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23 septembre 2018 7 23 /09 /septembre /2018 07:26

AFRIQUE : LES PRINCIPALES ENTRAVES À L’ÉMERGENCE (4)

Pour les lettres et les chiffres, l’Afrique en marge

 

Réconcilier l’Afrique avec le livre et l’écrit, la lecture et les chiffres :

       Une mission de salut public pour l’Afrique et pour le monde

L’urgence, c’est ouvrir les yeux pour ouvrir les consciences par une véritable promotion du livre, la culture de l’écrit, afin de mettre l’Afrique au diapason du monde, en la sortant des ornières de l’Histoire où elle gît et patauge depuis plus de six siècles.

Cette révolution des consciences n’a que trop tardé. Ce faisant, l’Afrique s’est laissée trop ballotter, piétiner, humilier. Elle n’a plus le privilège, comme les nations et peuples d’Europe, d’évoluer progressivement, de s’adapter sans à-coups, aux transformations du monde, à la vie moderne.

L’Afrique est en retard, elle n’a plus le luxe de traîner. D’où l’urgence de cette prise de conscience pour avancer, la tête haute, vers l’émergence, résolument. Sinon, elle restera longtemps encore en marge, comme elle l’est depuis le 16e siècle, et les Africains continueront d’être ces « damnés » de la terre qu’ils sont depuis tant de temps,  végétant entre mépris et condescendance.

Dans cette démarche de remontée (si l'Afrique en a la volonté),  vers la surface, vers les autres et vers elle-même, elle peut, avec intelligence et discernement, se nourrir de l’expérience d’autres régions comparables dans le monde, qui sont, elles aussi, passées de la domination politique, économique et culturelle, à la souveraineté véritable, à l’émancipation et à l’émergence, sans pour cela copier servilement, mais en gardant à tout prix ses valeurs et sa personnalité. Le tout, c’est d’avoir une vision, la détermination, mieux, la foi.

L’Afrique et les Africains dans le regard de l’Européen au début du 20e siècle

« Il est, dans nos colonies d’Asie, et du Moyen-Orient, des races à qui notre civilisation doit beaucoup.

La grande Asie millénaire nous a jadis comblés de ses dons. Sa plus lointaine antiquité à fourni la floraison merveilleuse de la culture grecque, de nobles germes d’art et de pensée.

La vieille Chine a changé l’allure du monde en inventant l’imprimerie, la poudre, la boussole.

L’islam sarrasin a enrichi et revivifié l’Occident médiéval obscurci de pesantes ténèbres, de toutes les splendeurs de la littérature, de la poésie et de l’esthétique persane et arabe ; et la renaissance actuelle de l’islam n’est explicable que par la force des survivances d’un passé éclatant. » [Albert Sarraut, Grandeur et servitude coloniales, 1931] (Voir aussi article de blog du 09/10/2016, « La France et ses colonies d’Afrique dans l’entre-deux-guerres : 1919-1939).

 

Et les peuples d’Afrique noire ?

« … Auprès des races brunes et jaunes de l’Asie, qui peuvent alléguer leurs titres magnifiques dans l’histoire, les races noires de l’Afrique se présentent les mains à peu près vides devant la confrontation européenne.

Leur contribution au progrès est pour ainsi dire inexistante. Les Noirs sont bien, pour le moment, les "frères attardés" ». [Idem]

 

Verdict sévère, mais, avec un droit d’appel. Le « pour le moment » est apprécié. En conséquence, il ne ferme pas la porte à ces peuples noirs qui peuvent, à tout moment, infirmer ce jugement. Cela ne dépend que d’eux, d’eux seuls.

L’administrateur colonial et historien, Maurice Delafosse, complète le tableau :

« Jusqu’ici en effet, l’Afrique noire ne nous a livré aucun monument, en dehors de quelques ruines qui ne racontent pas leur histoire et qu’on ne sait à qui attribuer, ou de quelques tombeaux qui peuvent aussi  bien remonter à cinquante ans qu’à cinq mille ans et dans lesquels on trouve de tout sauf des indications précises, à moins qu’une inscription arabe ne vienne nous apprendre qu’il s’agit de sépultures modernes.

Les Noirs n’ont rien écrit, à l’exception de rares ouvrages en arabe dont les plus anciens que l’on possède actuellement datent du XVIe siècle et qui, copiés le plus souvent les uns sur les autres, ne renferment, sur l’histoire ancienne du pays que quelques pages, ou ce qui peut être la vérité, se trouve obscurci par la légende et par le souci de tout rattacher à l’islam et à la famille de Mahomet. [en Afrique de l’Ouest]

Beaucoup plus nombreuses et plus riches sont les traditions conservées oralement parmi les indigènes, mais elles sont devenues bien confuses dès qu’il s’agit de faits remontant à plusieurs siècles et, sans aucunement nier leur valeur, il convient de n’user de cette source de renseignements qu’avec la plus extrême prudence.

Lorsque par hasard des renseignements géographiques ou ethniques semblent se rapporter aux Nègres ou à leur pays, ils sont noyés dans un amalgame d’impossibilités et d’obscurités d’où il est extrêmement malaisé de faire jaillir la lumière. » (Voir aussi article de blog du 02/07/2011, « Écriture de l’histoire).

 

Une image écornée par l’histoire et des historiens, à reconstruire : par les Africains, dans la vérité et l’éthique de l’histoire

Telle est l’image de l’Afrique noire, telle qu’elle apparaît aux Européens à l’orée du 20e siècle, et s’imprime dans leur mémoire pour la durée.

 

Écrit, art, culture

Qu’est-ce qui a donc manqué aux peuples d’Afrique noire par rapport à ces peuples d’Asie et du Moyen-Orient dont le passé est si magnifié par les Occidentaux ?

Et c’est précisément parce qu’ils sont adossés au souvenir de ces brillantes civilisations du passé, à leur splendeur restée vivace dans les mémoires, que ces peuples (Chine, Inde, Japon, Iran…) relèvent  aujourd’hui la tête, pour remettre en question et contester la domination européenne, et manifester la volonté de concurrencer les peuples européens et les dépasser demain, en se servant ainsi du rayonnement culturel de leur passé, rayonnement fondé sur la culture de l’écrit dont découlent l’art, l’architecture, l’application concrète des mathématiques, de la géométrie tout particulièrement.

 

« Les chiffres et le calcul, partant l'écrit, constituent ces instruments de découverte, d'exploration, d'ordonnancement, de déconstruction et de reconstruction du monde et de soi.

La colonisation hier, l'esclavage avant-hier, la néocolonisation (sous ses formes multiples), bref, toutes ces phases de l'Histoire où l'Afrique a été vaincue, dominée, humiliée par l'Occident ne peuvent se justifier sans la conscience que l'Afrique a échappé à cet enfantement fondateur au cours des siècles, source et moteur de transformation du monde. Mais le fait d'en être conscient devrait permettre aux Africains de concevoir et de forger les outils de leur refondation culturelle, enrichis de ceux venus d'ailleurs et aujourd’hui à leur portée. L'absence d'écriture (plus précisément de culture de l'écrit) a valu à l'Afrique des millénaires de vie culturelle méconnue, les artistes africains anciens n'ayant pas signé leurs œuvres. Sur les centaines de milliers d'objets d'art africains introduits en Europe aux XIXe et XXe siècles, d'abord par des explorateurs, puis par les colonisateurs, on ne relève aucun nom ; aucun ne porte la signature de son auteur. Or l'art - peinture, sculpture, musique... - a besoin de cette matérialisation par la signature, qui sert d'intermédiaire entre l'artiste et son public.

Racontée, la vie de l'artiste confère une densité supplémentaire à l'œuvre, contribue à sa connaissance ainsi qu'à son analyse. En même temps qu'elle lui garantit la durée, l'écriture lui donne une identité.

Un tableau anonyme a moins de rayonnement qu'un tableau identifié, inséré par conséquent dans un contexte historique et culturel qui l'enrichit. C'est l'écriture qui donne à l'œuvre l'épaisseur qui transcende le temps. Elle lui garantit cette bruissante et luisante immobilité qui est immortalité.

[…]

L'écriture, le papier, les chiffres, le calcul, mis au service des armes, ont assuré la suprématie militaire des Arabes hier, des Occidentaux aujourd'hui. Le papier est indissociable de ce qu'il est convenu d'appeler « le miracle arabe ». Si les Arabes, petit peuple surgi du désert de sable aride et brûlant, au VIIIe siècle, ont su conquérir en l'espace de quelques décennies un empire aussi vaste et organisé, c'est grâce à l'écriture, qui leur permit de traduire les connaissances des peuples conquis et de s'imposer par les armes avant de briller par les sciences et la culture du VIIIe au XIIIe siècle.

La foi, confortée par l'écriture et le papier, fut le tremplin pour les conquêtes, les victoires, ainsi que pour le rayonnement scientifique et culturel du monde musulman.

[…]

À Fez, au Maroc, dès 1184, quatre cents moulins à papier "fonctionnaient à plein". Ce seul fait contient déjà en germe la victoire de 1591 du sultan du Maroc Moulay sur l'empereur de Gao l'Askia Ischac. Le chef de sa petite troupe de mercenaires vainquit facilement les trente mille soldats de l'empereur sonrhaï (ou de Gao, du Mali actuel) ; les soldats marocains étaient armés de mousquets (arme moderne de l'époque) face aux soldats de l'empereur sonrhaï armés de bâtons.

Soldats africains, croyant faciliter leur victoire, s’étaient abrités derrière des centaines de bœufs pris pour bouclier. Ces bœufs, effarouchés aux premiers coups de mousquets, pris de panique, se retournèrent contre eux et les chargèrent.

[…]

L'écrit rassemble et fédère les esprits, unit les générations et pose des passerelles entre elles, clarifie et synthétise les idées et les concepts mieux que la parole. Il vainc l'oubli et permet la confrontation du passé et du présent dans une dynamique de progrès. L'écriture est sans conteste "la plus grande des révolutions", celle qui façonne la pensée, arme l'esprit pour la conquête de soi et de l'univers. C'est "l'outil de l'intelligence" créatrice par excellence. Sans l'écriture, il n'est ni héros ni génie. Elle fut le ciment des différentes composantes de l'Empire musulman comme de l'Empire carolingien en favorisant le sentiment d'unité, consolidant en cela l'impact religieux, lui-même fédérateur. En Occident, les peuples furent rassemblés et fédérés au Moyen Âge par Charlemagne sous la bannière du christianisme. Sous cet empereur, l'écriture carolingienne, la "Caroline", fut inventée afin d'unifier l'empire, c'est-à-dire l'Occident chrétien. D'une manière générale, la foi chrétienne fut indéniablement le ciment de l'unité européenne depuis le IVe siècle, grâce à la Bible, donc grâce à l'écriture.

Les croisades du Moyen Âge ont renforcé ce sentiment d'unité de "peuple européen" face aux autres, à ceux d'autres religions. Rien de tel en Afrique, qui ne connut aucun de ces liants, et où le cloisonnement géographique, renforcé par le défaut de culture écrite, renforça la segmentation des peuples, la méfiance réciproque, le sentiment d'insécurité à l'égard d'autres groupes. Les peuples du Sahel constituent l'exception dans une moindre mesure par l'organisation d'États, royaumes et empires fédérateurs et puissants. Au moment même où l'imprimerie consolidait les États naissants de l'Europe des XVe et XVIe siècles, les quelques États africains célèbres du Moyen Âge périclitèrent au contact des Européens, vaincus par la science et les techniques militaires, filles de l'écriture et du calcul.

Par ailleurs, le lien entre les sciences et la guerre est établi depuis les temps les plus anciens. Les équations et la balistique vont de pair. Galilée, qui a ouvert l'ère de la science positive ainsi que celle de la recherche rationnelle, et dont les écrits sont devenus le ferment de l'Europe savante du XVIIIe siècle et des siècles postérieurs, a lancé l'idée que la langue mathématique "permet de lire le grand livre de la nature", et que cette même langue faisait la force des armées. Il mit en effet la science mathématique et physique ainsi que ses travaux scientifiques en général au service de l'arsenal de la marine de Venise, qui lui doit tant de victoires. » [Tidiane Diakité, 50 ans après, l’Afrique, Arléa].

 

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