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6 mai 2019 1 06 /05 /mai /2019 14:10

MONUMENTS EN PÉRIL
RELATION ENTRE MONUMENTS ANCIENS,

HISTOIRE, ART ET CIVILISATION

« Ce n'est qu'au XVIIIe siècle que l'Europe redécouvrit son passé médiéval et, suivant l'enseignement de certains esprits éclairés, apprit à sentir l'humain de chaque œuvre dans tous les temps et tous les peuples.
Pour répondre à cet intérêt, à la même époque naissait l'archéologie scientifique, grâce à laquelle l'étude des vestiges de l'antiquité remplaçait la "
chasse aux trésors" des siècles précédents. Les fouilles miraculeuses de Pompéi et d'Herculanum, plus tard l'investigation des villes mortes du désert ou de la jungle, rendirent possible la résurrection de civilisations disparues. Les ruines prenaient un sens. Mais les châteaux aussi, et les vieilles demeures, les églises et les couvents revêtirent une signification nouvelle. »

Les monuments anciens, témoins précieux de l’histoire des hommes, des sensibilités, des techniques…

« De nos jours, nous en sommes arrivés au point que c'est toute l'histoire de l'emprise de l'homme sur la terre qui nous touche et que nous voyons écrite dans les monuments, ceux qui constituent l'expression des aspirations morales ou des conceptions sociales de leur époque, comme les constructions et les ouvrages destinés à satisfaire les exigences de la vie pratique.
Murailles, ports, aqueducs et canaux, ponts, voies anciennes ; restes d'industries disparues, témoins de la domestication des éléments par l'ingéniosité humaine : tout vestige qui exprime la pensée, tout ce qui signifie le triomphe de l'ordre humain sur l'ordre naturel nous paraît digne d'intérêt.
Même dans le cas de bâtiments à buts strictement utilitaires, il est rare de ne pouvoir déceler une recherche de l'élégance dans la solution des problèmes pratiques, en même temps que l'application d'heureuses proportions, d'un rythme, d'un jeu de lignes et de couleurs, d'un rapport de volumes suggestifs et en accord avec un site et un ciel donnés, tendant à une expression durable, elle aussi, qui procura satisfaction et joie au constructeur comme au spectateur.
Ce plaisir demeure, même après de nombreuses générations, même dans l'ignorance de l'histoire ou en l'absence des connaissances nécessaires à l'intelligence du langage artistique de l'époque, car la beauté répond à une aspiration profonde de notre être. »

Les monuments anciens, témoins précieux du passé, mais témoins fragiles

« A l'instant même où nous commençons d'apprécier ces trésors longtemps méconnus, nous sommes en mesure de juger de leur fragilité et de la gravité des dangers qui les menacent. Sous l'action de l'humidité ou de la sécheresse, du soleil ou du gel, du sable ou du vent, de la végétation ou des parasites, de la pollution de l'atmosphère, tout édifice ancien se désagrège lentement s'il ne fait pas l'objet de soins constants.
Cependant, un monument entretenu court aussi le risque de l'être trop ou de subir des rénovations exagérées. Un fâcheux voisinage, enfin, le dégrade. Car, pour ces créations de l'homme, l'homme lui-même est encore le plus redoutable adversaire. Et celui-ci n'est pas toujours le guerrier, le vengeur, le vandale, l'iconoclaste : l'urbaniste, l'ingénieur, le constructeur sont tout autant à craindre lorsque, préoccupés d'efficience pratique, ils limitent leur ambition à réaliser des programmes immédiats et s'avèrent incapables de juguler le dynamisme excessif de leur époque : pressions économiques, "
explosion" des cités, accroissement chaotique des banlieues et des zones industrielles.
L'exemple que fournissent les grands travaux hydro-électriques, les barrages qui submergent tous les biens culturels, les visibles comme les invisibles encore enfouis dans le sol, résume dans toute son ampleur et toute sa gravité le problème du choix entre l'héritage du passé et les exigences de l'avenir. Entre ces deux impératifs, un compromis doit à tout prix être trouvé : la sauvegarde des monuments de Nubie à la suite d'un appel lancé par l'Unesco nous prouve qu'il est réalisable, même à l'échelle internationale.
Et c'est bien à l'échelle internationale que la protection des monuments contre des dangers de destruction massive doit être recherchée. Rappelons qu'aucune construction ancienne ne résiste aux armes modernes, que par conséquent toute conservation des monuments est conditionnée par le maintien de la paix dans le monde, donc de la collaboration internationale. »

Les grands monuments, anciens ou nouveaux, comme les œuvres d’art :
facteur de rapprochement, créateurs de solidarité nationale et internationale

« Des vastes opérations de restauration effectuées au cours des dernières décennies, nous pouvons tirer une autre conclusion : c'est que nous disposons aujourd'hui des moyens techniques nécessaires pour protéger, réparer, restaurer, même à la rigueur déplacer n'importe quel monument.
En outre, il existe, dans bon nombre de pays, des législations et des organismes spécialement créés pour la protection des monuments — les unes pour réglementer les travaux, les autres pour veiller à leur exécution. En principe, nous serions donc équipés pour une conservation intégrale des richesses archéologiques et monumentales de la terre.
Mais une conservation intégrale ne risquerait-elle pas de transformer de vastes parties du monde en un musée géant ? Les défenseurs des monuments, même les plus convaincus, écartent eux-mêmes cette hypothèse et admettent que le progrès technique, irréversible, peut entraîner, dans certains cas, la condamnation d'édifices liés à des modes d'existence ou d'exploitation périmés. L'expérience prouve du reste qu'invariablement le dynamisme de l'époque l'emporte. C'est au prix d'immenses efforts qu'il est possible de sauvegarder un nombre limité de monuments.
Même pour atteindre ce résultat, il ne suffit pas d'une législation bien conçue et consciencieusement appliquée, d'une bonne organisation technique et de moyens financiers appropriés : la préservation des monuments n'est vraiment garantie qu'à partir du jour où les simples citoyens, prenant conscience eux aussi de la valeur de tel ou tel monument et de la perte irréparable que constituerait sa disparition, unissent leurs efforts pour faciliter cette préservation.
Il importe donc de les faire connaître et comprendre, de leur susciter des amis proches et lointains. Nous le pouvons aujourd'hui grâce à nos prodigieux moyens de diffusion. Telle silhouette d'un temple perdu au fond du désert devient vite familière aux lecteurs de revues, au public du cinéma, aux enfants des écoles.
Les touristes, une fois informés, ne demandent qu'à visiter les monuments qui jalonnent leurs itinéraires et qui servent de buts à des randonnées jusque dans les sites les plus reculés. Désormais, si le sort d'un monument est entre les mains de quelque service administratif que l'on peut espérer vigilant, l'intérêt qu'il suscite dépasse largement la sphère des spécialistes, son image est présente à l'esprit d'une masse d'hommes qui lui vouent leur sympathie, même s'ils appartiennent à d'autres pays et habitent parfois des régions très éloignées. »

En tout monument ancien, comme en toute œuvre d’art, il faut chercher la signification humaine

« Il est donc permis d'espérer qu'un tel état d'esprit, devenu universel, développera dans toutes les nations la conscience d'une responsabilité collective envers les monuments...

Nous nous apercevons, en fin de compte, que la question de la vie ou de la mort des monuments nous concerne de très près et se pose à nous en des termes nets : ou bien nous endossons envers l'avenir la responsabilité de laisser disparaître peu à peu une part des œuvres des civilisations passées, et nous renonçons de ce fait à permettre aux générations futures de connaître les œuvres que le passé nous a léguées et que nous sacrifions à l'attrait de l'aventure grisante et orgueilleuse d'un monde neuf qui serait la négation de l'ancien ; ou bien nous acceptons le principe de la solidarité humaine dans le temps comme dans l'espace et, avec un nouvel état d'esprit, nous nous insérons dans la chaîne de l'histoire, sachant que nous vivons dans un temps qui n'a plus besoin de détruire pour créer, qui est parfaitement capable d'inclure dans ses plans d'avenir les plus audacieux le respect de l'héritage du passé, et qui possède les moyens de faciliter à l'homme d'aujourd'hui le dialogue avec les grandes œuvres de ses ancêtres.

En adoptant la seconde attitude, nous augmenterions sans doute les chances de voir s'édifier une civilisation plus humaine, où la connaissance du passé trouverait sa place à côté des découvertes par lesquelles l'humanité s'efforce d'améliorer son avenir. »
                                                                                                                                              Le Courrier de l’UNESCO, janvier 1965

 

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