnèrent les Provinces Unies des Pays-Bas. Cette arrivée dans ce pays coïncidait avec le désir de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales qui avait un comptoir dans la région du Cap en Afrique du Sud (future colonie) de peupler ce site de travailleurs, surtout manuels. Le Cap avait pour fonction essentielle d’approvisionner les bateaux en route vers l’Orient en vivres : viande, céréales, légumes frais… La main-d’œuvre manquait pour assurer ce ravitaillement, vital pour les navires de la Compagnie ; d’où une forte campagne d’incitation auprès des réfugiés français aux Pays-Bas, afin de les amener à émigrer en Afrique du Sud et vivre parmi les Afrikaners (anciens colons hollandais). La Compagnie prenait en charge le transport, l’installation et les frais nécessités pour leur intégration, en leur garantissant une aide matérielle, d’abord pour 15 ans, puis 5 ans.
Si la colonie du Cap dépendait du gouvernement hollandais, elle était aussi gérée par la Compagnie et jouissait d’une large autonomie symbolisée par des institutions et des autorités locales : un Conseil composé du gouverneur, du vice-gouverneur, d’officiers militaires, trésorier… Ce Conseil votait les lois qui s’appliquaient dans la colonie, levait impôts et taxes…
Le gouverneur Simon Van Der Stel fut prévenu par la Chambre des représentants (le Parlement des Pays-Bas) qu’elle envoyait au Cap quelques réfugiés français déjà installés en Hollande. Suit un extrait de la lettre envoyée au gouverneur :
« Parmi eux, il y a des viticulteurs, des agriculteurs expérimentés, des spécialistes de la production d’eau-de-vie, de vinaigre. De la sorte, nous espérons qu’ils pourvoiront à la pénurie de certains produits dont vous vous plaignez. Ces personnes sont actuellement dans le plus grand dénuement : vous devez les accueillir avec bienveillance et pourvoir à tous leurs besoins, jusqu’à ce qu’ils soient en mesure de s’établir et de subvenir à leurs propres besoins. Ce sont des gens travailleurs, peu exigeants, que vous devez traiter comme des hommes libres… » ( c'est-à- dire qui ne sont pas au service exlusif de la Compagnie:travailleurs indépendants.)
L’objectif principal est ici énoncé : la colonie avait surtout besoin d’agriculteurs, de travailleurs compétents et capables de s’intégrer rapidement à la communauté hollandaise d’Afrique du Sud.
Les Français reçurent un accueil chaleureux. On leur attribua des terres ainsi que le fruit d’une collecte d’argent d’un montant appréciable.
L’intégration : des débuts difficiles
Contrairement à ce qui était espéré par les Pays-Bas et les autorités de la colonie, les débuts furent assez difficiles, tout particulièrement pour la dernière grande vague de migrants de 1688-1689.
On prit soin dès leur arrivée, de mélanger les Français et les fermiers hollandais. Ils furent pour cela dispersés dans différents districts comme celui de Stellenboch ; mais la plupart d’entre eux s’établirent à Drakestein et à Oliphanshoek, qui finit par prendre le nom de Francshoek, qui signifie le « coin des Français ».
Rapidement le ton changea, la liesse de l’arrivée s’estompa peu à peu, les mines surtout se crispèrent de part et d’autre. Les Français manifestaient bruyamment leur mécontentement.
Ils souhaitaient rester regroupés.
Ayant créé une école, ils souhaitaient que le français soit la langue d’enseignement, à défaut, que l’enseignement soit bilingue : français/néerlandais, ce qui leur fut accordé.
Ils voulaient que la messe soit dite en français. Ils eurent dans un premier temps un temple avec un pasteur français, alors que les autorités n’encourageaient pas l’usage du français.
Ils voulaient plus d’indépendance par rapport aux lois et obligations du pays.
Les autorités et la population commencèrent à se plaindre de leur attitude jugée « séparatiste ». On leur trouvait un certain nombre de défauts. Surtout, on trouvait qu’ils se plaignaient continuellement et qu’ils étaient indisciplinés, bagarreurs. Le nouveau gouverneur, fils du précédent, apparemment moins tolérant à l’égard des Français que son père, écrivait en juillet 1699 :
« Quelques-uns d’entre eux se conduisent si mal, et ont si peu de connaissances en agriculture, qu’ils se sont déjà causé beaucoup de pauvreté à eux-mêmes, et qu’il reviendra au fonds de soutien des pauvres de les secourir. Nous préfèrerions à l’avenir ne plus avoir la charge de ce genre de réfugiés, et souhaiterions que des fermiers zélandais, de nature industrieuse et possédant de bonnes connaissances en agriculture, nous soient envoyés à leur place. »
On traitait désormais les Français d’ingrats, d’égoïstes, d’arrogants… Les autorités finirent par supprimer quelques privilèges qui leur avaient été accordés, parmi lesquels la messe bilingue et l’enseignement en français. L’usage du français fut interdit sauf aux « vieillards incapables de comprendre une autre langue ». En réaction les Français décidèrent de ne plus épouser de Hollandaises.
Une métamorphose heureuse ?
Le miracle se produisit cependant. En 20 ans, le français avait presque totalement disparu de la colonie du Cap. L’intégration, avec le retour des mariages mixtes, fut parfaitement accomplie. Mieux, les Français par leurs compétences, firent prospérer la colonie dans de nombreux domaines : les techniques de cultures méditerranéennes, en particulier la vigne et les arbres fruitiers. Les descendants des huguenots sont nombreux dans toutes les sphères de la vie politique, sociale, économique, scientifique, sportif… L’architecture et la toponymie évoquent aujourd’hui le passé des huguenots du XVIIe siècle. Les noms de famille d’origine française sont innombrables et témoignent du rôle joué par les huguenots dans la formation de la nation sud-africaine. Des demeures historiques de pur style hollandais portent des noms bien français, tels que les de Villiers, les Le Roux, les Malherbe, les La Brie, Terre de Luc, Bourgogne, Champagne… Un bel exemple d’intégration ?