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10 mars 2024 7 10 /03 /mars /2024 09:36

 

LA LANGUE FRANÇAISE

 

 

Voici écrite par Marcel Arland une analyse de notre langue, la langue française, une langue riche et belle.

 

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« Parmi les caractères que l'on a le plus souvent et le plus justement attribués à la langue française, je crois que la clarté vient en premier lieu. Cette clarté qui faisait dire à Brunetto Latini, le maître de Dante, que, s'il usait non de l’italien, mais du français, c'est que le français était, de toutes les langues, non seulement la plus « délectable », mais, par sa clarté, la plus compréhensible, la plus « commune à toutes gens », la plus propre aux échanges de l’esprit. Et tel est bien le rôle que le français a longtemps joué, au XVIIIe siècle surtout, quand il était devenu la haute langue de l'Europe. On sait que cette prédominance s’est aujourd’hui effacée devant celle de l'anglais ; on sait que le caractère d’universalité que l’on reconnaissait à notre langue se trouve fort discuté et combattu. Est-ce à dire que ce caractère ait disparu ? Je ne le crois point. Je tiens notre prose, telle qu’elle se manifeste encore aujourd'hui, à ses bonnes heures, pour une école où toute autre prose peut trouver sinon une leçon, à tout le moins un contrôle. Je Ia tiens pour une école de portée universelle, au même titre que notre peinture.

*

Cela dit, reconnaissons que cette fameuse clarté s'est altérée. Non point que nous manquions, même aujourd'hui, d'une forme claire et jusqu’à la transparence. Mais il en va de la langue comme du roman ; un roman au ton pur, un roman que la philosophie, la science, la politique n'ont pas envahi, roman-roman, un roman qui ne propose rien d'autre que lui-même, mais qui met là sa justification et son orgueil, — eh bien, ce roman est aujourd'hui assez dédaigné, à tout le moins suspect ; suspect de conformisme et de pauvreté. De même pour la forme ; si elle est claire, apparemment aisée, si elle ne pose pas de problèmes (ou plutôt n'en semble pas poser), elle n'attire pas l'attention, elle ne semble pas assez moderne, on la traite en parente de province. Comme si l’aisance était synonyme de facilité ; comme si la clarté et la transparence étaient synonymes de vide et de fadeur. II n'est pas de transparence sans mystère intime ; il n’est pas de plus pur secret —et qui toujours s'entretient, se nourrit, se renouvelle — que celui d'une forme de claire apparence, quand elle vient d'un écrivain véritable.

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On ne saurait parler de clarté sans parler de construction. La construction régulière de notre langue peut apporter à la fois une aisance et un frein. Vous vous rappelez que Fénelon déplorait un peu cette régularité, qui engendre la monotonie. Je ne vois pas toutefois que nos grands écrivains n'aient su la plier à leur génie propre : un Pascal (c'est, il est vrai, le plus grand de nos écrivains, et le plus complet), un Fénelon lui-même à ses grandes heures (aux heures de combat ou de révolte), bien entendu, un Rabelais, un Saint-Simon, un Michelet. Mais il me semble que la construction de notre langue, très forte encore chez Victor Hugo, et même un peu trop apparente, un peu ostentatoire et redondante, a perdu, non seulement de sa régularité, mais de sa vigueur...

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Si l'on parle des rapports de la littérature et de la langue contemporaines comment esquiver la fameuse question de la grammaire et de la syntaxe, le fameux problème de la correction ? La grammaire est une institution nationale ; les journaux littéraires et même les autres ont des tribunes de grammaire, des consultations grammaticales ; les lecteurs questionnent et les professeurs répondent : « Est-ce que Giono a raison d'écrire Je m'en rappelle ? — Non, il a tort ». « Et Gide, quand il écrit malgré que ? Eh, eh ! on ne peut pas dire qu'il ait raison, étant donné qu'il ne s'agit pas de l'expression malgré que j’en aie ». « Et François Mauriac, quand il écrivait dans La Table ronde en 1952 : Cela s'est avéré faux ? —Mauriac ! ah ! diable Mauriac ! Nous vous répondrons un autre jour ». Etc. Et de toutes ces réponses on fait des livres ; et sur les livres des articles. C'est un jeu plaisant, mais tout compte fait, assez vain. On peut estimer sans doute qu'il existe un certain nombre d'erreurs dont tout écrivain doit se garder. Sans doute encore est-il bon et nécessaire que quelques écrivains usent d'une langue aussi pure que possible. Mais si, pour critère de correction, on prend l'usage ancien, faut-il absolument négliger l’usage qui tend à s'établir, qui se forme sous nos yeux ? Il me semble que le principe le plus sage est celui-ci : quelque considération que l'on ait pour l’usage — et j’entends l'usage des bons écrivains — il n'est de fautes vraiment graves que celles qui menacent l’esprit de notre langue...

*

Brice Parain, dans un essai qu'il me communiquait voilà quelques jours, déclare que l’une de ses plus fortes raisons d'espérer, c'est de voir qu'un langage commun est en voie de formation dans notre littérature, un langage qui échappe à une littérature trop savante ou trop éprise de son jeu, pour devenir entre tous les hommes l'instrument fondamental de l'union.

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Cette tendance existe, elle est forte, elle est naturelle, elle se développe. Naturelle, donc légitime. Et l'on voit bien que, si notre littérature s'y ferme de parti-pris, elle court le risque de dessécher notre langue et de la séparer à jamais du langage populaire. Mais l'on voit aussi que, si elle s'y abandonne, notre langue va perdre, ou du moins altérer, ses caractères les plus précieux : élégance, clarté, précision, rigueur, harmonie, et force dans la délicatesse.

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La position que nous choisissons est celle de l'extrême milieu ; elle peut sembler facile, elle ne l’est pas ; elle l'est moins que jamais aujourd'hui. Nous souhaitons que notre langue se renouvelle sans se perdre ; nous souhaitons l'expérience, mais aussi le contrôle. Je précise. Qu'il y ait chez la plupart de nos écrivains une bonne et belle langue, sans recherches trop savantes ou trop hardies, mais sans complaisance à l'égard des lecteurs de nos magazines et de nos auditeurs de la radio : voilà ce qui constituera le gros de nos forces et le plus constant. Que certains écrivains d'autre part fassent résolument appel à un langage plus libre, plus populaire, débraillé à l'occasion, je l'admets fort bien et le trouve utile — tout en remarquant qu'il n'est pire littérature littéraire et littératurante que celle des sans-culotte. Je l’admets donc, mais c'est à condition qu'en face d'eux et à I ‘opposé la France connaisse cette équipe, ces écoles, ce laboratoire, qu'elle a toujours connus et qui ont fait la souveraine qualité de notre langue, soit qu'il s'agisse de raffinement, soit d'audace.

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Mais je sens bien que cette équipe elle-même, dont le rôle me paraît capital et absolument nécessaire, je sais que l'on peut être parfois inquiet de l’action qu'elle exerce sur notre langue. Oui, l'on pourrait dire que toute littérature originale, toute nouveauté, tout apport, remet en jeu l'état d'une langue. On pourrait prétendre, bien plus, que toute originalité est une maladie, que tout style est une maladie, et qu'ils imposent ou proposent à Ia langue une maladie. Une langue ne peut rester absolument intacte, à la venue d'un esprit, d'une sensibilité et d'un art nouveaux. Il n'est pas jusqu'au sens des mots, qui plus ou moins ne se modifie ; et non point parce que l'écrivain le veut ainsi, d'une façon orgueilleuse ou perverse, mais parce qu'il ne peut pas faire autrement s'il veut être lui-même ; parce que le mot « arbre » ou le mot « ciel » ont dans son cœur un sens particulier, et que, s'il est vraiment un artiste, ce sens original passera dans son œuvre et se manifestera, soit par l'accent particulier et la valeur particulière que lui donne sa place dans la phrase, soit par l'éclairage qu'il reçoit des mots voisins. Qu’on le veuille ou non, c'est la loi de l'œuvre d'art. Eh quoi I Est-ce qu'avec Joinville, avec Commynes, avec Rabelais, avec Amyot, Bossuet, Pascal, Saint-Simon, Rousseau et tant d'autres, la langue française n'a pas changé ? Ce qui nous apparaît aujourd'hui comme une évolution naturelle et quasi fatale fut souvent tenu à l'origine pour une altération et même un sacrilège. On disait de Marivaux, en son temps, qu'il était illisible à force de charabia ; il me semble qu’on le lit beaucoup aujourd'hui. On a dit de Ramuz qu'il n'écrivait même pas la langue d’un canton ; il me semble que cette langue a dépassé les limites de plus d'un canton.

*

Nous ne voulons point d'une langue abâtardie, certes, et complaisante ou raccrocheuse. Mais nous ne voulons point d'une langue morte, ou qui se meure. Ce qui est à proscrire, c'est la nouveauté qui ne vise qu’au jeu, à l’étonnement du badaud (et que de badauds dans les cercles avertis !) ou au scandale. C’est la nouveauté qui renie l'esprit profond d'une langue. Car, ici encore, le critère, c'est le génie de la langue, et Dieu sait combien il peut nous apparaître complexe et accueillant, habile à faire son miel ; combien il y a de chambres dans la maison du Père ! une langue ne vit qu'en se renouvelant ! mais on ne la renouvelle valablement que par l'amour, par toutes les formes et les nuances de l'amour. Je ne crois pas que jamais une langue ait mérité plus d’amour que la nôtre. »

                                                                             (MARCEL ARLAND, in Cinq propos sur la langue française, (Fondation Singer-Polignac, 1955))

I

Marcel Arland (1899-1986)

¤ Marcel Arland

Marcel Arland est un écrivain, essayiste, critique littéraire et scénariste français. Il est né en 1899 à Varennes-sur-Amance et mort en 1986 à Saint-Sauveur-sur-École. Il est issu d’une famille de petite bourgeoisie rurale.

À trois ans il perd son père et est élevé par sa mère et ses grands-parents. Sa mère, veuve inconsolable, en oublie l’amour maternel pour ses deux fils.

Cette conscience d’être orphelin et de la figure absente de son père mais aussi de sa mère, marque son œuvre.

Il fait de brillantes études au collège de Langres, puis à la faculté la Sorbonne, à Paris (1919).

Il enseigne au collège de Jouy-en-Josas de 1924 à1929.

Responsable de la partie littéraire de la revue de l’Université de Paris, il y publie ses premiers textes. De grands noms d’écrivains collaborent à cette revue : Proust, Mauriac, Cendrars, Giraudoux.

Marcel Arland commence sa carrière dans la révolte et la contestation de la société suite au désordre provoqué par la Première Guerre mondiale et face aux injustices sociales.

1920 : il adhère au dadaïsme et fonde la revue d’avant-garde Aventure.

Il fréquente Dhôtel, Vitrac, Crevel, Limbour. Il fait aussi la connaissance d’André Malraux.

En 1924 il publie dans La Nouvelle Revue française (NRF).

1929, il reçoit le prix Goncourt pour l’Ordre (long roman de formation (Bildungsroman), seul vrai roman qu’il écrira et dont le héros, Gilbert, est une sorte de Rimbaud des années 1920. Il collabore de plus en plus à la NRF sauf durant l’Occupation où il se retire dans sa maison de Brinville, près de Paris où il vit en reclus, écrivant des essais.

1930, il épouse Jeanine Béraud, tante maternelle de Michael Lonsdale.

Après la Libération Arland déploie une grande activité critique et une attention particulière aux jeunes talents.

1952, Arland reçoit le Grand Prix de la Littérature de l’Académie Française

1953 : Il partage avec Jean Paulhan, la direction de la Nouvelle NRF et à la mort de ce dernier, assurera seul cette fonction jusqu’en 1977.

1960, Arland reçoit le Grand Prix national des Lettres.

1968, il entre à l’Académie française

1986 : Arland meurt subitement dans sa maison de Brinville, au mois de janvier, et son épouse meurt la même année en octobre.

Ses manuscrits et sa correspondance ont été légués à la bibliothèque littéraire Jacques Douvet.

 

*

Quelques-unes de ses œuvres

Essais    

-Anthologie de la poésie française (1942)

-La Prose française : anthologie, histoire et critique d’un art (1951)

-Proche du silence, mémoires (1973)

-Terres de France, essai sur la paysannerie

...

Fictions

-Terres étrangères (1923)

-Les Âmes en peine (1927)

-L’Ordre (1929)

-Les Vivants (1934)

-Sur une terre menacée (1941)

-Zélie dans le désert (1944)

-Il faut de tout pour faire un monde (1947)

-La consolation du voyageur (1952)

-L’Eau et le feu (1960)

-Le grand Pardon (1965)

-La musique des anges (1967)

 

 Réflexions

On remarque l’évolution de la langue française tout au long des années, des siècles, et c’est une bonne chose. Une langue doit rester vivante sinon elle disparaîtra.

Des mots nouveaux apparaissent, apportés par l’évolution de la société, des sciences, les nouveaux métiers… Des mots inventés par les jeunes pour se différencier des parents, ne pas toujours être compris par ceux-ci : verlan, argot à l’école…

Puis il y a les apports étrangers grâce aux voyages de plus en plus aisés, lointains, fréquents ; les déplacements des différentes populations, immigration…

Notre langue s’enrichit.

Si elle n’est plus la langue universelle du 18e siècle, elle reste parlée dans beaucoup de pays et régions du globe.

 

Mais attention : si nous limitons le nombre d’étudiants étrangers qui propagent notre langue, celle-ci risque à plus ou moins longue échéance, de se « ratatiner », de ne plus être parlée qu’en France. Elle perdra de son aura et notre pays également.

Attention aussi à l’utilisation trop fréquente de termes anglais.

-Beaucoup de chanteurs français (les jeunes surtout) chantent en anglais malgré le fait que bien des Français ne comprennent pas leurs chansons et donc ne les écoutent pas, ne les connaissent même pas.

-Les nouvelles entreprises prennent des noms anglais, peu attractifs pour la majorité des Français.

-Beaucoup de journalistes, de personnes publiques… utilisent des termes anglais (par snobisme ou est-ce par ignorance ou pauvreté du vocabulaire français ?) alors qu’il existe l’équivalent en français.

 

Et vous, chères lectrices et chers lecteurs, que pensez-vous de notre langue, de son évolution, de sa place dans le monde, de son avenir ?

 

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