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14 janvier 2018 7 14 /01 /janvier /2018 08:59

LA LONGUE MARCHE DES FEMMES FRANÇAISES POUR L’ÉGALITÉ HOMMES-FEMMES (5)

 

Pourquoi une marche aussi longue et aussi difficile ?

 

La longue histoire de l’ostracisme anti-féminin en France.

   Comment les femmes ont-elles pu passer inaperçues au siècle des Lumières ?

Paradoxalement, le siècle des Lumières n’a pu éclairer la condition féminine en France.

De même les philosophes du 18e siècle, qui ont eu comme ambition d’éclairer les individus et le monde, ni les théories et l’ardeur réformatrice des Révolutionnaires de 1789, proclamant les droits, les libertés, la justice pour tous, n’ont guère plaidé en faveur des femmes, de leur instruction et de leur citoyenneté.

 

Ostracisme culturel : les femmes exclues de l’école, de l’instruction

Les prédécesseurs des Révolutionnaires de 1789 : les philosophes du 18e siècle, inspirateurs idéologiques directs mais aussi les autorités politiques, religieuses ou intellectuelles, n’ont guère plaidé pour la scolarisation des filles. Pire, la plupart ont manifesté une farouche hostilité à cette scolarisation ; la seule éducation reconnue aux filles étant alors l’éducation « hors école », c’est-à-dire, la formation de la future épouse et mère à la bonne tenue du foyer et au service du mari.

Les philosophes des Lumières n’ont pas non plus brillé en ce domaine. Cependant, au 16e siècle, d’éminents esprits avaient pris position en faveur de la scolarisation des filles aux côtés des garçons.

Parmi tous ceux qui, du 16e au 17e siècle, ont agi (par l’écrit ou le prêche) pour propager l’éducation scolaire des filles, deux personnalités se détachent nettement par l’effort de persuasion et la diffusion de leurs idées et  leurs initiatives.

En tout premier arrive Jean-Louis Vivès.

Jean-Louis Vivès, né à Valence (royaume de Valence) en1492, mort en Belgique en 1540, à 48 ans.  Juif converti au catholicisme, il fut à la fois théologien, philosophe et pédagogue.

 

Jean-Louis Vivès, qui écrivait en latin, exerça une forte influence sur le milieu humaniste au 16e siècle, notamment par son livre De l’institution de la femme chrétienne (1523), traduit en langue vulgaire. Largement diffusé dans tout l’Occident, et qui eut un immense retentissement. Les enseignements de Vivès eurent également une influence sur Luther en Allemagne, qui, à la même époque exhortait les magistrats des villes allemandes à ouvrir partout des écoles pour les filles, le monde –écrit-il en 1524– a besoin d’hommes et de femmes capables[Voir Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France de Gutenberg aux Lumières (1480-1789) (F. Lebrun, M. Venard, J. Queniart)]

Érasme, également acquis aux idées de Vivès, prêcha avec succès l’éducation scolaire des filles, en soulignant ses bienfaits, non seulement pour la femme, mais aussi pour les hommes, le pays et le monde entier.

On cherchera en vain des personnalités aussi ouvertes et décisives par la profondeur de leur pensée et la foi en la pertinence de l’éducation scolaire des femmes, parmi les philosophes du 18e siècle en France.

À l’inverse, les pourfendeurs de l’éducation des filles sont nombreux.

Voltaire (François Marie Arouet, dit) (1694-1778) est considéré comme l’incarnation de la philosophie des Lumières du 18e siècle (appelé aussi le siècle de Voltaire). Philosophe, conteur, essayiste, poète, historien…

 

Parmi eux, Voltaire, qui afficha une hostilité remarquée à l’éducation des filles, et d’une manière générale, à celle du peuple : Il n’est pas sain que le peuple reçoive l’éducation, affirmait-il.

Et pour La Chalotais, procureur général au parlement de Bretagne : Le bien de la société demande que les connaissances du peuple ne s’étendent pas plus que ses occupations (Essai d’éducation nationale).

En cela, ces personnalités, opposées à l’éducation des filles et du peuple, s’opposaient à Jean-Baptiste de La Salle (1651-1719), ecclésiastique français.

Le philosophe Jean-Jacques Rousseau se montre lui aussi défavorable à l’instruction des filles et, d’une manière générale, à celle des enfants du peuple, mais pour des raisons opposées à celles de Voltaire. Pour lui, en effet, l’homme naît bon et pur, c’est la civilisation qui le corrompt et le rend méchant (l’instruction, c’est la civilisation ».

N’instruisez pas l’enfant des villageois, car il ne lui convient pas d’être instruit

Ces prises de position des philosophes des Lumières contre l’instruction des femmes, ont-elles imprégné, voire déterminé, l’attitude des révolutionnaires de 1789, et celle de la République, à leur égard ?

 

L’intelligence et l’esprit critique sur l’échafaud !

À partir de la promulgation de la Constitution de 1791, les femmes réagissent fortement au fait d’être écartées du droit de vote.

De fait, les femmes instruites, cultivées et critiques, ne furent pas bien vues par leurs homologues masculins. Cette fracture vient pour l’essentiel, de la volonté des hommes d’écarter les femmes des responsabilités politiques et de leur dénier les droits auxquels elles aspiraient, principalement le droit de vote.

La rupture devient antagonisme à partir de 1791, date de la promulgation de la 1ère Constitution, qui exclut les femmes du droit de vote. ( Voir l’exception Condorcet : Article n°1)

Olympe de Gouges (1748-1793). Elle incarne la résistance face aux hommes pour l’égalité hommes-femmes. Inspiratrice incontestée des revendications des femmes pour leurs droits .Elle revendique le droit au divorce et dénonce la peine de mort, et naturellement, le droit des femmes à la politique, à égalité ave les hommes. La femme a le droit de monter à l’échafaud, elle a droit aussi à prendre la parole à la tribune.

 

Elle fut de toutes les luttes pour l’égalité entre les hommes et les femmes, les mêmes droits et les mêmes devoirs en toutes choses. Elle le paya de sa tête sur l’échafaud.

Personnalité d’une grande profondeur de pensée, elle fut jusqu’à sa mort en 1793, l’inspiratrice et la coordonnatrice du mouvement de résistance à la volonté des hommes de refuser leurs droits aux femmes et de les reléguer aux soins du foyer.

Elle fut notamment l’inspiratrice de la fameuse Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne de 1791, parodie de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.

Comme elle, d’autres femmes de qualité menèrent à ses côtés le même combat pour l’égalité hommes-femmes, sans succès. On compte dans leur rang : Madame Rolland, Théroigne de Méricourt, Thérèse Cabarrus…

Si les femmes furent vaincues, n’obtenant ni le droit de vote, ni l’égalité hommes-femmes, elles n’abdiquèrent jamais leur volonté et leur détermination incarnées dans leur longue marche.

 

Et le combat continua, après les philosophes des Lumières qui leur refusèrent les lumières, et les révolutionnaires de 1789 qui leur refusèrent le droit à la citoyenneté.

Pouvaient-elles espérer mieux des républicains de la IIIe République, de 1879 à 1944 ?

 

L’ostracisme politique

De même que Louis XVI, perplexe et désorienté par la vague révolutionnaire qui embrasait Paris en 1789, s’exclamait : Mais, pourquoi les droits de l’homme ?, de même les hommes de la IIIe République s’interrogèrent longtemps: Pourquoi le droit de vote aux femmes ?

Cette hostilité des hommes s’incarne dans un florilège des plus fournis, venant en particulier de parlementaires (députés et sénateurs) tout au long de la IIIe République.

Quelques spécimens éclairants :

Le philosophe Alfred Fouillé, juge incongrue la prétention des femmes droit de vote : N’ajoutons pas le suffrage de l’incompétence à celui des incompétents. Ou les mains des femmes ne sont pas faites pour voter.

Pour l’écrivain Romain Rolland, la moyenne des hommes et des femmes sont incapables de juger des choses politiques. Elles dépassent infiniment leur capacité d’attention et de compréhension.

Le sénateur Armand Calmel déclare en 1932 : Nous sommes disposés à accorder aux femmes tout ce que leur sexe a le droit de demander, mais en dehors de la politique. Accorder le droit de vote aux femmes, c’est l’aventure. (Déclaration au Sénat, séance du 5 juillet 1932).

Quant au sénateur Émile Morlot, Maître des Requêtes au Conseil d’État, et député radical de 1896 à 1907, il exprime son opposition résolue au droit de vote de la femme en ces termes : Dès l’instant où on lui accorderait ce droit, elle oublierait fatalement ses devoirs d’épouse ; elle abandonnerait le foyer pour courir la tribune.

[…]

Ces arguments sont en tout point identiques à ceux utilisés jadis par les hommes de l’Antiquité gréco-romaine pour river la femme au foyer et aux tâches domestiques, en la privant du droit de vote. Encore que sous le règne de l’empereur romain Marc-Aurèle (1er siècle de notre ère) la condition féminine connut une amélioration certaine, grâce aux initiatives prises par cet empereur.

 

Pourquoi tant de résistance aux droits des femmes ?

Les hommes ont-ils peur des femmes ?

-peur de descendre de leur piédestal, ou quelques privilèges indus ?

-peur de la force de l’intuition, de l’intelligence et de l’humanité des femmes ?

 

L’hostilité des hommes au vote féminin fut manifeste pendant toute la durée de la IIIe République. C’est finalement la loi du 2 novembre 1945 qui accorda le droit de vote aux femmes ; et la loi du 27 octobre 1946 proclama l’égalité des hommes et des femmes dans tous les domaines.

Avec la loi de 1945, une étape essentielle est franchie : les femmes sont désormais reconnues comme citoyennes à part entière mais quelques bastilles fortement enkystées dans le cerveau de quelques hommes restent à prendre.

 

Autre paradoxe de la condition féminine en France

Les lois les plus emblématiques de la condition des femmes, promulguées à ce jour, ont été votées par des majorités d’hommes, dans une proportion écrasante des députés.

1945 : droit de vote aux femmes. Les députées femmes : 5, 6%

1967 : loi Neuwirth (contraception) : les femmes représentent 2,26% des députés à l’Assemblée.

1975 : loi Simone Veil (avortement) : les femmes représentent 1,64%.

2000, la loi de parité hommes/femmes : les députées femmes constituent 12,31 %.

Comment ces lois, essentielles dans la promotion de la condition féminine, ont-elles pu être votées dans des assemblées, où les femmes ne représentaient qu’une minorité insignifiante ?

 

En définitive la « longue marche des femmes » fut aussi portée par la marche implacable de l’Histoire. Certes. Mais, les femmes n’ont pas attendu les bras croisés. Le chemin a été long, et le fardeau du passé, lourd de préjugés et d’hostilité. Et, l’action des féministes a joué un rôle déterminant.

La longue marche des femmes ne fut pas vaine ; même si des « Bastilles », toujours enkystées dans le cerveau de quelques hommes, restent encore à prendre.

 

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