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21 juin 2009 7 21 /06 /juin /2009 08:36

                                    


LE GABON ENTRE REDEMPTION ET REGRESSION

               La succession du "Président-Monarque" Omar Bongo sera-t-elle une simple formalité dynastique qui voit le fils succéder au père, ou le signal d'une rupture avec les moeurs largement partagées sur le continent, où la Constitution est taillée à la mesure (et selon le bon vouloir) du chef, et où le fils, adoubé dès la naissance, enjambe le texte fondamental de la nation pour se hisser au sommet de l'Etat, comme au Togo ou en République (dite) Démocratique du Congo ?
               Cette succession sera-t-elle une investiture dynastique ou au contraire l'éveil de la Démocratie où le chef de l'Etat est issu du suffrage honnête des citoyens ?
                Il est temps que l'Afrique donne des gages en ce sens et qu'enfin, la majorité des citoyens se reconnaisse, par le respect de son vote, dans un responsable politique de premier plan, à la tête bien faite et aux mains propres.
               En l'occurrence, les Gabonais, comme ailleurs en Afrique, sont en droit d'exiger que l'on donne aux vocables République, vote, démocratie, citoyens, leur sens véritable.
                Le cas du Gabon a valeur de test pour l'ensemble du continent. La Démocratie enfin ? C'est-à-dire le respect des citoyens, de leur personne, leurs droits, leurs biens, des biens de la nation ? L'Afrique a aujourd'hui besoin de justice et de vérité pour éviter la violence. Le respect ou non de ces valeurs fera que l'Afrique et les Africains seront respectés ou non.



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20 juin 2009 6 20 /06 /juin /2009 18:24






               

                                                                                       

               LA CUISINE FRANÇAISE AU GOÛT DES ROIS AFRICAINS

              Le goût des Africains pour les produits français en général aux XVII et XVIIIe siècles trouve quelque reflet dans l'art culinaire ; car les souverains et dignitaires africains étaient souvent invités à la table des directeurs de Compagnies ou de forts et de capitaines français sur la côte africaine. Ces contacts furent le biais par lequel vinrent l'habitude et le goût de la cuisine française. Cela est attesté par maints témoignages tel celui d'André Brüe (représentant de la France au Sénégal) qui relate l'invitation à sa table du roi de Galam, Tonca Boucani (Sénégal) en juillet 1698. On y apprend que :

              
le repas comporta les mets ordinaires, plus l'eau-de-vie et du chocolat que le roi apprécia, avouant qu'il n'en avait jamais goûté.

             
Le même André Brüe reçut à déjeuner la principale femme du Brak (un roi du Sénégal) le 10 avril 1715 :

               On servit le déjeuner, c'est-à-dire de l'eau et du miel, des confitures et des biscuits de France, de l'eau-de-vie et du vin.

 

              Dans ce domaine comme dans bien d'autres, les rois et chefs ainsi que les grands marchands africains furent les premiers relais de la mode française parmi la population. Des Marchais (déjà cité) nous apprend ainsi que :

 

              Les seigneurs et les marchands ont fait apprendre la manière de faire la cuisine à leurs esclaves chez les Européens et qu'il y en a qui se sont rendus très habiles et qui font une soupe, un ragoût, une fricassée aussi bien qu'en France. Et qu'en plus ceux qui ont de pareils officiers mangent comme les Européens et se font servir par leurs esclaves.

 

               Des Marchais fait la même constatation au sujet du roi de Juda (au Bénin actuel) lorsqu'il affirme :

               Le palais du roi est bien distribué, on y voit des lits magnifiques, des fauteuils, des canapés, des miroirs, en un mot tout ce qui peut orner une maison ... Le roi, les grands et les marchands riches ont des cuisiniers qu'ils ont fait instruire par ceux des Européens et qui réussissent à merveille, de sorte que les Européens, à qui ils donnent à manger, ne trouvent aucune différence des tables de ces seigneurs nègres  à celles des gens les plus délicats d'Europe ... On leur porte des vins d'Espagne, de Canaries, de Madère, et des vins français. Ils aiment les liqueurs et l'eau-de-vie, et il leur faut la meilleure des confitures, du thé, du café et du chocolat ; leurs tables, du moins quand ils donnent à manger, n'ont plus rien qui ressente la cuisine ancienne du pays.

 

                Le plus remarquable est que Français et rois africains s'invitent mutuellement à la table les uns des autres comme quelque chose de naturel. Bel exemple de mixité ! (Réserve de taille : la présence d'esclaves chez les uns et les autres)

                 





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13 juin 2009 6 13 /06 /juin /2009 09:11

                             
  
   

 

LES MISSIONNAIRES FRANÇAIS A L'EPREUVE DES REALITES AFRICAINES

             Si dans les domaines vestimentaire et culi-naire la mixité est directement palpable entre modes françaises et africaines, pour la religion, ce fut un peu plus compliqué. La volonté des Français, particulièrement de Louis XIV, de convertir tous les Africains au catholicisme, ne fut pas couronnée de succès pour une série de raisons.
              Le premier obstacle vient sans doute de la perception même de la religion et de son rôle dans la vie quotidienne. En témoigne ce dialogue curieux entre un voyageur français et un Africain de Juda (Ouidah, ville de l'actuel Bénin) en 1697 :

             - Combien de dieux ? demanda l'Européen.
             - Il serait difficile de les compter, leur nombre est presque infini. Si quelqu'un parmi nous veut entreprendre quelque chose d'important, il cherche d'abord un dieu dont la protection puisse le faire réussir ; il sort de chez lui dans cette idée ; le premier objet qu'il rencontre, soit un chien, soit un chat, ou quelqu'autre animal, ou même un arbre, une pierre, lui paraît être venu sur son chemin exprès pour lui offrir ce qu'il cherche. Il lui fait des offrandes ; il lui promet de l'honorer et de l'adorer toute sa vie s'il lui donne le succès ; s'il en a en effet, voilà un nouveau dieu, s'il n'en a point, il l'abandonne.

 

              Ceci laisse apparaître les sources d'un malentendu fondamental entre les religieux européens et les Africains. Pour les seconds, l'important n'était pas un salut ultraterrestre car ils attendaient plutôt de la religion ou du dieu des solutions aux besoins immédiats de leur existence quotidienne. Ainsi le dieu, fût-il celui des Chrétiens ou de toute autre origine, devait avant tout contribuer à leur assurer une croissance de leurs forces temporelles. Il devait non seulement accroître leurs biens matériels, mais aussi rendre les femmes fécondes et aider dans les luttes contre les peuples voisins ennemis. Ainsi les Africains n'ont pas toujours compris que les Européens puissent proposer le même dieu et le même rituel à des peuples voisins et de surcroît ennemis.

                Et si ces missionnaires européens n'étaient que des sorciers ou des magiciens plus doués que ceux d'Afrique ? Les Africains se sont souvent posé cette question. Le sort réservé au Sieur Du Roube par les Ethiopiens atteste cet amalgame dans l'esprit des Africains entre religieux européens et sorciers.
                La crue du Nil n'avait pas été suffisante en 1706 en Ethiopie. En conséquence, la récolte fut mauvaise dans tout le pays. Un religieux catholique français (envoyé de Louis XIV pour convertir les habitants au catholicisme) fut dénoncé par des missionnaires italiens comme responsable de la famine pour avoir empêché par magie l'arrivée des eaux du Nil. Sur ordre du roi, le religieux français fut arrêté et mis à mort.

                La compétition entre missionnaires européens est donc une des causes de leur échec en Afrique.
                    Il est une autre raison de leur échec, un autre amalgame, l'amalgame entre négriers et religieux ; car les navires qui déversaient les marchandises européennes sur les côtes d'Afrique aux XVII et XVIIIe siècles, en échange d'esclaves noirs, débarquaient également les religieux. L'association entre ces deux domaines, traite et religion, fut totale dans la conscience des Africains qui n'arrivaient pas toujours à distinguer le prêtre du négociant, tant leur association semblait parfaite. Pour eux, le  prêtre participait, tout comme le capitaine négrier ou le directeur de comptoir européen, à la traite des Noirs. Ils débarquaient des mêmes navires, ils parlaient la même langue, ils avaient la même couleur de peau, d'où cette suspicion permanente dans laquelle les Africains tenaient ces religieux. Cette collusion supposée ou effective entre le négrier et le prêtre fut fatale à la propagation de la foi. Le premier démolissait ce que le second avait bâti la veille. Le premier cherchait à tirer tout le profit possible des Africains, tandis que le second faisait appel à leur confiance pour avoir leur conscience.
                   Pire, les Africains verront parfois dans les religieux, des espions venus les épier, en vue de découvrir leurs secrets au profit des trafiquants ou de peuples voisins ennemis. Un religieux français l'affirme :

                   Les Noirs ont l'impression que la confession n'est qu'une sorte d'espionnage permettant aux missionnaires d'obtenir des renseignements sur les affaires temporelles. Le reproche principal fait au nouveau culte est de ne point offrir les mêmes services magiques à usage pratique que celui de jadis. L'idée africaine du rapport entre l'homme et le surnaturel impliquant une relation de service mutuel : sacrifices, pluies, bonnes récoltes ...

                   Dans le domaine de la religion, les missionnaires français, en particulier les Jésuites, obtinrent, semble-t-il, de meilleurs résultats en Orient, en Chine notamment, à la même époque. De même, il semblerait que la mission portugaise ait eu beaucoup plus de réussite en Afrique occidentale, tout particulièrement en Afrique centrale, que la française sur la côte ouest-africaine. Ainsi le bilan de la mission portugaise au Congo avec la promotion des tout premiers prêtres africains dans cette région d'Afrique, apparaît beaucoup plus éloquent. A aucun moment les Français n'enregistrèrent de tels succès avant le XIXe siècle.

                      Les missionnaires français de retour en Afrique au XIXe siècle eurent plus de succès que leurs homologues des XVIIe et XVIIIe siècles. En ont-ils tiré les leçons ?
                      Les progrès indéniables enregistrés par l'Eglise catholique à partir du XIXe siècle et pendant la colonisation proviennent d'une part de l'effort de scolarisation et d'autre part de la volonté de s'atteler aux soucis du quotidien. C'est en partant du social, du concret et du culturel : création d'écoles, de dispensaires, de centres de soins divers, de foyers sociaux, et en s'efforçant d'apprendre les langues locales que ces missionnaires obtinrent l'adhésion d'une fraction de la population à la foi chrétienne. En cela l'Eglise en Afrique fut plus apte à assurer la promotion de cadres africains que l'Administration coloniale laïque.

                           

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6 juin 2009 6 06 /06 /juin /2009 16:13

          
                    
              LES MOEURS DE LA COTE AFRICAINE
             SOUS  L'INFLUENCE FRANÇAISE
                

             
Déjà aux XVIIe et XVIIIe siècles, les Français dans leurs écrits ou relations de voyages en Afrique se sont intéressés aux effets sur les populations autochtones du contact entre Européens et Africains. (Les influences sont multiformes : religion, archi-tecture, alimentation, cuisine, habillement, sexualité ... Chacun de ces domaines nécessiterait plusieurs articles).
          La littérature sur ce thème des premiers contacts est abondante. En voici un bref aperçu.

           Le Père Labat (missionnaire et voyageur français, déjà cité dans des articles précédents) pense que les naturels d'Issiny sont devenus "civilisés" grâce à leurs contacts avec les Blancs, alors que les Vétères qui ne voient que les Nègres et rarement des Blancs sont plus "sauvages". Il affirme par ailleurs que le contact des Européens transforme de manière sensible la vie des Africains sur la côte occidentale "qui commencent à se faire construire des maisons rectangulaires, imitation des forts érigés par les Européens".  Et il ajoute : "Ils n'ont cependant pas encore jugé à propos de les couvrir de tuiles".

           Mais cela ne l'empêche point de souligner quelques aspects moins glorieux pour les Européens. Ainsi s'en prend-il aux Français résidant dans les comptoirs en Afrique dont la conduite selon lui portait atteinte à la moralité des Africains et réduisait à néant les efforts d'évangélisation entrepris parmi la population autochtone.

          "Le goût immodéré des indigènes pour l'alcool est imputable aux Européens qui ont introduit le commerce de l'eau-de-vie dans cette partie du monde."

          Pour lui, les Européens sont également responsables de la malhonnêteté des Africains et d'un certain nombre de pratiques tout aussi déplorables.
          Cependant, c'est surtout au XVIIIe siècle que des penseurs français portèrent les jugements sans doute les plus critiques sur la présence européenne en Afrique noire, présence qui, selon eux, comportait des aspects plutôt négatifs que positifs.

          "C'est ainsi que l'abbé Raynalj  jugeait les rapports entre Blancs et Noirs nuisibles à ces derniers. A ceux qui affirmaient que la côte africaine était, grâce à l'influence européenne, la région du continent la plus civilisée, il rétorquait qu'il y voyait, lui, la décadence la plus marquée. Les conquêtes militaires ou les richesses matérielles présentaient dans l'ensemble peu d'intérêt pour les Noirs ; seules - écrivait-il - les populations du littoral, touchées par les idées et les attitudes des Blancs avaient moralement dégénéré et étaient devenues belliqueuses et cupides. Selon lui, imposer à l'Afrique "nos institutions politiques et sociales" équivaudrait à remplacer une existence simple et idyllique par la tyrannie des conventions européennes."

          Et le religieux français de donner aux Africains en général le conseil suivant : 
          "Fuyez, malheureux hottentots, fuyez ! Enfoncez-vous dans vos forêts ... le tigre vous déchirera peut-être, mais il ne vous ôtera que la vie. L'autre vous ravira l'innoncence et la liberté."
          Jean-Jacques Rousseau est encore plus catégorique :
          "Si j'étais chef de quelqu'un des peuples de la Nigritie, je déclare que je ferais élever sur la frontière du pays une potence où je ferai pendre sans rémission le premier Européen qui oserait y pénétrer et le premier citoyen qui tenterait d'en sortir  ...".
          C'est surtout chez les "Grands", les rois, les chefs et leur entourage immédiat que l'on peut le mieux prendre la mesure de l'influence française dans les régions de la côte ouest africaine. La cour des rois représente en particulier un de ces terrains privilégiés d'observation. C'est en effet à ces lieux que se destinaient de façon prioritaire les produits de France et bon nombre de rois africains essayaient d'imiter à leur manière la cour de Louis XIV, les présents que ce dernier offrait aux rois autochtones favorisant ce désir d'imiter.
          Le Père Labat rapporte que le roi du Cayor (Sénégal) avait demandé qu'on lui fît venir un lit de France à la mode et une cuirasse des plus belles : on lui apporta l'un et l'autre. Chez la plupart des rois africains, la chaise remplace l'estrade ou le trône ancestral, les tapis remplacent les nattes faites de fibres de palmiers ou de paille. Il arrivait même à certains rois africains de se servir d'articles européens comme insignes de leur souveraineté tel le roi Brak du Sénégal qui protait un globe autour du cou dont il ne se séparait point. De même le parasol ou l'ombrelle devient pratiquement sur toute la côte d'Afrique un attribut royal.
          Le Chevalier Des Marchais (déjà cité) présente comme suit l'habillement des "Grands" à Juda (Ouidah : Bénin actuel) :
           "L'habillement du Roi et des Grands est à peu près le même : certains ont des chapeaux à la française avec des plumes et une canne à la main ... les femmes ont sur les reins cinq ou six pagnes les uns sur les autres, dont la (sic) plus longue leur couvre la moitié des jambes et les autres vont toujours en diminuant, ce qui fait comme une jupe prétintaillée comme les femmes portaient ces années passées en France".
 

j(Abbé Guillaume Raynal : historien et philosophe français (1713-1796). Son principal ouvrage : Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, publié en 1770, contient des attaques contre la politique des Etats colonisateurs, mais aussi contre le clergé et l'Inquisition. Son ouvrage fut interdit en France, et Raynal décrété d'arrestation par le Parlement, fut contraint à l'exil).





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30 mai 2009 6 30 /05 /mai /2009 13:54

       SUR LA COTE AFRICAINE, NOUVEAU 
                         VISAGE SOCIAL


          L'aspect social des rapports entre Français et Africains en Afrique aux XVIIe et XVIIIe siècles est un domaine riche mais non exploré par les historiens.
          Deux siècles de contacts ininterrompus entre les Français et les peuples de la côte ouest-africaine ne pouvaient manquer d'imprimer un cachet particulier à la vie de ces derniers. Cela se vérifie dans bien des compartiments de la vie sociale, mais aussi dans l'aspect physique des populations. Une fois de plus le Sénégal s'offre comme le terrain privilégié de l'étude de cette "nouvelle société", bien que cela se vérifie sur toute la côte, mais à un degré moindre.  
          Cependant, la promiscuité, c'est d'abord celle des Français entre eux. Qu'ils soient issus de la Noblesse, du Clergé, ou des rangs du Tiers État, qu'ils soient asociaux, instables, mauvais sujets renvoyés de la métropole vers le continent noir, face aux Africains, ils ne formaient qu'une seule "classe", qu'un seul "ordre" : celui des Français. Cette nouvelle identité française se substituant à la traditionnelle hiérarchie des ordres (noblesse, clérgé, tiers état) caractéristique de la société d'Ancien Régime en France avant la Révolution de 1789.

          Un tel brassage permet et favorise la pratique quotidienne et obligée de la langue française. Celle-ci prend alors le dessus - chez les Français vivant en Afrique - sur le patois, le dialecte ou les "parlers" locaux ayant cours dans les différentes provinces aux XVIIe et XVIIIe siècles malgré l'effort constant d'unification et de centralisation sous le règne de Louis XIV.
          Le résultat en est naturellement une meilleure connaissance et un approfondissement du français (surtout parmi les soldats) ; les ordres reçus de la métropole, qu'ils émanent du roi ou de la direction des Compagnies étant rédigés en français, c'est-à-dire la langue de l'Ile de France, lus et commentés dans cette langue. Tout ceci contribue, au delà de la langue, à une homogénéisation sociale et culturelle des Français d'Afrique.
          Ainsi, nombre de ces employés et soldats qui avaient quitté le royaume de France : Gascons ou Bretons se retrouvent "Français" en Afrique.

          D'une certaine manière, à cet égard, l'Afrique a favorisé l'unité des Français bien avant la Révolution de 1789.
          Ce brassage des ressortissants de l'Hexagone au moyen du français devenu progressivement  langue unique des Français d'Afrique facilitera plus tard - lorsque la colonisation se sera imposée à tout le continent (du moins la partie qui deviendra l'Afrique française) - la naissance de ce qui sera appelé la "société coloniale", en tous points différente de la libre et naturelle "mixité" entre Français et Africains. C'est ce renforcement des liens, la cohésion des Français ainsi profondément soudés qui facilitera leur domination sur la masse des autochtones. Cependant, la langue n'est pas seule responsable de cette cohésion, l'idéologie coloniale alors à l'oeuvre, à partir de la fin du XIXe siècle, avec ses objectifs et ses pratiques, creusait désormais un fossé entre dominants et dominés, maîtres et sujets.

 

 

          Cette présence française en Afrique ne fut pas non plus sans conséquences sur la société africaine en imprimant sa marque sur la vie quotidienne, principalement des rois, des chefs et de leur entourage. (Ce que nous verrons prochainement)

                              
                                  


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21 mai 2009 4 21 /05 /mai /2009 16:43

LE REGNE DES SIGNARES
Signare3

 


                  La longue proximité des Français et des Africains (du début du 17e siècle jusqu'à la fin du 19e car à compter de cette date, dès que s'installe la colonisation, naît une nouvelle société : la société coloniale avec ses barrières) eut un impact profond et durable en Afrique partout où s'étaient installés les Français. Mais la conséquence la plus immédiatement visible au Sénégal fut l'émergence d'une catégorie sociale nouvelle : celle des métis et surtout des signares (mot dérivé du portugais "senhora", c'est-à-dire une femme métisse née d'un Portugais et d'une Africaine dans tous les comptoirs portugais sur la côte d'Afrique depuis le 15e siècle. Avec le temps, au Sénégal notamment, le terme fini par désigner une femme, métisse ou noire, familiarisée avec la langue et les moeurs françaises qui se distingue ainsi du reste de la population féminine autochtone). 
          La règle édictée dès le 17e siècle par la direction des différentes compagnies françaises d'Afrique interdisant l'introduction de femmes métropolitaines ainsi que les règlements nombreux et drastiques qui interdisaient aux Français du Sénégal de fréquenter les femmes africaines n'eurent aucun effet. Les deux communautés commencèrent rapidement à se fréquenter, se mélanger, à se métisser. Les nombreuses unions libres et les mariages selon "la coutume du pays" entraînèrent un métissage fort répendu sur la côte.
           La présence française aboutit ainsi à une diversification ethnique et sociale, à la constitution d'une catégorie sociale nouvelle. Les mulâtres y jouent indéniablement un rôle prépondérant par leur nombre aussi bien que par leur poids économique et leurs relations (à l'aise entre les deux communautés : véritable trait-d'union entre la France et l'Afrique). 
          Les signares marquèrent profondément la société sénégalaise contemporaine et postérieure et furent à l'origine d'une littérature abondante depuis le 18e siècle qui mettait surtout en relief leur charme. Un directeur de la Compagnie, J.B. Durand les décrit ainsi : 

         
Elles sont belles, douces, tendres et fidèles. Il y a dans leur regard un certain air d'innocence et dans leur langage une timidité qui s'ajoute à leur charme. Elles ont un penchant invincible pour l'amour et la volupté...

          Maints documents évoquent  l'ascendant que ces femmes ont  de bonne heure pris sur les hommes, blancs ou noirs, en cette région d'Afrique, la pénurie de femmes, mais aussi leur beauté et leur charme 

      
 leur conférant une place exceptionnelle dans la société mixte de cette époque. Les mulâtresses et les jolies noires élues par les Français comme concubines, avaient tous les droits, étant entourées d'esclaves à leur service, ainsi que de biens de tout genre au détriement le plus souvent de la Compagnie et du commerce français... Tout leur était permis... 

          D'après un autre document ,

         
Ces signares possédaient de nombreuses cases en 1749 : dix propriétés sur treize leur appartenaient. Elles avaient aussi de nombreux esclaves que leur donnaient les Européens qui les entretenaient. Ainsi Caty Louette, signare du capitaine Aussenac avait 25 captifs et 43 captives de case, ce qui en faisait la femme la plus fortunée de Gorée. Bien plus, les signares commerçaient pour le compte de leurs "maris" et obtenaient à cet effet du directeur commandant les marchandises de France qu'on refusait aux employés d'un ordre inférieur. Elles avaient ration double ou triple, ou pour mieux dire, à souhait... Enfin toutes les choses nécessaires à la vie...

         
En marge de cette "francisation" de quelques Africains, il y eut également "africanisation" de quelques Français

          qui se sont adaptés au mode de vie des Africains, dont certains s'établirent à demeure au pays, oubliant à la longue et la Compagnie dont ils avaient dépendu, et la Métropole... par la naturalisation à la mode du pays qui en faisait "des fils de la terre" après certaines cérémonies magiques. Plusieurs de ces Français "négrifiés" furent à l'occasion des agents que la Compagnie des Indes tenta d'utiliser pour étendre sa sphère d'influence. (Archives Nationales)




         

 



   

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9 mai 2009 6 09 /05 /mai /2009 16:59

                                     

LES "IMMIGRES" FRANCAIS EN AFRIQUE AUX XVII ET XVIIIe SIECLES (3)

          Au Sénégal

          Les religieux ne sont pas non plus ignorés par ces rapports. Nombre d'entre eux sont l'objet de copieux rapports parfois aussi curieux que pittoresques. Tel celui-ci adressé au Ministre de la Marine (Archives Nationales : la concession du Sénégal) par l'abbé Demanet. Ce dernier se plaint du gouverneur de Gorée, M. Poncet, pour ne pas avoir "la table gratis chez lui" ce qui l'a amené à pourvoir à son entretien personnel et à celui de son église par les moyens qu'il a jugé bon d'utiliser. 

          Un autre rapport réfute les allégations de l'abbé :
          
         
Avant de détruire les prétentions peu fondées de cet ecclésiastique, on pense qu'il est nécessaire de mettre ici sous les yeux de Monseigneur les détails de sa conduite.
          Lorsque M. Demanet s'est embarqué sur le solide "Capitaine Rozier", ses excès de vin lui ont fait
tenir tant de propos indécents et sédicieux que M. Poncet a été obligé de le mettre en prison. Devenu libre, il s'est adonné au plus grand libertinage, et s'est associé avec de mauvais sujets dont quelques-uns ont été justiciés. Cet ecclésiastique a poussé un jour l'indécence jusqu'à vouloir forcer un soldat ivre mort à recevoir le viatique ; étant lui-même pris de vin, il a eu dispute dans cette occasion avec un sergent qui l'engageait à se retirer.
           Le chirurgien major de la colonie ayant fait appeler l'abbé Demanet pour administrer un soldat qui était à l'extrémité, il s'y rendit, et ne croyant pas le malade dans le cas urgent d'être administré, il s'est contenté de dire des horreurs au chirurgien et s'en est allé sans remplir les devoirs de son ministère ; le malade est mort le lendemain.

          Le document fort accablant pour l'ecclésiastique poursuit la charge :

         
M. Demanet avait institué une confrérie sous le nom de Sacré-Coeur, elle n'était composée que des plus jolies mulâtresses de l'île. Il disait la messe tantôt sous une tente, sur une barrique de beurre, de lard ou d'eau-de-vie et quelquefois dans sa chambre sans précautions et sans arrangement. Son tarrif pour les baptêmes et les enterrements était porté si haut que les habitants s'abstenaient de ces actes de religion ... Un jour il voulut user de quelques familiarités avec une fille qui vivait avec M. Poncet ; piqué du refus de cette fille, il lui donna des coups ... M. Poncet lui ayant fait des reproches, il lui dit : "votre p... m'a dit des sottises, je lui ai f... un soufflet, je vous en ferai autant à vous-même si le cas vous arrivait."

          L'abbé se livrait également au trafic de marchandises aux dépens de la Compagnie, nous apprend le mémoire suivant :

         
M. Demanet ayant été envoyé dans les comptoirs pour les inspecter, il lui a été délivré des marchandises du Roy pour traiter 12 captifs qu'il a vendus à son profit ; ses excès dans le vin et son libertinage l'ont fait mépriser des naturels du pays.

          Dans les Archives on relève de nombreux cas semblables comme cette déposition datée de février 1726 qui met en cause un autre ecclésiastique, l'abbé d'Arquenaux, qui, armé de pistolets et de sabres, se rendit la nuit dans le magasin de la Compagnie à Saint-Louis pour y prendre de force "deux barils d'eaut-de-vie".
          Les conditions matérielles d'existence des religieux français sur la côte d'Afrique en général, sans excuser la conduite de ces ecclésiastique pourrait dans une certaine mesure l'expliquer et peut-être atténuer les charges qui pèsent si souvent contre eux dans de nombreux mémoires. Cependant des prêtres au-dessus de tout soupçon déploraient les agissements de leurs confrères, tel l'excellent abbé Bullet qui écrivit au Ministre des Colonies :

          Je suis le moins utile dans le poste ; toute mon occupation est de dire la messe, les fêtes et les dimanches. Je n'ai que 7 Blancs qui se disent catholiques et qui n'usent de mon ministère que pour la messe".


        
Et il demanda son rappel, tant il était outré des "laideurs" dont il était environné. Ses ouialles et les autres Blancs ne songeaint " qu'au vin, au jeu, aux femmes, au commerce clandestin. André Brüe, gouverneur du Sénégal, fournit à la fois une explication et un jugement :

          Pour peu qu'ils soient lunatiques, maniaques, ou hypocondriaques, ce climat-ci leur renverse la cervelle.





     N'hésitez pas à faire vos remarques ou à poser des questions.


 

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1 mai 2009 5 01 /05 /mai /2009 17:08

                                              
LES "IMMIGRES" FRANCAIS EN AFRIQUE AUX XVII ET XVIIIe SIECLES (2)


Au Sénégal

          Afin de remédier à l'indiscipline et à "l'inconduite" des résidents, notamment les soldats, un certain nombre de mesures furent édictées depuis Paris. Une de ces mesures extraite d'un rapport de 1725 suggérait :

          Il serait à souhaiter que la Compagnie ne fît jamais embarquer sur des navires des officiers dont les familles veulent se débarasser à cause de leur libertinage, non plus que dans cette concession du Sénégal, pour commis, où au lieu de se corriger, ils deviennent encore plus mauvais parce qu'ils se croient exempts de correction.

 

          Pourquoi au XVIIe et au XVIIIe siècle l'Afrique attirait-elle tant ces sujets des rois de France ? Un voyageur français au Sénegal, Raffanel, affirme :

         
Les Européens qui habitent le Sénagal vivent sur un îlot de sable ; sur un îlot de sable sans eaux, sans terre, sans arbres, sans gazon ; sur un îlot de sable baigné pendant sept mois par des eaux salées. Ils ne sont pas propritétaires du sol et ne veulent pas le devenir. Ils n'arrivent au Sénégal que pour s'y livrer à un trafic mesquin, et ils n'attendent, pour abandonner à jamais cette terre désolée que la réalisation d'une modeste fortune ; jour de bonheur qui ne luit pas pour tous, hélas ! Voilà l'existence de la population blanche du Sénégal.

         
Et pourtant tous s'accrochent à cette terre africaine et sont prêts à tout pour y demeurer tel le Directeur de la Compagnie du Sénégal, Julien Dubellay, lorsqu'il s'est agi de le relever de son poste en 1725. Il se barricada dans le fort, armé, ainsi que les employés afin d'en interdire l'accès à son remplaçant nommé par la Compagnie.
          Pour l'immense majorité en effet, "l'acclimatation" était telle que la pire des sanctions était celle qui condamnait au retour définitif en France. Ceux des employés qui furent par leur inconduite contraints de rentrer en France, revinrent au bout de quelques mois avec l'aval de quelque membre influent de la Compagnie. Le cas extrême fut sans doute celui où des Français (protestants) ont préféré abjurer leur religion plutôt que de retourner en France. Lacourbe faisant état d'une lettre que la Compagnie lui a adressée au cours de son séjour au Sénégal rapporte ceci :

 

          [..] Enfin, elle finissait sa lettre en me recommandant de renvoyer tous les gens de la religion [c'est-à-dire les protestants], suivant les ordres du Roy ou de faire abjuration. Le leur ayant fait savoir, il n'y en eut pas un qui n'aimait mieux abjurer que de retourner en France, tant ce pays-là a de charme pour les libertins.

          Lacourbe lui-même en prenant ses fonctions au Sénégal, lors de son premier contact avec la communauté française de la concession dresse ce portrait révélateur : 

 

          Tous les anciens commis et habitants qui étaient plongés dans une oisiveté inconcevable et dans une débauche et qui étaient accoutumés à la dissension et au désordre, sans aucune religion [...] vinrent me demander à s'en retourner en France, [car il les avait fortement réprimandés sur leur inconduite] ce que je leur accordais volontiers, ayant amené avec moi bon nombre de commis que je pouvais faire plus facilement à ma façon de vivre, je retins néanmoins les ouvriers qui m'étaient absolument nécessaires et leur augmentais leurs gages. [...] 

           Mais en réalité aucun d'eux ne souhaitait partir et ne partit, "tant ils étaient accoutumés à la manière de ce pays".







     N'hésitez pas à faire vos remarques ou à poser des questions.

 

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25 avril 2009 6 25 /04 /avril /2009 15:11

                                  
LES "IMMIGRES" FRANCAIS EN AFRIQUE AUX XVII ET XVIIIe SIECLES (1)


AU SENEGAL

          C'est un chapitre peu connu que l'histoire des Français établis sur les côtes d'Afrique entre le 17e et le 19e siècle et qui cependant ne manque pas de pittoresque. Des Français "acclimatés" tentent de s'affranchir des "lois" de leur nation. Se mêlant volontiers à la population autochtone, notamment les femmes, ils forment une société qui n'est pas encore la société "coloniale" au sens propre telle qu'elle le sera au 19e et 20e siècle. Avant ces siècles, les points d'attache des Français au Sénégal comme ailleurs en Afrique sont régis au nom de la France, par les Compagnies commerciales (Cie Royale d'Afrique, Cie du Sénégal, Cie de Guinée ...).
          Les Directeurs de ces Compagnies comme ceux des Comptoirs et forts ont pouvoir de justice et de police qu'ils exercent en terre africaine au nom de la France, sur la base des lois de la métropole auxquelles sont théoriquement soumis les résidents français. Mais comment enfermer dans les contours étroits des règles civiques et morales des hommes venus de si loin avides de liberté et grisés par le grand air et l'aventure facile.
          Les archives laissées par les diverses compagnies renferment de nombreux renseignements sur la conduite de ces Français et sur la vie qu'ils menaient au Sénégal (Archives nationales, Colonies C63 : Mémoire pour la Compagnie Royale du Sénégal). D'après les rapports de directeurs généraux, de directeurs particuliers, de gouverneurs ou d'inspecteurs en mission, ces Français faisaient preuve de "très peu de qualités morales et intellectuelles". Ils se signalaient plutôt, outre l'incivisme et le manque d'esprit patriotique, par certains "penchants" fréquemment signalés et condamnés : prévarication, malversations, incapacité professionnelle, esprit de cabale et déni de justice ... Telles sont les conclusions du Sieur Lacourbe lors de son inspection en 1685 et lors de sa prise de fonction au Sénégal, en 1688 en qualité de directeur, lesquelles conclusions seront confirmées plus tard par différents rapports d'inspection : ceux de Brüe en 1723, de Saint-Robert en 1725, de Le Juge en 1732, dont suivent quelques extraits.

      

           Je viens de révoquer tout à l'heure le garde-magasin des ustensiles et d'en charger le Sieur Lescure qui s'en acquittera mieux. Le garde-magasin des vivres qui avait été surpris le soir dans une faute y est retombé ce matin en abusant de l'eau-de-vie de la Compagnie. Je l'ai révoqué sur-le-champ. 
          [...]
          Véritable vice-roi, le Directeur général se laissait entraîner à des excès d'autoritarisme et à confondre ses décisions arbitraires avec l'expression de la justice. Et bien que les lettres patentes (lettres du roi) du 5 février 1726 aient établi une juridiction spéciale pour la colonie du Sénégal, il arrivait à certains de faire fi de la légalité. (Le Juge)

         

          Les commis aux écritures étaient peu au fait des règles de la comptabilité ; à quelques exceptions près, ce sont des ignorants fiéffés ... (Plumet)

         Enfin revanche de la civilisation africaine sur l'européenne, il arrivait que des Blancs, même des commis très haut placés, allassent consulter les sorciers noirs et y payassent leurs services avec des marchandises de la Compagnie. Je ne saurais passer sous silence les superstitions de M. Julien (ditrecteur de la Compagnie) les marabouts nègres à qui il faisait des présents ; sur les prédictions desquelles il comptait comme sur des vérités ... On sait que ces marabouts parmi les Nègres procurent des objets et des bois qui causent des maladies languissantes et souvent la mort. (Delcourt)

                Cette première impression de relâchement moral et de connivence avec la population locale ne tarda pas à se confirmer dans maints autres rapports pour aboutir à cette conclusion implacable :    

          Ils étaient tombés dans une si grande corruption qu'il n'y en avait aucun, même les ecclésiatiques, qui ne se souille de toutes sortes d'excès. L'habitude en était si grande que les principaux, aussi bien que les habitants et les matelots, communiquaient aussi librement et aussi ouvertement avec les Négresses que si elles avaient été leurs légitimes femmes. C'était à qui ferait de plus belles productions et réjouissances dans cet infâme plaisir auquel on employait le plus beau et le plus précieux des marchandises de la Compagnie pour contenter et assouvir le luxe de ces impudiques. (Lacourbe)

          En conséquence, le premier soin que prit Lacourbe (nouveau directeur du comptoir) consista en des mesures urgentes, aussi radicales qu'impopulaires qui furent à l'origine de nombreuses frictions entre les "habitants" (les Français vivant au Sénégal) et le nouveau venu.

          La première de ces mesures porta sur la reconstruction de l'habitation de manière à la clore en la séparant ainsi des contacts avec les autochtones. Il s'en explique :

         
Je donnais tous mes soins à régler l'habitation. Je ne me contentais pas d'en bannir toutes les femmes du dehors ; mais pour empêcher que nos Blancs n'eussent aucun commerce avec les nouvelles chrétiennes, ni pareillement avec plusieurs marchandes qu'on est obligé de laisser coucher dans l'île parce qu'elles viennent de loin, je fis fermer la cour de l'habitation avec des palissades, et comme il n'y avait pas assez de chambres pour coucher les habitants, j'y fis apporter leurs cases faites de roseaux, et leur défendis sous peine d'une amende d'aller à celles des Négresses ; j'y fis faire aussi exactement la garde le jour et la nuit, tant pour notre sûreté que pour empêcher que personne ne couchât dehors ; je fis faire une cuisine pour tous les habitants, et les séparer par plats afin qu'ils n'eussent point besoin du secours des femmes et afin qu'ils ne prissent pas prétexte de donner leur linge à blanchir pour aller aux cases des Négresses, ou pour les faire venir dans les leurs.

           L'application de telles mesures suscita une vague de protestations de la part des Français qui reprochaient à Lacourbe d'avoir dérangé ainsi leur "ordinaire". L'intéressé lui-même en convint en ces termes :

          On ne saurait croire la peine que j'eus pour les réduire à leur devoir.

 

 

           Mais les employés et les soldats ne sont pas les seuls impliqués dans cette inconduite en Afrique, maints documents concernent également les dirigeants ou hauts cadres et plus étonnant encore des religieux, prêtres et aumôniers, comme on le verra dans un prochain article.


 

 



               N'hésitez pas à faire vos remarques ou à poser des questions.
 
 
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11 avril 2009 6 11 /04 /avril /2009 14:51


Du XVIIe au XXIe siècle, l'énigme "Noir" (3)


         Si les savants du XVIIe siècle s'empoignèrent dans des "disputes" concernant l'origine de la couleur noire, les penseurs du XVIIIe siècle inventèrent le mythe du bon sauvage   (ce qui n'empêcha ni l'asservissement des Indiens d'Amérique, ni la traite esclavagiste) avant que de pseudo scientifiques n'élaborent la théorie des "races", une hiérarchisation rigide des humains aux dépens du Noir, théorie dont je voudrais faire l'économie ici tant la littérature sur ce thème est abondante et variée.
          De cette théorie aux multiples implications, érigée en dogme, se nourriront les régimes fascistes ou fascisants du premier tiers du XXe siècle, de même qu'elle constituera le socle de l'argumentaire justifiant la colonisation de l'Afrique dans la seconde moitié du XIXe siècle.
          Un certain nombre de sources ou de thèses font des Français les premiers Européens ayant abordé les côtes africaines bien avant les Portugais. Cette antériorité supposée justifierait-elle une telle curiosité à l'égard de la couleur noire des Africains ? Curiosité qui, nulle part ailleurs en Europe, n'atteignit une telle intensité dans la recherche, la production littéraire, les débats et controverses à partir du XVIIe siècle.

 

 

Antériorité française sur les côtes africaines :

mythe ou réalité ?

          Tous les Français visitant  l'Afrique aux XVIIe et XVIIIe siècles ont entendu les autochtones affirmer que les premiers Européens qui entrèrent en contact avec eux étaient des Français. Ainsi le R. P. Labat (déjà cité) dans son ouvrage Nouvelle Relation de l'Afrique Occidentale, T.5, p. 197 parle de l'étonnement d'André Brüe (1697), l'un des principaux artisans de la fondation de l'empire colonial français d'Afrique,  en visite au fort portugais du Bisseaux (actuel Bissao, ancienne colonie protugaise) enconstatant, au cours d'une messe que :

          le tableau qui était sur l'autel portait les armes de la Compagnie de France, qui sont d'argent semé de fleurs de lis d'or sans nombre, avec des têtes de nègres pour support, et une couronne treflée. (Signe selon lui que)  ce tableau qui paraissait aussi ancien que l'autel et l'église, était une marque que les Français avaient eu un établissement au Bisseaux avant les Portugais.

          Si l'on considère que la présence portugaise dans cette région remonte au XVe siècle, cela implique que la présence des Français dans la même région est largement antérieure. Labat est formel quand il affirme :


          Il y a des apparences très bien fondées que les Normands et particulièrement les Diépois avaient reconnu, fréquenté et visité les côtes d'Afrique dès le commencement du quatorzième siècle, puisqu'on savait positivement d'une manière à n'en pouvoir douter, que le commerce était établi à Rufisque (Sénégal) et le long de la côte jusqu'à bien loin au-delà de la Rivière de Serrelionne (Sierra Leone), dès le mois de Novembre 1364 [..] Une preuve évidente que le commerce des Diépois était établi aux côtes d'Afrique en 1364, c'est qu'ils y associèrent les marchands de Rouen en 1365 [...] Après avoir augmenté leurs établissements [...] à Rufisque et sur la rivière de Gambie, ils en firent sur celle de Serrelionne et à la côte de Malaguette, dont l'un fut appelé le "Petit Paris" et l'autre le "Petit Dieppe" [...] ils poussèrent ainsi toujours leurs établissements et leur commerce et firent le fort de La Mine d'Or sur la côte de Guinée (Ghana) en 1382, aussi bien que  ceux d'Accra, de Cormentin et autres lieux qui leur produisirent des richesses immenses et qui auraient toujours augmenté à mesure qu'ils s'avançaient  le long des côtes et à l'intérieur du pays, sans les guerres civiles qui succédèrent à l'accident funeste arrivé au Roi Charles le sixième en 1392 (folie du roi Charles VI : une des causes du déclenchement de la Guerre de cent Ans). La Normandie se sentit des malheurs de la France, parce que ses princes y prirent plus de part qu'ils ne devaient ; et le contre-coup de ces malheurs tomba sur le négoce d'Afrique, qui depuis ce moment fatal tomba peu à peu.

         
Un voyageur français contemporain de Labat, Villault de Bellefond, renchérit en ces termes dans sa Relation de Voyage (1669) sous le titre Remarques sur la Coste d'Afrique et notamment sur la Coste d'Or pour y justifier que les Français y ont esté longtemps auparavant les autres nations :

          Dans une ancienne batterie du fort de La Mine, appelée encore la batterie de France, une inscription à demi effacée, laissait distinctement apercevoir les chiffres 1 et 3, premiers chiffres d'un millésimes du XIVe siècle ; on citait aussi l'existence des armes de France encore visibles dans l'église de La Mine, ainsi que sur une porte du fort d'Assem.

         
L'argumentation de Villault de Bellefond s'appuie sur des mémoires écrits par des Dieppois ainsi que sur des manuscrits de la ville de Dieppe, mais surtout sur les preuves matérielles visibles sur les lieux encore au XVIIe siècle. Il ressort d'un tel raisonnement que l'antériorité française sur les côtes d'Afrique par rapport à la présence d'autres nations européennes ne souffre le moindre doute pour son auteur.  Dans son ouvrage Histoire des colonies françaises en Amérique, en Afrique, en Asie, en Océanie, Tours, 1884, p93-94,  J.J.E. Roy abonde dans le même sens :

           En 1363 des négociants de Rouen s'étant associés à des marins de Dieppe, commencèrent à établir des comptoirs et des entrepôts de commerce sur la côte occidentale de l'Afrique noire depuis l'embouchure du Sénégal jusqu'à l'extrémité du golfe de Guinée. C'est alors que furent successivement formés les établissements français du Sénégal, de la rivière de Gambie, de Sierra Leone, et ceux de la côte de Malaguette qui portaient les noms de "Petit Dieppe" et de "Petit Paris" et que furent ensuite construits les forts français, à La Mine de l'Or, sur la côte de Guinée, à Acra et à Cormentin.

 

          Selon le même auteur, les guerres civiles et étrangères durant le XVe siècle, arrêtèrent en Normandie l'essor des entreprises maritimes : le commerce d'Afrique fut abandonné et les comptoirs français devinrent la proie des Portugais, des Espagnols, des Hollandais, des Anglais, à l'exception seulement de l'établissement du Sénégal.

          Le constat, au terme de ce rapide retour sur la curiosité suscitée par la couleur de l'homme noir, telle qu'elle apparaît dans quelques textes anciens, c'est que la couleur semble occulter le reste, c'est-à-dire l'essentiel.  Le jugement se limite au regard, le regard se limite à la couleur, c'est-à-dire à l'apparence et n'atteint pas la raison. On voit la couleur sans l'être. On ne voit que la couleur de peau, l'enveloppe. On prend ainsi l'écorce pour l'arbre, l'épiderme (le pigment) pour le coeur. Cette dissonance jouera longtemps et joue sans doute encore aujourd'hui dans les rapports entre Européens et Africains.

                        

         (Prochainement un épisode peu connu : la vie des Français au Sénégal aux XVII et XVIIIe siècles)



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