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28 mai 2017 7 28 /05 /mai /2017 07:18

 

GUY TIROLIEN

 

Guy Tirolien

Guy Tirolien, poète guadeloupéen, né en 1917 à Pointe-à-Pitre ( en Guadeloupe), et décédé en 1988 à Marie-Galante.

Guy Tirolien s'est engagé dans le combat de la Négritude, aux côtés de Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, Léon-Gontran Damas, quand ceux-ci fondèrent ce mouvement littéraire. Il contribuera à fonder la revue Présence africaine, publiée simultanément à Paris et à Dakar dès 1947.

Il sera administrateur colonial au Cameroun et au Mali ( ex-Soudan français), et il contribuera efficacement au rapprochement entre les Africains et les Antillais. Il y rencontra les Afro-Américains MacKay, Langston Hughes et Richard Wright, membres de la Harlem Renaissance. Il sera fait prisonnier durant la Seconde Guerre mondiale, aux côtés de Léopold Sédar Senghor. Il mènera ensuite une carrière de fonctionnaire international qui le verra devenir représentant de l'ONU au Mali et au Gabon notamment.

 

 

Redécouverte

 

Je reconnais mon île plate, et qui n'a pas bougé.

Voici les trois îlets, et voici la grande Anse.

Voici derrière le Fort les bombardes rouillées.

Je suis comme l'anguille flairant les vents salés

Et qui tâte le pouls des courants.

 

Salut, île ! C'est moi. Voici ton enfant qui revient.

Par-delà la ligne blanche des brisants,

Et plus loin que les vagues aux paupières de feu,

Je reconnais ton corps brûlé par les embruns.

 

J'ai souvent évoqué la douceur de tes plages

Tandis que sous mes pas

Crissait le sable du désert.

Et tous les fleuves du Sahel ne me sont rien

Auprès de l'étang frais où je lave ma peine.

 

Salut terre mâtée, terre démâtée !

Ce n'est pas le limon que l'on cultive ici,

Ni les fécondes alluvions.

 

C'est un sol sec, que mon sang même

N’a pas pu attendrir,

Et qui geint sous le soc comme femme éventrée.

 

Le salaire de l'homme ici,

Ce n'est pas cet argent qui tinte clair, un soir de paye,

C’est le soir qui flotte incertain au sommet des cannes

Saoules de sucre.

Car rien n'a changé.

 

Les mouches sont toujours lourdes de vesou1, et l'air chargé de sueur.

(Balles d'Or, Editions de Présence Africaine, Paris)

1- Vesou : jus du sucre des cannes.

 

 

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2 avril 2017 7 02 /04 /avril /2017 10:51

 

Marie-Thérèse Colimon Hall,

née le avril 1918 à Port-au-Prince et morte en avril 1997, est une enseignante, féministe, poétesse, dramaturge et écrivaine haïtienne.

 

Marie-Thérèse Colimon Hall

 

 

S'il fallait, au monde, présenter mon pays

 

S'il fallait, au monde, présenter mon pays,

Je dirais la beauté, la douceur et la grâce

De ses matins chantants, de ses soirs glorieux ;

Je dirais son ciel pur, je dirais son air doux.

L'étagement harmonieux des mornes bleuissants ;

Les molles ondulations de ses collines proches

La changeante émeraude des cannes au soleil

Les cascatelles glissant entre les grosses pierres :

Diaphanes chevelures entre les doigts noueux

Et les soleils plongeant dans des mers de turquoise...

 

Je dirais, torches rouges tendues au firmament,

La beauté fulgurante des flamboyants ardents

Et ce bleu, et ce vert, si doré, si limpide

Qu'on voudrait dans ses bras serrer le paysage.

 

Je dirais le madras de la femme en bleu

Qui descend le sentier son panier sur la tête,

L'onduleux balancement de ses hanches robustes

Et la mélopée grave des hommes dans le champ,

Et le moulin grinçant sous la lune la nuit,

Les feux sur la montagne à mi-chemin du ciel ;

Le café qu'on recueille sur les sommets altiers

L’entêtante senteur des goyaves trop mûres...

 

Je dirais dans les villes, les torses nus et bronzés

De ceux qui, dans la rue sous la dure chaleur,

Ne se laissent pas effrayer par la plus lourde peine ;

Et les rameurs menant, à l'abri de nos ports,

Lorsque revient le soir, les corallins dansants

Cependant que les îles au large, paresseuses,

Laissent monter en fumée, au fond du crépuscule

La lente imploration de leurs boucans lointains...

Mais j'affermis ma voix d'une ardeur plus guerrière

Pour dire la vaillance de ceux qui l'ont forgé ;

Je dirais la leçon qu'au monde plus qu'étonné,

Donnèrent ceux qu'on croyait des esclaves soumis.

 

Je dirais la fierté, je dirais l'âpre orgueil,

Présents qu'à nos berceaux nous trouvons déposés,

Et le farouche amour que nous portons en nous

Pour une liberté au prix trois fois sanglant...

Et le bouillonnement vif montant dans nos artères

Lorsqu'au fond de nos bois nous entendons, la nuit,

Le conique tambour que nos lointains ancêtres

Ont porté jusqu'à nous des rives de l'Afrique,

Mère vers qui sans cesse sont tournés nos regards...

S'il fallait au monde présenter mon pays,

Je dirais plus encor, je dirais moins encor.

Je dirais ton cœur bon, ô peuple de chez nous.

 

 

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20 novembre 2016 7 20 /11 /novembre /2016 13:22

JACQUES PRÉVERT, LE CHAT ET L’OISEAU

 

  Jacques Prévert. Poète et scénariste français (1900-1977)

 

 

 

LE CHAT ET L’OISEAU

 

Un village écoute désolé
Le chant d’un oiseau blessé
C’est le seul oiseau du village
Et c’est le seul chat du village
Qui l’a à moitié dévoré
Et l’oiseau cesse de chanter
Le chat cesse de ronronner
Et de se lécher le museau
Et le village fait à l’oiseau
De merveilleuses funérailles
Et le chat qui est invité
Marche derrière le petit cercueil de paille
Où l’oiseau mort est allongé
Porté par une petite fille
Qui n’arrête pas de pleurer
« Si j’avais su que cela te fasse tant de peine,
Lui dit le chat,
Je l’aurais mangé tout entier
Et puis j’aurais raconté
Que je l’avais vu s’envoler
S’envoler jusqu’au bout du monde
Là-bas où c’est tellement loin
Que jamais on n’en revient
Tu aurais eu moins de chagrin
Simplement de la tristesse et des regrets. »

Il ne faut jamais faire les choses à moitié.

 

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16 octobre 2016 7 16 /10 /octobre /2016 07:02

PAUL ÉLUARD : LA NUIT…

Paul Éluard (Eugène Émile Paul Grindel dit), (1895-1952)

« Le poète est celui qui inspire, bien plus que celui qui est inspiré ». (Paul Éluard)

Poète français, surréaliste, Résistant, chantre de la liberté et des beaux sentiments, il fut considéré de son vivant comme le plus musicien des poètes.

 

La nuit n’est jamais complète.

 

Il y a toujours, puisque je le dis,
Puisque je l’affirme,
Au bout du chagrin
Une fenêtre ouverte,
Une fenêtre éclairée,
Il y a toujours un rêve qui veille,
Désir à combler,
Faim à satisfaire,
Un cœur généreux,
Une main tendue, une main ouverte,
Des yeux attentifs,
Une vie, la vie à se partager.

 

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21 août 2016 7 21 /08 /août /2016 07:01

JACQUES PRÉVERT, COMPLAINTE POUR LES ENFANTS D’AUBERVILLIERS

Jacques Prévert. Poète et scénariste français (1900-1977)
Jacques Prévert. Poète et scénariste français (1900-1977)

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Regard du poète

 

CHANSON DES ENFANTS D'AUBERVILLIERS

 

Gentils enfants d'Aubervilliers

Vous plongez la tête la première

Dans les eaux grasses de la misère

Où flottent les vieux morceaux de liège

Avec les pauvres vieux chats crevés

Mais votre jeunesse vous protège

Et vous êtes les privilégiés

D'un monde hostile et sans pitié

Le triste monde d'Aubervilliers

Où sans cesse vos pères et mères

Ont toujours travaillé

Pour échapper à la misère

A la misère d'Aubervilliers

A la misère du monde entier

Gentils enfants d'Aubervilliers

Gentils enfants des prolétaires

Gentils enfants de la misère

Gentils enfants du monde entier

Gentils enfants d'Aubervilliers

C'est les vacances et c'est l'été

Mais pour vous le bord de la mer

La côte d'azur et le grand air

C'est la poussière d'Aubervilliers

Et vous jetez sur le pavé

Les pauvres dés de la misère

Et de l'enfance désœuvrée

Et qui pourrait vous en blâmer

Gentils enfants d'Aubervilliers

Gentils enfants des prolétaires

Gentils enfants de la misère

Gentils enfants d'Aubervilliers.

Maison de Jacques Prévert, Omonville-la-Petite
Maison de Jacques Prévert, Omonville-la-Petite

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7 août 2016 7 07 /08 /août /2016 07:33
THÉODORE LEBRETON. L’ART AU SERVICE DE LA PAIX DE L’ÂME, CONTRE L’ADVERSITÉ

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THÉODORE LEBRETON. L’ART AU SERVICE DE LA PAIX DE L’ÂME, CONTRE L’ADVERSITÉ

THÉODORE LEBRETON. L’ART AU SERVICE DE LA PAIX DE L’ÂME, CONTRE L’ADVERSITÉ

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Consolation de l’enfant pauvre du 19e siècle

 

Consolation de l'enfant pauvre

Tiens, regarde, petit frère

Ce que j'apporte à ma mère !

C'est de l'or... N'y touche pas !

Vois, mes deux mains en sont pleines

C'est que, pendant deux semaines,

J'ai bien fatigué mes bras.

 

C'est qu'à présent j'ai la taille

Où chez le pauvre on travaille.

Où l'on occupe son temps.

Le jeu n'est plus de mon âge ;

Je suis un homme à l'ouvrage :

Depuis un mois j'ai sept ans.

 

Avant que le jour paraisse,

On me dit : point de paresse ;

Bien vite il faut t'éveiller.

Moi, je m'éveille sur l'heure.

Et puis jamais je ne pleure

Pour m'en aller travailler.

 

A l’heure où tu dors encore,

Moi qui vois venir l’aurore,

Après un bien long chemin,

A l’atelier je dois être,

Ou la férule du maître

Me ferait saigner la main.

 

Au métier où l'on m'attache,

Tous les matins j'ai ma tâche ;

Pour ne point m'en détourner.

Tant que n'est point achevée

Cette première corvée,

Le maître me fait jeûner.

 

C’est ainsi que, de l’année

Je passe chaque journée,

Et quelques fois aussi, moi,

Je regrette, petit frère,

Le temps où, près de ma mère,

Je me jouais avec toi.

 

Mais, aussi, lorsque je pense

Au jour qui me récompense,

Quand ce jour que j’aime à voir

Reparaît chaque quinzaine,

Je dis, oubliant ma peine :

Je serai riche ce soir.

 

Tiens, regarde, petit frère

Ce que j'apporte à ma mère !

C'est de l'or... N'y touche pas !

Vois, mes deux mains en sont pleines

C'est que, pendant deux semaines,

J'ai bien fatigué mes bras.

 

Avec autant de richesse,

Pour nous la pauvreté cesse.

Tu ne feras plus semblant

De manger un mets trop fade :

Le jeûne te rends malade ;

Pour toi j’aurai du pain blanc.

 

Je veux que ma sœur Estelle

Au jour de fête soit belle

Comme la fille d'un roi.

Je veux qu'elle ait, le dimanche,

Beau bonnet et robe blanche,

Pour promener avec moi.

 

Je veux, avant toute chose,

Que ma mère se repose ;

Dès ce soir je lui dirai :

Ne va plus à ta journée ;

En repos, toute l'année,

Mère, je te nourrirai !

 

Tiens, regarde, petit frère

Ce que j'apporte à ma mère !

C'est de l'or... N'y touche pas !

Vois, mes deux mains en sont pleines

C'est que, pendant deux semaines,

J'ai bien fatigué mes bras.

                      Théodore Lebreton, Nouvelles heures de repos d'un ouvrier, 1842.

THÉODORE LEBRETON. L’ART AU SERVICE DE LA PAIX DE L’ÂME, CONTRE L’ADVERSITÉ

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Théodore Lebreton (1803-1883)

Né à Rouen d’un père journalier et d’une mère blanchisseuse, il entra à l’âge de 7 ans dans une fabrique d’indiennes où il travailla pendant 30 ans.

Il a appris à lire et à écrire par lui-même. Dès l’âge de 14 ans, il commença à économiser parcimonieusement pour  parfaire son éducation.

Il fut attiré par la poésie et la volonté de témoigner sur le sort des ouvriers, surtout celui des enfants. Son premier recueil de poésie parut en 1836.

La ville de Rouen, lui offrit un poste de bibliothécaire.

Poète chrétien, Lebreton dénonçait dans ses textes, la misère ouvrière qui l’avait beaucoup marqué, et l’évolution de la condition ouvrière. Il n’y voyait de remède que dans la mort.

THÉODORE LEBRETON. L’ART AU SERVICE DE LA PAIX DE L’ÂME, CONTRE L’ADVERSITÉ

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L’évolution de la condition ouvrière en France

    Principales étapes de la réglementation du travail   en France milieu 19e au milieu 20e siècle

 

1841 – Loi limitant le travail des enfants dans l’industrie et l’interdisant au-dessous de 8 ans.

1864 – Reconnaissance du droit de grève.

1868 – Tolérance des syndicats.

1884 – Reconnaissance légale des syndicats.

1892 – Limitation du temps de travail :

               10 heures par jour pour les 13-16 ans.

               11 heures par jour pour les 16-18 ans, avec un maximum de 60 heures par semaine.

               11 heures par jour de travail pour les femmes dans les usines.

1898 – Loi sur les accidents du travail : les frais de soins sont à la charge du patron.

1905 – Réduction à 8 heures de travail dans les mines.

1906 – Loi établissant un repos hebdomadaire.

1919 – Journée de travail limitée à 8 heures, dans toutes les branches.

1936 – Semaine de 40 heures et 2 semaines de congés payés par an.

1945 – Sécurité sociale et comité d’entreprise.

1950 – Création du SMIG (salaire minimum garanti)

THÉODORE LEBRETON. L’ART AU SERVICE DE LA PAIX DE L’ÂME, CONTRE L’ADVERSITÉ

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5 décembre 2015 6 05 /12 /décembre /2015 09:36

Une petite pause poétique avec Tristan Klingsor

 

 

CHANSON DU CHAT QUI DORT

 

Chat, chat, chat,

Chat noir, chat blanc, chat gris,

Charmant chat couché,

Chat, chat, chat,

N'entends-tu pas les souris

Danser à trois les entrechats

Sur le plancher ?

.

Le bourgeois ronfle dans son lit

De son bonnet de coton coiffé

Et la lune regarde à la vitre :                                   

Dansez souris, dansez jolies,

Dansez vite,

En remuant vos fines queues de fées.

 

                     

Dansez sans musique tout à votre aise

A pas menus et drus

Au clair de la lune qui vient de se lever,

Courez : les sergents de ville dans la rue

Font les cent pas sur le pavé

Et tous les chats du vieux Paris

Dorment sur leur chaise,

Chats blancs, chats noirs, ou chats gris.

 

Tristan Klingsor

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28 novembre 2015 6 28 /11 /novembre /2015 09:40

LA PAROLE ET L’ÉCRITURE

Deux outils essentiels de communication au service de l’Homme

 

Abd El-Kader. Émir arabe (près de Mascara (Algérie), 1808 – (Damas), 1883)
Abd El-Kader. Émir arabe (près de Mascara (Algérie), 1808 – (Damas), 1883)

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Le regard d’un humaniste mystique du 19e siècle.

Abd El-Kader dirige de 1832 à 1847, la résistance à la conquête de l’Algérie.

Après la prise de sa smala par le duc d’Aumale en 1843, et la défaite de ses alliés marocains en 1844, il se rend, vaincu, en 1847.

Interné en France jusqu’en 1852, il se retire ensuite à Damas.

Après la phase « guerrière » de sa vie, il se consacre quasi exclusivement à l’étude et à la méditation, à la philosophie religieuse et à l’écriture. Il devient un personnage charismatique, humaniste et mystique, respecté et vénéré en Orient comme en Occident.

Son ouvrage Rappel à l’intelligent, avis à l’indifférent, à l’usage des chrétiens, lui valut une véritable aura dans les milieux culturels orientaux et occidentaux. Il prit la figure d’un maître spirituel universellement reconnu.

Il intervient en 1860, lors des émeutes antichrétiennes de Damas, où il protégea plusieurs milliers de chrétiens maronites et européens, leur permettant d’échapper aux massacres. Ce fut seulement, expliqua-t-il, par devoir de religion et d’humanité.

Napoléon III, qui avait pour lui beaucoup d’estime et de respect, projeta la création d’un Empire « arabe-musulman » lié à la France, dont l’Algérie constituerait le cœur et dont il prendrait la tête. Il déclina l’offre.

Il ne cessa d’œuvrer au rapprochement de l’Orient et de l’Occident.

En 1871, Abd El-Kader désavoua publiquement les intrigues antifrançaises de son fils aîné, de même que ceux qui se servaient de son nom pour tenter de soulever l’Algérie.

 

Il reçut la Grand-croix de la Légion d’Honneur et fut également décoré de l’Ordre de Pie IX.

 

Ses restes furent transférés en Algérie en 1966.

 

 

LA PAROLE ET L’ÉCRITURE

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Abd El-Kader : Éloge de l’écriture

Pour qu'un homme puisse faire connaître sa pensée à un autre homme, son associé, il a besoin d'en inventer le moyen : il le trouve dans le signe, la parole, l'écriture. Le signe exige un témoin ; la parole ne peut se passer de la présence et de l'audition d'un interlocuteur ; l'écriture ne dépend d’aucune de ces conditions ; elle est le signe suprême, un art propre à l’espèce humaine. La parole est plus noble que le signe, mais l'écriture est supérieure à la parole ; car le signe ne s'applique qu'à l'objet présent, c'est un moyen de diriger l'attention vers un côté déterminé.

Le verbe et la plume :

    Antériorité, complémentarité ou hiérarchie ?

L'écriture est supérieure au signe et à la parole, et plus utile ; car la plume quoiqu'elle ne parle pas, se fait entendre des habitants de l'Orient et de l’Occident. Les sciences ne s'augmentent, la philosophie ne se conserve, les récits et les paroles des anciens, les livres de Dieu ne se fixent que par l’écriture. Sans elle, il ne s'établirait parmi les hommes ni religion ni société. L’écriture est l'œil des yeux ; par elle le lecteur voit l'absent ; elle exprime des pensées intérieures autrement que la langue ne pourrait le faire. Aussi a-t-on dit : la plume est l'une des deux langues, mais elle est plus éloquente que la langue même. Par l'écriture l'homme peut dire ce que quelqu'un, s'adressant à un autre, ne pourrait pas lui communiquer par la parole ; elle parvient au but que la parole ne peut pas atteindre. Aussi les lois de l'Islam ont-elles défendu d'enseigner l'écriture aux femmes pour qu'elles ne puissent pas, en écrivant à ceux qu'elles aiment, se ménager une rencontre avec eux : la connaissance de l'écriture eût été dans ce cas une cause de discorde.

LA PAROLE ET L’ÉCRITURE

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LA PAROLE ET L’ÉCRITURE

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Le sabre et la plume : les deux mamelles

Il y a deux éloquences [art de bien dire] : celle de la langue et celle de l'écriture ; celle-ci a la supériorité, car ce que fixe la plume a la durée du temps, ce que dit la langue s'efface en peu d'années. Deux choses constituent la religion et le monde : le sabre et la plume ; mais le sabre est au-dessous de la plume, Oh ! que le poète a bien dit :

« Dieu l'a ainsi décidé : le kalam [ou calame : roseau taillé servant à écrire], depuis qu'il a été taillé, a pour esclave le sabre, depuis qu'il a été affilé... ».

Abd El-Kader, Rappel à l’intelligence in Anthologie Maghrébine. Texte de 1858.

LA PAROLE ET L’ÉCRITURE

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15 novembre 2015 7 15 /11 /novembre /2015 08:31
RENÉ DEPESTRE, Minerai noir

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RENÉ DEPESTRE

RENÉ DEPESTRE
RENÉ DEPESTRE

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René Depestre (1926), poète et écrivain haïtien engagé. Études dans son île natale, puis à la Sorbonne à Paris, en Sciences humaines, Lettres et Sciences politiques. Retour dans son pays, puis exil à Cuba, où il devient un cadre influent. En désaccord avec la ligne politique de Fidel Castro, il rompt avec le régime et se rend en France.

Nombreux Prix littéraires dont le Prix Renaudot en 1988 et le Prix du roman de l’Académie Royale de littérature française de Belgique…

RENÉ DEPESTRE, Minerai noir

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Minerai noir

Quand la sueur de l'Indien se trouva brusquement tarie par le soleil

Quand la frénésie de l'or draina au marché la dernière goutte de sang indien

De sorte qu'il ne resta plus un seul Indien aux alentours des mines d'or

On se tourna vers le fleuve musculaire de l'Afrique

Pour assurer la relève du désespoir

Alors commença la ruée vers l'inépuisable

Trésorerie de la chair noire

Alors commença la bousculade échevelée

Vers le rayonnant midi du corps noir

Et toute la terre retentit du vacarme des pioches

Dans l'épaisseur du minerai noir

Et tout juste si des chimistes ne pensèrent

Aux moyens d'obtenir quelque alliage précieux

Avec le métal noir tout juste si des dames ne

Rêvèrent d'une batterie de cuisine

En nègre du Sénégal d'un service à thé 

En massif négrillon des Antilles

Tout juste si quelque curé

Ne promit à sa paroisse

Une cloche coulée dans la sonorité du sang noir

Ou encore si un brave Père Noël ne songea

Pour sa visite annuelle

A des petits soldats de plomb noir 

Ou si quelque vaillant capitaine

Ne tailla son épée dans l'ébène minéral

Toute la terre retentit de la secousse des foreuses

Dans les entrailles de ma race

Dans le gisement musculaire de l'homme noir

Voilà de nombreux siècles que dure l'extraction

Des merveilles de cette race

O couches métalliques de mon peuple

Minerai inépuisable de rosée humaine

Combien de pirates ont exploré de leurs armes

Les profondeurs obscures de ta chair

Combien de flibustiers se sont frayé leur chemin

A travers la riche végétation de clartés de ton corps

Jonchant tes années de tiges mortes

Et de flaques de larmes

Peuple dévalisé peuple de fond en comble retourné

Comme une terre en labours

Peuple défriché pour l'enrichissement

Des grandes foires du monde

Mûris ton grisou dans le secret de ta nuit corporelle

Nul n'osera plus couler des canons et des pièces d'or

Dans le noir métal de ta colère en crues

René Depestre , Minerai noir, Ed. Présence Africaine 1956.

RENÉ DEPESTRE, Minerai noir

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12 juillet 2015 7 12 /07 /juillet /2015 07:13

 

LE TEMPS QUI PASSE, NOSTALGIE ET ARDEUR (Khalil Gibran)

 

 

« Hier n’est que le souvenir d’aujourd’hui, et demain est son rêve »

Il y a vingt-cinq ans le Temps m'a écrit dans le livre de ce monde étrange et terrible.

Ainsi, je suis un mot, ne signifiant tantôt rien tantôt une multitude de choses.

En ce jour chaque année tant de pensées et de souvenirs envahissent mon âme !

Ils s'arrêtent devant moi – le cortège des jours passés,

La parade des spectres de la nuit –

Puis ils sont balayés, tout comme le vent chasse les nuages à l'horizon ;

Ils s'évanouissent dans la pénombre de ma maison comme les chansons des ruisseaux dans les vallées désolées et lointaines.

En ce jour, chaque année, ces esprits qui ont modelé mon esprit

Arrivent des confins du monde pour venir me chercher,

Et chantant des mots de triste remembrance.

Puis ils s'en vont se cacher derrière le monde visible,

Tout comme les oiseaux descendent sur le seuil et, n'y trouvant aucune graine,

Ne planent qu'un moment et s'en vont ailleurs chercher de quoi picorer.

 

En ce jour le sens de ma vie passée se dresse toujours devant moi, comme un pâle miroir

Dans lequel je regarde un moment et ne vois que les visages des années blêmes comme des cadavres,

Rien que les visages ridés et âgés des espoirs et des rêves perdus depuis longtemps.

Puis je regarde à nouveau dans ce miroir, et n'y vois que mon propre visage immobile.

Et je le scrute n'y lisant que tristesse.

J'interroge la tristesse et je la trouve muette ;

Cependant si la tristesse pouvait parler, m'est avis que ses mots seraient plus doux que la joie.

 

Durant ces vingt-cinq années j'ai beaucoup aimé,

Et souventefois j'ai aimé ce que les autres détestent.

Pourtant ce que j'ai aimé enfant, je l'aime maintenant,

Et ce que j'aime maintenant je l'aimerai jusqu'à la fin de mes jours ;

Car l'amour est tout ce que j'ai, et nul ne saura m'en priver.

 

Souventefois j'ai aimé la mort,

Je lui ai donné de doux noms et j'ai parlé d'elle en termes aimants en secret comme au grand jour.

Pourtant bien que je n'aie pas oublié, ni rompu mon allégeance à la mort,

J'ai appris à aimer aussi la vie.

Car la mort et la vie sont devenues égales en moi à la beauté et à la joie ;

Elles ont nourri toutes deux ma nostalgie et de mon ardeur,

Et elles se partagent mon amour et ma tendresse.

 

J'ai aimé aussi la liberté, tout comme la vie et la mort.

Et plus croissait cet amour, plus j'avais conscience de l'asservissement des hommes à la tyrannie et au mépris,

En voyant leur soumission aux idoles forgées par les âges obscurs,

Érigées dans l'ignorance et polies par les lèvres des esclaves.

Mais j'ai aimé ces esclaves comme j'ai aimé la liberté, et j'eus pitié d'eux, car ce sont des aveugles

Qui embrassent les mâchoires de bêtes immondes assoiffées de sang et ne le voient pas ;

Qui sucent le venin de vipères malfaisantes et ne s'en rendent pas compte ;

Qui creusent leurs tombes de leurs propres mains et ne le savent pas.

J'ai aimé la liberté plus que toute autre chose,

Car la liberté m'est apparue comme une jeune vierge décharnée par la privation et la réclusion

Jusqu'à devenir un fantôme qui évolue dans les maisons par les rues solitaires,

Et qui appelle les passants, qui ne l'entendent et ne la voient pas.

 

Comme tous les hommes, pendant ces vingt-cinq années j'ai aimé le bonheur ;

J'ai appris à me réveiller chaque matin à l'aube et à le chercher, tout comme eux.

Mais je ne l'ai jamais trouvé comme eux,

Je n'ai pas vu ses empreintes sur le sable près de leurs châteaux,

Ni entendu l'écho de sa voix par les fenêtres de leurs temples.

J'ai cherché seul pour le trouver.

J'ai entendu mon âme murmurer à mon oreille :

« Le bonheur est une jeune vierge née et élevée dans la place forte du cœur ;

Elle ne quitte jamais son enceinte. »

Pourtant quand j'ai ouvert le portail de mon cœur pour trouver le bonheur,

J'y ai vu son miroir, son lit et ses vêtements, mais je n'ai pu le trouver lui.

 

J'ai aimé l'humanité. Oui, j'ai beaucoup aimé les hommes,

Et les hommes à mon sens se rangent dans trois catégories :

Celui qui maudit la vie, celui qui la bénit et celui qui la contemple.

Le premier je l'ai beaucoup aimé en raison de ses souffrances, le second en raison de sa bonté, et le troisième en raison de sa sagesse.

Ainsi s'écoulèrent ces vingt-cinq années,

Mes jours et mes nuits, s'enchaînant tout au long de ma vie

Tout comme les fleurs des arbres s'essaiment aux vents d'automne.

Aujourd'hui je m'arrête pour me souvenir, tout comme un grimpeur fatigué à mi-parcours vers le sommet,

Et je regarde en arrière, à droite et à gauche, mais je ne vois aucun trésor où que ce soit

Que je puisse réclamer et dont je puisse dire : « C'est à moi. »

 

Je ne trouve pas non plus dans les saisons de mes années la moindre moisson

Sinon quelques feuilles de beau papier blanc sur lesquelles sont tracées des signes à l'encre noire,

Et d'étranges toiles fragmentaires remplies de lignes et de couleurs, à la fois harmonieuses et dysharmoniques.

En elles, j'ai enseveli et enterré la beauté et la liberté auxquelles j'ai rêvé et aspiré,

Tout comme le laboureur qui va dans le champ semer ses graines dans les sillons

Rentre chez lui au crépuscule en espérant et en attendant.

Mais moi, bien que j'aie semé les graines de mon cœur,

Je n'ai pas espéré ni attendu.

Et à présent que j'ai atteint cette saison de ma vie,

Le passé semble se dissimuler derrière une brume de soupirs et de chagrin,

Et le futur n'être révélé qu'à travers le voile du passé.

Khalil Gibran (1883-1931), chants de l’âme et du cœur.

 

LE TEMPS QUI PASSE, NOSTALGIE ET ARDEUR (Khalil Gibran)

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« Si la raison enferme, le cœur lui, libère » (Khalil Gibran)

LE TEMPS QUI PASSE, NOSTALGIE ET ARDEUR (Khalil Gibran)

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