Louis XIV (1638-1715)
LOUIS XIV ET SES CONTEMPORAINS DANS LE REGARD DES PEUPLES DE LA CÔTE AFRICAINE (2)
Le fatalisme, puissant facteur de dissolution de la volonté et d’aliénation de l’esprit
Le Roi-Soleil
Louis l’Africain
En réalité la France ne fut pas la première nation d’Europe à frayer le chemin du continent africain. Les Français furent de loin devancés par les Portugais qui s’y implantèrent dès le 15e siècle.
Les Portugais furent suivis par les Hollandais, redoutables ennemis du Roi Soleil, puis par les Anglais.
De la fin du 16e au début du 17e siècle, les ressortissants des autres pays d’Europe ne pouvaient se rendre en Afrique noire, s’y déplacer et entreprendre des activités commerciales sans la permission des Portugais.
Pourtant, Louis XIV fut de tous les souverains d’Europe, celui qui eut l’impact le plus fort sur les peuples d’Afrique, et de tous, celui qui sut créer avec les souverains locaux, les relations les plus solides.
Colbert Jean-Baptiste (1619-1683)
C’est Colbert, principal ministre de Louis XIV, qui fut à l’origine de l’empire colonial français d’Afrique. En effet, il fit miroiter au roi les avantages considérables du commerce des esclaves, en rapport avec la mise en valeur des colonies françaises d’Amérique (Antilles).
Avant le début du règne de Louis XIV, les marins normands ont fondé des postes (ou comptoirs) pour leurs activités commerciales sur les côtes du Sénégal, de même que sur le fleuve du même nom, commerce essentiellement fondé alors sur l’ivoire, l’or, la gomme…
Des marins dieppois fondèrent un établissement à l’embouchure du fleuve Sénégal, en 1659, qu’ils baptisèrent Saint-Louis, en l’honneur du jeune roi Louis XIV né en 1638.
Saint-Louis du Sénégal
Mais cette suprématie portugaise fut battue en brèche, d’abord par les Hollandais, puis par les Anglais ,et enfin par les Français, sous Louis XIV, qui mena une action armée considérable afin de déloger les Hollandais de l’île de Gorée, portugaise depuis 1444.
Les Hollandais furent délogés à leur tour de cette île par les Français en 1677. Pendant les guerres napoléoniennes, les Anglais, à leur tour, occupèrent l’île de 1802 à 1804. Puis, l’île de Gorée revient à la France à la faveur de la paix d’Amiens à partir de 1817. Gorée est ainsi le symbolise vivant de la rivalité acharnée entre Européens, en Afrique, du temps de Louis XIV.
Si les Portugais exercèrent une suprématie sans partage sur le continent noir du 15e siècle au début du 16e, les Français, sous le règne de Louis XIV, à leur tour, exercèrent la même suprématie vers la fin du 17e siècle, avant de la céder aux Anglais, à l’extrême fin du XVIIIe, et au XIXe siècle.
Gorée
Français et Africains
Regards croisés
«Le regard porté sur les Africains n'est guère homogène ; les opinions défavorables voisinent avec des appréciations à leur avantage. Parmi les auteurs de relation de voyage de cette dernière catégorie, figure Villault de Bellefond, envoyé spécial de la Compagnie des Indes Occidentales, qui eut, en cette qualité, l'avantage de voyager tout le long des côtes africaines. Séduit et admiratif, il écrit :
"C'est pourquoi je leur ai donné cette relation [aux Français], pour leur faire voir que ce pays n'est pas si mauvais qu'on le dépeint, mais au contraire qu'il est beau et bon [...]. C'est là véritablement que la demeure serait agréable : tout contribue à y faire couler doucement la vie : la beauté et bonté du pays, le naturel doux et traitable de ses habitants, le riz et autre chose pour la nourriture, le gain considérable et les lieux propres à bâtir."
Partout où il se trouve sur la côte d'Afrique, et à chaque étape c'est le même débordement d'enthousiasme pour ce continent. Ainsi présente-t-il la Côte-des-Dents :
"C'est une des plus belles terres que l'on voie aux Côtes de Guinée : les coteaux et les vallées y sont admirables, la roche des montagnes, qui est rouge, dans la nuance des verdures dont elles sont ombragées, forme un aspect des plus délicieux ; mais entre toutes ces places, celle du Grand-Drouin et du Rio-Saint-André sont les plus belles. [...]. Pour le Rio-Saint-André, c'est, de toute l'Afrique, le plus propres à bâtir. Le séjour d'Afrique serait préférable à l'Europe si tout y ressemblait à cette terre de laquelle relève Sierra Leone."
Ces sentiments d'admiration vont aussi aux hommes et aux femmes, à leur physique aussi bien qu'à leurs traits de caractère.
Un autre voyageur, un religieux, qui se rendit en Afrique avant Villault de Bellefond, fait preuve de compréhension, voire d'une certaine indulgence. Il constate chez les naturels du Sénégal une certaine "brutalité de vivre", contrastant selon lui avec "la politesse que l'on pratique parmi les Français". Mais il n'en tire aucune conclusion défavorable à l'égard de ces "hommes noirs"; il considère la civilité comme "un privilège accordé par Dieu aux Européens, et dont ils doivent lui rendre grâce."
Les voyageurs contemporains du Roi-Soleil ont émis des propos bruts et directs, le plus souvent produits de leurs observations et de leur intuition, sans idée préconçue ni théorie orientée, contrairement à ceux du 19e siècle qui, pour un grand nombre, ont traduit leurs observations et leurs impressions en jugement de valeur, théorisant sur la supériorité ou l'infériorité des races, reliant couleur de peau et civilisation. Ils ont ainsi conclu sur l'infériorité et l'incapacité des Noirs africains à évoluer ; d'où la nécessité de leur trouver un tuteur qui les prît en main pour leur faire gravir, par étapes, les marches escarpées de l'échelle de la Civilisation ; en un mot, les civiliser ; mission sacrée dont l'homme blanc s'assigna la tâche sur le continent africain.
Pour l'explorateur britannique David Livingstone, cependant : "Il est aussi malaisé de résumer les qualités et les aptitudes ou inaptitudes du Noir-type que celles du Blanc-type." Et surtout, écrit-il : "Le Noir d'Afrique n'est ni meilleur ni pire que la plupart des enfants des hommes."
Les Français dans le regard de l'Africain
Dans le regard de l'Africain, les Français, c'est d'abord le roi de France vu par les souverains africains et leur entourage, ainsi que par les Grands, les chefs du royaume. Pour tous, cela ne souffre aucun doute, Louis XIV est le plus grand monarque d'Europe et du monde. Un roi inégalé par sa puissance, sa fortune, sa beauté et sa magnificence.
Les représentants de la France en Afrique ont, d'une certaine manière, contribué à la construction de cette image dans l'esprit des souverains africains qui les recevaient. Ainsi, André Bruë, en visite chez le roi siratik, dit "qu'il était venu pour renouveler l'ancienne amitié qui avait été de temps immémorial entre la Compagnie royale d'Afrique et lui, que cette Compagnie qui avait pour protecteur le plus puissant roi du monde, estimait si fort son amitié".
Les rois africains ont tant de fois entendu parler, par les Français, de cette puissance inégalée du toi de France, qu'ils ont fini par faire leur cette affirmation et l'image d'un monarque à la puissance incommensurable. Ainsi, le roi Acassiny d'Issiny, comme on l'a vu dans sa lettre à Louis XIV transmise par le chevalier d'Amon, le qualifie de "plus grand Empereur de l'Univers".
Les rois africains firent preuve d'une grande curiosité à l'égard du roi de France, curiosité mêlée de respect, d'admiration, mais aussi de crainte. La plupart d'entre eux furent littéralement subjugués par la grandeur et la puissance supposées de leur homologue français et ne cessèrent de manifester à son égard une déférence marquée.
Nonobstant la propagande hollandaise, continue et insidieuse. qui fait des Français les derniers de l'Europe pour la richesse et la maîtrise du commerce, les rois africains ont une idée fixe, à laquelle ils se sont toujours tenus : le roi des Français est le roi le plus puissant, et la France est la meilleure nation d'Europe. Si les Français sont parfois réputés piètres commerçants, leurs produits sont toujours considérés comme les meilleurs.
Louis XIV et ses sujets ne sont pas admirés seulement pour la puissance de leurs armes et le rayonnement de la nation, mais aussi et surtout pour le bon goût et les délices de leurs marchandises, au premier rang desquelles se placent les liqueurs, et par-dessus tout l'eau-de-vie, prisées par les rois et leur entourage, par les chefs, les marchants et négociants. Les présents faits aux rois par Louis XIV sont la parfaite illustration de l'excellence des produits français. C'est donc avec les Français qu'il faut faire commerce ; c'est donc eux qu'il faut accueillir de préférence à toute autre nation d'Europe, et c'est eux qu'il faut admirer et imiter.
Mais c'est par cette puissance même et cette force d'attraction irrésistible que les Français inspirent également la méfiance. Dans le regard composite des Africains, deux sentiments dominent : l'admiration et la crainte ; cette dernière suscitant la méfiance.
Cette méfiance est d'abord le fait des rois. De nombreux exemples en sont rapportés dans les mémoires et rapports, tel le suivant, extrait du Journal d'André Bruë :
"Le roi du Cayor ayant exprimé avec insistance le souhait de voir un vaisseau français de près, Bruë voulut combler ce désir somme toute assez légitime venant de la part d'un souverain qui avait toujours fait commerce le plus fructueux avec la seule nation de France. Il fait amener un navire appareillant avec un déploiement inhabituel de pompes. Le roi Latir-Fal Soucabé, entouré de tous les dignitaires du royaume et des courtisans, se rendit sur le rivage pour contempler ce spectacle. Mais c'est seulement du rivage qu'il entendait jouir dudit spectacle. On fit faire quantité de mouvements à ce petit vaisseau ; et les Français s'étaient attendus que le roi monterait à bord. Mais, soit qu'il craignît la mer, ou, qu'ayant à se reprocher ses extorsions et ses violences [perpétrées si souvent aux dépens des Français], il appréhendait qu'ils ne le retinssent prisonnier, il n'osa se procurer cette satisfaction. "
Cet épisode n'est pas sans intérêt quant à la nature des relations des Français avec les Africains de la côte en ce 17e siècle finissant. Le commerce de traite constituant le ressort principal de ces rapports, comme tel, il nourrissait à la fois crainte et méfiance, non seulement du côté des rois, mais aussi des marchands d'esclaves et dans le peuple.
Cette méfiance de la part des rois et de la population semblait justifiée, car des sources relatent plusieurs cas où le roi et sa suite, invités à monter à bord d'un navire en signe d'amitié avec le capitaine, se sont retrouvés dans les chaînes au milieu d'autres esclaves, parfois vendus par les mêmes.
De simples marchands d'esclaves pouvaient être aussi victimes de ces mauvaises aventures, qui, à force de se répéter, finissaient par apparaître comme des risques du métier, qui entraient pour partie dans le regard que l'Africain portait sur le Blanc en général.
En définitive, le regard des Africains restait largement tributaire du contexte de l'époque des rencontres entre Français et autochtones, regard fait d'admiration profonde, de crainte et de méfiance. » (Tidiane Diakité, Louis XIV et l’Afrique noire, Arléa, 2013, déjà cité).
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