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24 février 2019 7 24 /02 /février /2019 09:04

LA FRANÇAISE D’HIER ET D’AUJOURD’HUI, SELON JEAN GIRAUDOUX

Une évolution au long cours

Jean Giraudoux (1882-1944)

Jean Giraudoux (1882-1944), écrivain et diplomate français. Après une carrière de romancier, il devient dramaturge, auteur de nombreuses pièces de théâtre qui lui assurent une notoriété durable.

La Femme ou la Française ?

« La Française

Avant d'étudier la Française en particulier, peut-être est-il utile de soumettre à un examen la notion de femme, de femme en général, telle qu'elle nous a été transmise depuis des siècles sans que nous ayons voulu y voir de changement et rechercher si elle est vraiment la même.
Quelles sont les principales assises de cette notion ? Nous pouvons, à première vue, en dégager deux : 1° La femme n'est pas physiquement l'égale de l'homme ; 2° La femme est le principe et la raison du foyer, ou, pour exposer la question sous un autre angle, la femme, par la qualité de ses sentiments, est un être essentiellement affectif qui ne peut vivre qu'en fonction d'un autre être. Examinons l'un après l'autre ces deux points. »

La Française aujourd’hui
Quelle évolution ?

« En ce qui concerne l'inégalité physique de la femme, on peut dire que, dans une époque qui ne semble pas devoir être très lointaine, la question ne se posera plus. Je ne veux pas parler de l'amélioration causée par les sports et le retour à la vie naturelle, qui est cependant très sensible. Je veux parler des modifications de la vie moderne. Sa simplification théorique donne le monde aussi bien aux femmes qu'aux hommes, et je parle justement de sa direction et de son exploitation matérielles. Du jour où la civilisation a consisté, pour mettre un train en marche à déplacer une manette, pour convoquer un personnel à appuyer sur une sonnette, pour avoir chaud à tourner une petite roue, on ne pouvait plus parler, dans sa conduite, de femme et d'homme. Chacun des nouveaux instruments créés par elle est maintenant créé pour les deux sexes, que ce soit l'automobile, l'avion ou même la chambre de chauffe et le poste électrique. Aucun des exploits célèbres accomplis par des hommes, autrefois, n'aurait pu l'être par des femmes. Du temps d'Hercule, il n'y avait pas une femme pour battre Hercule. On peut concevoir aujourd'hui que Lindberg ait pu être une femme, ou qu'une femme aille bombarder une ville étrangère. C'est, si vous le voulez, plutôt que l'égalité physique, l'égalité matérielle. »

La guerre
Les progrès techniques
       La culture
       Facteurs d’émergence de la femme en France

« Cela ne va pas, d'ailleurs, sans grave préjudice pour la femme. A mesure que le monde lui est acquis, le foyer se retire. De deux façons. D'abord, parce que le rôle pratique et économique du foyer se restreint. Les raisons qui poussaient jadis un homme à fonder un foyer n'étaient pas toutes d'ordre sentimental. L'épouse justifiait son utilité par une valeur économique réelle. "Tisser, broder, coudre, cuisiner, comme dit Gina Lombroso, n'étaient pas encore comme aujourd'hui des opérations mortes dont les innovations et les améliorations n'appellent plus la louange, ne confèrent plus de prestige"...
Pour la première fois depuis la lointaine époque du paradis terrestre, Adam et Eve se retrouvent sur un pied de relative égalité. Tous les corps étendus au soleil en juillet sur le contour de notre pays, et qui font de la France un soleil terminé par des jambes françaises comme rayons, ont l'air de participer à une expérience générale qui est de nous redonner l'homme et la femme égaux, de nous redonner Adam et Eve.
Que vont-ils faire de cette égalité nouvelle ? Sûrement, comme je les connais, une nouvelle inégalité, et peut-être inverse, cette fois, comme ils l'ont fait en Amérique, où la femme, en revendiquant tous les droits de la force, n'a entendu abdiquer aucun des droits de la faiblesse.
Voilà un aperçu de la question féminine en général. Où en sommes-nous en France ?
En France, nous trouvons d'abord la femme qui, sur un rythme plus rapide, vit de la vie de sa mère ou de ses grand-mères. Son existence gravite autour du mari, ou de l'homme qu'elle aurait dû épouser. Elle est tout entière tournée vers les anciens droits, les anciens devoirs, les anciens soucis. Elle préfère les occupations aux préoccupations. Elle se plaît aux travaux ménagers, y prend plaisir, se trouve ennoblie par eux. Elle considère que son rôle n'est pas de gagner de l'argent, mais d'en économiser. Elle se rend très bien compte que ce qu'on appelle l'avènement de la femme est la déchéance du couple. Elle a vu, grâce à la guerre, assez clair sur l'hypocrite statut de ce couple, mais elle s'en satisfait. Toutes les femmes de paysans, par exemple, qui appartiennent à ce groupe, se sont rendu compte que, dans ces tâches où l'homme était de toute éternité irremplaçable, elles pouvaient très bien le remplacer. Elles ont semé, elles ont labouré, elles ont sarclé, elles ont pris soin des gros animaux. Le blé a levé, les gros animaux ont prospéré. Mais, le mari une fois revenu, elle s'est redonnée à ses occupations plus modestes et a repris les petites bêtes, les poules, les lapins et les canards, le dindon marquant la limite quelque peu métaphorique au delà de laquelle commence le royaume masculin.
Il en est de même de la petite bourgeoisie, du petit commerce, partout où cette réserve passionnée qui est la caractéristique de la femme peut se changer en bon sens, où, au prix d'un hommage public accordé à la supériorité du mari, la femme peut, dans son ménage, diriger sans commander, et où le mirage de la vie moderne n'est pas assez fort pour vaincre les préjugés, les traditions, ou pour être un appel. »

La Française d’hier
La Française d’aujourd’hui
       Convergences et divergences

« Du fait qu'elle est fidèle sur ce point à la tradition, cette catégorie de Françaises se sent liée à toutes les traditions du pays. Bref, elle se sent trop l'égale de l'homme pour se froisser d'une apparente inégalité. Elle passe son temps au travail, dissimulé ou apparent, sa vie est un tissu de labeurs, de charges. Bourgeoise, elle nourrit et élève les enfants. Paysanne, elle fait les métiers des champs, mais la notion de repos qui plane comme un nimbe au-dessus de la femme mariée la plus consumée par le travail, lui suffit, et elle continue, affairée jusqu'à une mort d'activité ou d'épuisement, autour de l'homme qui a pris sa retraite.
A l'opposé de ces gardiennes de la tradition, formant déjà une masse que chaque jeune génération grossit, nous trouvons une variété de femmes sans habitudes, sans préjugés, sans hostilité vis-à-vis de la domination masculine, qui essaie de s'adapter à la vie d'aujourd'hui. Elle n'est pas libérée, elle est naturellement libre. De toutes les beautés de vie qu'on lui faisait payer autrefois par des entraves secrètes, elle s'approche avec lucidité et préfère et réclame des entraves visibles. Elle croit au mariage, mais elle n'y voit plus le havre définitif, le refuge, qui doit la retirer au travail et à la solitude. Elle est sensible, elle croit à la passion, mais elle ne se fait d'ailleurs pas d'illusions extraordinaires sur son éternité. Elle croit à l'enfant, elle le désire, mais l'enfant n'est plus pour elle un gage, un otage vis-à-vis d'une famille ou d'une société défaillante. Elle croit à l'homme. Elle le connaît mieux que ses aînées. Elle a pour lui l'estime qu'on a pour un être chargé de terribles responsabilités et arraché à son équilibre par une crise terrible, la camaraderie qu'on a pour un compagnon de traversée, et aussi la légère pitié qu'on a pour un être sinon égoïste du moins distrait. Elle n'a pas une connaissance suffisante de l'ancien monde pour se sentir dépaysée dans le nouveau. »

Hier comme aujourd’hui
La femme, axe central de la vie sociale

« Tout, dans ce monde, ne paraît point à ces femmes souhaitable ni parfait. Elles ont la vie plus ardue que leurs mères, car elles s'efforcent de concilier leur tâche de femme et leur travail. Elles n'ont pas cette facilité de l'homme, qui, dans un égoïsme ou une habileté dus à des habitudes séculaires, sait généralement faire alterner les différentes phases de sa vie, qu'il s'agisse de sa vie de travail ou de sa vie sentimentale, sans qu'elles chevauchent ou dépendent l'une de l'autre. Elles ont un adversaire terrible (qui n'est pas la solitude, car — et c'est la plus grande conquête de la femme — elle a conquis sur l'homme le droit d'être en étant seule), un adversaire qui est la fatigue. Elle est plus entamée que l'homme par ce que les temps ont de dur, impitoyable. Mais, en revanche, elle a plus d'espoir. Être humain nouvellement révélé à soi-même, elle est plus apte que l'homme à éprouver des sentiments neufs devant ce monde moral et terrestre que l'homme connaît comme s'il l'avait fait et que, malheureusement, il a fait en partie. Elle en voit mieux à la fois l'horreur et le pathétique, la cruauté et la générosité. Alors que la vie de sa mère n'était qu'un long dévouement et aussi une longue revendication, elle croit moins à la récrimination qu'à la réserve, moins à la retenue qu'à la gaieté, moins à la coquetterie qu'à la santé. Car elle cherche, dans le sport, aussi, l'entraînement à cette indépendance qui n'est pas pour elle le but idéal, mais qu'elle est bien obligée de subir, car n'est pas prisonnières qui veut. Rien d'hérétique dans son cas. Vous vous rappelez ce verset de la Bible décrivant la vraie femme : "Elle est sortie seule de sa maison. Elle a affermi son bras. Elle n'a pas mangé son pain dans l'oisiveté. Revêtue de force et de beauté elle sourira au dernier jour".
J’ai l'impression que la femme qui ressemble le plus à ce portrait est justement celle que je viens de vous décrire. »

                                                                                                            Jean Giraudoux, La Française et la France (Œuvre posthume, Gallimard, 1951)

 

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