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15 avril 2018 7 15 /04 /avril /2018 07:32

LES DEUX MAINS, COOPÉRATION ET COMPLÉMENTARITÉ

Henri Focillon : Éloge de la main

Henri Focillon (1881-1943)

 

Henri Focillon, agrégé, docteur-ès-lettres. Historien de l’art et esthéticien français. Directeur du Musée des Beaux-arts de Lyon, professeur d’art et d’esthétique à la Sorbonne (1933), professeur au Collège de France, il fut également chargé de cours dans des universités américaines. De la fin du 19e siècle et la première moitié du 20e, son influence fut considérable sur l’histoire de l’art en France, en Europe et aux États-Unis.

La main, un organe supérieur méconnu

« Éloge de la main

J'entreprends cet éloge de la main comme on remplit un devoir d'amitié. Au moment où je commence à l'écrire, je vois les miennes qui sollicitent mon esprit, qui l'entraînent. Elles sont là, ces compagnes inlassables, qui, pendant tant d'années, ont fait leur besogne, l'une maintenant en place le papier, l'autre multipliant sur la page blanche ces petits signes pressés, sombres et actifs. Par elles l'homme prend contact avec la dureté de la pensée. Elles dégagent le bloc. Elles lui imposent une forme, un contour, et, dans l'écriture même, un style. »

 

Les mains actionnent le cerveau et créent l’action

« Elles sont presque des êtres animés. Des servantes ? Peut-être. Mais douées d'un génie énergique et libre, d'une physionomie — visages sans yeux et sans voix, mais qui voient et qui parlent. Certains aveugles acquièrent à la longue une telle finesse de tact qu'ils sont capables de discerner, en les touchant, les figures d'un jeu de cartes, à l'épaisseur infinitésimale de l'image. Mais les voyants eux aussi ont besoin de leurs mains pour voir, pour compléter par le tact et par la prise la perception des apparences. Elles ont leurs aptitudes inscrites dans leur galbe et dans leur dessin : mains déliées expertes à l'analyse, doigts longs et mobiles du raisonneur, mains prophétiques baignées de fluides, mains spirituelles, dont l'inaction même a de la grâce et du trait, mains tendres. La main est action : elle prend, elle crée, et parfois on dirait qu'elle pense. Au repos, ce n'est pas un outil sans âme, abandonné sur la table ou pendant le long du corps : l'habitude, l'instinct et la volonté de l'action méditent en elle, et il ne faut pas un long exercice pour deviner le geste qu'elle va faire. » ...

 

Les mains, témoins du passé, moteur du présent et de l’action au quotidien

« Quel est ce privilège ? Pourquoi l'organe muet et aveugle nous parle-t-il avec tant de force persuasive ? C'est qu'il est un des plus originaux, un des plus différenciés, comme les formes supérieures de la vie. Articulé sur des charnières délicates, le poignet a pour armature un grand nombre d'osselets. Cinq rameaux osseux, avec leur système de nerfs et de ligaments cheminent sous la peau, puis se dégagent comme d'un jet pour donner cinq doigts séparés, dont chacun, articulé sur trois jointures, a son aptitude propre et son esprit, une plaine bombée parcourue de veines et d'artères, arrondie sur les bords, unit au poignet les doigts dont elle recouvre la structure cachée. Son revers est un réceptacle. Dans la vie active de la main, elle est susceptible de se tendre et de se durcir, de même qu'elle est capable de se mouler sur l'objet. Ce travail a laissé des marques dans le creux des mains, et l'on peut y lire, sinon les symboles linéaires des choses passées et futures, du moins la trace et comme les mémoires de notre vie ailleurs effacée, peut-être aussi quelque héritage plus lointain. De près, c'est un paysage singulier, avec ses monts, sa grande dépression centrale, ses étroites vallées fluviales, tantôt craquelées d'incidentes, de chaînettes, et d'entrelacs, tantôt pures et fines comme une écriture. On peut rêver sur toute figure. Je ne sais si l'homme qui interroge celle-ci a chance de déchiffrer une énigme, mais j'aime qu'il contemple avec respect cette fière servante. »

 

« Elles ne sont pas un couple de jumeaux passivement identiques. Elles ne se distinguent pas non plus l'une de l'autre comme la cadette et l'aînée, ou comme deux filles aux dons inégaux, l'une rompue à toutes les adresses, l'autre, serve engourdie dans la monotone pratique des gros travaux. Je ne crois pas absolument à l'éminente dignité de la droite. Si la gauche lui manque, elle entre dans une solitude difficile et presque stérile. La gauche, cette main qui désigne injustement le mauvais côté de la vie, la portion sinistre de l'espace, celle où il ne faut pas rencontrer la mort, l'ennemi ou l'oiseau, elle est capable de s'entraîner à remplir tous les devoirs de l'autre. Construite comme l'autre, elle a les mêmes aptitudes, auxquelles elle renonce pour l'aider. Serre-t-elle moins vigoureusement le tronc de l'arbre, le manche de la hache ? Etreint-elle avec moins de force le corps de l'adversaire ? A-t-elle moins de poids quand elle frappe ? Sur le violon n'est-ce pas elle qui fait les notes, en attaquant directement les cordes, tandis que, par l'intermédiaire de l'archet, la droite ne fait que propager la mélodie ? C'est un bonheur que nous n'ayons pas deux mains droites. Comment se répartirait la diversité des tâches ? Ce qu'il y a de "gauche" dans la main gauche est assurément nécessaire à une civilisation supérieure ; elle nous relie au passé vénérable de l'homme, alors qu'il n'était pas trop habile, encore loin de pouvoir faire, selon le dicton populaire, "tout ce qu'il veut de ses dix doigts". S'il en était autrement, nous serions submergés par un affreux excès de virtuosité. Nous aurions sans doute poussé à ses limites extrêmes l'art des jongleurs — et probablement rien de plus. »

Henri Focillon, L’esprit des formes.

Les deux mains

Deux mains différentes mais complémentaires, coopération et complémentarité de tous les instants, dans toute action.

« Coopérer plutôt que se combattre et s’autodétruire », telle pourrait être la devise des deux mains.

 

Un modèle pour les Hommes ?

 

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commentaires

I
J'apprécie aussi ce texte et je suis d'accord avec les commentaires ci-dessous. On peut dire que nos membres, surtout les mains, sont une extension de notre cerveau.Les mains sont très sensibles et accentuent ou remplacent d'autres organes. Beaucoup de personnes éprouvent le besoin de toucher. Les caresses détendent et apportent du bonheur. Amitiés
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Effectivement nous avons tous besoin de contact, de caresses qui adoucissent notre vie. Amitiés.TD
E
J'adore !!! <br /> Pour moi qui peins avec les doigts, les mains ont une importance, une sensibilité toutes particulières ! <br /> Merci pour ce texte !
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Oui, je trouve aussi ce texte extrêmement intéressant. Il nous fait réfléchir et prendre conscience de notre corps. Amitiés. TD<br />