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17 mars 2019 7 17 /03 /mars /2019 08:47

AIDE À L’AFRIQUE : UN PLAN MARSHALL ? (2)

Pour la rédemption et l’émergence
Un Plan Marshall de la Culture et du Savoir

Désenvoûter les esprits et les imaginaires de l’emprise du matérialisme aliénant, condition de l’émergence en Afrique

C’est une véritable déconstruction de la culture du « m’as-tu vu », celle du bruit et du tapage, du rutilant et des flonflons, soutendue par le besoin effréné de l’argent facile qui n’a d’autre finalité que l’exposition de soi, pour en imposer aux autres.
Les armes les mieux indiquées à cette fin sont celles qui libèrent l’esprit de cette culture factice, destructrice de ce qui fait le meilleur de l’homme.
Comment parler de culture moderne sans parler du livre, de l’école, de l’éducation ?
Or, en Afrique, ces supports de l’intelligence, de la culture, de la créativité, de l’invention et de l’innovation, sont, sinon ignorés ou méprisés, du moins remisés au rang des accessoires, sans valeur.

Réconcilier les Africains avec la culture au sens large : littérature, sciences, arts sous toutes leurs formes

Des indices patents du déclassement de l’Afrique dans les domaines vitaux de la culture moderne : on ne cherchera pas des noms africains parmi les lauréats mondiaux de Prix Nobel dans les différentes disciplines littéraires et scientifiques. L’Afrique a toujours brillé par son absence.
De même pour les Arts : le Musée du Louvre constitue à cet égard un indicateur précieux.

L’Art, lieu de rencontre des esprits et des cœurs, lieu d’humanisation et de la manifestation de l’Universel

L’année 2018 a consacré le Louvre comme le premier musée au monde, avec 10,2 millions de visiteurs.
Sur la liste des nations à l’origine de cette promotion exceptionnelle du Louvre, après la France et les États-Unis, vient la Chine.

Visiteurs par pays d’origine. Musée du Louvres. 2016 à 2018.

Si l’on compte trois pays d’Asie (Chine, Inde, Corée) et quatre pays d’Amérique, on ne compte aucun pays d’Afrique. Mieux, parmi les 100 premiers musées du monde, ne figure aucun pays d’Afrique.
Comment ne pas établir un rapport entre le rang occupé par ces pays dans le domaine des arts et de la culture avec leur rang dans le palmarès mondial du développement (IDH) publié chaque année par la Nations unies ?
Autrement dit, peut-on dissocier l’art du développement global d’un pays ? L’art comme moyen d’épanouissement, de liberté de vivre, vivre comme on l’entend, de créer des émotions ? L’art comme rencontre des esprits et des cœurs ? Comme promoteur de solidarité entre les êtres humains ?

Un mal ancien : le désamour entre l’Afrique subsaharienne et le livre

Les premiers contacts avec les Européens, dès le 16e siècle, voire avant, puis la période coloniale, ont créé dans l’esprit des Africains en général, un rapport négatif entre le livre et tout ce qui s’y rapporte, venant des  « Blancs ».
Cette vision négative du libre vient d’une part de la violence des premiers contacts inscrits dans l’ère de la traite des Noirs, puis de l’attitude des rois de la côte africaine pour qui le livre était une affaire de Blancs qu’il fallait laisser aux Blancs.
Ainsi s’exprime le roi de Bonny au 18e siècle, face à un émissaire du parlement britannique venu lui demander de mettre un terme à la traite des Noirs :
«
 Dieu Tout Puissant nous a faits ainsi. Nous croyons que Dieu nous a faits tous, et a fait que l’homme blanc sait lire dans des libres et nous, non, chacun son destin… »
Ce roi africain n’a pas eu le réflexe de se poser des questions sur l’origine ou les raisons de la supériorité technique des Blancs ; pour lui, cela ne pouvant venir que de Dieu.

La colonisation  européenne du 19e siècle ne mit pas un terme à cette croyance

Pour nombre d’Africains, refuser la domination coloniale se confondit avec le refus de l’« école des Blancs » et de tout ce qui rappelle cette domination : école, livre, mais aussi impôt, et même la vaccination.
Du reste, la date des vaccinations collectives contre des pathologies courantes sur le continent, ou des épidémies, donnait lieu à une fuite de la totalité des habitants des villages vers la brousse, la forêt, ou les montagnes. Les villageois s’y réfugiaient tout le temps de la présence des agents dépêchés par l’administration centrale pour cette cause.
Refuser tout ce qui venait des Blancs, c’était une façon de résister à leur domination.
Comme les rois africains des 16e-18e siècles, ceux qui ont vu arriver les Européens en conquérants au 19e, n’ont pas songé un seul instant à mettre en rapport la domination qui suivit leur défaite, et la science ou la technique à l’origine de la puissance des colonisateurs, bref, l’école et l’instruction comme sources de savoirs multiples, théoriques et techniques. Plutôt que de s’en inspirer, ils considérèrent comme des maléfices du "Grand Sorcier Blanc",à éviter et à fuir, tous les instruments créés grâce à la science et à la technique qui ne sauraient exister sans l’étude dans les livres ou à partir de savoirs contenus dans les livres. Le livre pâtit ainsi de cette attitude de refus systématique de tout ce qui pouvait représenter ou rappeler le colonisateur.
Mais, ce refus provenait pour une bonne part de la brutalité, voire de la cruauté avec laquelle les populations illettrées étaient traitées par les agents autochtones qui constituèrent les tout premiers auxiliaires de l’administration coloniale, tout particulièrement les trop fameux gardes-cercles.

« Le garde-cercle et l’interprète

Le premier fonctionnaire africain que les populations noires ont connu fut le "garde-cercle" ; vint ensuite l’interprète. L’un et l’autre ont marqué profondément la conscience et l’imaginaire de l’Africain ; le premier par sa brutalité sauvage envers les populations et le second par la malhonnêteté inqualifiable, son habileté cynique à travestir les ordres et le propos du chef blanc à son seul profit et aux dépens des pauvres masses abruties et assujetties.
Cet esprit, ce mauvais modèle semble être resté ; aucune éducation n’a pu l’extirper de la conscience ou du subconscient des Africains, pour la plupart desquels être fonctionnaire signifiait avant tout s’enrichir, aux dépens des particuliers, surtout des illettrés, c’est- à- dire des plus faibles et des plus vulnérables. Mais, cette culture de fraude et de rapine s exerçait aussi aux dépens de l’État dont ils n’avaient qu’un sens fort peu développé, ou dont ils n’avaient pas du tout le sens. Ne disait-on pas à l’époque : « voler le Blanc, ce n’est pas voler ! Blanc se confondant alors avec l’État).

 

Le garde-cercle et l’interprète sont en Afrique les premières catégories sociales directement issues de la présence du colonisateur ; à peu de distance, suivra la "caste" des commis. Le garde-cercle, personnage haut en couleur, à peine lettré le plus souvent, est le tout premier auxiliaire de l’administration coloniale ; reconnaissable de loin à sa fameuse chéchia rouge, son uniforme kaki à la culotte flottante et son gourdin à la hanche, ses pieds dansant dans d’énormes "godasses" et son sifflet pendant au flanc, ainsi que sa mine de dresseur de fauves, il est l’intermédiaire unique entre l’administrateur colonial, le Blanc, commandant de cercle, ou le chef de subdivision, et les populations, celles de la brousse principalement. C’est lui qui est chargé de transmettre et de faire exécuter les ordres de ces chefs blancs. Pour cela, il va de village en village annoncer aux masses paysannes atterrées et terrorisées les volontés du maître blanc. Sa venue au village donne lieu à un branle-bas sans nom ; elle est rarement signe de bonheur ou de bonne nouvelle, car c’est tantôt pour réclamer l’impôt auquel les masse ne sont pas habituées, tantôt pour réclamer des troupes pour l’armée coloniale pour demander que les familles inscrivent leurs enfants à l’école, ou pour les travaux forcés, sinon tout simplement pour annoncer la tournée prochaine du commandant, ou du chef  blanc de la subdivision dans la région, à moins que ce ne soit pour distribuer des convocations destinées soit au chef du village, soit à d’autres habitants qui doivent alors se rendre au chef-lieu administratif.

Dès son entrée dans le village, tous les habitants sont rassemblés illico par le soin du chef du village, et tous écoutent terrifiés le garde exposer le motif de sa venue. Mais le plus pénible sans doute pour le paysan c’est la présence même du garde-cercle, car il vit sur l’habitant, il vit du villageois, le rançonne, le menace de prison et de mort, lui extorque ses biens, dispose de sa femme et de ses filles, bref se libre à toutes sortes d’excès sur les populations : c’est l’autorité absolue et son pourvoir est sans limite, à tel point que le paysan a deux souhaits fondamentaux dans l’année, souhaits qu’il exprimes lors de sacrifices rituels offerts aux mânes des ancêtres et aux dieux du foyer ou du clan : le premier de ces souhaits est que la pluie tombe en abondance, et que la récolte soit abondante ; le second, que le village ne reçoive pas la visite du garde-cercle. Les villages la reçoivent toujours à l’occasion de la venue du commandant qui arrive flanqué de l’interprète et suivi du garde.

L’interprète "traduit" aux populations dans les langues africaines (il en parle généralement plusieurs), la volonté du commandant. Si ce dernier doit sévir, c’est le garde qui a la charge de donner la gifle, le coup de pied ou les coups de bâton. Si quelqu’un doit être arrêté et jeté en prison, c’est encore le garde qui se saisit de lui. Quant à l’interprète, son autorité ne pâlit en rien face à celle du garde. La seule différence, c’est que lui, on ne le voit qu’en compagnie de l’administrateur blanc. Relativement plus lettré que le garde, il est aussi mieux habillé. C’est lui qui traduit la pensée, les ordres et les volontés du maître, et il les traduit selon son humeur, ses goûts, mais toujours selon ses intérêts. »
                                                                                            (Voir Tidiane Diakité, L’Afrique malade d’elle-même)

 

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