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23 novembre 2014 7 23 /11 /novembre /2014 09:14

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BLAISE DIAGNE : DU ROUGE VIF AU BLEU PÂLE

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Assimilation, le destin d’une doctrine

 

Blaise Diagne

Blaise Diagne

 

gif anime puces 467Le panache

 

La fin de la guerre propulsa le député Diagne au sommet de la popularité et de la gloire. Il fut triomphalement réélu député des Quatre Communes en 1919, en écrasant son concurrent, Carpot, et battit largement au scrutin de 1924, Paul Defferre (le père de Gaston Defferre), alors avocat à Dakar et à Saint-Louis. Il fut régulièrement réélu jusqu’à sa mort en 1934.

Sa profession de foi, lors de ses différentes campagnes électorales est une véritable anthologie de sa philosophie, de sa conception des rapports entre la France et ses colonies d’Afrique, ainsi que de sa foi en l’homme, en sa perfectibilité.

Mais, surtout, son action durant la Grande Guerre fit de lui l’homme politique le plus en vue en métropole comme en Afrique.

Cette popularité, du côté des Africains, est en grande partie due à sa constante sollicitude à l’égard des soldats noirs. Il s’est occupé au quotidien du sort de ces combattants, aussi bien au front que dans les hôpitaux, casernes et camps, intervenant sans cesse auprès de l’autorité militaire afin de rendre leur quotidien le moins insupportable possible.

Sa popularité est au comble auprès des soldats noirs comme auprès des populations africaines, sans doute rehaussée par les nombreuses promesses de la mission Diagne, qui créent l’espoir permettant d’alléger —psychologiquement— le poids de l’effort de guerre.

Son étoile brille plus que jamais en France où il devient l’animateur incontesté du Palais Bourbon. En 1930, il représente la France à Genève, à la Conférence internationale du Travail sur la suppression du travail forcé. Et, en 1931, il entre au cabinet de Pierre Laval, en qualité de sous-secrétaire d’État aux Colonies, et devient ainsi le premier Noir membre d’un gouvernement en France.

Cette entrée au gouvernement souleva (comme à chaque promotion du député noir), une vague d’indignation au sein du Parti nazi en Allemagne. Cette nomination fut ainsi saluée par le journal nazi Völkischer Beobachter (L'Observateur populaire) : « par cette nouvelle trahison, envers la race blanche, la France a confirmé son incapacité à parler au nom de l’Europe. »

Sa profession de foi lors de sa campagne électorale de novembre 1919, ses discours et slogans, témoignent de la profondeur de sa conviction, de sa foi en une « confraternité » des races, en la France et en l’assimilation, comme dans cet extrait de discours :

« Citoyens,

Mon appel s’adresse à toute la démocratie sénégalaise dont les divers éléments, qu’ils soient européens ou qu’ils soient indigènes, ont des droits égaux puisqu’ils ont supporté des charges égales.

Dépassez les misérables questions d’épiderme…

Citoyens vous êtes, citoyens vous resterez.

On peut être français et musulman.

Mon programme :

— Suppression de l’impôt de capitation dans les Communes.

— Réforme de l’enseignement primaire rendu obligatoire.

— Élargissement de l’enseignement secondaire… »

 

Précisément, Blaise Diagne pensait s’élever au-dessus de ces considérations de race et de couleur, fondant sa philosophie et sa politique sur l’universalisme humaniste, écartant de ce fait tout enfermement racial et communautariste.

Il en donna la preuve lors de l’assemblée du mouvement panafricain qui émergea au lendemain de la guerre, impulsé et animé par des leaders noirs-américains, à laquelle il participait en 1919. Il y désapprouva fermement le projet de « Communauté multinationale noire » de Marcus Garvey, qu’il qualifia « d’utopie dangereuse ». Il s’élevait contre toute forme et tout projet d’association raciale, affirmant :

« Isoler la race noire, et la laisser travailler seule à sa propre évolution, est une conception ridicule […]. Pour ma part, il ne me convient pas de compromettre par un geste inutilement téméraire, une cause juste. »

Sa grande vision, son courage politique et sa volonté de rechercher les solutions les meilleures y compris dans les contextes les plus difficiles, firent de lui, naturellement, sur la scène politique française, le trait d’union incontournable entre la métropole et l’Afrique, l’intermédiaire désigné entre l’administration et ses sujets africains.

 

symbole de justice3

 

gif anime puces 467Des ombres au tableau

 

Tout n’allait cependant pas pour le mieux en métropole où il comptait quelques esprits hostiles à sa philosophie et à sa vision politique. Des blocages se firent jour, plus ou moins nombreux selon les personnalités et les tendances politiques.

Au cours d’un débat à l’Assemblée, excédé par quelques comportements, et face à des collègues modérément acquis à sa théorie de l’assimilation, et nullement empressés d’octroyer les moyens de sa réalisation, il s’exclama : « Notre civilisation sera faite de la vôtre, où la vôtre tremblera ».

 

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gif anime puces 467Fractures. L’heure des comptes.

 

Mais, curieusement, c’est en Afrique même (y compris dans son berceau, les Quatre Communes) que l’étoile du député Diagne offrit sa première pâleur, et que son aura prit les premiers coups sans doute les plus rudes. C’est bien en Afrique française qu’on attendait avec impatience et espoir, la fin du premier conflit mondial, pour goûter enfin à l’avènement d’une ère nouvelle pour les colonisés ; là-bas, où les promesses de lendemains meilleurs, assénées avec force par la mission Diagne avaient pénétré le plus profondément les esprits, tout particulièrement ceux des soldats et de leurs familles ; les « Évolués » (l’élite intellectuelle) aussi, qui rêvaient de cette future citoyenneté, synonyme d’ascension sociale, de respectabilité et d’égalité de traitement avec leurs homologues métropolitains.

— Fin de l’indigénat.

— Fin du travail forcé.

— Citoyenneté enfin !

 

monument aux morts à Bamako (Mali)

Maquette du monument consacré aux héros de l’Armée Noire érigé à Bamako (Mali),

(maquette conservée à Fréjus)

 

gif anime puces 467Victoire et honneurs ou victoire et misère ?

 

La guerre finie, les soldats africains rentrés chez eux, l’ambiguïté de la mission Diagne apparut rapidement au grand jour. Si le député sénégalais avait accepté cette mission, c’était sous la foi des promesses du président du Conseil Georges Clemenceau, promesses qu’il sut interpréter et mettre en musique auprès des populations africaines, avec le brio que l’on sait.

La signature de l’Armistice le 11 novembre 1918, ne signifia pas la démobilisation pour tous les soldats africains. Après la guerre, Blaise Diagne s’opposa fermement à l’utilisation de ces combattants noirs comme force de police, ou force de maintien de l’ordre dans l’Hexagone. Mais il accepta l’envoi de contingents à l’extérieur, en Grèce, en Orient et surtout en Allemagne, dans la Ruhr, comme force d’occupation, au grand dam des Allemands, tout particulièrement des Nazis dont l’épisode alimentera leur haine du Noir (« la Honte noire »).

Pour ceux qui furent démobilisés, le rapatriement, par sa lenteur et ses multiples déconvenues, fut un véritable cauchemar. Mais, le pire était à venir.

Si la loi votée en 1919 entérinait la promesse de prime de démobilisation, « son application fut réduite aux citoyens des Quatre Communes !  »

Si l’intervention de Diagne permit une relative correction, qui étendait le bénéfice de la prime à tous les anciens combattants, elle devint en réalité tout à fait fictive pour un grand nombre d’entre eux. Et pour cause :

« Plus irritante, décourageante, est l’invraisemblable paperasserie à laquelle se heurtaient ces gens simples. En principe, les primes doivent être accordées au vu de déclarations d’états de service établies par les corps d’origine… Un arrêté de novembre 1919 fixe à sept « papiers » pour une veuve indigène, huit pour un tuteur, le nombre de pièces qu’il est nécessaire de produire pour prétendre à une rente viagère !La maladie incurable de la bureaucratie française se reflète dans ces absurdités…

Malgré les instructions du ministère des Colonies de passer outre, les autorités multiplient souvent les complications. » (Marc Michel, L’Appel à l’Afrique, thèse, Sorbonne).

Dans ces conditions plusieurs anciens combattants ne perçurent ni prime de démobilisation, ni pension, ou avec retard, ou avec un taux considérablement réduit par rapport aux promesses.

Mais les plus à plaindre furent sans aucun doute les blessés, mutilés et invalides rapatriés. À cet égard, une mission d’inspection dépêchée sur place note dans son rapport :

« Une mesure très regrettable a été de renvoyer des infirmes, des aveugles, des amputés, des déchés humains sans la moindre pension sous prétexte que ces infirmités ne résultaient pas de faits de guerre. » (Signé : l’inspecteur général des Colonies, Emile Demaret).

Bref, pour beaucoup, ce fut une profonde déception, et une grande amertume durable.

Les anciens soldats et leurs familles ne furent pas les seuls déçus et les seuls amers. En effet, quid de la citoyenneté promise ? De la fin de l’indigénat et du travail forcé ? Quant aux emplois réservés promis au cours de la mission Diagne, seuls quelques rares privilégiés purent y accéder. Pour tous, la déconvenue fut grande.

Les fameux décrets exhibés par Blaise Diagne lors de sa tournée de recrutement en 1918, ne furent pas appliqués. L’administration sur place constitua un verrou essentiel à l’application des mesures décidées à Paris.

« Et, de fait, même au niveau supérieur, y compris parmi les hauts fonctionnaires, beaucoup ne partagent pas ce libéralisme et préconisent le retour au statu quo ante, comme le réclame sans ambages Raphaël Antonetti, gouverneur en Côte d’Ivoire :

L’administration ne peut se trouver désarmée contre un ancien tirailleur, sa femme ou ses enfants qui auront contrevenu à la légalité des armes à feu, détérioré le matériel de l’administration locale, allumé un feu de brousse ou contaminé une prise d’eau […]. Le plus simple serait de laisser les choses en l’état… »

Au loin les belles promesses. Les anciens combattants, ainsi que les « évolués » demeurent indigènes et sujets, comme avant la guerre. En 1926, soit huit ans après la fin de la Grande Guerre, pour toutes les colonies françaises d’Afrique —30 000 000 d’habitants— il n’y eut que 84 sujets à accéder à la nationalité française, soit trois naturalisations par colonie en huit ans.

 

colère1

 

Cependant, parmi tant de motifs d’insatisfaction, quelques lueurs heureuses : les promesses en faveur de l’éducation et de la santé. Ce fut, entre autres, rapidement, au lendemain de la guerre, la création de la célèbre École William Ponty (du nom d’un ancien gouverneur général d’AOF) implantée au Sénégal, pour toute l’Afrique occidentale française ; véritable pépinière de futurs cadres africains. De même que l’École vétérinaire ; ce qui fut d’un apport non négligeable pour l’agriculture.

Mais, dans l’esprit de la majorité des Africains au-delà des seuls anciens soldats, le bilan des promesses affiche un énorme déficit. C’est aussi en Afrique que Diagne se heurte à l’écueil le plus redoutable pour son image et sa brillante carrière.

 

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gif anime puces 467Défiance et solitude

 

Ce bilan contrasté, voire globalement négatif pour plus d’un, amena de jeunes intellectuels africains, naguère admirateurs et émules de Diagne, à quitter le premier cercle de ses adulateurs, ou à se détourner de son action et de ses théories, notamment celle de l’assimilation. Parmi eux, le plus proche du député, naguère son jeune protégé, Léopold Sédar Senghor (par ailleurs favorable à l’assimilation politique mais ostensiblement hostile à l’assimilation culturelle), qui oppose à la « République française une et indivisible » chère à Blaise Diagne, sa propre théorie, celle de la « République française une et divisible ».

Il invente surtout (avec le Martiniquais Aimé Césaire) le fameux concept de « Négritude », défini comme la reconnaissance de l’ensemble des valeurs du monde négro-africain. Et, pour nombre de jeunes intellectuels, sénégalais en particulier, l’« anti-assimilationnisme » naît et se développe dans les esprits, et avec lui, les premiers germes du nationalisme.

 

Et le poète Senghor de rendre hommage à ses « frères de couleur » morts pour la France, et dont le sacrifice demeure ignoré, tel dans son recueil « Hosties noires » dédié aux « Tirailleurs sénégalais morts pour la France ».

« On fleurit les tombes :

On réchauffe le soldat inconnu

Vous mes frères obscurs

Personne ne vous nomme. »

 

D’autres eurent des attitudes plus fermes et moins poétiques : le nationalisme germant dans les esprits d’où la figure de Blaise Diagne, figure naguère tutélaire, s’effaçait peu à peu, oubliée, parfois condamnée. Le traitre ! On osa jusqu’au blasphème !

Lâchée, l’icône défraîchie se tourna vers ceux qu’il combattait naguère : les commerçants bordelais, détenteurs du pouvoir économique dans les Quatre Communes, ce qui fit écrire méchamment, dans le quotidien l’AOF, édition du 1er mai 1924, par son adversaire politique Carpot : « Le député Blaise Diagne, adorant ce que naguère encore il brûlait, est devenu l’allié des coffres-forts bordelais. »

 

Fatigué et malade, le vieux héros s’éteignit le 11 mai 1934. Après lui, ses adversaires accédèrent au pouvoir et continuèrent d’instruire son procès, entre admiration et regrets.

 

Buste de B. Diagne

Statue de Blaise Diagne (Gorée)

 

gif anime puces 467Quelle relève ?

 

Blaise Diagne trouvait cependant réconfort et soutien auprès de quelques fidèles sûrs, mais surtout de sa famille, son épouse orléanaise et ses enfants, pour lesquels il fut « un éducateur attentif ». Tous se firent un nom dans la carrière choisie.

Adolphe, l’aîné, acheva sa carrière comme médecin, inspecteur général des Armées ; Raoul fut un brillant footballeur, le premier noir de l’équipe nationale de France (1931-1940), professeur à l’Institut national des sports de Vincennes, et entraîneur de l’équipe nationale du Sénégal (1963). Seul le benjamin, Roland, vécut au Sénégal.

 

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commentaires

N
<br /> Samedi 22 Novembre, en dernière page, Ouest France a publié un article qui  dénonce la trahison dont furent victimes les Tirailleurs Sénégalais , le 1er Décembre 1944.Avant de quitter la<br /> Métropole, ils réclamèrent le versement de leurs arrièrés de solde . Lisez l'article, si ce n'est déjà fait . Accablant ! Ce 1er décembre 1944, prés de Dakar, l'armée française a ouvert le feu<br /> sur des Tirailleurs Sénégalais , partis ( de force ) de Morlaix quelques jours plus tôt .Armelle Mabon, historienne est tombée sur les archives d'une assistante du service social colonial<br /> .....REVOLTANT .<br /> <br /> <br />  <br />
Répondre
<br /> <br /> Je Vous remercie pour l'information. En effet,Thiaroye fut un épisode douloureux de la participation des troupes africaines à la Deuxième Guerre mondiale.<br /> <br /> <br /> Amitiés. TD<br /> <br /> <br /> <br />