



LES MISSIONNAIRES FRANÇAIS A L'EPREUVE DES REALITES AFRICAINES
Si dans les domaines vestimentaire et culi-naire la mixité est directement palpable entre modes françaises et africaines, pour la religion, ce fut un peu plus compliqué. La volonté des Français, particulièrement de Louis XIV, de convertir tous les Africains au catholicisme, ne fut pas couronnée de succès pour une série de raisons.
Le premier obstacle vient sans doute de la perception même de la religion et de son rôle dans la vie quotidienne. En témoigne ce dialogue curieux entre un voyageur français et un Africain de Juda (Ouidah, ville de l'actuel Bénin) en 1697 :
- Combien de dieux ? demanda l'Européen.
- Il serait difficile de les compter, leur nombre est presque infini. Si quelqu'un parmi nous veut entreprendre quelque chose d'important, il cherche d'abord un dieu dont la protection puisse le faire réussir ; il sort de chez lui dans cette idée ; le premier objet qu'il rencontre, soit un chien, soit un chat, ou quelqu'autre animal, ou même un arbre, une pierre, lui paraît être venu sur son chemin exprès pour lui offrir ce qu'il cherche. Il lui fait des offrandes ; il lui promet de l'honorer et de l'adorer toute sa vie s'il lui donne le succès ; s'il en a en effet, voilà un nouveau dieu, s'il n'en a point, il l'abandonne.
Ceci laisse apparaître les sources d'un malentendu fondamental entre les religieux européens et les Africains. Pour les seconds, l'important n'était pas un salut ultraterrestre car ils attendaient plutôt de la religion ou du dieu des solutions aux besoins immédiats de leur existence quotidienne. Ainsi le dieu, fût-il celui des Chrétiens ou de toute autre origine, devait avant tout contribuer à leur assurer une croissance de leurs forces temporelles. Il devait non seulement accroître leurs biens matériels, mais aussi rendre les femmes fécondes et aider dans les luttes contre les peuples voisins ennemis. Ainsi les Africains n'ont pas toujours compris que les Européens puissent proposer le même dieu et le même rituel à des peuples voisins et de surcroît ennemis.
Et si ces missionnaires européens n'étaient que des sorciers ou des magiciens plus doués que ceux d'Afrique ? Les Africains se sont souvent posé cette question. Le sort réservé au Sieur Du Roube par les Ethiopiens atteste cet amalgame dans l'esprit des Africains entre religieux européens et sorciers.
La crue du Nil n'avait pas été suffisante en 1706 en Ethiopie. En conséquence, la récolte fut mauvaise dans tout le pays. Un religieux catholique français (envoyé de Louis XIV pour convertir les habitants au catholicisme) fut dénoncé par des missionnaires italiens comme responsable de la famine pour avoir empêché par magie l'arrivée des eaux du Nil. Sur ordre du roi, le religieux français fut arrêté et mis à mort.
La compétition entre missionnaires européens est donc une des causes de leur échec en Afrique.
Il est une autre raison de leur échec, un autre amalgame, l'amalgame entre négriers et religieux ; car les navires qui déversaient les marchandises européennes sur les côtes d'Afrique aux XVII et XVIIIe siècles, en échange d'esclaves noirs, débarquaient également les religieux. L'association entre ces deux domaines, traite et religion, fut totale dans la conscience des Africains qui n'arrivaient pas toujours à distinguer le prêtre du négociant, tant leur association semblait parfaite. Pour eux, le prêtre participait, tout comme le capitaine négrier ou le directeur de comptoir européen, à la traite des Noirs. Ils débarquaient des mêmes navires, ils parlaient la même langue, ils avaient la même couleur de peau, d'où cette suspicion permanente dans laquelle les Africains tenaient ces religieux. Cette collusion supposée ou effective entre le négrier et le prêtre fut fatale à la propagation de la foi. Le premier démolissait ce que le second avait bâti la veille. Le premier cherchait à tirer tout le profit possible des Africains, tandis que le second faisait appel à leur confiance pour avoir leur conscience.
Pire, les Africains verront parfois dans les religieux, des espions venus les épier, en vue de découvrir leurs secrets au profit des trafiquants ou de peuples voisins ennemis. Un religieux français l'affirme :
Les Noirs ont l'impression que la confession n'est qu'une sorte d'espionnage permettant aux missionnaires d'obtenir des renseignements sur les affaires temporelles. Le reproche principal fait au nouveau culte est de ne point offrir les mêmes services magiques à usage pratique que celui de jadis. L'idée africaine du rapport entre l'homme et le surnaturel impliquant une relation de service mutuel : sacrifices, pluies, bonnes récoltes ...
Dans le domaine de la religion, les missionnaires français, en particulier les Jésuites, obtinrent, semble-t-il, de meilleurs résultats en Orient, en Chine notamment, à la même époque. De même, il semblerait que la mission portugaise ait eu beaucoup plus de réussite en Afrique occidentale, tout particulièrement en Afrique centrale, que la française sur la côte ouest-africaine. Ainsi le bilan de la mission portugaise au Congo avec la promotion des tout premiers prêtres africains dans cette région d'Afrique, apparaît beaucoup plus éloquent. A aucun moment les Français n'enregistrèrent de tels succès avant le XIXe siècle.
Les missionnaires français de retour en Afrique au XIXe siècle eurent plus de succès que leurs homologues des XVIIe et XVIIIe siècles. En ont-ils tiré les leçons ?
Les progrès indéniables enregistrés par l'Eglise catholique à partir du XIXe siècle et pendant la colonisation proviennent d'une part de l'effort de scolarisation et d'autre part de la volonté de s'atteler aux soucis du quotidien. C'est en partant du social, du concret et du culturel : création d'écoles, de dispensaires, de centres de soins divers, de foyers sociaux, et en s'efforçant d'apprendre les langues locales que ces missionnaires obtinrent l'adhésion d'une fraction de la population à la foi chrétienne. En cela l'Eglise en Afrique fut plus apte à assurer la promotion de cadres africains que l'Administration coloniale laïque.
