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AFRIQUE, LE DÉFI DE LA DÉMOGRAPHIE
Danse sur un volcan
En 2050, un terrien sur 4 sera Africain
L’étude de l’Institut national d’études démographiques (INED) publiée début septembre 2015 sous le titre : « Tous les pays du monde » est riche d’enseignement et inspire légitimement une réflexion sur la situation démographique du continent africain, tout particulièrement l’Afrique subsaharienne, car, de toutes les régions du monde, c’est cette partie qui attire l’attention par la spécificité de son dynamisme démographique.
Selon cette étude, d’ici à 2050, la population du continent africain augmentera de 111%, pour atteindre 2,5 milliards d’habitants, avec 1,3 milliard de nouveaux habitants. Ce bond spectaculaire est lié à une fécondité elle-même exceptionnelle pour ce XXIe siècle. Quand la moyenne mondiale du nombre d’enfants par femme s’établit à 2,5, la moyenne africaine est de 4,7, avec des pics de naissances dans la plupart des États. Le nombre d’enfants par femme diminue partout dans le monde sauf en Afrique.
Seize pays atteignent un taux de fécondité supérieur à 5 enfants par femme, et 8 pays se classent parmi les plus féconds au monde, avec plus de 6 enfants par femme. Selon l’INED, les femmes donnant naissance à plus de 6 enfants se trouvent désormais tous en Afrique, pour l’essentiel.
Le Niger est de loin champion avec plus de 7 enfants par femme. Suivent le Soudan du Sud : 6,9, la République Démocratique du Congo et la Somalie avec 6,6, le Tchad : 6,5, la Centrafrique : 6,2, l’Angola : 6,1, le Burkina Faso : 6.
(NB : Il n’est pas sans intérêt de comparer les taux de naissance dans ces pays avec le rang qu’ils occupent dans le Palmarès mondial de IDH (indice de développement humain) et celui du taux de scolarisation, des filles en particulier.)
Évolution de la population mondiale de 1950 à 2015
Part de chaque région dans la population mondiale (%) |
---|
Région |
1950 |
1960 |
1970 |
1980 |
1990 |
2000 |
2010 |
2015 |
Afrique |
9,1 |
9,4 |
9,9 |
10,8 |
11,9 |
13,3 |
15,1 |
16,1 |
Afrique du Nord |
1,9 |
2,1 |
2,3 |
2,4 |
2,6 |
2,8 |
2,9 |
3,0 |
Afrique subsaharienne |
7,1 |
7,3 |
7,7 |
8,4 |
9,3 |
10,5 |
12,1 |
13,1 |
Amérique |
13,5 |
14,1 |
14,1 |
13,9 |
13,7 |
13,7 |
13,6 |
13,5 |
Amérique du Nord |
6,8 |
6,8 |
6,3 |
5,7 |
5,3 |
5,1 |
5,0 |
4,9 |
Amérique latine et Caraïbes |
6,7 |
7,3 |
7,8 |
8,2 |
8,4 |
8,6 |
8,7 |
8,6 |
Asie |
55,2 |
55,9 |
57,6 |
59,1 |
60,3 |
30,6 |
60,2 |
59,8 |
Asie centrale |
0,7 |
0,8 |
0,9 |
0,9 |
0,9 |
0,9 |
0,9 |
0,9 |
Asie de l’Est |
26,4 |
26,1 |
26,6 |
26,4 |
25,8 |
24,4 |
22,7 |
21,9 |
Asie de l’Ouest |
2,0 |
2,2 |
2,3 |
2,6 |
2,8 |
3,0 |
3,4 |
3,5 |
Asie du Sud |
19,5 |
19,7 |
20,1 |
21,2 |
22,4 |
23,7 |
24,6 |
24,8 |
Asie du Sud-est |
6,5 |
7,1 |
7,6 |
8,1 |
8,4 |
8,6 |
8,6 |
8,6 |
Europe |
21,7 |
20,1 |
17,8 |
15,6 |
13,6 |
11,9 |
10,6 |
10,0 |
Océanie |
0,5 |
0,5 |
0,5 |
0,5 |
0,5 |
0,5 |
0,5 |
0,5 |
D’hier à demain
La croissance de la population africaine est continue, à un rythme accéléré de décennie en décennie, depuis le milieu du XXe siècle. Les raisons en sont multiples.
La comparaison avec d’autres continents ou régions est ainsi largement à l’avantage de l’Afrique, en nombre absolu, comme en pourcentage.
Croissance de la population mondiale entre 1990 et 2012(en %)
Monde |
33,4% |
Moyen-Orient |
68,2% |
Asie hors Chine |
42,8% |
Chine |
19% |
Afrique |
73,3% |
Amérique latine |
36,6% |
Amérique du Nord |
27,9% |
Europe |
11,5% |
Pacifique |
11,1% |
Demain ?
Pour le meilleur ou pour le pire ?
S’il est légitime de se réjouir de ce sursaut et ce dynamisme démographique de l’Afrique (qui fut longtemps le continent de loin le moins peuplé de tous), il n’en est pas moins légitime de considérer que cette croissance anarchique de sa population pose, à très court terme, une grave question quant à la capacité des États concernés, à produire les ressources nécessaires à la satisfaction des besoins de cette masse supplémentaire de population, en alimentation, santé, écoles (éducation), habitat, transports, emplois… bref, à lui assurer le minimum vital, digne et décent.
Le grand nombre et la jeunesse de la population sont une richesse et source potentielle de puissance.
« Cependant, si l'unité de mesure de la puissance est désormais le milliard d'habitants, peut-on assurer aujourd'hui que le milliard africain constitue, en l'état, le salut assuré pour ce continent ? Le taux élevé de fécondité est à la fois cause et conséquence de la pauvreté. Si les enfants africains restent les plus vulnérables, les moins scolarisés, les moins formés et les moins qualifiés, si beaucoup parmi eux n'ont d'autre horizon que la rue, la mendicité et la misère, une fécondité aussi élevée se justifie-t-elle ? Le milliard d'Africains doit-il se résoudre à devenir un milliard d'analphabètes et de nécessiteux écrasés par la misère ?
Selon le professeur Jean-Robert Pitt, il n'est de richesse que d'hommes et de femmes instruits, imaginatifs... Et selon l'adage africain, ce n'est pas la richesse qui fait l'homme, mais l'homme qui fait la richesse. Adage sensé, combien généreux et humain. Mais il faut surtout des hommes et des femmes libres et épanouis, heureux de vivre.
Il y a eu en Afrique une croissance de la production agricole de 2,6 % par an entre 1970 et 2007, mais elle a été annulée par celle de la population qui, dans la même période, s'est élevée de 2,7 %.
Le cas du Niger illustre cette réalité africaine. Régulièrement classé parmi les pays les plus pauvres de la planète dans les différents rapports du Programme des Nations unies pour le développement, ce pays cumule tous les indicateurs négatifs, à la fois effets et causes du sous-développement. Avec un taux d'analphabètes de 83,5 %, une espérance de vie ne dépassant pas 45,7 ans et un revenu par habitant de 170 dollars, il est classé à l'avant-dernier rang mondial dans ces palmarès. Comment justifier des indicateurs aussi mauvais sans prendre en considération la croissance démographique du pays, et son indice de fécondité le plus élevé de la planète : 7,07 enfants par femme ! Avec pour conséquence un bond spectaculaire du nombre d'habitants qui, si la tendance se maintient, passerait de 15,3 millions aujourd'hui à 58,2 millions en 2050. En quarante ans, la population aura été multipliée par 3,8 !
Avec une croissance aussi incontrôlée, comment éviter, demain, les conséquences d'ores et déjà prévisibles, parmi lesquelles la non-satisfaction des besoins alimentaires, le déficit de scolarisation et de formation des jeunes (principalement des filles dans un pays où une bonne proportion de la population reste réfractaire à leur scolarisation), la carence sanitaire et la question de l'emploi ? (malgré l’uranium, l’or, la bauxite, le charbon, le bétail).
Ce qui, compte tenu de l'incapacité du Niger à résoudre tous ces problèmes vitaux posés à la fois, signifie inéluctablement autant de sous-alimentés, d'enfants souffreteux, non scolarisés et par voie de conséquence, autant de futurs handicapés de la vie.
Quelle aide provenant de l'extérieur pourrait être de nature à résoudre autant de problèmes liés tant à des traits culturels qu'à une carence manifeste des pouvoirs publics ? »
Tidiane Diakité, 50 ans après, l’Afrique, Arléa, 2011.
Selon une étude des Nations unies, un pays dont la population s’accroit de 2,5% doit consacrer à l’ensemble de cette population, de 5 à 12,5 % de son revenu national selon le cas « sans que soit amélioré d’un iota le niveau de vie de ses habitants », cela n’assurant que les dépenses de « pure préservation ».
De fait, en Afrique, la croissance économique est inéluctablement enrayée par la croissance démographique, d’où cette différence entre le mot et sa réalité. (La croissance en Afrique se distingue de la croissance au Japon ou en Belgique… par son contenu et sa réalité).
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Démographie contre développement ?
L’Afrique n’a jamais su faire face seule au surcroît de ressources et d’investissements nécessaire, à la mesure de l’augmentation de sa population, en même temps qu’aux impératifs de son développement, d’où l’idée de l’aide au développement, initiée par les pays développés, principalement la France, à l’orée des années 60, celles des indépendances des colonies françaises, et l’avènement d’une politique de coopération.
La question essentielle est celle-ci :
Cette politique de coopération et d’aide au développement telle qu’elle est menée -dans le cadre multilatéral, bilatéral, public ou privé, ONG, associations diverses, jumelages… — peut-elle constituer une réelle solution pour le développement de l’Afrique, c’est-à-dire, l’amener à la capacité de nourrir, soigner, éduquer sa population, et parvenir ainsi à son émancipation et à la maîtrise de son destin ?
Le résultat de plus d’un demi-siècle d’aide et de coopération ne semble guère plaider en faveur de la manière (ou méthode) dont cette aide est dispensée depuis si longtemps.
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Aide au développement, l’indispensable révision
Il est avant tout essentiel de réviser la pratique de l’aide et de la coopération destinée à l’Afrique, et triompher enfin de ses blocages multiples (du côté des bailleurs comme du côté des bénéficiaires de l’aide).
Qu’apporte à l’Afrique du XXIe siècle une aide qui n’aurait pas comme priorité la promotion de l’école, de l’éducation de la jeunesse, la promotion de la femme en amenant celle-ci à la pleine possession des outils matériels, intellectuels et culturels de son émancipation, laquelle passe entre autres, par la maîtrise de sa fécondité ?
Qu’apporte à l’Afrique une aide qui ne mettrait pas au cœur de son programme et de sa pratique la promotion de l’agriculture, la formation des paysans, celle de la jeunesse rurale aux techniques et méthodes de culture garantissant une production suffisante et saine, en préservant la nature et l’environnement ?
Surtout, une aide efficace, en Afrique, est-elle dissociable de l’état de la société, de même qu’une certaine culture et la gouvernance ?
L’Afrique peut-elle se développer enfin, sans la maîtrise de sa démographie, et sans une population en majorité éduquée et qualifiée ?
Bref, sans une révision complète des concepts d’aide et de développement adaptés à l’Afrique du XXIe siècle, l’aide s’apparentera à un produit toxique qui déresponsabilise les États, démobilise les consciences et asphyxie l’Afrique.