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25 avril 2009 6 25 /04 /avril /2009 15:11

                                  
LES "IMMIGRES" FRANCAIS EN AFRIQUE AUX XVII ET XVIIIe SIECLES (1)


AU SENEGAL

          C'est un chapitre peu connu que l'histoire des Français établis sur les côtes d'Afrique entre le 17e et le 19e siècle et qui cependant ne manque pas de pittoresque. Des Français "acclimatés" tentent de s'affranchir des "lois" de leur nation. Se mêlant volontiers à la population autochtone, notamment les femmes, ils forment une société qui n'est pas encore la société "coloniale" au sens propre telle qu'elle le sera au 19e et 20e siècle. Avant ces siècles, les points d'attache des Français au Sénégal comme ailleurs en Afrique sont régis au nom de la France, par les Compagnies commerciales (Cie Royale d'Afrique, Cie du Sénégal, Cie de Guinée ...).
          Les Directeurs de ces Compagnies comme ceux des Comptoirs et forts ont pouvoir de justice et de police qu'ils exercent en terre africaine au nom de la France, sur la base des lois de la métropole auxquelles sont théoriquement soumis les résidents français. Mais comment enfermer dans les contours étroits des règles civiques et morales des hommes venus de si loin avides de liberté et grisés par le grand air et l'aventure facile.
          Les archives laissées par les diverses compagnies renferment de nombreux renseignements sur la conduite de ces Français et sur la vie qu'ils menaient au Sénégal (Archives nationales, Colonies C63 : Mémoire pour la Compagnie Royale du Sénégal). D'après les rapports de directeurs généraux, de directeurs particuliers, de gouverneurs ou d'inspecteurs en mission, ces Français faisaient preuve de "très peu de qualités morales et intellectuelles". Ils se signalaient plutôt, outre l'incivisme et le manque d'esprit patriotique, par certains "penchants" fréquemment signalés et condamnés : prévarication, malversations, incapacité professionnelle, esprit de cabale et déni de justice ... Telles sont les conclusions du Sieur Lacourbe lors de son inspection en 1685 et lors de sa prise de fonction au Sénégal, en 1688 en qualité de directeur, lesquelles conclusions seront confirmées plus tard par différents rapports d'inspection : ceux de Brüe en 1723, de Saint-Robert en 1725, de Le Juge en 1732, dont suivent quelques extraits.

      

           Je viens de révoquer tout à l'heure le garde-magasin des ustensiles et d'en charger le Sieur Lescure qui s'en acquittera mieux. Le garde-magasin des vivres qui avait été surpris le soir dans une faute y est retombé ce matin en abusant de l'eau-de-vie de la Compagnie. Je l'ai révoqué sur-le-champ. 
          [...]
          Véritable vice-roi, le Directeur général se laissait entraîner à des excès d'autoritarisme et à confondre ses décisions arbitraires avec l'expression de la justice. Et bien que les lettres patentes (lettres du roi) du 5 février 1726 aient établi une juridiction spéciale pour la colonie du Sénégal, il arrivait à certains de faire fi de la légalité. (Le Juge)

         

          Les commis aux écritures étaient peu au fait des règles de la comptabilité ; à quelques exceptions près, ce sont des ignorants fiéffés ... (Plumet)

         Enfin revanche de la civilisation africaine sur l'européenne, il arrivait que des Blancs, même des commis très haut placés, allassent consulter les sorciers noirs et y payassent leurs services avec des marchandises de la Compagnie. Je ne saurais passer sous silence les superstitions de M. Julien (ditrecteur de la Compagnie) les marabouts nègres à qui il faisait des présents ; sur les prédictions desquelles il comptait comme sur des vérités ... On sait que ces marabouts parmi les Nègres procurent des objets et des bois qui causent des maladies languissantes et souvent la mort. (Delcourt)

                Cette première impression de relâchement moral et de connivence avec la population locale ne tarda pas à se confirmer dans maints autres rapports pour aboutir à cette conclusion implacable :    

          Ils étaient tombés dans une si grande corruption qu'il n'y en avait aucun, même les ecclésiatiques, qui ne se souille de toutes sortes d'excès. L'habitude en était si grande que les principaux, aussi bien que les habitants et les matelots, communiquaient aussi librement et aussi ouvertement avec les Négresses que si elles avaient été leurs légitimes femmes. C'était à qui ferait de plus belles productions et réjouissances dans cet infâme plaisir auquel on employait le plus beau et le plus précieux des marchandises de la Compagnie pour contenter et assouvir le luxe de ces impudiques. (Lacourbe)

          En conséquence, le premier soin que prit Lacourbe (nouveau directeur du comptoir) consista en des mesures urgentes, aussi radicales qu'impopulaires qui furent à l'origine de nombreuses frictions entre les "habitants" (les Français vivant au Sénégal) et le nouveau venu.

          La première de ces mesures porta sur la reconstruction de l'habitation de manière à la clore en la séparant ainsi des contacts avec les autochtones. Il s'en explique :

         
Je donnais tous mes soins à régler l'habitation. Je ne me contentais pas d'en bannir toutes les femmes du dehors ; mais pour empêcher que nos Blancs n'eussent aucun commerce avec les nouvelles chrétiennes, ni pareillement avec plusieurs marchandes qu'on est obligé de laisser coucher dans l'île parce qu'elles viennent de loin, je fis fermer la cour de l'habitation avec des palissades, et comme il n'y avait pas assez de chambres pour coucher les habitants, j'y fis apporter leurs cases faites de roseaux, et leur défendis sous peine d'une amende d'aller à celles des Négresses ; j'y fis faire aussi exactement la garde le jour et la nuit, tant pour notre sûreté que pour empêcher que personne ne couchât dehors ; je fis faire une cuisine pour tous les habitants, et les séparer par plats afin qu'ils n'eussent point besoin du secours des femmes et afin qu'ils ne prissent pas prétexte de donner leur linge à blanchir pour aller aux cases des Négresses, ou pour les faire venir dans les leurs.

           L'application de telles mesures suscita une vague de protestations de la part des Français qui reprochaient à Lacourbe d'avoir dérangé ainsi leur "ordinaire". L'intéressé lui-même en convint en ces termes :

          On ne saurait croire la peine que j'eus pour les réduire à leur devoir.

 

 

           Mais les employés et les soldats ne sont pas les seuls impliqués dans cette inconduite en Afrique, maints documents concernent également les dirigeants ou hauts cadres et plus étonnant encore des religieux, prêtres et aumôniers, comme on le verra dans un prochain article.


 

 



               N'hésitez pas à faire vos remarques ou à poser des questions.
 
 
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commentaires

R
   Merci de tout coeur de nous faire profiter de vos lectures des archives coloniales. Je crois sincèrement que c'est en procédant ainsi que nous reconstituerons non seulement la vraie histoire de l'Afrique mais encore l'histoire des relations humaines entre Blancs et Noirs. Je crois en mon for intérieur que loin des théories racistes des états marchands puissants désireux d'asseoir leur domination, les êtres humains semblent avoir une inclination naturelle à jouir de la compagnie des uns et des autres.   Je prendrai le temps de lire la suite de vos lectures et analyses.  
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T
<br /> <br /> Ma vision est identique à la vôtre. Merci pour ce commentaire tout à fait pertinent. Amitiés. TD<br /> <br /> <br /> <br />