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26 juin 2016 7 26 /06 /juin /2016 07:06

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ARISTOTE, LE PRINCIPE DE LA DÉMOCRATIE

Liberté et égalité, caractéristiques essentielles

 

Aristote (384-322 av. JC)

Le principe de base de la constitution démocratique c'est la liberté ; c'est, en effet, ce qu'on a coutume de dire, parce que c'est seulement dans une telle constitution que les citoyens ont la liberté en partage. C'est à cela, en effet, que réside, dit-on, toute démocratie. Et l'une des formes de la liberté c'est d’être tour à tour gouverné et gouvernant. En effet, le juste selon la conception démocratique, c'est que chacun ait une part égale numériquement et non selon son mérite, et avec une telle conception du juste, il est nécessaire que la masse soit souveraine, et ce qui semble bon à la majorité sera quelque chose d’indépassable, et c'est cela qui sera le juste, car ils [les partisans de la démocratie] disent qu'il faut que chaque citoyen ait une part égale. De sorte que dans les démocraties il se trouve que les gens modestes ont la souveraineté sur les gens aisés ; ils sont en effet plus nombreux, et c'est l'opinion de la majorité qui est souveraine.

 

Les instruments de la démocratie athénienne

Qui détient la légitimité du pouvoir de gouverner ? Les plus pauvres ou les plus riches ?

Tel est donc un signe de la liberté que tous les partisans de la démocratie posent comme caractéristique de cette constitution.

Un autre signe c'est de vivre comme on veut, car, disent-ils, tel est l'effet de la liberté, étant donné que la servitude c'est de vivre comme on ne veut pas. Voilà donc la seconde caractéristique de la démocratie. De là est venue la revendication de n'être, au mieux, gouverné par personne, ou sinon de l'être à tour de rôle. Et cela va dans le sens de la liberté fondée sur l'égalité.

Ces bases étant posées, c'est-à-dire le principe de la démocratie étant celui qu'on vient de dire, voici les traits caractéristiques du régime populaire : choix de tous les magistrats parmi tous les citoyens ; gouvernement de chacun par tous et de tous par chacun à tour de rôle ; tirage au sort des magistratures, soit de toutes [de toutes les magistrature] soit de toutes celles qui ne demandent ni expérience ni savoir ; magistratures ne dépendant d'aucun cens ou d'un cens très petit ; impossibilité pour un même citoyen d'exercer, en dehors des fonctions militaires, deux fois la même magistrature, ou seulement un petit nombre de fois et pour un petit nombre de magistratures ; courte durée des magistratures, soit toutes, soit toutes celles pour lesquelles c'est possible ; fonctions judiciaires ouvertes à tous, tous jugeant de tout, ou des causes les plus nombreuses, les plus importantes et les plus décisives, par exemple la vérification des comptes, les affaires politiques, les contrats privés ; souveraineté de l'assemblée dans tous les domaines, aucune magistrature ne l'emportant en aucun domaine ou seulement en très peu de domaines, ou souveraineté de l'assemblée sur les affaires les plus importantes.

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Échelle de rétribution des serviteurs du peuple : la juste mesure

De toutes les magistratures, celle qui a le caractère le plus populaire c'est le conseil : aucun citoyen n'y touche d'indemnité importante, car quand il y existe une telle indemnité, cela enlève tout son pouvoir à cette magistrature : le peuple, en effet, quand il est composé de gens touchant une grosse indemnité, évoque devant lui-même toutes les décisions, comme cela a été dit ci-dessus dans l'exposé précédant celui-ci ; ensuite versement d'une indemnité au mieux pour toutes les charges publiques — assemblée, tribunaux, magistratures — ou au moins pour les magistratures, les tribunaux, le conseil, les assemblées principaux, ou pour celles des magistratures qui nécessitent des repas en commun. De plus, puisqu'une oligarchie se fonde sur la naissance, la richesse, l'éducation, les caractéristiques du régime populaire semblent être le contraire de ceux-ci : basse naissance, pauvreté, grossièreté. Quant aux magistratures, aucune n'est perpétuelle, et si l'une d'elles a survécu sous cette forme à un ancien bouleversement, on lui enlève alors tout pouvoir et on remplace l'élection par le tirage au sort. Telles sont donc les caractéristiques communes aux démocraties. Et de la notion du juste qu'on s'accorde à considérer comme démocratique —à savoir que tous possèdent une part numériquement égale— provient de ce qui passe pour la démocratie, ou régime populaire, par excellence. Car aux yeux des démocrates, égal veut dire que les gens modestes ne gouvernent pas plus que les gens aisés, qu'ils n'ont pas à eux seuls la souveraineté, mais que tous sont à égalité numériquement. C'est ainsi, pensent-ils, qu'on aura l'égalité et la liberté dans la constitution.

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Mais ensuite se présente la difficulté suivante : comment obtiendra-t-on l'égalité ? Vaut-il mieux diviser entre mille citoyens les biens de cinq cents et donner un pouvoir égal aux mille et aux cinq cents ? ou faut-il ne pas établir l'égalité de cette manière, mais diviser de la même manière qu'auparavant puis prendre un nombre égal de citoyens parmi les cinq cents et les mille, qui auront la souveraineté en matière de répartition des biens et dans le domaine juridique. Est-ce que la constitution ainsi organisée est la plus juste du point de vue de la conception populaire du juste, ou n'est-ce pas plutôt celle qui est fondée sur la suprématie du nombre ? Car les partisans de la démocratie disent qu'est juste ce qui semble tel à la majorité, alors que pour les partisans de l'oligarchie c’est ce qui semble tel à ceux qui ont le patrimoine le plus important, car ils disent que c'est le montant du patrimoine qui doit faire la différence. Ces deux positions comportent inégalité et injustice, car si c'est l'opinion du petit nombre qui l'emporte, on aura une tyrannie si, en effet, l'un des gens aisés possède plus que les autres, selon la conception oligarchique du juste, il est juste qu'il commande seul, mais si c'est l'opinion de la majorité numérique, ces gens tomberont dans l'injustice en confisquant les biens des riches minoritaires, comme on l'a dit plus haut. Quelle serait donc l'égalité sur laquelle les deux partis s'entendraient, il faut l'examiner en partant de ce que tous deux ils définissent comme juste. Ils soutiennent, en effet, que c'est l'opinion de la majorité des citoyens qui doit l'emporter.

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Modes et conditions de l’exercice du pou voir démocratique : l’équité entre minorité-majorité

Qu'il en soit donc ainsi, mais pas dans tous les cas, mais, puisqu'il se trouve qu'il y a deux parties dont la cité est composée, les riches et les pauvres, ce qui est l'opinion de ces deux groupes ou de la majorité, que cela l'emporte, et si les opinions sont contraires, que l'emporte celle de la majorité, c'est-à-dire de ceux qui ont la fortune la plus grande. Par exemple, si on a dix riches et vingt pauvres et qu'un avis rassemble six riches et un autre quinze pauvres, les quatre riches restants rejoignant ces quinze pauvres, et les cinq pauvres restants rejoignant les six riches. Le parti de ceux dont la fortune, somme des fortunes de chacun des deux groupes qui le constituent, sera la plus grande, c'est ce parti qui doit l'emporter. Mais s'il arrive que les deux partis soient à égalité, il faut considérer cela comme une difficulté commune, comme lorsque actuellement l'assemblée ou le tribunal est partagé en deux camps égaux. Il faut alors soit tirer au sort soit utiliser une autre procédure de ce genre.

Mais en ce qui concerne l'égal et le juste, bien qu'il soit vraiment difficile de découvrir la vérité à leur propos, il est pourtant plus facile de l'atteindre que de convaincre ceux qui ont la possibilité de s'approprier plus que leur part. Car ceux qui recherchent l'égal et le juste ce sont toujours les plus faibles, alors que les forts n'en ont cure.

Aristote, La Politique. La Démocratie.

 

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