EBOLA, ET AU-DELÀ
Un révélateur de carences
Ebola et mirage
Ebola et croissance
Et si le drame d’Ebola pouvait permettre au moins d’ouvrir grand les yeux sur quelques carences structurelles du continent africain ?
Et s’il permettait de descendre enfin des nuages et du mirage soporifique des taux de croissance agités depuis une décennie ?
Et si cette pandémie permettait enfin d’arracher à leurs illusions ceux qui pensent que les États africains sont devenus émergents et sortis de façon irréversible des affres du mal-développement, parce qu’ils affichent dans leur ensemble, des taux de croissance (4, 5, 7, voire 10%) à faire pâlir d’envie nombre de pays développés ?
Quelques qualificatifs et affirmations décernés à l’Afrique par la presse économique ne laissent aucune place au doute :
« Championne de la croissance ».
« Prochaine locomotive de l’économie mondiale ».
« Nouveau marché frontière… ?
Que de superlatifs, que d’exaltation dithyrambique pour célébrer la croissance africaine et saluer les performances économiques du continent !
Certes, l’Afrique de 2014, n’est point le parangon du chaos généralisé. L’Afrique est le continent le plus divers du monde. Il doit bien y avoir quelques îlots de bien-être quelque part. Certes. Mais, dans sa globalité, c’est bien la région du monde où les marques du sous-développement sont les plus visibles : ce qui n’est nullement en contradiction avec le dynamisme économique et la volonté affirmée de progresser, constatés dans certains États, du reste bien minoritaires sur l’ensemble du continent.
Précisément, la dimension atteinte par la pandémie Ebola n’est-elle pas un indicateur crédible de l’état général de ce continent ?
Comment mettre en rapport les taux de croissance mirobolants exhibés à longueur d’année et l’hécatombe d’Ebola (4000 victimes à ce jour, source OMS : 11/10/2014)), la vie sociale désorganisée, les activités économiques ralenties ou inexistantes, les difficultés de la vie quotidienne démultipliées, bref, le triomphe total d’une maladie qui soumet à sa loi implacable l’existence de tout un continent à partir de trois foyers d’infection ?
Et par-dessus tout, l’incapacité des Africains à faire face à cette maladie, à juguler la pandémie par leurs propres moyens, démunis en action, en imagination, en volonté, en moyens, remettant leur sort entre les mains de l’étranger sauveur !
Croissance pour qui ?
Croissance pour quoi ?
Que font-ils de leur croissance ?
Plus généralement, au-delà de l’épidémie, cette croissance
— a-t-elle permis à chaque petit Africain pauvre d’aller à l’école ?
— A-t-elle permis à chaque foyer pauvre d’avoir accès à l’eau potable ?
— A-t-elle permis à chaque Africain pauvre, vivant avec moins d’un dollar par jour, de manger à sa faim, de se soigner ?
— Cette croissance forte permet-elle de doter les États africain des infrastructures indispensables à la vie moderne et au bien-être ?
— A-t-elle évité à de jeunes Africains désespérés de fuir leur pays au péril de leur vie ?
— Et Lampedusa ? Avec ses milliers de victimes africaines ? C’est vive la Croissance ! Fuyons !
Surtout, pourquoi, avec de telles performances économiques si souvent vantées, l’Afrique présente-t-elle les indicateurs de développement humain les plus faibles de la planète : santé, éducation, revenu, alimentation, espérance de vie… ?
Ebola et solidarité africaine
Le constat est à cet égard consternant. Les États africains sont les grands absents dans l’action menée contre l’épidémie et sa propagation. Et les responsables africains sont les derniers à s’en émouvoir !
En effet, c’est seulement 8 mois après le déclenchement de cette épidémie, qui avait déjà à son actif, 2400 victimes recensées (chiffre nettement sous-évalué), alors que le monde entier était en émoi et des personnels soignants étrangers mobilisés et à pied d’œuvre dans les zones infectées, que la présidente de la Commission de l’Union africaine a enfin convoqué une réunion des chefs d’États autour du cas Ebola ! Et quelles résolutions, quelles actions concrètes et fiables à l’issue de cette réunion ?
Heureusement que l’Afrique s’est dotée dès le lendemain des indépendances, il y a plus d’un demi-siècle, d’une « Union africaine », la mal nommée, (anciennement Organisation de l’Unité Africaine : OUA), en tous points calquée sur l’Union européenne (dans le texte).
Une seule certitude : Les États du continent sont tellement unis qu’ils s’ignorent !
Indices révélateurs de l’indifférence et de l’absence de solidarité
— Dès le début de l’épidémie dans 3 pays : Liberia, Sierra-Leone et Guinée, le premier réflexe fut, pour plusieurs pays africains, de fermer leurs frontières et d’interdire l’entrée sur leur sol des ressortissants des pays infectés, entravant de ce fait les échanges et aggravant la situation économique des États. (Selon la Banque mondiale, le « coût économique d’Ebola pour l’Afrique de l’Ouest pourrait dépasser 32 milliards de dollars, d’ici la fin de 2015, si l’épidémie s’étendait ».)
— Ni la présidente de l’Union Africaine (en réalité « Désunion Africaine »), ni aucun responsable de haut rang de l’organisation panafricaine, n’eut le geste symbolique de se rendre dans les pays touchés pour prendre conscience de la réalité et prévoir d’éventuelles mesures de soutien, ou de solidarité à l’égard des populations touchées !
— Enfin, les responsables africains n’ont pris aucune initiative de nature à entrer en contact avec les pays étrangers d’Europe notamment, accourus et agissant sur le terrain, ou ayant envoyé une aide multiforme, afin de coordonner les actions et faciliter leur mise en œuvre.
Bref, les responsables africains furent et sont absents des efforts fournis par la communauté internationale afin de juguler une épidémie qui fauche par milliers des vies africaines.
Désunion, faiblesse, impuissance
C’est précisément parce qu’il manque aux États africains l’élémentaire solidarité et le sens de l’entraide qu’Ebola a pris une telle dimension et fait tant de victimes. Et, à l’instar d’Ebola, tous les maux et drames qui touchent ce continent prennent une allure apocalyptique : guerres civiles, épidémies, famines, calamités naturelles, terrorisme, trafics mafieux, criminels… car, un continent désuni est un continent affaibli (tout comme un pays désuni), terreau sur lequel s’épanouissent tous les cataclysmes et dangers potentiels.
Les taux de croissance forts n’y feront rien : désunion signifie faiblesse et vulnérabilité.
Si les États africains ne sont pas unis, les peuples sont-ils unis au sein des États …?
Quid de la solidarité africaine ?
Ce n’est pas seulement sur la faillite des systèmes de santé en Afrique qu’Ebola a jeté une lumière crue ; c’est toute la gamme des carences étatiques, politiques ( de gouvernance), sociales et culturelles, que cette épidémie met à nu, à commencer par la réalité de ce qui est généralement considéré comme une caractéristique des peuples d’Afrique : la solidarité et le sens de l’entraide.
Le monde entier afflue au nom de la solidarité internationale vers des pays démunis du sens de l’élémentaire solidarité.
Il se crée, à cet égard, quelque confusion dans certains esprits entre hospitalité africaine (accueil) et solidarité africaine, qui sont deux réalités différentes dans leur essence et dans leur pratique.
De fait, la solidarité africaine s’arrête aux portes de la famille et du clan. Au-delà, c’est le désert humain. Et c’est là que réside la source de bien des difficultés et malheurs du continent. Ebola en est une illustration.