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14 mai 2011 6 14 /05 /mai /2011 14:13

Dakar3Des principes aux réalités2

 

        L'abolition de la traite et de l'esclavage est un chapitre important de l'histoire contemporaine.  Longtemps considérée comme un sujet  tabou, l'histoire de la traite et de l'esclavage fait désormais l'objet de recherches et de débats. Dans ce chapitre, l'histoire de l'abolitionnisme n'est pas sans intérêt. D'abord ultra minoritaire, le mouvement abolitionniste, né au 17e siècle dans les milieux religieux quakers, aux Etats-Unis (principalement en Pennsylvanie), se structure peu à peu, s'étend à l'Angleterre puis à l'ensemble de l'Europe, de la fin du 18e  à la première moitié du 19e siècle.Tour à tour, le Royaume-Uni, le Danemark, la France, les Etats-Unis, abolissent la traite et l'esclavage.

           Mais l'entêtement de trafiquants européens passant outre aux lois de leur nation, ainsi que l'obstination de rois et chefs africains à continuer malgré tout le commerce esclavagiste, amènent les mouvements abolitionnistes européens, particulièrement puissants en Grande-Bretagne, à faire pression sur les puissances européennes, afin qu'elles occupent l'Afrique pour mettre fin à la traite et éradiquer l'esclavage (une pratique ancienne sur ce continent mais revivifiée par la traite atlantique). Les abolitionnistes espéraient, qu'une fois l'esclavage supprimé, les peuples africains vivraient en paix, dans l'harmonie, pour l'épanouissement de tous ; vision idyllique que Françoise Vergès désigne par : "utopie coloniale". Les vieilles colonies françaises (Antilles, Guyane, La Réunion) avaient déjà expérimenté cette utopie coloniale et en avaient rapidement touché les limites. 

       Il existe donc bien un lien entre abolition de l'esclavage et colonisation de l'Afrique, un glissement de la lutte antiesclavagiste à la conquête coloniale.

        L'occupation du continent par les principales nations d'Europe se dessine au cours de rencontres internationales parmi lesquelles la conférence de Berlin (1884-1885), sans doute la plus connue. Les abolitionnistes encouragent et soutiennent la conquête coloniale au nom de l'idéologie républicaine et humanitaire, pour "régénérer l'Afrique".

          Mais la pénétration du continent se heurte à des résistances. S'engage alors ce qui fut appelé la "pacification", qui est en réalité une guerre menée contre les résistants à l'occupation, et qui aboutit à des massacres et à un nombre incalculable de victimes.


fleche 026Sur le terrain deux logiques s'affrontent.


          La logique de l'abolitionnisme militant, celle des droits humains et du progrès des peuples face à la logique des Etats guidée par le souci des intérêts nationaux, économiques, politiques et stratégiques, dans le climat de compétition impérialiste et nationaliste exacerbé du dernier tiers du 19e siècle (et qui mènera à la Première Guerre mondiale).

          C'est la logique des Etats qui l'emporte, reléguant au second plan la lutte contre l'esclavage.

                   Pour réussir la pacification, l'administration coloniale pactise avec les chefs africains,  acteurs et principaux bénéficiaires de la pratique esclavagiste. Dès lors on ferme les yeux tout en essayant parfois de sauver les apparences. Certains administrateurs coloniaux ( Britanniques, Français ou Portugais), pour justifier cette "démission", vont jusqu'à soutenir que l'esclavage traditionnel africain est "bénin" voire "doux" et qu'il n'y a pas lieu de sévir outre mesure.

          Par ailleurs, afin de faciliter la pénétration à l'intérieur du continent, il faut créer les infrastructures nécessaires : routes, chemins de fer, ponts, ports... à cette fin, on établit partout le travail forcé qui entraîne la mort par épuisement ou mauvais traitements de millions de personnes.


fleche 026Trois exemples résument cette déviance de l'objectif initial.


          Au Sénégal : Le général Faidherbe (ami personnel de Victor Schoelcher), nommé gouverneur en 1854, entame sa mission avec la ferme volonté d'éradiquer l'esclavage. Mais bien vite, confronté à la nécessité de la guerre de pacification, il laisse les chefs locaux tranquilles avec leurs esclaves, et s'appuie sur eux pour la conquête de l'ensemble du Sénégal à partir des anciennes bases françaises de Saint-Louis et Gorée.

          Au Congo (ex belge) : En 1889, le roi des Belges, Léopold II, réunit une conférence internationale sur le thème de l'abolition de l'esclavage, à l'issue de laquelle est proclamé l' "Acte de Bruxelles". Les principales puissances et organisations signataires de cette Convention s'engagent à lutter fermement contre la pratique de l'esclavage en Afrique.

            Léopold II fait du Congo sa propriété privée, y instaure rapidement le travail forcé en usant de méthodes d'une cruauté inouïe : des mains, des bras, des jambes sont coupés lorsque le rendement du travailleur est jugé insuffisant.

         Les organisations abolitionnistes s'en émeuvent, et déclenchent une campagne de presse pour dénoncer la duplicité de Léopold II afin de mettre un terme aux exactions perpétrées contre les populations congolaises.

           A Madagascar :  En août 1896, Madagascar est officiellement colonie française .  Le général Gallieni ( futur maréchal de France) est nommé gouverneur général et chargé de pacifier le nouveau territoire. En septembre de la même année, il promulgue un décret abolissant l'esclavage, ce qui lui vaut une distinction de la Société antiesclavagiste de Paris qui lui décerne la "médaille d'honneur" en 1897, pour "acte d'humanité". Deux mois plus tard, Gallieni instaure le travail forcé, imposant à tout Malgache l'obligation de travailler cinquante jours par an pour l'administration. S'en suit rapidement un accroissement  du  taux de mortalité. 

 

         Toutes les colonies européennes d'Afrique connurent le travail forcé et des exactions régulièrement dénoncées par les abolitionnistes et la presse en métropole. Des écrivains et reporters s'en firent l'écho tel André Gide (Voyage au Congo) ou Albert Londres (Bois d'ébène).

          Les pressions amenèrent les administrations coloniales (sauf dans les colonies allemandes) à promulguer des mesures pour abolir l'esclavage (le travail forcé n'est aboli qu'en 1946 dans les possessions françaises), qui ne furent pas à la mesure de l'ampleur du phénomène. L'effet ne fut pas nul, mais bien timide.

                         Si la traite fut réprimée, en revanche l'abolition de l'esclavage en Afrique reste encore aujourd'hui incomplète.

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commentaires

M
<br /> <br /> En ce qui concerne l'esclavage, le problème est que cette situation perdure encore aujourd'hui et, malheureusement demain. En fait, l'esclavage est la domination menée à ses extrèmes, d'une<br /> personne ou groupe de personnes sur une autre personne ou groupe de personnes qui se trouve(nt) à un moment donné en situation de faiblesse. C'est, par exemple les adultes par rapport aux<br /> enfants, cela existe en Afrique, en Asie et certainement ailleurs (enfants soldats, enfants exploités...) ; les hommes, plus forts physiquements, par rapport aux femmes et certaines sociétés<br /> reconnaissent dans leurs coutumes ou dans leurs lois la soummission de la femme ; on peut aussi parler de la situation de faiblesse (voire de détresse) de l'immigré par rapport à son passeur et à<br /> celui qui profite de cette situation dans le pays d'  "accueil" ; enfin il existe une multitude de situations où des êtres humains dépendent d'autres êtres humains et, la situation extrême<br /> est l'esclavage. Tout cela est malheureusement inhérent à l'espèce humaine, comme la cupidité, la tendance à profiter au maximum et sans vergogne de toute situation ont on peut tirer immoralement<br /> des profits ou autres avantages excessifs et égoïstes, car il n'y a pas de contre pouvoir.  Le jour où l'on pourra fêter la fin de la cupidité et de l'enrichissement excessif... , ce jour là<br /> nous fêterons une grande victoire ; et, tous les jours il y a des individus ou groupes d'individus qui se battent, parfois au prix de leur vie, contre l'injustice, pour plus de liberté et de<br /> solidarité ; mais cela semble un combat sans fin avec cependant quelques victoires remarquables.<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
<br /> <br /> Merci Cher Marc-Albert pour cet avis très intéressant qui contribue à la réflexion sur un thème complexe, à la fois ancien et contemporain.<br /> <br /> <br /> Amicalement<br /> <br /> <br /> TD<br /> <br /> <br /> <br />