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4 février 2024 7 04 /02 /février /2024 11:40

Fontaine (1917) de Marcel Duchamp

***

LA VISION DE L’ART DE GOTTFRIED HONEGGER

DANS SA LETTRE À MARCEL DUCHAMP

 

 

Dans cette lettre, Gottfried Honegger s’en prend violemment à l’art dévoyé. Aujourd’hui, d’après lui, tout n’est plus que jeu, tout est permis, tout est à vendre, à acheter. Notre société est devenue consumériste. L’individualisme et le culte du moi priment. On le voit avec les réseaux sociaux où les personnes se montrent et se « remontrent » sur tous les angles.

Honegger attend mieux de l’art.

 

 

« Très cher,

Dans une de vos lettres vous évoquiez Ludwig Wittgenstein. Comme vous l'avez constaté à juste titre, il a remis en question de la manière la plus radicale non seulement l'art, mais aussi tous les problèmes philosophiques. Il ne demande pas « Qu'est-ce que l'art », sa pensée tourne autour de la théorie du jeu. La langue comme un jeu, obéissant comme tous les jeux à des règles.

Les questions que je vous pose ne portent pas sur ce qui est radical. Ce qui m'intéresse c'est votre influence, l'influence de votre œuvre sur les jeunes artistes d'aujourd'hui. Ce qui était pour vous un manifeste, disons un refus de l'art officiel, est devenu l'art officiel. Ce qui était chez vous encore hésitant, ce qui était question, est devenu réponse. Finie la remise en cause de l'art, désormais tout est permis. Votre art a-t-il ouvert toutes les écluses ? Les pionniers, leurs points de vue et leurs théories sont aujourd'hui largement oubliés, dépassés, exposés dans les musées, cimetières pour tourisme de masse.

À Cassel, à Venise, partout domine une effervescence multicolore. Sans honte, sans règles, la pacotille mercantile est ennoblie, donnée pour de l'art. Le ready-made est in. Votre œuvre exerce sur les jeunes une étonnante fascination. Chez vous, cher Marcel Duchamp, l'habituel devient inhabituel, les rapports familiers avec la réalité sont arbitrairement inversés. Chez vous, cela paraît si naturel que cela semble aller de soi et que ça influence notre façon de voir.

J'insiste — je ne vois dans le cirque ready-made, aujourd'hui dominant, qu'une culture de divertissement. Le divertissement domine largement le « jeune art ». Même l'architecture, le design, la mode ont trop souvent peur de la forme. Bilbao est un succès public parce que le musée de Frank Gery est spectaculaire. Disneyland à l'extérieur, cimetière à l'intérieur, écrit le magazine Der Spiegel. Que la fonction détermine la forme extérieure, c'est aujourd'hui oublié.

 

Certes, vous n'avez pas prévu cette vulgarisation de l'art. Certes les dadaïstes, parce que mal compris, ont participé au relâchement de notre culture. Pour moi le présent a trop pollué, trop consommé, trop transformé en produits de consommation. On vole et on falsifie, on pratique le culte de l'art-marchandise, qui correspond tout à fait à notre société consumériste. Si l'art est miroir, témoin de son temps, pourquoi les gardiens de la culture ne le disent-ils pas haut et fort ? Si l'art contemporain était le reflet du libre marché, de la globalisation, l'art d'aujourd'hui aurait une signification politique. Malheureusement cela arrive trop rarement. A la biennale de Venise, de mon point de vue, le kitsch artistique officiel est élevé au mythique. Les textes pratiquent le culte du moi. L'individualisme, la trace de la personnalité originelle, connaît un succès mondial. A une époque où, chaque jour, des centaines de milliers d'hommes meurent de faim, à une époque où l'économie de monopole supprime toutes les garanties humaines et où les États en sont réduits au football, l'art se doit de prendre position. Il ne doit jamais et en aucun cas être un « amusement ». L'art est arme ou vision. L'art est politique, histoire d'une époque.

Ma question est : quelle est votre attitude vis-à-vis de l'informe, de l'infantilisme régnant ?

 

Est-il faux de penser que l'art actuel devrait être avant tout forme et système, que l'art devrait contribuer à un avenir plus humain, un avenir social ? Suis-je naïf, un vieil aveugle hors du coup quand je remets en question les foires d'art contemporain, les ventes aux enchères, le commerce de l'art tout entier ?

Nous le savons : « La laideur nous rend malades ». Un environnement détruit et dominé par la spéculation, associé à la folie de la consommation, est le terreau où se développent le vandalisme, la criminalité et la corruption. Une aliénation autiste se répand. Je lis : « Le dialogue des cultures et des religions doit prévaloir sur les alliances politiques et les coopérations économiques. Des analystes perspicaces, de Georges Dumézil et Claude Lévi-Strauss à l'économiste Amartya Sen, l'ont déjà pronostiqué comme un devoir de pacification. Certes ce dialogue est aujourd'hui plus compromis que jamais ».

 

Tatlin et vous, cher Marcel Duchamp, avez élaboré des concepts esthétiques qui — aussi opposés qu'ils soient — non seulement ne respectaient pas la relation existante entre création artistique et théorie de l'art mais la remplaçaient par leurs propres interrogations liées à l'époque.

Vous devez savoir que ce qui m'importe n'est pas le jugement de valeur mais la volonté de comprendre.

Dans l'attente de votre réponse. »

Marcel Duchamp (1887-1968)

 

***

(Henri, Robert) Marcel Duchamp est né en 1887 à Blainville-Crevon et mort en 1968 à Neuilly-sur-Seine. C’est un peintre, plasticien et homme de lettres français.

Son père, Justin Isidore Duchamp était notaire à Blainville et sa mère, Marie Caroline Lucie née Nicolle, était une musicienne accomplie.

Marcel est le petit-fils d’Emile Frédéric Nicolle, courtier maritime et artiste qui enseigna l’art à ses petits-enfants. Dans cette famille de 7 enfants il y avait plusieurs artistes : Raymond Duchamp-Villon : sculpteur, Jacques Villon et Suzanne Duchamp : peintres

 

Le premier tableau de Marcel Duchamp, Madeleine au piano, est exécuté alors qu’il est en 4e au collège.

Il poursuit de brillantes études au lycée de Rouen.

1904 : avec l’accord de son père, il s’installe à Montmartre, chez son frère, le peintre Jacques Villon. Il s’inscrit à l’académie Julian mais en part au bout d’un an à cause des cours théoriques. Il dessine beaucoup et assiste aux numéros de cabaret humoristiques.

 

1908, il commence à exposer au Salon d’Automne (Grand Palais), il est alors très marqué par les impressionnistes et en 1909 il expose au Salon des indépendants (Orangerie des Tuileries). Il peint alors des paysages. Il commence à vendre ses œuvres. Il expose aussi à Rouen.

Il rejoint ses frères à Puteaux où il fréquente des peintres cubistes (Albert Gleizes, Fernand Léger, Jean Metzinger, Roger de la Fresnaye) et aussi des poètes (Guillaume Apollinaire, Henri-Martin Barzun, Maurice Princet, Georges Ribemont-Dessaignes)

 

Pendant ces périodes, Marcel Duchamp explore différents style artistiques : cubisme, impressionnisme, fauvisme symbolisme.

 

1912, Marcel Duchamp se rend à Munich, où il revoit son ami Max Bergmann. Il entre en contact avec l’avant-garde munichoise. Puis il passe par Bâle, Dresde, Berlin ce qui le mène à étudier un nouveau contexte intellectuel, artistique et scientifique.

Il expose à la galerie La Boétie, à Paris, auprès d’autres artistes qui l’influencent également.

1913, il expose aux Etats-Unis.

En cette année il commence aussi à travailler à la bibliothèque Sainte-Geneviève (Quartier Latin) ce qui le rend autonome financièrement.

 

Vers 1913-1915, il s’écarte de la peinture avec les premiers ready-mades, (ready-made : un artiste s’approprie un objet manufacturé en le privant de sa fonction utilitaire et opère sur lui une manipulation sommaire (retournement, suspension, fixation au sol ou au mur…) puis il ajoute un titre, une date, une inscription avant de l’exposer dans un lieu culturel en tant qu’œuvre d’art).

Duchamp prend des articles ordinaires, prosaïques, et les place quelque part où leur signification d'usage disparait sous le nouveau titre et le nouveau point de vue. en arrachant un objet manufacturé à son contexte et en le plaçant dans un lieux inhabituel, Duchamp élève ces objets au rang d'oeuvre d'art par son simple choix en tant qu'artiste. Il marche ainsi une césure profonde avec toute la tradition artistique qui l'a précédé. il se rapproche ainis des dadaïstes mais il souhaite garder son indépendance, n'appartenir à aucun mouvement.

Il collabore à la revue "Le Surréalisme au Service de la Révolution" (1930-1933)

Parallèlement à son art, il s'intéresse aussi au cinéma. 1935 : il dépose le brevet des  "rotoreliefs".

1955 : il est naturalisé américain.

Dans les années 1960 il est considéré comme un artiste majeur du 20e siècle avec son invention des ready-made.

 

Marcel Duchamp n’appartient à aucun courant artistique précis. Il casse les codes artistiques et esthétiques de l’époque. N’ayant pas suivi de cours dans une école d’art, Marcel Duchamp peut être considéré comme un autodidacte.

 

Porte-Bouteilles (1914)

***

 

Vous pouvez retrouver une courte biographie de Gottfried Honegger dans les articles précédents :

Articles du blog

  • La vision de l’art de Gottfried Honegger dans sa lettre à Jean Arp (13-10-21)
  • La vision de l’art de Gottfried Honegger dans sa lettre à Léonard de Vinci (20-04-22)
  • La vision de l’art de Gottfried Honegger dans sa lettre à Sonia Delaunay (19-03-23)

 

Gottfried Honegger (1917-2016)

 

 

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