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8 janvier 2017 7 08 /01 /janvier /2017 08:58

BIENS MAL ACQUIS : COUPABLES ET COMPLICES (1)

Des chefs d’État africains prédateurs et leurs receleurs

 

 

L’ouverture à Paris du procès du fils du président de la Guinée équatoriale,  Teodorin( diminutif de Teodoro) Obiang 47 ans, c’est la partie émergée de l’iceberg. Chefs d’État et familles, amis et proches, ont une longue habitude de pillage des biens nationaux, cachés ou blanchis à l’étranger, ou ostensiblement étalés, au vu de tous.

Certains ne s’en cachent guère, convaincus qu’ils bénéficient, ou bénéficieront d’une impunité garantie, sinon d’une complicité certaine.

À peine ouvert le 2 janvier 2017, ce procès a été aussitôt reporté à juin 2017.

Que reproche-t-on à ce fils de président, ministre, et vice-président de son pays ?

De s’être frauduleusement enrichi par le pillage des ressources de son pays et de posséder en France un patrimoine considérable issu de ce pillage.

– un immeuble de luxe, situé avenue Foch à Paris, de 107 millions d’euro, mais plus généralement de l’ultra-luxe des plus ostentatoires : plusieurs voitures de luxe, : Porsche, Ferrari, Bugatti, voitures de course…

 

Un petit pays pauvre

La moitié de la population de ce petit pays d’Afrique centrale, généreusement doté par la nature, qui tire ses ressources des hydrocarbures, vit sous le seuil de pauvreté.

Malheureusement pour l’Afrique, Teodoro Obiang n’est pas un cas unique.

Ceux qui ont l'épiderme sensible dès qu'on évoque les carences de l'Afrique et qui rendent l'Occident responsable de tous les malheurs de ce continent lui rendraient un insigne service en réagissant face à la saignée financière qu'il subit, à son pillage systématique et continu, ainsi qu'à la spoliation des peuples par les Africains eux-mêmes comme par les étrangers. L'Afrique n'est pas pauvre, on l'appauvrit.

Il n'est nullement question d'absoudre les pays étrangers qui organisent le pillage de l'Afrique ou y participent. Mais crier unilatéralement et continuellement haro sur ces derniers masque les responsabilités internes et retarde d'autant la recherche des moyens de juguler l'hémorragie. L'enjeu essentiel, c'est investir en Afrique l'argent produit en Afrique, valoriser les richesses qui y sont également produites, afin d'assurer les conditions du développement.

 

Il est une pratique peu abordée, s'agissant de l'aide au développement, et dont l'examen permettrait cependant de constater que les ressources financières de l'Afrique aident plutôt paradoxalement à la prospérité économique des pays développés. Il s'agit des sommes colossales, massivement investies en Europe et aux États-Unis par des Africains, chefs d'État, responsables politiques de tous rangs ou personnalités privées – sommes acquises honnêtement ou non.

 

 

La fuite des capitaux

      Une maladie mortelle pour le continent

      Qui sont les responsables ?

À la mort du président du Nigeria, Sani Abacha, en 1998, et à la suite d'un accord passé entre les nouvelles autorités de ce pays et des banques européennes, afin que celles-ci restituent les sommes que le défunt président y avait déposées, les seules banques suisses ont restitué 535 millions de dollars. La fortune de l'ancien chef de l'État nigérian déposée dans les établissements financiers européens et américains est estimée à plus de trois milliards de dollars. La Suisse est régulièrement accusée d'abriter dans ses banques des fonds détournés par d'autres dirigeants africains, dont l'ancien président du Zaïre (actuel République démocratique du Congo), Mobutu.

Au palmarès des biens mal acquis et mis en lieu sûr par des responsables politiques, l'Afrique occupe un rang des plus « honorables ». "La fortune de Mobutu Sese Seko s'élevait à sa mort à plus de 8 millions de dollars. En 2006, la dette de l'ex-Zaïre, son pays, à 15 millions de dollars."(Jean Ziegler)

Comment, dans ces conditions, accorder crédit aux discours sur le développement de leur pays par des responsables africains qui organisent eux-mêmes la fuite des capitaux destinés à enrichir les pays riches ? Et comment demander aux bailleurs de venir, avec enthousiasme, prêter des fonds ou annuler la dette de pays dont les dirigeants disposent à l'étranger des fortunes parmi les plus importantes au monde ? Sommes issues pour l'essentiel de la fraude, des détournements de l'aide publique, du pillage des ressources naturelles...

La première aide qu'on puisse apporter à l'Afrique, c'est d'arrêter son pillage, par ses ressortissants d'abord, et par ceux de l'extérieur ensuite ;

[car], même approximatif, tant l'opacité est la règle, les chiffres de la Banque mondiale sont éloquents : les flux annuels de capitaux illicites avoisineraient les 1 500 milliards de dollars. La moitié fuirait les pays du Sud, soit plus de dix fois l'aide reçue des pays riches.

Pour l'expert américain Raymond Baker, « cette fuite est due pour 30 % aux détournements et à la corruption, pour 30 à 35 % à la criminalité organisée (trafic d'armes, de drogue, etc.) ; et la fraude fiscale représente les 2/3 restant. »

En cause, les firmes multinationales, notamment, qui s'arrangent pour transférer leurs profits dans leurs filiales offshores... Plus l'administration est faible, plus la facture est lourde. Le Ghana voit ainsi s'envoler 50% de son budget. Résultat : des services publics au rabais, une dépendance accrue envers l'aide internationale et un report de la charge fiscale sur les plus pauvres. (Revue Faim et Développement, décembre 2008)

 

 

Quel salut ? Quel sauveur ? Quel justicier ?

Les populations africaines sont démunies face à cette hémorragie de leurs deniers et de leurs ressources. La lutte contre la corruption et les biens mal acquis « au Sud, passe également par le Nord ». Cette évidence, ainsi que la nécessité d'une telle lutte sont comprises par le Comité catholique contre la faim (CCFD) qui interpelle les autorités françaises au moyen d'une campagne régulière, dont l'essentiel est résumé dans deux rapports d'enquête publiés en 2007 et 2009.

Le constat est le même : l'ampleur du pillage et l'importance des sommes investies à l'étranger d'une part, l'impunité, voire la complicité garantie par les pays du Nord (la France en particulier) bénéficiaires et receleurs de ces biens mal acquis d'autre part, constituent une des explications du retard du continent africain et de la pauvreté de ses populations. Le quotidien français La Croix prône ce combat, tout en révélant les mécanismes de cette fraude et de cette corruption assistées.

Il est clair que le combat doit être mené aussi de ce côté du monde. D'abord parce que cet argent noir, pour une large part, est placé dans nos banques, sur nos marchés immobiliers sans que l'on trouve à y redire. Ensuite du fait de l'origine de cet argent : il vient souvent du Nord, soit sous forme d'aides internationales, soit par l'achat de matières premières dont nos économies ont besoin.

Enfin, parce que la corruption du Sud a souvent partie liée avec celle du Nord. Il y a ainsi cette pratique dite des « rétro-commissions », où les sommes versées à des intermédiaires qui facilitent les affaires retournent en partie vers nos contrées pour des usages que la morale réprouve.

Pour ce quotidien, l'argument selon lequel la corruption n'est pas l'apanage des seuls dirigeants africains n'est pas recevable. Alors que, dans certaines régions du monde, l'Asie en particulier, on a vu que la corruption n'empêche pas le développement, en Afrique, au contraire, cette corruption enfonce des pays potentiellement riches dans la misère – la mort d'Omar Bongo, récemment, met en lumière le cas du Gabon – aucune complaisance, aucune complicité ne sont permises. (La Croix, 24 juin 2009)

 

 

L’Europe et la France jouent-elles le jeu ?

Cette analyse et cette prescription seront-elles entendues par les complices de l'intérieur et ceux de l'extérieur ? Il y va de l'avenir des États et des populations d'Afrique.

L'enquête du Comité catholique met en lumière les pratiques, mais aussi les régimes et les individus. L'Afrique s'y illustre par le nombre de ses responsables pilleurs de biens publics, de même que par l'ampleur des méfaits ainsi que par la durée des détournements.

Selon les enquêteurs Alain Dulin et Jean Merckaert, ces biens frauduleusement soustraits à leur pays sont investis en Europe ou aux Etats-Unis. En France, notamment, la partie visible de l'iceberg exhibe de précieux hôtels particuliers à Paris, voitures de luxe, jets privés...(La Croix)

Les multinationales, les banques et les paradis fiscaux installés pour la plupart dans les pays riches jouent un rôle central dans l'organisation du système des biens mal acquis. Aucune action ne semble avoir été entreprise à l’encontre des banques françaises dont il est pourtant démontré que leurs succursales à Londres et en Suisse détenaient des comptes du général nigérian Abacha, mentionne le rapport du CCFD.

Le même rapport relève que seuls 1 à 4 % des avoirs détournés ont été restitués aux pays volés (par leurs dirigeants). Rien n'indique que la restitution intégrale des biens détournés soit effective dans un avenir proche. Les voix qui s'élèvent, les réclamations exprimées en faveur de la saisie de tels biens se sont jusque-là heurtées à un mur de silence, et sont vite étouffées par la justice. Tel est le cas en France où, depuis deux ans, le ministère de la Justice tente aussi d'empêcher un procès sur les biens mal acquis qui mettent en cause (les présidents) Denis Sassou Nguesso du Congo, Theodoro Obiang de Guinée équatoriale et le défunt Omar Bongo du Gabon.

A ce jour, la Suisse est le seul pays qui semble prêter l'oreille aux appels des associations et nationaux africains à restituer aux Etats concernés les sommes détournées par leurs dirigeants, dans l'espoir qu'elles soient investies à des fins de développement et de changement de régime dans les pays spoliés.

En matière de restitution de biens frauduleusement acquis, l'attitude de la France ne manque pas d'ambiguïté. Premier pays au monde à plaider dans les forums mondiaux pour un accroissement de l'aide à l'Afrique (tout particulièrement sous la présidence de Jacques Chirac) et de la lutte contre le blanchiment de l'argent sale, la France est la dernière lorsqu'il s'agit de saisir, confisquer ou restituer les biens volés aux populations africaines par leurs responsables. Or la restitution de ces biens, assortie de conditions rigoureusement définies de leur investissement dans des actions de développement, constituerait aussi un moyen pour l'Afrique d'assurer le financement sur fonds propres de son développement, en dehors de l'aide internationale classique. Ce qui dispenserait de tous ces forums mondiaux consacrés à l'aide à l'Afrique et à la dette africaine à l'égard des pays riches, organisés à grands frais.

D'une manière plus générale, les transferts de fonds du Sud vers le Nord pourraient également inspirer une réflexion sur le meilleur moyen d'aider l'Afrique.

(Source : Tidiane Diakité, 50 ans après, l’Afrique, Arléa)

 

 

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