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19 avril 2020 7 19 /04 /avril /2020 07:23

LE TEMPS DE NOTRE VIE
OU

LA BRIÈVETÉ DE LA VIE (2)

Le temps de notre vie est-il trop long ou trop court ?
Ce qu’en pense Sénèque

Sénèque (Cordoue vers 4 av JC – Rome 65 ap JC)

  « La vie n’est pas trop courte, c’est nous qui la perdons. » (Sénèque)

« La plupart des mortels, Paulinus, se plaignent de la méchanceté de la nature : nous sommes nés pour une portion infime du temps et les heures qui nous sont données courent si rapidement que, à l'exception d'un très petit nombre, la vie nous abandonne tous au moment même où nous nous apprêtons à vivre. Ce n'est pas seulement la foule, le vulgaire ignorant, qui gémit sur ce prétendu "malheur" commun ; même à des hommes illustres un tel sentiment arracha des plaintes.

De là cette exclamation du plus grand des médecins : "La vie est courte, l'art est long1." De là, chez Aristote, en procès avec la Nature, ce grief si peu digne d'un sage : "Aux animaux, elle a manifesté une telle bienveillance qu'ils prolongent leur existence pendant cinq ou six générations, mais, à l'homme, né pour tant de grandes choses, une limite bien inférieure est fixée2."

Non, nous n'avons pas trop peu de temps, mais nous en perdons beaucoup. La vie est assez longue et largement octroyée pour permettre d'achever les plus grandes entreprises, à condition qu'elle soit tout entière placée à bon escient. Mais, quand elle s'écoule dans le luxe et l'indolence, quand elle n'est dépensée à rien de bien, sous l'empire enfin de la nécessité ultime, cette vie dont nous n'avions pas compris qu'elle passait, nous sentons qu'elle a trépassé.

Oui, il en est ainsi : nous n'avons pas reçu une vie brève, mais nous la rendons brève ; pauvres, non, mais prodigues, voilà ce que nous sommes. Les ressources, fussent-elles immenses, royales, quand elles tombent aux mains d'un mauvais maître, sont dissipées en un instant, mais, même très modestes, quand elles sont confiées à un bon gardien, elles s'accroissent à mesure qu'il en fait usage : il en est ainsi de notre vie : elle s'étend loin pour qui en dispose bien. »

« Le temps est l’image mobile de l’éternité immobile. » (Platon)

« Comment nous gaspillons notre temps

Pourquoi nous plaindre de la nature ? Elle s'est montrée bienveillante. La vie, si l'on sait en user, est longue. Mais l'un est accaparé par une avidité insatiable, l'autre, par une dévotion laborieuse à de vains travaux ; un autre se noie dans le vin, un autre croupit dans la paresse ; un autre, une ambition toujours suspendue au jugement d'autrui l'épuise, un autre encore, le goût effréné du commerce le promène sur toutes les terres, toutes les mers, par appât du gain. Certains sont tourmentés de passion militaire, toujours avides des dangers d'autrui ou inquiets des leurs. Il en est d'autres qui, à courtiser sans profit leurs supérieurs, se consument dans une servitude volontaire.

Beaucoup ne s'occupent qu'à rechercher la beauté d'autrui ou à soigner la leur. La plupart, n'ayant aucun but précis, sont les jouets d'une légèreté irrésolue, inconstante, importune à elle-même, qui les ballotte sans cesse d'un nouveau projet à un autre. Certains ne trouvent rien qui leur plaise assez pour diriger leur course, mais le destin les surprend, engourdis et bâillants, si bien que je tiens pour vrai cette sorte d'oracle énoncé par le plus grand des poètes :

                              " Infime est la portion de vie que nous vivons." »

« Le temps passe. Et chaque fois qu’il y a du temps qui passe, il y a quelque chose qui s’efface. » (Jules Romains)

« Tout le reste de son étendue n'est pas de la vie, mais du temps.

Les vices harcèlent, encerclent de toutes parts. Ils ne permettent ni de se relever, ni de lever les yeux pour distinguer la vérité, mais ils pèsent de tout leur poids sur les hommes immergés, empalés dans la passion, sans jamais les laisser revenir à eux. Si parfois le hasard leur accorde quelque répit, alors, comme en pleine mer, où, après la bourrasque, il reste du roulis, ils sont ballottés et jamais un loisir stable ne les met à l'abri des passions.

Tu crois que je parle des hommes dont les maux sont reconnus ? Regarde ceux dont le bonheur fait accourir la foule : leurs biens les étouffent. Que de gens accablés par la richesse ! Combien perdent leur sang à force d'éloquence, à s'époumoner chaque jour pour montrer leur talent. Combien pâlissent dans de continuelles voluptés ! Combien ont été dépouillés de toute liberté par le peuple des clients qui les entouraient ! Passe-les tous en revue, du plus petit au plus grand : celui-ci est accusé, celui-là, défenseur, un troisième, juge. Personne ne s'appartient, chacun se dépense pour autrui. Renseigne-toi sur ceux dont on apprend les noms par cœur. Tu verras qu'on les reconnaît à ces signes : celui-là est le dévot d'un tel, celui-ci, de tel autre, nul ne se dévoue à soi-même.

Rien n'est donc aussi dément que l'indignation de certains : ils se plaignent de la morgue des grands qui n'ont pas trouvé un moment pour leur accorder une audience. On ose se plaindre de l'orgueil d'autrui, alors qu'on n'a jamais de temps pour soi-même ! Pourtant cet homme, quel qu'il soit, avec son air insolent, ne t'en a pas moins regardé un jour, il a prêté l'oreille à tes paroles, il t'a fait place à ses côtés ; toi, jamais tu n'as daigné te regarder ni t'écouter toi-même. Il n'y a donc à faire valoir auprès de personne tes bons offices, puisque tu as agi comme tu l'as fait non parce que tu voulais être avec un autre, mais parce que tu ne pouvais être avec toi. »

« Il faut avoir peur de mourir pour apprécier le temps qui passe à sa juste valeur. » (Christian Carion)

« Tous les plus brillants génies ont beau s'accorder sur ce point, jamais ils ne s'étonneront assez des ténèbres de l'esprit humain. On ne laisse personne s'emparer de sa propriété et, pour la plus petite discussion sur le bornage, on court aux pierres et aux armes ; mais on permet à autrui de s'introduire dans sa vie ; bien plus, on introduit soi-même son futur propriétaire. On ne trouve personne qui veuille partager son argent, mais chacun distribue sa vie à tout venant. On s'attache à préserver son patrimoine, mais, dès qu'il s'agit de sacrifier son temps, on se montre extrêmement prodigue du seul bien à l'égard duquel l'avarice est honorable.

Il nous plaît donc de prendre à parti quelque vieillard dans la foule des autres : "Nous voyons que tu es parvenu au stade ultime de la vie humaine : cent ans ou plus pèsent sur toi. Allons ! Regarde derrière toi et fais le compte de ta vie. Dis combien, sur ce temps, t'ont pris ton créancier, ton ami, ton roi, ton client, tes disputes avec ta femme, la correction de tes esclaves, la course à tes mille obligations en ville. Ajoute les maladies fabriquées par nos soins, ajoute le temps inemployé : tu verras que tu as moins d'années que tu n'en comptes.

Rappelle-toi quand tu as été ferme dans une résolution, combien de tes journées ont suivi le cours que tu leur destinais, quand tu as disposé de toi-même, quand ton visage est resté impassible, ton cœur, intrépide, quelle œuvre tu as accomplie dans une si longue durée, combien de gens ont gaspillé ta vie sans que tu prennes conscience de la perte, tout ce que t'ont soustrait la douleur vaine, la joie stupide, le désir avide, la conversation flatteuse, quelle part infime de ton bien t'est restée : tu comprendras que tu meurs prématurément." »

« À l’heure de la mort, c’est une ressource bien consolante que le souvenir d’une belle vie. » (Cicéron)

« Quelle en est la cause ? Vous vivez comme si vous deviez toujours vivre, jamais votre fragilité ne vous vient à l'esprit. Vous ne remarquez pas combien de temps a déjà passé. Vous le perdez comme s'il coulait à flots, intarissable, tandis que ce jour, sacrifié à tel homme ou telle occupation, est peut-être le dernier. Comme des mortels, vous craignez tout, mais comme des immortels, vous désirez tout.

Tu entendras la plupart dire : "À cinquante ans, je prendrai ma retraite, ma soixantième année me délivrera de toute obligation." Et de qui donc as-tu reçu la garantie d'une vie plus longue ? Qui permettra que tout se passe selon tes dispositions ? N'as-tu pas honte de garder pour toi les restes de ta vie et de ne destiner à la sagesse que le temps qui ne peut être employé à aucune occupation. Qu'il est tard de commencer à vivre au moment où il faut cesser ! Quel stupide oubli de la condition mortelle que de remettre à cinquante et soixante ans les saines résolutions et de vouloir commencer la vie à un âge auquel peu d'hommes parviennent ! »

Notes :
1. Premier des Aphorismes d’Hippocrate.
2. Sénèque confond sans doute Socrate avec Théophraste.

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commentaires

P
En cette période de confinement dû au Covid-19, durant lequel de nombreuses personnes ont craint pour leur vie, j'ai eu largement le temps de réfléchir sur cette question. Pour moi, qui sait depuis toujours que la Mort fait partie de la Vie, je pense que tous comptes faits et quoique l'on dise et que l'on fasse, la Vie est la pire des maladies. Force nous est faite de le constater et de l'admettre, car la Vie nous mène inéluctablement à la Mort. A tout âge, du futur nouveau-né en formation au centenaire, et en tous lieux, libres ou confinés, saints ou cons finis, la Mort n'épargne personne. Mr de La Palisse en est un exemple fameux. Maréchal de France, mort à Pavie en 1525, à 55 ans, qui "un quart d'heure avant sa mort faisait encore envie" ! Pourtant ceux qui ne parlent que d'éternité, de vie éternelle, ne cessent de prier leur Dieu pour les maintenir en vie. Seule l'éternité et les espaces infinis sont réservés aux dieux !!
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Réflexion philosophique très intéressante. En effet, naître c'est inéluctablement mourir. Cordialement. TD