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3 mai 2020 7 03 /05 /mai /2020 07:14

Louis XIV (1638-1715)

LOUIS XIV ET SES CONTEMPORAINS DANS LE REGARD DES PEUPLES DE LA CÔTE AFRICAINE (2)

Le fatalisme, puissant facteur de dissolution de la volonté et d’aliénation de l’esprit

Le Roi-Soleil

Louis l’Africain

En réalité la France ne fut pas la première nation d’Europe à frayer le chemin du continent africain. Les Français furent de loin devancés par les Portugais qui s’y implantèrent dès le 15e siècle.
Les Portugais furent suivis par les Hollandais, redoutables ennemis du Roi Soleil, puis par les Anglais.
De la fin du 16e au début du 17e siècle, les ressortissants des autres pays d’Europe ne pouvaient se rendre en Afrique noire, s’y déplacer et entreprendre des activités commerciales sans la permission des Portugais.
Pourtant, Louis XIV fut de tous les souverains d’Europe, celui qui eut l’impact le plus fort sur les peuples d’Afrique, et de tous, celui qui sut créer avec les souverains locaux, les relations les plus solides.

Colbert Jean-Baptiste (1619-1683)

C’est Colbert, principal ministre de Louis XIV, qui fut à l’origine de l’empire colonial français d’Afrique. En effet, il fit miroiter au roi les avantages considérables du commerce des esclaves, en rapport avec la mise en valeur des colonies françaises d’Amérique (Antilles).
Avant le début du règne de Louis XIV, les marins normands ont fondé des postes (ou comptoirs) pour leurs activités commerciales sur les côtes du Sénégal, de même que sur le fleuve du même nom, commerce essentiellement fondé alors sur l’ivoire, l’or, la gomme…
Des marins dieppois fondèrent un établissement à l’embouchure du fleuve Sénégal, en 1659, qu’ils baptisèrent Saint-Louis, en l’honneur du jeune roi Louis XIV né en 1638.

Saint-Louis du Sénégal

 

Mais cette suprématie portugaise fut battue en brèche, d’abord par les Hollandais, puis par les Anglais ,et enfin par les Français, sous Louis XIV, qui mena une action armée considérable afin de déloger les Hollandais de l’île de Gorée, portugaise depuis 1444.
Les Hollandais furent délogés à leur tour de cette île par les Français en 1677. Pendant les guerres napoléoniennes, les Anglais, à leur tour, occupèrent l’île de 1802 à 1804. Puis, l’île de Gorée revient à la France à la faveur de la paix d’Amiens à partir de 1817. Gorée est ainsi le symbolise vivant de la rivalité acharnée entre Européens, en Afrique, du temps de Louis XIV.
Si les Portugais exercèrent une suprématie sans partage sur le continent noir du 15e siècle au début du 16e, les Français, sous le règne de Louis XIV, à leur tour, exercèrent la même suprématie vers la fin du 17e siècle, avant de la céder aux Anglais, à l’extrême fin du XVIIIe, et au XIXe siècle.

 Gorée

Français et Africains
Regards croisés

«Le regard porté sur les Africains n'est guère homogène ; les opinions défavorables voisinent avec des appréciations à leur avantage. Parmi les auteurs de relation de voyage de cette dernière catégorie, figure Villault de Bellefond, envoyé spécial de la Compagnie des Indes Occidentales, qui eut, en cette qualité, l'avantage de voyager tout le long des côtes africaines. Séduit et admiratif, il écrit :
"C'est pourquoi je leur ai donné cette relation [aux Français], pour leur faire voir que ce pays n'est pas si mauvais qu'on le dépeint, mais au contraire qu'il est beau et bon [...]. C'est là véritablement que la demeure serait agréable : tout contribue à y faire couler doucement la vie : la beauté et bonté du pays, le naturel doux et traitable de ses habitants, le riz et autre chose pour la nourriture, le gain considérable et les lieux propres à bâtir."

Partout où il se trouve sur la côte d'Afrique, et à chaque étape c'est le même débordement d'enthousiasme pour ce continent. Ainsi présente-t-il la Côte-des-Dents :

"C'est une des plus belles terres que l'on voie aux Côtes de Guinée : les coteaux et les vallées y sont admirables, la roche des montagnes, qui est rouge, dans la nuance des verdures dont elles sont ombragées, forme un aspect des plus délicieux ; mais entre toutes ces places, celle du Grand-Drouin et du Rio-Saint-André sont les plus belles. [...]. Pour le Rio-Saint-André, c'est, de toute l'Afrique, le plus propres à bâtir. Le séjour d'Afrique serait préférable à l'Europe si tout y ressemblait à cette terre de laquelle relève Sierra Leone."

Ces sentiments d'admiration vont aussi aux hommes et aux femmes, à leur physique aussi bien qu'à leurs traits de caractère.

Un autre voyageur, un religieux, qui se rendit en Afrique avant Villault de Bellefond, fait preuve de compréhension, voire d'une certaine indulgence. Il constate chez les naturels du Sénégal une certaine "brutalité de vivre", contrastant selon lui avec "la politesse que l'on pratique parmi les Français". Mais il n'en tire aucune conclusion défavorable à l'égard de ces "hommes noirs"; il considère la civilité comme "un privilège accordé par Dieu aux Européens, et dont ils doivent lui rendre grâce."

Les voyageurs contemporains du Roi-Soleil ont émis des propos bruts et directs, le plus souvent produits de leurs observations et de leur intuition, sans idée préconçue ni théorie orientée, contrairement à ceux du 19e siècle qui, pour un grand nombre, ont traduit leurs observations et leurs impressions en jugement de valeur, théorisant sur la supériorité ou l'infériorité des races, reliant couleur de peau et civilisation. Ils ont ainsi conclu sur l'infériorité et l'incapacité des Noirs africains à évoluer ; d'où la nécessité de leur trouver un tuteur qui les prît en main pour leur faire gravir, par étapes, les marches escarpées de l'échelle de la Civilisation ; en un mot, les civiliser ; mission sacrée dont l'homme blanc s'assigna la tâche sur le continent africain.

Pour l'explorateur britannique David Livingstone, cependant : "Il est aussi malaisé de résumer les qualités et les aptitudes ou inaptitudes du Noir-type que celles du Blanc-type." Et surtout, écrit-il : "Le Noir d'Afrique n'est ni meilleur ni pire que la plupart des enfants des hommes."

Les Français dans le regard de l'Africain

Dans le regard de l'Africain, les Français, c'est d'abord le roi de France vu par les souverains africains et leur entourage, ainsi que par les Grands, les chefs du royaume. Pour tous, cela ne souffre aucun doute, Louis XIV est le plus grand monarque d'Europe et du monde. Un roi inégalé par sa puissance, sa fortune, sa beauté et sa magnificence.

Les représentants de la France en Afrique ont, d'une certaine manière, contribué à la construction de cette image dans l'esprit des souverains africains qui les recevaient. Ainsi, André Bruë, en visite chez le roi siratik, dit "qu'il était venu pour renouveler l'ancienne amitié qui avait été de temps immémorial entre la Compagnie royale d'Afrique et lui, que cette Compagnie qui avait pour protecteur le plus puissant roi du monde, estimait si fort son amitié".

Les rois africains ont tant de fois entendu parler, par les Français, de cette puissance inégalée du toi de France, qu'ils ont fini par faire leur cette affirmation et l'image d'un monarque à la puissance incommensurable. Ainsi, le roi Acassiny d'Issiny, comme on l'a vu dans sa lettre à Louis XIV transmise par le chevalier d'Amon, le qualifie de "plus grand Empereur de l'Univers".

 

Les rois africains firent preuve d'une grande curiosité à l'égard du roi de France, curiosité mêlée de respect, d'admiration, mais aussi de crainte. La plupart d'entre eux furent littéralement subjugués par la grandeur et la puissance supposées de leur homologue français et ne cessèrent de manifester à son égard une déférence marquée.

Nonobstant la propagande hollandaise, continue et insidieuse. qui fait des Français les derniers de l'Europe pour la richesse et la maîtrise du commerce, les rois africains ont une idée fixe, à laquelle ils se sont toujours tenus : le roi des Français est le roi le plus puissant, et la France est la meilleure nation d'Europe. Si les Français sont parfois réputés piètres commerçants, leurs produits sont toujours considérés comme les meilleurs.

 

Louis XIV et ses sujets ne sont pas admirés seulement pour la puissance de leurs armes et le rayonnement de la nation, mais aussi et surtout pour le bon goût et les délices de leurs marchandises, au premier rang desquelles se placent les liqueurs, et par-dessus tout l'eau-de-vie, prisées par les rois et leur entourage, par les chefs, les marchants et négociants. Les présents faits aux rois par Louis XIV sont la parfaite illustration de l'excellence des produits français. C'est donc avec les Français qu'il faut faire commerce ; c'est donc eux qu'il faut accueillir de préférence à toute autre nation d'Europe, et c'est eux qu'il faut admirer et imiter.

 

Mais c'est par cette puissance même et cette force d'attraction irrésistible que les Français inspirent également la méfiance. Dans le regard composite des Africains, deux sentiments dominent : l'admiration et la crainte ; cette dernière suscitant la méfiance.

Cette méfiance est d'abord le fait des rois. De nombreux exemples en sont rapportés dans les mémoires et rapports, tel le suivant, extrait du Journal d'André Bruë :

 

"Le roi du Cayor ayant exprimé avec insistance le souhait de voir un vaisseau français de près, Bruë voulut combler ce désir somme toute assez légitime venant de la part d'un souverain qui avait toujours fait commerce le plus fructueux avec la seule nation de France. Il fait amener un navire appareillant avec un déploiement inhabituel de pompes. Le roi Latir-Fal Soucabé, entouré de tous les dignitaires du royaume et des courtisans, se rendit sur le rivage pour contempler ce spectacle. Mais c'est seulement du rivage qu'il entendait jouir dudit spectacle. On fit faire quantité de mouvements à ce petit vaisseau ; et les Français s'étaient attendus que le roi monterait à bord. Mais, soit qu'il craignît la mer, ou, qu'ayant à se reprocher ses extorsions et ses violences [perpétrées si souvent aux dépens des Français], il appréhendait qu'ils ne le retinssent prisonnier, il n'osa se procurer cette satisfaction. "

 

Cet épisode n'est pas sans intérêt quant à la nature des relations des Français avec les Africains de la côte en ce 17e siècle finissant. Le commerce de traite constituant le ressort principal de ces rapports, comme tel, il nourrissait à la fois crainte et méfiance, non seulement du côté des rois, mais aussi des marchands d'esclaves et dans le peuple.

Cette méfiance de la part des rois et de la population semblait justifiée, car des sources relatent plusieurs cas où le roi et sa suite, invités à monter à bord d'un navire en signe d'amitié avec le capitaine, se sont retrouvés dans les chaînes au milieu d'autres esclaves, parfois vendus par les mêmes.

De simples marchands d'esclaves pouvaient être aussi victimes de ces mauvaises aventures, qui, à force de se répéter, finissaient par apparaître comme des risques du métier, qui entraient pour partie dans le regard que l'Africain portait sur le Blanc en général.

En définitive, le regard des Africains restait largement tributaire du contexte de l'époque des rencontres entre Français et autochtones, regard fait d'admiration profonde, de crainte et de méfiance. »  (Tidiane Diakité, Louis XIV et l’Afrique noire, Arléa, 2013, déjà  cité).

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26 avril 2020 7 26 /04 /avril /2020 08:23

Louis XIV (1638-1715)

LOUIS XIV ET SES CONTEMPORAINS DANS LE REGARD DES PEUPLES DE LA CÔTE AFRICAINE (1)

Le fatalisme, puissant facteur de dissolution de la volonté et d’aliénation de l’esprit

Le Roi-Soleil

Louis XIV (1638-1715), règne personnel : 1661-1715.
Louis XIV et l’Afrique noire

 

Louis XIV, surnommé en France le « Roi-Soleil », ou le « Grand Roi », était connu et surnommé en Afrique le « plus grand Empereur de l'Univers».

Connu en Afrique sans doute autant qu’en Europe pour des raisons différentes, c’est bien Louis XIV qui a ouvert le chemin de l’Afrique noire, de même que ses portes aux Français de son temps.
Dans son palais séjournaient régulièrement de jeunes Africains qu’il avait adoptés et baptisés (tel le fameux Aniaba, premier capitaine noir de l’armée française, qui reçut du roi le commandement du régiment de Picardie où il brilla dans l’exercice de sa fonction).

Sans Louis XIV et sa « politique africaine », il n’y aurait certainement pas eu d’« Empire français d’Afrique », ni d’ « Afrique française », aux 19 et 20e siècles.
Les routes menant d’Europe à l’Afrique noire furent alors sillonnées par les « envoyés spéciaux » du roi dépêchés auprès de ses homologues africains, puis par les marchands et les voyageurs indépendants, de même que les aventuriers de tout acabit, les missionnaires aussi, ces derniers indissociables de la politique du roi, et son ambition  (non assouvie) d’évangéliser tout le continent. Enfin les explorateurs suivis des conquérants coloniaux de la IIIe République au XIXe siècle.

Les historiens français sont les grands absents de cette liste de Français sur les routes d’Afrique noire, sous Louis XIV et ses proches successeurs.
Il y eut très peu de spécialistes français de la « politique africaine » du Roi Soleil, qui manque par conséquent à l’historiographie française.

Mathéo, ambassadeur du roi d’Ardres

« Louis l’Africain »

Le regard porté par les Africains sur Louis XIV et ses contemporains détermine naturellement celui porté par les sujets du Grand roi sur le continent africain et ses peuples. Il s’agit par conséquent de « regards croisés », champ  plus vaste et plus riche de savoir.
Ce regard français est particulièrement acéré, incisif et fouineur, fouillant jusque dans les recoins de la vie des peuples et l’intimité des familles et des individus, des traditions et cultures.
Somme toute regard fourmillant de détails plus ou moins teintés de parti pris, du reste partagé, mais souvent judicieux et précieux.

 « Pour Lacroix, «  les habitants de la côte de Sierra Leone font débauche d'eau-de-vie et donnent tout ce qu'ils ont pour en avoir ».

Mais c'est surtout le couple qui retient le plus son attention.

Les plus riches, quelle que soit leur origine sociale, sont ceux qui disposent du plus grand nombre de biens sous forme de produits européens, et qui font des présents de cette nature ; ce sont aussi les plus considérés sur l'échelle sociale. Cela explique que la composition de la dot comporte une bonne part de produits européens dès le milieu du 17e  siècle, et cela ira en s'amplifiant tout au long du 18e.

 

"La dote consiste ordinairement en trois choses :

Quelques ornements, comme un collier de corail, des bagues, etc. ; quelques marchandises d'Europe, comme des habits et des étoffes ; et un coffre pour les enfermer.
Lorsqu'un homme s'éprend d'une femme, il envoie des présents à son père et à sa mère ; si ceux-ci acceptent les présents, le mariage se fait ; sinon, on renvoie [le prétendant]. Les pères font aussi souvent des présents à leur fille ; mais il n'est pas avantageux aux hommes de les recevoir ; parce que, si une femme ainsi riche conçoit de l'amour pour quelque autre que son mari, le pauvre homme n'ose pas s'en plaindre aux parents de sa femme et beaucoup moins la maltraiter. S'il le fait
on en vient d'abord à faire comparaison de ce qu'il a reçu de sa femme avec ce qu'il lui a donné. On lui reproche son ingratitude ; en un mot, qui est pauvre a toujours tort, en Guinée comme en France. Cependant, les filles riches, c'est-à-dire celles à qui leurs pères peuvent faire de grands présents, ne laissent pas d'être fort recherchées." »  (Tidiane Diakité, Louis XIV et l’Afrique noire, Arléa, 2013. (Prix Robert Cornevin, Académie Des Sciences d’Outre-mer).

« Quant à l'Afrique noire, le regard porté sur les peuples et les mœurs demeure contrasté, avec quelques convergences remarquées. La première porte sur le statut de la femme. Il apparaît de façon insistante, dans les différents récits et relations de voyage, que la condition de la femme est toujours inférieure à celle de l'homme (à quelque rares exceptions), au nord, en Sénégambie, comme au sud, en côte de Guinée.
Pour la première région, dans un chapitre dense, intitulé
Résumés des observations des premiers voyageurs du XVIIe siècle sur les usages dominants et les caractères communs aux différents peuples de la Sénégambie, la condition des femmes est ainsi décrite :
"
Le mari d'une femme adultère est en droit de la vendre comme esclave, ou de la chasser sans aucune indulgence, avec tous les enfants qu'il a d'elle. Entre les enfants, il est libre de retenir ceux qui sont assez grands pour lui rendre quelques services ; et, par la suite, il peut rappeler les autres, à mesure qu'ils deviennent capables de lui être utiles. Mais, si sa femme est enceinte au moment du crime, il est obligé, pour la vendre ou la répudier, d'attendre qu'elle soit délivrée.
Malgré la rigueur de ces lois, la plupart des nègres se trouvent honorés que les Blancs de quelque distinction daignent coucher avec leurs femmes, leurs sœurs et leurs filles. Ils les offrent souvent aux principaux officiers des comptoirs.
" »

« Les travaux pénibles du ménage sont le lot des femmes.

"Non seulement elles préparent les aliments, mais elles sont chargées de la culture des graines et du tabac, de broyer le millet, de filer et sécher le coton, de fabriquer les étoffes, de fournir la maison d’eau et de bois, de prendre soin des bestiaux ; enfin, de tout ce qui appartient à l'autre sexe dans des régions mieux policées. Elles ne mangent jamais avec leurs maris. Tandis que les hommes passent leur temps dans une conversation oisive, ce sont les femmes qui veillent à les protéger des moustiques, à leur servir la pipe et le tabac.

Quoique cette subordination soit établie pour un long usage, un mari ne néglige rien pour l'entretenir. [...] Un mari fatigué d’une femme a toujours la liberté de s'en défaire. [...] Mais, si le roi fait présent d'une femme à quelque seigneur de sa cour, il n'y a pas de prétexte qui autorise le mari à l'abandonner, quoique le prince ait toujours le droit de la reprendre.

Entre les nègres mahométans, il y a des degrés de parenté qui ôtent la liberté de se marier. Un homme ne peut épouser deux sœurs. Le roi du Cayor, Latir-Fal Soucabé, qui avait violé cette loi, reçut en secret la censure et les reproches des marabouts. "

Enfin, la plupart des voyageurs français du temps de Louis XIV soulignent un autre trait, selon eux caractéristique des hommes comme des femmes de la côte africaine :

"Le travail ne surpasse jamais leurs besoins. Si leur pays n’était extrêmement fertile, ils seraient exposés tous les ans à la famine, et forcés de se vendre à ceux qui leur offriraient des aliments. Ils ont de l'aversion pour toute sorte d'exercices, excepté la danse et la conversation, dont ils ne se lassent jamais."

 

Un autre fait unanimement relevé par tous les voyageurs concerne la notion du temps, la mesure du temps, et tout particulièrement le calcul de l'âge individuel. Ce fut une réelle découverte et un objet d'étonnement qui transparaît dans tous les récits. Le premier réflexe des Français étant de questionner sur l'âge des personnes qu'ils rencontraient, jeunes et vieux, ils s'étonnaient toujours de voir la surprise des Africains devant cette question, comme si on la leur posait pour la première fois de leur vie :

"Quand on demande quel âge ont leurs enfants, ils répondent : il est né quand tel directeur est arrivé de France, ou quand il est reparti pour la France, ou encore quand il a beaucoup plu et que les récoltes ont été abondantes, quand la foudre est tombée sur le grand arbre au milieu du village."

Cette absence de sens précis de l'état civil des personnes constitua une véritable énigme pour les Français.
Si quelques aspects de la vie et des mœurs des sociétés africaines font l'unanimité chez les contemporains de Louis XIV voyageant ou séjournant en Afrique, de nombreuses contradictions sont également relevées. Ces contradictions témoignent de l'extrême diversité des peuples, des sociétés et des cultures. »
 
(Tidiane Diakité, Louis XIV et l’Afrique noire, Arléa, 2013, déjà cité).

 

 

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5 janvier 2020 7 05 /01 /janvier /2020 08:49

 

IMAGE DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE SELON PAUL VALÉRY

 

Paul Valéry -1871-1945)
Écrivain, poète et philosophe (même s’il a toujours récusé ce dernier titre) français.

 

Paul Valéry, écrivain engagé (en politique et au sein d’associations de bienfaisance) fut résistant pendant l’Occupation lors de la 2e Guerre mondiale. Il fut marqué par l’occupation du pays et de la capitale, qui porta préjudice à sa carrière.
Ses essais traduisent ses inquiétudes sur la pérennité de la civilisation et sur le progrès « machiniste » et matériel en général, mais surtout sur l’avenir de l’Homme. La machine, de sophistication en sophistication, ne finira-t-elle pas par s’imposer à l’homme et bouleverser sa vie, en en faisant son esclave ?

« Il n'est pas nation plus ouverte, ni sans doute de plus mystérieuse que la française; point de nation plus aisée à observer et à croire connaître du premier coup. On s'avise par la suite qu'il n'en est point de plus difficile à prévoir dans ses mouvements, de plus capable de reprises et de retournements inattendus. Son histoire offre un tableau de situations extrêmes, une chaîne de cimes et d'abîmes plus nombreux et plus rapprochés dans le temps que toute autre histoire n'en montre. A la lueur même de tant d'orages, la réflexion peu à peu fait apparaître une idée qui exprime assez exactement ce que l'observation vient de suggérer : on dirait que ce pays soit voué par sa nature et par sa structure à réaliser dans l'espace et dans l'histoire combinés, une sorte de figure d'équilibre, douée d'une étrange stabilité, autour de laquelle les événements, les vicissitudes inévitables et inséparables de toute vie, les explosions intérieures, les séismes politiques extérieurs, les orages venus du dehors, le font osciller plus d'une fois par siècle depuis des siècles. La France s'élève, chancelle, tombe, se relève, se restreint, reprend sa grandeur, se déchire, se concentre, montrant tour à tour la fierté, la résignation, l'insouciance, l'ardeur, et se distinguant entre les nations par un caractère curieusement personnel.

Cette nation nerveuse et pleine de contrastes trouve dans ses contrastes des ressources tout imprévues. Le secret de sa prodigieuse résistance gît peut-être dans les grandes et multiples différences qu'elle combine en soi. Chez les Français, la légèreté apparente du caractère s'accompagne d'une endurance et d'une élasticité singulières. La facilité générale et l'aménité des rapports se joignent chez eux à un sentiment critique redoutable et toujours éveillé. Peut-être la France est-elle le seul pays où le ridicule ait joué un rôle historique ; il a miné, détruit quelques régimes, et il y suffit d'un mot, d'un trait heureux (et parfois trop heureux), pour ruiner dans l'esprit public, en quelques instants, des puissances et des situations considérables. On observe d'ailleurs chez les Français une certaine discipline naturelle qui le cède toujours à l'évidence de la nécessité d'une discipline. Il arrive qu'on trouve la nation brusquement unie quand on pouvait s'attendre à la trouver divisée. »

PAUL VALÉRY, Regards sur le monde actuel et autres essais, Folio essais.

 

 

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27 octobre 2019 7 27 /10 /octobre /2019 08:18

1789 : FRANCE, LE GRAND BASCULEMENT :
DE LA MONARCHIE ABSOLUE DE DROIT DIVIN
À LA RÉPUBLIQUE

Des Temps ancien aux Temps nouveaux
La métamorphose de la France, en deux temps et deux mouvements

En mots et en images

 

L’Ancien Temps

Le Roi-soleil

 

 

 

 

La hiérarchie sociale : les Trois Ordres : Noblesse – Clergé – Tiers-état
Hiérarchie héréditaire : on naît Noble ou Roturier

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le paysan paie la redevance due à son seigneur

 

 

 

 

 

Les rois représentants de Dieu sur terre

 

Premier Temps – Premier Mouvement
Les Lumières : les Idées nouvelles
       La force des Idées, le pouvoir de la Pensée
    
Les premiers Acteurs du Premier Mouvement, de la première secousse : les philosophes français du XVIIIe siècle

Jean-Jacques Rousseau (1712-1778)
« La volonté générale peut seule diriger les forces de l’État. Le peuple soumis aux lois en doit être l’auteur. La puissance législative appartient au peuple, et ne peut appartenir qu’à lui. » (Le Contrat social, 1762)
« Renoncer à sa liberté, c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité et même à ses devoirs…Une telle renonciation est incompatible avec la nature de l’homme. »  (Le Contrat social, 1762)

 

Voltaire (1694-1778)
En France, un noble méprise souverainement un négociant. Je ne sais pourtant lequel est le plus utile à un État : le seigneur bien poudré qui sait précisément à quelle heure le roi se lève, et qui se donne des airs de grandeur, ou un négociant qui enrichit son pays, donne des ordres au Caire, et contribue au bonheur du monde.» (Lettres philosophiques, 1734)

« L'Angleterre est le pays des sectes. Un Anglais, comme homme libre, va au Ciel par le Chemin qui lui plaît. S'il n'y avait en Angleterre qu'une religion, le despotisme serait à craindre ; s'il y en avait deux, elles se couperaient la gorge ; mais il y en a trente et elles vivent en paix, heureuses. » (Lettres philosophiques, 1734)

« La nature dit à tous les hommes : "Puisque vous êtes faibles, secourez-vous ; puisque vous êtes ignorants, éclairez-vous et supportez-vous. Quand il n'y aurait qu'un seul homme d'un avis contraire, vous devriez lui pardonner; car c'est moi qui le fais penser comme il pense."» (Traité de la tolérance, 1763)

 

Montesquieu (1689-1755)
 « Il y a dans chaque État, trois sortes de pouvoirs : la puissance législative, la puissance exécutrice et la puissance de juger. Lorsque le pouvoir législatif est réuni au pouvoir exécutif, dans la ou les mêmes personnes, il n'y a pas de liberté : on peut craindre que le même monarque ou la même assemblée ne fasse des lois tyranniques pour les appliquer tyranniquement. Chez les Turcs, où les trois pouvoirs sont réunis sur la tête du sultan, il règne un affreux despotisme. » (De l’Esprit des lois, 1748)

« Une chose n’est pas juste parce qu’elle est loi, mais elle doit être loi parce qu’elle est juste » (De l’Esprit des lois, 1748)

 

Diderot (1747-1765)
« Aucun homme n'a reçu de la nature le droit de commander aux autres. Le prince tient de ses sujets mêmes l'autorité qu'il a sur eux, et cette autorité est bornée par les lois de la nature et de l'État. Le prince ne peut donc pas disposer de son pouvoir et de ses sujets sans le consentement de la nation. » (article, Autorité politique de l’Encyclopédie)

 

Jaucourt(Louis, Chevalier de )(1704-1779)
« Le premier état que l'homme acquiert par la nature, et qu'on estime le plus précieux de tous les biens qu'il puisse posséder, est l'état de liberté ; il ne peut ni s'échanger contre un autre ni se vendre, ni se perdre; car naturellement tous les hommes naissent libres, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas soumis à la puissance d'un maître, et que personne n'a sur eux un droit de propriété. En vertu de cet état, tous les hommes tiennent de la nature même de pouvoir faire ce que bon leur semble, et de disposer à leur gré de leurs actions et de leurs biens, pourvu qu'ils n'agissent pas contre les lois du gouvernement auquel ils sont soumis. »

 

Le Deuxième Temps : 1789 : L’Ouragan
La puissance des Armes

À la Bastille !

 

 

Les principaux acteurs du Deuxième Mouvement

 

Robespierre (1758-1794)

Danton (1759-1794)

 

Brissot (1754-1793)

 

Sans-culotte

 

femme-sans-culotte

 À Versailles !

Marche des femmes sur Versailles, 5-6/10/1789

 

 

Aux Tuileries !

 

 

 

 

 

 


(musée de la Révolution française)

 

"Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ; les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune."

 

La République

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15 septembre 2019 7 15 /09 /septembre /2019 07:29

ÉDUCATION, SOCIÉTÉ, DÉMOCRATIE (1)
JULES FERRY UN ACTEUR AVISÉ

Égalité devant l’éducation
Égalité sociale

Démocratie

Jules Ferry (1832-1893)

Jules Ferry, avocat et homme politique français fut un farouche opposant à l’empire et au régime mis en place par Napoléon III. Après la chute de ce dernier, il entreprend une carrière politique des plus riches et des plus fécondes.
Député républicain de Paris, un temps ambassadeur à Athènes (1872-1873), il fut presque continuellement au pouvoir de 1879 à 1885,

-soit plusieurs fois comme ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts (1879-1881),
-soit comme président du Conseil (1880-1883),
-soit comme ministre des Affaires étrangères (1883-1885).
Il imprima sa marque dans trois domaines essentiels de la vie politique et sociale du pays :

-l’affermissement du régime républicain.
-une législation scolaire d’ampleur : l’enseignement gratuit, obligatoire et laïc dans le primaire : « les lois scolaires ».
-l’expansion et la colonisation françaises dont il fut un ardent partisant et un théoricien inspiré.
Jules Ferry fut également à l’origine du vote des lois relatives à la liberté de réunion (supprimées sous l’Empire), ainsi que de la liberté de la presse et des syndicats.
Sa politique coloniale, tout particulièrement la conquête de Tonkin provoqua sa chute en 1885.

Monument à Jules Ferry dans le jardin des Tuileries, Paris

Les fondations essentielles de l’égalité républicaine : l’égalité de l’éducation

Discours sur l’égalité d’éducation (1870)

« J'ai moi-même choisi ce sujet ; je l'ai défini : De l'égalité d'éducation, et je suis sûr que, parmi les personnes qui me font l'honneur de m'entendre, il en est un grand nombre qui, à l'aspect de ce titre un peu général, un peu mystérieux, se sont' dit : quelle est cette utopie ? Or, ma prétention est de vous montrer que l'égalité d'éducation n'est pas une utopie ; que c'est un principe ; qu'en droit, elle est incontestable et qu'en pratique, dans les limites que je dirai, et en vertu d'une expérience décisive que j'ai principalement pour but de vous faire connaître, cette utopie apparente est dans l'ordre des choses possibles.
Qu'est-ce que d'abord que l'égalité ? est-ce un mot retentissant ? une formule vide de sens ? n'est-ce qu'un mauvais sentiment ? n'est-ce qu'une chimère ?
L'égalité, messieurs, c'est la loi même du progrès humain ! c'est plus qu'une théorie : c'est un fait social, c'est l'essence même et la légitimité de la société à laquelle nous appartenons. En effet, la société moderne, aussi bien que la société ancienne, est la démonstration vivante et quotidienne de cette vérité, qui devient de nos jours de plus en plus visible : à savoir que la société humaine n'a qu'un but, qu'une loi de développement, qu'une fin dernière : atténuer de plus en plus, à travers les âges, les inégalités primitives données par la nature. »

 

L’éducation, premier devoir républicain

« Le siècle dernier et le commencement de celui-ci ont anéanti les privilèges de la propriété, les privilèges et la distinction des classes ; l'œuvre de notre temps n'est pas assurément plus difficile. A coup sûr, elle nécessitera de moindres orages, elle exigera de moins douloureux sacrifices; c'est une œuvre pacifique, c'est une œuvre généreuse, et je la définis ainsi; faire disparaître la dernière, la plus redoutable des inégalités qui viennent de la naissance, l'inégalité d'éducation. C'est le problème du siècle et nous devons nous y rattacher. Et quant à moi, lorsqu'il m'échut ce suprême honneur de représenter une portion de la population parisienne dans la Chambre des députés, je me suis fait un serment : entre toutes les nécessités du temps présent, entre tous les problèmes, j'en choisirai un auquel je consacrerai tout ce que j'ai d'intelligence, tout ce que j'ai d'âme, de cœur, de puissance physique et morale, c'est le problème de l'éducation du peuple.
L'inégalité d'éducation est, en effet, un des résultats des plus criants et les plus fâcheux, au point de vue social, du hasard de la naissance. Avec l'inégalité d'éducation, je vous défie d'avoir jamais l'égalité des droits, non l'égalité théorique, mais l'égalité réelle, et l'égalité des droits est pourtant le fond même et l'essence de la démocratie.
Faisons une hypothèse et prenons la situation dans un de ses termes extrêmes ;
supposons que celui qui naît pauvre naisse nécessairement et fatalement ignorant ; je sais bien que c'est là une hypothèse, et que l'instinct humanitaire et les institutions sociales, même celles du passé, ont toujours empêché cette extrémité de se produire ; il y a toujours eu dans tous les temps, — il faut le dire à l'honneur de l'humanité, — il y a toujours eu quelques moyens d'enseignement plus ou moins organisés, pour celui qui était né pauvre, sans ressources, sans capital. Mais, puisque nous sommes dans la philosophie de la question, nous pouvons supposer un état de choses où la fatalité de l'ignorance s'ajouterait nécessairement à la fatalité de la pauvreté, et telle serait, en effet, la conséquence logique, inévitable d'une situation dans laquelle la science serait le privilège exclusif de la fortune. Or, savez-vous, messieurs, comment s'appelle, dans l'histoire de l'humanité, cette situation extrême ? c'est le régime des castes. Le régime des castes faisait de la science l'apanage exclusif de certaines classes. Et si la société moderne n'avisait pas à séparer l'éducation, la science, de la fortune, c'est-à-dire du hasard de la naissance, elle retournerait tout simplement au régime des castes. »

L’éducation, condition première de la démocratie

« A un autre point de vue, l'inégalité d'éducation est le plus grand obstacle que puisse rencontrer la création de mœurs vraiment démocratiques. Cette création s'opère sous nos yeux ; c'est déjà l'œuvre d'aujourd'hui, ce sera surtout l'œuvre de demain ; elle consiste essentiellement à remplacer les relations d'inférieur à supérieur sur lesquelles le monde a vécu pendant tant de siècles, par des rapports d'égalité.

Les sociétés anciennes admettaient que l'humanité fût divisée en deux classes : ceux qui commandent et ceux qui obéissent ; tandis que la notion de commandement et de l'obéissance qui convient à une société démocratique comme la nôtre, est celle-ci : il y a toujours, sans doute, des hommes qui commandent, d'autres hommes qui obéissent, mais le commandement et l'obéissance sont alternatifs, et c'est à chacun à son tour de commander et d'obéir.

Voilà la grande distinction entre les sociétés démocratiques et celles qui ne le sont pas. Ce que j'appelle le commandement démocratique ne consiste donc plus dans la distinction de l'inférieur et du supérieur; il n'y a ni inférieur ni supérieur ; il y a deux hommes égaux qui contractent ensemble, et alors dans le maître et dans le serviteur, vous n'apercevrez plus que deux contractants ayant chacun leurs droits précis, limités et prévus ; chacun leurs devoirs, et, par conséquent, chacun leur dignité.

Voilà ce que doit être un jour la société moderne ; mais — et c'est ainsi que je reviens à mon sujet, — pour que ces mœurs égales dont nous apercevons l'aurore, s'établissent, pour que la réforme démocratique se propage dans le monde, quelle est la première condition ? C'est qu'une certaine éducation soit donnée à celui qu'on appelait autrefois un inférieur, à celui qu'on appelle encore un ouvrier, de façon à lui inspirer ou à lui rendre le sentiment de sa dignité ; et, puisque c'est un contrat qui règle les positions respectives, il faut au moins qu'il puisse être compris des deux parties.

Enfin, dans une société qui s'est donné pour tâche de fonder la liberté, il y a une grande nécessité de supprimer les distinctions de classes. Je vous le demande, de bonne foi, à vous tous qui êtes ici et qui avez reçu des degrés d'éducation divers, je vous demande si, en réalité, dans la société actuelle il n'y a plus de distinction de classes ? Je dis qu'il en existe encore ; il y en a une qui est fondamentale, et d'autant plus difficile à déraciner que c'est la distinction entre ceux qui ont reçu l'éducation et ceux qui ne l'ont point reçue. Or, messieurs, je vous défie de faire jamais de ces deux classes une nation égalitaire, une nation animée de cet esprit d'ensemble et de cette confraternité d’idées qui font la force des vraies démocraties, si, entre ces deux classes, il n’y a pas eu le premier rapprochement, la première fusion qui résulte du mélange des riches et des pauvres sur les bancs de quelque école.

D'une nouvelle direction de la pensée humaine, un nouveau système d'éducation devait sortir. Ce système se développa, se précisa avec le temps, et un jour il trouva son prophète, son apôtre, son maître dans la personne d'un des plus grands philosophes dont le dix-huitième siècle et l'humanité puissent s'honorer, dans un homme qui a ajouté à une conviction philosophique, à une valeur intellectuelle incomparable, une conviction républicaine poussée jusqu'au martyre ; je veux parler de Condorcet. C'est Condorcet qui, le premier, a formulé, avec une grande précision de théorie et de détails, le système d'éducation qui convient à la société moderne.»

                                                                                   Jules Ferry, Discours sur l’égalité d’éducation,1870.

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7 juillet 2019 7 07 /07 /juillet /2019 07:52

L’ÉDUCATION MODERNE, OBJECTIFS ET MÉTHODES, SELON MAURICE DEBESSE

Les mutations de l’école républicaine et leurs exigences

Maurice Debesse (1903-1998)

Maurice Debesse, professeur d’université français, de psychologie et sciences de l’éducation.
Ouvrages de référence :
— Traité de sciences pédagogiques (1974).
— L’adolescence.

De l’Instruction publique à l’Éducation nationale
Une nouvelle échelle, des moyens nouveaux, de nouvelles exigences

« LA TOUTE-PUISSANCE DE L’ÉDUCATION MODERNE

L'éducation a récemment élargi son domaine, accru ses moyens d'action, trouvé des appuis nouveaux, elle s'est imposée à l'attention des individus et des États comme une force envahissante presque irrésistible. Bref, notre temps subit un véritable raz de marée pédagogique.
La société prend de plus en plus conscience de sa fonction d'éducatrice. Longtemps elle s'était bornée à donner à la masse des jeunes un simple enseignement, c'est-à-dire les connaissances indispensables, durant les quelques années qui correspondent en gros à la troisième enfance, de six à douze ans, et qui précèdent l'apprentissage de la profession. Au terme du développement, le service militaire n'était aussi qu'une instruction technique particulière, un apprentissage du combat. De nos jours, la fonction pédagogique de la société s'est accrue en même temps qu'elle a changé de caractère. La durée de la scolarité s'est allongée par les deux bouts : extension des pouponnières et des écoles maternelles d'une part, prolongation de la scolarité obligatoire d'autre part, même pour ceux qui ne sont pas destinés à être des étudiants. L'hiatus qui subsiste encore entre la fin des études et le service militaire tend à être comblé par des institutions nouvelles qui se révèlent indispensables : organisations de jeunesse, cours d'apprentissage, etc. On peut prévoir le temps où, de ses premiers pas jusqu'à l'âge d'homme, chacun fréquentera obligatoirement une série d'écoles successives. En même temps, à la vieille conception de l'instruction reconnue insuffisante se substitue celle d'une éducation complète, à la fois physique, intellectuelle et morale. Notre
Ministère de l'Instruction publique s'est mué en Ministère de l'Éducation nationale ; le changement récent dans les mots n'a fait que consacrer un changement plus ancien dans les idées. La famille française elle-même, longtemps maîtresse dans le domaine de la formation morale, a vu son rôle décroître. On assiste ainsi à une sorte de "pédagogisation" rapide d'une partie importante de nos institutions et de la vie humaine... »

De nouveaux acteurs, de nouveaux moyens et méthodes, de nouvelles exigences

« Des moyens nouveaux d'une puissance incalculable, la presse, la radio, le cinéma, ont été mis par la science à la disposition de l'éducation moderne. D'autres ont été renouvelés par l'emploi généralisé et systématique qu'on en a fait : c'est ainsi qu'on a utilisé la puissance de communion du chant choral, des défilés et des réunions, les vertus de la camaraderie, l'action du meneur, etc. Moyens massifs, faits pour des masses : ainsi se caractérisent les techniques éducatives industrialisées, à la différence des procédés artisanaux d'autrefois, plus déliés et plus menus. La standardisation envahit, ô Montaigne, jusqu'au royaume sacré de l'Institution des enfants. Un machinisme pédagogique tend à se créer. Les éducateurs perspicaces ne s'y trompent pas ; un jeune professeur qui se rendait dans sa classe me disait naguère avec un sourire ironique un peu crispé : "Je vais à l'usine..."

Notre époque tend donc à se placer sous le signe d'une éducation à la fois intégrale et collective. Finies, les plaisanteries des siècles derniers sur le personnage du pédagogue vêtu de noir, chaussé de lorgnons, solennel et pédant, pauvre et amateur de tabac à priser. Le pédagogue d'aujourd'hui se reconnaît moins facilement. Il s'habille comme tout le monde. Il ne hante plus forcément l'école. On devine sa présence même lorsqu'on lit une affiche ou qu'on écoute la radio. A sa clientèle d'enfants, il a ajouté celle des adultes. Ses ambitions ont crû en même temps que ses moyens d'action. Il faut bon gré mal gré compter avec lui. Il est Ormuzd ou Ahriman. Bienfaisant, il peut faire l'humanité meilleure. Malfaisant, il peut la jeter dans les guerres et la destruction.

Les avantages possibles d'une éducation souveraine bien comprise ne sont-ils pas évidents ? Diffusion de la culture jusque parmi les déshérités du sort ; adaptation de chacun aux tâches qui lui conviennent ; instauration d'une ère de paix et de prospérité dans un monde formé à l'entraide et aux travaux féconds. C'est le rêve millénaire qui s'épanouit dans la République de Platon, l'Utopie de Thomas More, L’Émile de Jean-Jacques Rousseau ou les Années de voyage de Wilhelm Meister de Goethe. Mais ses dangers ne sont pas moindres : l'abus d'une éducation qui, pliant tout à ses normes, risque d'asservir l'homme au lieu de l'élever ; les erreurs commises dans le choix des valeurs qu'on veut inculquer, d'autant plus funestes qu'elles atteignent plus de gens ; l'uniformisation enfin, par le désir de créer un type social aussi parfait que possible. Le Meilleur des Mondes, d'A. Huxley, nous offre, entre autres choses, une satire féroce du "pédagogisme" industrialisé qui nous guette. Singulier monde que celui de ce roman d'anticipation où la fécondation artificielle et le développement de l'embryon se font dans des appareils soigneusement réglés, où la pensée de l'enfant est imprégnée de slogans qu'un phonographe discret répète sans cesse à son oreille pendant son sommeil ! Monde stable, aseptique et uniforme, où les seuls accidents sont dus à des erreurs de laboratoire : le meilleur des mondes... »

Quelle définition, et quels objectifs de l’éducation moderne ?
Comment y parvenir ?

« Toutefois, l'existence d'un courant puissant qui tend à niveler l'éducation ne doit pas nous rendre aveugle à d'autres choses. Ici comme en océanographie existent des contre-courants qui méritent l'attention. Nous avons cité déjà ceux qu'on désigne d'habitude sous le nom d'Éducation nouvelle (1). Il peut y en avoir d'autres qui s'élaborent en ce moment. En attendant, l'essentiel est d'avoir une vue claire du but à atteindre. Éduquer quelqu'un, ce n'est pas vouloir exalter et déchaîner les instincts et tout le potentiel héréditaire, c'est-à-dire faire agir les étrangers qui sont en lui. Ce n'est pas davantage vouloir le plier simplement à des normes sociales même excellentes, c'est-à-dire faire agir les étrangers qui sont autour de lui. C'est bien plutôt l'aider à conquérir sa personnalité qui a toujours son timbre propre, même chez les plus humbles. Car il est faux de prétendre que la notion de personne ne vaut que pour une élite. Le paysan ou le facteur tout comme le magistrat ou le chef d'entreprise ont leur façon personnelle d'appréhender le réel et de juger les événements : c'est elle qu'il faut découvrir, encourager et enrichir.»

(1) Mouvement qui, de Maria Montessori à Dewey et à Decroly, a eu le souci de favoriser l’épanouissement de chaque enfant.

Comment aller à l’essentiel ?
Former des têtes bien faites, non des têtes bien pleines ?

« Proposer aujourd'hui une éducation fondée sur la liberté de la personne humaine, n'est-ce pas nier l'évidence et se payer d'illusions ? Non. C'est se détourner d'une conception présomptueuse et fausse de l'éducation, pour restituer à celle-ci son véritable sens qu'une solide tradition philosophique et pédagogique française a toujours défendu. Il ne nous suffit pas de dresser un inventaire des idées et des pratiques courantes de notre époque pour la comprendre. Dans l'épaisseur de temps que nous vivons, hier et aujourd'hui sont solidaires de demain. Le passé n'est pas un fauteuil où s'assied la pensée, mais un tremplin d'où elle s'élance. Le présent ne lui offre que de fallacieuses images des choses, c'est donc vers l'avenir qu'elle doit se tourner. Il n'y a pas en effet de pensée vivante qui ne soit prospective. C'est à ce titre qu'il convient d'opposer, à l'idée actuelle de la toute-puissance d'une éducation mécanisée de la masse, l'idéal d'une éducation libératrice de la personnalité, qu'il faudra définir un jour. »

                                                                                                                            Maurice Debesse, Revue Les Études philosophiques philosophiques, 1947.

Voir aussi sur le même thème

Tidiane Diakité, Mutations et crise de l’école publique. Le Professeur est mort. Vive le prof, L’Harmattan.

 

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17 février 2019 7 17 /02 /février /2019 09:15

L’Afrique partagée (1885)

L’IMMIGRATION AFRICAINE EN FRANCE : MUTATION DU VOCABULAIRE ET DU REGARD (3)

Les victimes collatérales de la « marée noire »

(Note : « marée noire » : vague importante de migrants en provenance d’Afrique noire)

La marée noire, facteur de « désintégration » massive ?
    Ceux d’avant et ceux d’après

La marée noire apparaît comme un melting-pot puissant, implacable, qui broie, nivelle individualités et conditions (conditions sociales, conditions de vie) des Africains installés de longue date en France (qui y ont fait leur vie en parfaite harmonie avec les autochtones), et arrivants fraîchement débarqués des navires de fortune. Tous sont désormais des chats gris, du moins dans le regard de nombre de Français.
Aucun discernement entre l’ancien et le nouveau, le connu et l’inconnu, y compris entre le bon grain et l’ivraie. Un chat gris est un chat gris. C’est si commode, parce que si reposant pour l’esprit.
La marée noire a donc cette faculté exceptionnelle d’agir sur le jugement et la mémoire de nombre d’autochtones, de dissoudre ainsi des amitiés anciennes, parfois vieilles de 10, 20 ans ou davantage.
Les lendemains et surlendemains de fortes « marées noires » sont propices à l’observation de ces mutations dans les relations entre vieux amis. La distance apparaît aussitôt dans le regard et les attitudes.

De vieux collègues avec lesquels on a communié, il y a peu, dans la passion du métier, ne vous reconnaissent plus. Si quelques téméraires souhaitent malgré tout conserver les liens anciens avec leur ami, devenu « chat gris », quelques précautions élémentaires s’imposent désormais afin d’éviter les regards indiscrets ou malveillants. Plusieurs choix s’offrent, parmi lesquels le téléphone (de préférence les SMS), car, en ces temps nouveaux, il ne sied pas de s’afficher avec un « migrant ». Il faut un minimum de discrétion. Les soirées animées autour du verre de l’amitié appartiennent désormais au passé.
Cette froideur des relations anciennes est aussi constatée chez son kiné ou son coiffeur habituel. Ils ont dorénavant le « bonjour » triste, le regard éteint. Ce qui n’incite guère à l’échange confiant et convivial d’antan. L’heure est désormais au masque, à la retenue contrainte de toute manifestation de franche cordialité, de spontanéité. C’est un peu triste, mais que faire ?

Et pourtant, que de choses à dire !
    Que de chose à partager ?

Comment intégrer, comment insérer ceux qui viennent d’ailleurs et qui ont choisi la France ?

Intégrer ou insérer ceux qui souhaitent vivre en France avec les Français apparaît non seulement comme une nécessité, mais surtout comme une obligation absolue, qui exige une disponibilité d’esprit et de cœur de ceux qui reçoivent. 0n n’intègre pas, le regard fermé, la tête baissée.
La première obligation, c’est l’apprentissage de la langue. Le migrant doit se plier à cette discipline qui ne doit rien avoir de facultatif.
L’apprentissage de la langue doit être accompagné d’une forte incitation à la parler en public, dans les lieux de contact avec les autochtones, transports en commun, spectacles… C’est la condition pour connaître le pays, ses habitants, son histoire, ses us et coutumes. C’est aussi le meilleur moyen de se faire connaître et se faire comprendre. Cet apprentissage doit comporter un volet important concernant les règles de civilité, de bienséance en usage dans le pays d’accueil.

Un problème insoluble ?

« L'immigration constitue et constituera de plus en plus pour des peuples entiers une stratégie de survie. Elle est désormais liée à la mondialisation et à ses conséquences et ne peut de ce fait être traitée de façon isolée et indépendante d'autres aspects de ce phénomène. Elle est pour une bonne part liée à l'état du monde. Trois facteurs comptent dorénavant comme sources génératrices de flux migratoires : la persistance de guerres dans certaines régions du globe, le manque de démocratie dans une fraction importante des États du monde, enfin le décalage grandissant de niveau économique entre Nord et Sud. Les pauvres dans ce monde sont de plus en plus pauvres et de plus en plus nombreux ; ils entendent ne pas demeurer éternellement pauvres et miséreux. Que faire ? »

Initier les nouveaux arrivants à la France, à sa culture, à son histoire, c’est une autre condition de l’intégration réussie. Mais avant tout, il faut connaître la France, sa spécificité parmi les autres nations d’Europe et du monde.

Qu’est-ce que la France ?
    La France dans le monde ?

« La France n'est ni une simple province du monde, ni un simple quartier du village planétaire. La France, c'est le monde, par la géographie, l'histoire, la culture, par l'impact du génie français sur l'Univers tout entier. La première raison de cet universalisme est sans doute géographique. L'espace national français couvre le monde entier. Cette présence planétaire lui confère le troisième espace maritime mondial ainsi que le bénéfice d'une diversité climatique unique : tous les types de climat, tous les types de flore et de faune. Une telle position l'associe implicitement à la gestion et à la coresponsabilité du monde, liant son sort à celui du reste de la planète. Sa langue est en conséquence l'une des langues internationales après avoir été la première langue de la diplomatie et de la culture pendant plus de trois siècles, jusqu'au traité de Versailles en 1919 ; 180 millions de personnes vivant pour la plupart dans d'anciennes colonies françaises l'utilisent quotidiennement et prioritairement. La Fiance a inventé des formes originales de liens politiques avec des pays d'Afrique et les Etats francophones du monde, matérialisées par les institutions des sommets France-Afrique et la Francophonie. La France maintient en permanence des troupes sur le continent africain (5000 soldats).
Elle possède le quatrième commerce extérieur du globe et occupe la troisième place pour les investissements dans le monde. Elle est en retour le troisième pays d'accueil pour les investissements étrangers. Les entreprises françaises détiennent une participation dans plus de 16 000 entreprises dans le monde ; ces filiales emploient 2 550 000 salariés. Un Français sur quatre est concerné par les activités de la France avec l'étranger. Cette diversité française unique en Europe et dans le monde fait de la France le pays le plus visité au monde avec en moyenne 70 millions de touristes par an, loin devant les Etats-Unis.
La deuxième raison qui identifie la France au monde est historique au sens large, au-delà de l'histoire de la colonisation ; elle est aussi culturelle et scientifique. Qu'est-ce qui différencie fondamentalement la France des autres nations d'Europe et du monde ? Les valeurs fondatrices de la société française et de la République mettent en avant ce qui unit les hommes et les élève vers plus d'humanité. »

La France et ses valeurs fondamentales : liberté, égalité, fraternité, laïcité

Dans cette initiation de l’étranger, quel que soit son pays d’origine, quelle que soit sa culture initiale d’appartenance (dont il n’est nullement obligé de se défaire, mais, qui ne doit en aucune manière s’opposer à la connaissance ou l’acquisition, surtout au respect de celle du pays d’accueil), l’étude systématique et approfondie des valeurs de la République est primordiale.
La France fait partie des principales puissances colonisatrices du 19e siècle Elle a possédé un empire colonial important en Afrique et ailleurs sur la planète. Cette extension sur le monde fait partie de son histoire.

Grandeur et servitude

« La France a toujours su ouvrir la voie et guider. Cette colonisation qui n'a pas tenu toutes ses promesses, ses plaies mal cicatrisées ne doivent pas faire douter des capacités de la France. Elle a les ressources pour régénérer le monde. Un pays doit s'ouvrir ou se fermer. Le destin de la France, c'est l'ouverture. Son passé d'héritière des Lumières ainsi que de 1789, celui de promoteur de la démocratie universelle, l'autorise à initier et conduire à l'aube de ce troisième millénaire la nouvelle croisade pour la paix des hommes sur une planète assainie. La France doit œuvrer à l'avènement d'une nouvelle conscience citoyenne planétaire qui pourrait s'inscrire autour de trois axes fondamentaux :

-Démocratiser la vie internationale.

-Humaniser la mondialisation.

-Protéger et sauvegarder la qualité de l'environnement.

Si l'histoire lui fournit la légitimité d'une telle mission, la géographie lui en trace la voie. Carrefour de l'Europe et du Monde par sa présence sur tous les continents grâce à ses possessions d'outre-mer et sa langue, la France est de droit qualifiée pour parler le langage de l'universel. C'est sa grandeur et sa servitude. Elle ne peut s'y dérober. Les étrangers sur son sol, ressortissants de toutes les régions de la planète qui sont en situation irrégulière et qui choisissent de se mettre en travers des lois de la République ou qui manifestent la volonté évidente de nuire à la paix du pays et à la tranquillité des Français doivent être priés d'aller ailleurs. Mais la fermeture des frontières ne doit en aucun cas déboucher sur la fermeture des esprits et des cœurs dont la xénophobie, le racisme et le réflexe anti-l'autre sont une des manifestations car la France, c'est la France. L'Allemagne peut fermer ses frontières et s'en trouver fort bien, peut-être. L'Espagne ou le Danemark peuvent fermer leurs frontières et s'estimer heureux, sans doute... La France, en fermant ses frontières enferme sa civilisation, arrête son rayonnement et trahit son destin. L'immense capital d'amour, de respect et de confiance innée dont elle jouit à l'étranger et presque partout dans le monde doit être préservé quelle que soit par ailleurs la difficulté des temps et de la tâche. »
                                                                                                               (Voir Tidiane Diakité, France que fais-tu de ta République ?, L’Harmattan, Paris, 2004)

La France n’est elle-même que quand elle parle le langage de l’Universel. Ses valeurs sont sa meilleure arme et son meilleur bouclier.

 

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10 février 2019 7 10 /02 /février /2019 08:57

L’Afrique partagée (1885)

L’IMMIGRATION AFRICAINE EN FRANCE : MUTATION DU VOCABULAIRE ET DU REGARD (2)

Au pays de « nos ancêtres les Gaulois »
Quand la« marée noire » est là !
Tous les chats sont gris

La mutation du vocabulaire et du regard

Bref aperçu historique

Des Trente Glorieuses à nos jours, quoi de neuf pour les immigrés africains en France ?
Les immigrés africains anciens et nouveaux, tous gris, désormais uniformes : le nivellement.
Il échappe à beaucoup qu’il y a autant d’immigrés que d’histoires, de personnalités, de regards, que différence ne signifie pas hiérarchie, de même que couleur de peau ne signifie pas uniformité.
Par ailleurs, un  immigré (migrant !), fût-il étranger, a aussi sa part d’humanité.

Dès la fin des Trente Glorieuses, vers 1974-1975, s’opère un changement radical dans les conditions d’’entrée en France des ressortissants d’Afrique.
Avant cette date, pour un ressortissant de l’Afrique française (ex-colonies), une simple carte d’identité valide suffisait pour entrer en France, y compris par avion.
À partir des années 1975-1980, un passeport, signé par les autorités du pays de départ suffisait pour se rendre en France.
Mais de puis les années-1980-1990, le passeport doit obligatoirement comporter le visa de l’ambassade de France.

Des conditions d’accès nouvelles. Un vocabulaire et un regard nouveaux

Toute une mutation du vocabulaire suit :

-l’immigré devient le migrant, le réfugié, l’exilé, le clandestin, indésirable, suspect (qui doit baisser le front et raser les murs).
Ainsi réduit à la clandestinité, même parfois avec des papiers en règle, et faisant preuve d’une conduite à tout point irréprochable, avec une conscience aiguë du respect des règles du pays d’accueil, le migrant est suspect, car dans l’imaginaire de beaucoup, il est  chargé  de tous les maux et de toutes les tares.
Si la chance lui sourit, il devient « l’indésirable utile », voué aux tâches les moins gratifiantes, taillable et corvéable à merci, sans droits ni recours.
Cela étant, objectivement, aucun pays ne peut être contraint d’accueillir sur son sol, ceux qu’il ne veut ou ne peut pas recevoir (à l’exception de quelques cas spécifiques, généralement définis par les instances internationales), depuis que les frontières (au sens moderne du terme) existent. C’est précisément une des fonctions de la frontière physique depuis le Moyen Age.
Telle est la loi que tout migrant devrait avoir assimilée.

Faut-il forcer ces frontières malgré tout ? C’est-à-dire, les franchir sans l’accord du pays de destination ?
Chaque pays reçoit ou non des migrants selon son histoire, ses réalités et ses critères propres. Cela fait partie de ses prérogatives de souveraineté.

Collection L'Inacceptable

« La collection "L'Inacceptable" s'ouvre à celles et ceux, oiseaux aux plumes froissées, qui veulent dénoncer et contribuer à combattre la sauvagerie ordinaire du peuple de la Terre, celui-là même que l'on dit civilisé.

Pratiques odieuses, irresponsables, imbéciles, devenues normales et acceptables, barbarie érigée en dogmes... l'homme sait justifier l'injustifiable. L'Humain se doit de ne pas l'accepter.

Ouvrir les yeux et dire non.

Vaincre toutes les formes de dictatures, les manipulations, le non-respect du vivant, l'ignorance et la lâcheté ordinaires.

Donner à voir, hausser les consciences individuelles et collectives, c'est ce à quoi, humblement, mais avec détermination, cette collection voudrait contribuer.

Ouvrons les yeux.

Osons croire que le meilleur est à venir.

Rêvons, en pleine conscience, et ... Espérons en demain. »

Note de l’éditeur
« Si ce livre entre dans la collection "L'Inacceptable", ce n'est pas que l'immigration soit en elle-même... inacceptable, ceci est une évidence.

Ce qui nous fait l'intégrer, à côté de livres axés sur des pratiques à nos yeux inacceptables, c'est le traitement imposé à certains humains dans l'irrespect le plus total des Droits de l'Homme.

L'immigration et l'intégration sont des questions difficiles et complexes et il est illusoire de croire en des solutions toutes faites.

D'une part, les accueillants et les accueillis ont tous des droits et des devoirs les uns envers les autres, d'autre part il existe des limites imposées par l'économie, la politique et le social.

"L'Inacceptable" se situe ici dans le non-respect de l'autre, quand les notions de partage, de justice et de morale sont bafouées par des intérêts triviaux dans une relation dominant-dominé. »

« Des Africains en France ? Oui, mais des sujets français, des indigènes

La Première Guerre mondiale ouvrit la porte de la France aux Africains qui arrivèrent massivement pour la première fois sur le sol français. Ce fut l'occasion pour un grand nombre de Français de voir de près des Africains et de découvrir que la France avait un Empire colonial des plus vastes qui s'étendait sur tous les continents : Afrique, Amérique, Asie, Océanie et que, dans ce vaste Empire vivaient des Noirs, des Jaunes, des Arabes.
Mais, il existait aussi des soldats coloniaux dans l'armée française bien avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale : un corps spécial, les "tirailleurs" noirs de l'armée (les tirailleurs - fantassins - indigènes algériens existaient depuis 1842). Les premières unités de soldats noirs furent créées au Sénégal dès 1857 par le gouverneur Louis Faidherbe. D'autres unités furent par la suite formées dans d'autres territoires d'Afrique noire. En 1900, toutes ces unités de soldats noirs de l'armée française furent incorporées dans l'armée coloniale sous la même appellation de "tirailleurs sénégalais", même si les soldats qui composaient ce corps étaient issus d'autres territoires que le Sénégal, c’était la majorité.
Avant d'être utilisées en Europe, ces troupes noires ont participé à toutes les guerres de conquêtes coloniales du
XIXe siècle dont elles étaient le fer de lance, encadrées par des soldats français. »

Tirailleur sénégalais

« Et aujourd'hui ? Pourquoi la France malgré tout ?

"Nos ancêtres les Gaulois"

L'utilisation de la main-d'œuvre issue des colonies en temps de guerre n'avait rien de conjoncturel. Elle se poursuivit après le Second Conflit mondial. Seules les modalités s'adaptèrent aux évolutions économiques, institutionnelles et politiques.
Dès 1941-1942, l'emploi de cette main-d'œuvre spécifique fut la règle aussi bien en zone libre qu'en zone occupée. Les Indochinois et les Nord-africains furent particulièrement utilisés mais aussi les travailleurs issus de l'AOF et AEF. Pendant toute la durée de la guerre et les années qui suivirent la Libération, leur utilisation fut aussi nécessaire que strictement réglementée. Les Archives départementales d’Ille et Vilaine (entre autres), recèlent de nombreux documents émanant aussi bien de l' "État français" que du gouvernement de la IV
e République ,précisant avec vigilance et minutie les modalités de l'emploi de la main-d'œuvre venue des colonies.
Il est stipulé dans un document du même ordre daté du 7 juin 1943 émanant du Ministère d'État au Travail adressé aux Préfets régionaux et départementaux et concernant l'emploi de "
travailleurs indigènes indochinois", que "ces indigènes ne seraient pas inquiétés dans le cas où ils seraient trouvés porteurs d'un contrat de travail pour l'Allemagne ou travaillant dans une entreprise allemande". »

Tirailleur sénégalais

Et l’école française d’Afrique ?

« Si les indépendances instaurent des nations et des nationalités africaines, le passé n'est pas aboli pour autant, il s'incruste profondément et durablement dans les esprits et dans les cœurs. De ce point de vue, la colonisation française est loin d'être une simple parenthèse sans lendemain. Avant les députés, les ministres africains, les soldats et les travailleurs africains en France, il y eut surtout l'école.

 

Au commencement était l'école.

Il est un fait qu'il ne faut ni nier ni oublier et dont l'impact est immense. C'est qu'en toute chose, dans l'enseignement dispensé au sein de ces écoles de "seconde catégorie", celles des petits Africains, les Français apparaissaient comme le "modèle" par excellence, modèle à suivre aussi bien pour la langue (qui avait le suprême avantage d'être une langue écrite) que la culture, la science, la technique... De plus, la France apparaissait surtout comme la bienfaitrice universelle de ses colonies. Toute cette idéologie coloniale étant véhiculée par les manuels, les images, les symboles, mais aussi les chants scolaires.

Or, les souvenirs ne meurent pas, ils dorment.

Ces chants, peu à peu, se substituaient dans les têtes et dans les cœurs aux berceuses des mamans africaines, chants et images qui imprégnèrent fortement les jeunes esprits africains.

Ce sont là quelques mobiles occultés, refoulés, de l'immigration africaine en France.

 

Émigrer, c'est partir pour être. Partir est à la fois une culture et une nécessité. Le retour parmi les siens confère respect et considération. A ces traits culturels anciens se sont superposées d'autres motivations. La première est sans aucun doute l'émergence, au lendemain des indépendances africaines, de régimes dictatoriaux qui incitent au départ. Ensuite, les difficultés économiques génératrices de pauvreté et de misère sont une autre motivation. Aujourd'hui, c'est donc essentiellement le besoin de sécurité qui met les hommes en mouvement : sécurité économique, morale, politique.

A force d'entendre parler de leurs ancêtres les Gaulois, les Africains ont envie d'aller voir à quoi ressemblent ces ancêtres. Cette boutade d'un sociologue ghanéen est riche de sens et de sous-entendus. Qu'est-ce qui peut donc bien attirer ces étrangers immigrants ressortissants des anciennes colonies d'Afrique en ce début de XXIe siècle en France où on leur signifie qu'ils n'y sont pas attendus ? Ce qui les y attire est certainement la conséquence de l'arrivée chez eux de certains étrangers à une période de leur histoire des siècles plus tôt, tout particulièrement de la deuxième moitié du XIXe au milieu du XXe siècle. Dans ce flux d'anciens colonisés vers la France, deux phases se distinguent nettement à l'analyse des motivations. "France" a été et reste pour ces anciens colonisés ou leurs descendants le mot magique qui leur chante dans la tête, avant comme après les indépendances africaines, et qui ne peut donc laisser indifférent. Aller en France pour pouvoir ensuite dire un jour "je suis allé en France" constitue en soi, encore de nos jours, pour beaucoup, un objectif. Cette magie du mot "France" envoûte littéralement et met l'esprit en transe. Aller en France ou être allé en France force le respect et l'admiration. C'est une carte de visite équivalant à un passeport qui ouvre l'accès à un échelon social supérieur. »

« "Quand un enfant entend parler à l'école de nos ancêtres les Gaulois,  il entre dans un monde culturel aliénant par rapport à sa propre culture. On lui parle de la Reine d'Angleterre et on lui apprend davantage sur les Gaulois que sur sa propre ethnie. Ses aspirations le poussent vers l'Occident... L'Occident tire avantage de cette aliénation culturelle. Pourquoi les produits de l'Hexagone sont-ils si présents dans les anciennes colonies françaises ? s'interroge l’auteur de l’article. Question à laquelle il répond : en raison de l'identification des Africains à la culture d'origine de ces marchandises. Et de poursuivre : l'Occident ne peut à la fois accepter les avantages de cette aliénation (l'exportation de sa culture et de ses produits) et en refuser les inconvénients, l'attrait exercé sur les migrants"[Vivant Univers, n°543, mai-juin 2001, p15].
 En effet, le déversement sur les populations africaines de produits occidentaux de toutes sortes au lendemain des indépendances, ainsi que d'images racoleuses de sociétés de consommation, le tout facilité par la révolution des transports et celle des médias ( aujourd’hui, internet et les réseaux sociaux), constitue pour ces populations des sources de tentation qui les submergent.
Outre l'aspect culturel ou le prestige intellectuel, le titre de "Patrie des Droits de l'Homme" fait de la France la destination naturelle de tous ceux qui se sentent menacés dans leur existence ou dans leur liberté. Mais où en est la France en matière d'accueil et d'intégration des immigrés ? »En ce domaine d’une importance capitale, une clarification des textes, des règles et des actes  pour les pays de départ des migrants, comme pour les intéressé eux-mêmes, de mêmes que pour les Français, ‘impose.

                                            Voir Tidiane Diakité, L’Immigration n’est pas une Histoire sans paroles, Ed. Les Oiseaux de Papier.

 

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3 février 2019 7 03 /02 /février /2019 08:53

L’Afrique partagée (1885)

L’IMMIGRATION AFRICAINE EN FRANCE : MUTATION DU VOCABULAIRE ET DU REGARD (1)

Au pays de « nos ancêtres les Gaulois »
Avant la « marée noire »

Pourquoi sont-ils venus en France hier ?

Il ne s’agit pas ici de faire un historique des relations de la France avec le continent  africain depuis le 17e siècle, ni de présenter un aperçu de l’histoire de la colonisation française en Afrique (pourquoi l’Afrique ?).
Il ne sera même pas fait mention ici, de l’apport de l’Afrique à la France pendant les heures sombres de son existence : 1ère et 2e Guerres mondiales, grande dépression économique des années 1930 (1930-1939).
On ignorera notamment les 818 000 hommes recrutés sur le continent africain, de 1914 à 1918 (449 000 militaires, et 187 000 travailleurs nord-africains pour moitié).
N’apparaitront pas non plus ici, l’épisode essentiel du ralliement de l’AEF et de l’AOF à la France Libre, et les milliers de combattants africains qui se sont illustrés dans le maquis à partir de 1940 pour le général de Gaulle et pour la France.
L’apport des combattants indigènes d’Afrique pendant, et après la guerre, fut reconnu et salué. Ainsi  pour le général Mangin, promoteur de la « Force Noire », « Le sang versé sur les champs de bataille a créé, entre les soldats de la métropole et ceux des colonies, une fraternité couronnée de succès ».
René Viviani, Président du Conseil, approuve en déclarant :« Nous sommes frères dans la même douleur, nous sommes frères dans le même combat, nous communions ensemble dans la certitude de la victoire, nous défendons le sol, la civilisation, la justice… »
Quand au Petit Journal, parlant des soldats africains, il écrit : « Ils ont conquis de leur sang le titre de citoyen français ».

Le contexte actuel, propice au doute et au scepticisme généralisés, même s’il s’agit de faits d’histoire incontestables, amènera sans doute d’aucuns à se demander si la colonisation française a bien existé.

Le chercheur de terres à coloniser
Une suprématie technique et une logique d’expansion

La colonisation, partie intégrante de l’histoire de France, comme de l’histoire mondiale

« Sans doute, nul ne pourra de façon objective et définitive, tirer un bilan de la colonisation française de l'Afrique. Quelques thèmes et quelques aspects précis ne peuvent que mener, par leur analyse, à un débat sans limites. Certes, la colonisation française a réveillé des peuples intellectuellement assoupis en leur permettant de coexister dans la paix assurée par une administration moderne et leur ouvrant la voie vers la modernisation. Incontestablement, une "paix française" exista bel et bien en Afrique du temps de la colonisation, mettant un terme à une anarchie suicidaire. C'est beaucoup.

Cette colonisation fut un apport considérable pour une bonne partie de la planète en décloisonnant des peuples, leur permettant de communiquer au moyen d'une langue aux vertus universelles et universalistes. Elle mit en valeur des ressources naturelles qui, sans elle, resteraient enfouies et inutilisées pour le bien de l'humanité. Mais, elle a aussi beaucoup cassé, d'abord humainement et de ce fait, semé les germes d'une défiance multiséculaire. En mesurant chichement son action en faveur de la formation à la science et à l'esprit moderne, en ne voyant dans l'école coloniale qu'un simple instrument à produire des subalternes, ces outils animés, en évitant par ailleurs de promouvoir les cultures autochtones, elle laissa les populations africaines entre deux eaux, entre déculturation et acculturation. Le présent de ces peuples s'en ressent encore, de même que les rapports entre Français et Africains. Dans ses colonies, la République se soucia peu de ses valeurs et de sa devise.

La pire erreur de la France partout dans ses colonies, en Indochine comme en Algérie ou en Afrique subsaharienne, ce fut de mépriser les élites "francisées" c'est-à-dire profondément et sincèrement attachées à la France, à sa culture et à ses valeurs auxquelles elles ont cru jusqu'au bout. En refusant le dialogue, en humiliant perpétuellement ceux qui ne demandaient qu'à se fondre en elle, la France (les Français) a péché par complexe de supériorité et de suffisance qui n'est en fait que la marque d'un déficit d'intelligence politique. Une telle cécité se paie toujours très cher. Comment la justifier du reste au regard des principes de la République, quand on pense surtout que le summum de cette politique de cécité et de réaction fut atteint sous la IVe République au lendemain du Second Conflit mondial, de la mise en place des Nations unies ainsi que de la Déclaration universelle des droits de l'Homme ? Le constat est évident : la France se montra en deça d'elle-même (dans la mesure où la réalité fut en dessous des promesses, et les actes en opposition avec les principes proclamés). "Il y a deux façons de diffuser de la lumière : être la bougie, ou le miroir qui la reflète." De quelle manière la République a-t-elle diffusé sa lumière en Afrique ?

 

Hier, l'Empire colonial français permit d'assurer le rang de la France dans le monde, il fut la preuve et le moyen par lequel la France peut prétendre à rester une grande puissance selon le général de Gaulle ; de même aujourd'hui, le soutien et les voix des Etats africains accordés à leur ancienne métropole dans les instances internationales lui permettent de conserver sa place sur les premières marches de l'échelle des nations du monde( même si, aujourd’hui, la suprématie française sur le continent est fortement remise en question, par les Chinois, entre autres). Mais, était-ce là le but initial ? Quel fut le but premier de la France en s'engageant dans l'aventure africaine au XIXe siècle ?
Un juriste français définit la colonisation avant 1912 comme suit :

Coloniser, c'est se mettre en rapport avec des pays neufs, pour profiter des ressources de toute nature de ces pays, les mettre en valeur dans l'intérêt national et en même temps apporter aux peuples primitifs qui en sont privés, les avantages de la culture intellectuelle, sociale, scientifique, morale, artistique, littéraire, commerciale et matérielle, apanage des races supérieures. La colonisation est donc un établissement fondé en pays neuf par une race avancée, pour réaliser le double but que nous venons d'indiquer. »

L’apport de l’Afrique française ?

« Cependant, au fil des ans, le premier de ces objectifs semble l'avoir emporté sur le second, si l'on en juge par cette autre définition donnée de la colonisation par Rondet-Saint, directeur de la ligue maritime et coloniale, dans un article paru dans la "Dépêche Coloniale" du 29 novembre 1929 : Il ne faut pas se lasser de le répéter : la colonisation n 'est ni une intervention philosophique, ni un geste fondamental. Que ce soit pour nous ou pour n'importe quel autre pays, elle est une affaire. Qui plus est, une affaire comportant invariablement à sa base des sacrifices de temps, d'argent, d'existence, lesquels trouvent leur justification dans la rémunération.

La réalité est sans doute que la définition de la colonisation fut variable en France, des intellectuels aux marchands, des militaires aux politiques, au gré des tempéraments, des circonstances de la vie nationale ou internationale, des intérêts privés ou collectifs. On passe ainsi de l'assimilation culturelle à l'exploitation pure des ressources matérielles, de l'association à la domination, du paternalisme au mépris érigé en système de gouvernement. Ernest Renan n'avait-il pas déjà, dès 1871, tracé la voie et d'avance scellé les destins ? Telle la "genèse divine" des trois ordres de l'Ancien Régime : noblesse, clergé, tiers état (ceux qui combattent, ceux qui prient, ceux qui travaillent), il proclame : La nature a fait une race d'ouvriers. C 'est la race chinoise, d'une dextérité merveilleuse, sans presque aucun sentiment d'honneur ; gouvernez-la avec justice en prélevant d'elle par le bienfait d'un tel gouvernement un ample domaine au profit de la race conquérante, elle sera satisfaite. Une race de travailleurs de la terre : c’est le nègre : soyez pour lui bon et humain et tout sera dans l'ordre. Une race de maîtres et de soldats, c’est la race européenne. Que chacun fasse ce pourquoi il est fait et tout ira bien.

Ainsi, le système de la hiérarchisation sociale des trois ordres, contesté en France et aboli par la Révolution de 1789 se trouvait transposé dans les colonies françaises, fondé non sur la naissance ou le mérite mais sur la "race." Enfin, Albert Bayet, dans son discours au Congrès de la ligue des Droits de l'Homme en 1931 proclame : Le pays qui a proclamé les Droits de l'Homme a, de par son passé, la mission de répandre où il le peut, les idées qui ont fait sa propre grandeur. Oui, mais dans les colonies aussi ? En Algérie, en Indochine, en Afrique ? »
                                                                    (Voir Tidiane Diakité, France que fais-tu de ta République ?, L’Harmattan, Paris, 2004)

 

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1 octobre 2016 6 01 /10 /octobre /2016 08:17

PAUL BERT, PÉDAGOGUE DE LA RÉPUBLIQUE

D’hier à aujourd’hui, les valeurs de la République

Paul Bert (1833-1886)
Paul Bert (1833-1886)

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Docteur en médecine (physiologiste), Paul Bert fut parmi les plus ardents promoteurs de l’école laïque, gratuite et obligatoire, et sa mission de formation de « citoyens libres et patriotes ».

Ministre de l’Instruction publique de 1881 à 1882, il publia un manuel d’instruction civique pour les élèves de l’école primaire, parmi d’autres ouvrages scolaires.

Pour Paul Bert, la santé de la République est inséparable de la connaissance approfondie de ses valeurs et de leur pratique consciencieuse. C’est par l’école que se fait l’ouverture à la République.

« Liberté, Égalité, Fraternité

Tout y est », proclamait-il.

PAUL BERT, PÉDAGOGUE DE LA RÉPUBLIQUE

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  La Liberté, sens et limites

Ce qu'on n'est pas libre de ne pas faire. A qui nous devons nos libertés.

Non seulement on n'est pas libre de faire tout ce qu'on veut, mais il y a des choses qu'on n'est pas libre de ne pas faire. Ainsi, on n'est pas libre de ne pas voter. Le citoyen qui n'exerce pas son droit de vote est un mauvais citoyen et mériterait qu'on le lui enlevât. Ainsi, encore, vous, mes enfants, votre père ne serait pas libre de ne pas vous donner à manger, la loi l'y forcerait. De même, quand il sera vieux, incapable de travailler, la loi vous forcerait aussi à lui fournir de quoi manger, si vous oubliez ce devoir sacré. [...] Si votre père n'est pas libre de vous laisser mourir de faim ou de vous battre à l'excès, il ne l'est pas davantage de vous laisser dans l'ignorance absolue. Les lois l'obligent à vous faire donner l'instruction chez lui ou à vous envoyer à l'école. C'est que sa liberté ne peut pas aller jusqu'à vous nuire et à vous faire du mal.

Et il vaudrait presque autant pour vous et pour la patrie vous casser bras et jambes que de vous empêcher de rien apprendre.

Voilà l'explication du mot « liberté ». Vous voyez que nous jouissons aujourd'hui en France de libertés fort étendues, et que les honnêtes gens n'ont guère à se plaindre des limites que leur imposent les lois. Mais il n'y a pas longtemps que nous en sommes arrivés là, et je vous montrerai dans une prochaine leçon que nous devons toutes ces libertés à la Révolution de 1789. Il faut savoir de plus que les gouvernements monarchiques les avaient limitées depuis au point qu'elles existaient à peine pendant le règne des deux Napoléon. C'est la République de 1870 qui les a graduellement rétablies au degré où nous en jouissons aujourd'hui. [...]

PAUL BERT, PÉDAGOGUE DE LA RÉPUBLIQUE

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  Connaitre les valeurs pour se mouvoir avec sûreté dans la Cité

Les trois parties de la devise républicaine se tiennent.

En résumé, la fraternité est un devoir social, la charité est une vertu individuelle. Je vous ai déjà parlé, du reste, de la charité, dans le Cours de morale, et je vous en ai montré les avantages et les inconvénients, je n'y reviens pas. Comprenez-vous maintenant la différence, maître Pierre ?

Oui ? Tant mieux, car ça n'est pas facile. Réfléchissez un peu là-dessus, et vous verrez encore bien d'autres applications de la fraternité : les hôpitaux de malades, les hospices de vieillards, les asiles d'aliénés, les bureaux de bienfaisance, les crèches d'enfants, les sociétés de secours mutuel, etc. Tout cela, c'est la fraternité.

Et maintenant, assez sur ce sujet. Mais voyez quelle belle chose c'est que la devise républicaine. Tout y est. Et si vous enlevez un des trois mots, cela ne marche plus. Sans la liberté, l'égalité peut être le plus abominable des esclavages : car tout le monde est égal sous un tyran. Sans la fraternité, la liberté conduit à l'égoïsme. Oui, c'est une belle devise, on fait bien de l'inscrire sur nos édifices publics. Chacun doit la savoir par cœur, mais il faut bien comprendre ce qu'elle veut dire et j'espère que vous le comprenez maintenant.

PAUL BERT, PÉDAGOGUE DE LA RÉPUBLIQUE

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  Résumé de leçon d’instruction civique

  1. La devise de la République est « Liberté, égalité, fraternité ».
  2. Tous les Français majeurs sont libres.
  3. Les libertés les plus importantes sont : la liberté individuelle, la liberté du travail, la liberté de conscience.
  1. La propriété, le domicile, la personne de chaque citoyen sont inviolables, excepté sur l'ordre des magistrats.
  2. On n'est pas libre de ne pas respecter la liberté des autres.
  3. Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu'il vous fût fait.
  4. Il y a des choses qu'on n'est pas libre de ne pas faire, comme faire instruire ses enfants, nourrir ses vieux parents, voter, etc.
  5. Toutes nos libertés datent de la Révolution de 1789.
  6. Tous les Français sont égaux devant le service militaire, l'impôt, la justice, le suffrage universel, l'accession aux fonctions publiques.
  7. Il n'y a de différence entre eux que celles de l'intelligence, de la conduite et de l'instruction.
  8. L'égalité des biens est une chimère, celle des droits et des devoirs est une réalité.
  9. En pratique, il y a encore quelques inégalités, et surtout celle de l'instruction.
  10. La République s'efforce d'établir l'égalité de l'instruction.
  11. Il faut qu'on arrive à ceci : à tous l'instruction et à chacun selon ses mérites.
  12. Il ne suffit pas d'être libre, il ne suffit pas de faire ce qu'on veut sauf du mal aux autres, il ne suffit pas d'être l'égal des autres : il faut encore aimer les autres.
  13. Tous les Français doivent se considérer comme frères.
  14. La fraternité, c'est d'abord la justice.
  15. Ceux qui exercent des fonctions publiques doivent toujours agir selon l'intérêt public.
  16. Il ne faut jamais rien leur demander qui soit contraire à l'intérêt public ou a l'intérêt d'un autre.
  17. La fraternité est plus que la justice ; elle enseigne à rechercher les moyens de faire du bien aux autres ou de leur éviter du mal.
  18. C'est la fraternité qui a fait organiser les services des enfants assistés, des hôpitaux, des hospices, des crèches, des sociétés de secours mutuel, etc.
  19. La fraternité n'est pas la charité.
  20. La fraternité est un devoir social, la charité est une vertu individuelle.
  21. Les trois parties de la devise républicaine, « Liberté, égalité, fraternité », se tiennent. On ne peut en enlever une sans que les autres perdent leur sens et leur valeur.

Paul Bert, L'Instruction civique à l'école (1882)

PAUL BERT, PÉDAGOGUE DE LA RÉPUBLIQUE

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