Nés de la même source
Mon âme m'a exhorté et parlé en ces termes de peur que les louanges ne me grisent
Et que la crainte des reproches ne m'angoisse. Jusqu'à ce jour je doutais de la valeur de mon propre labeur ;
Mais voici ce que j'ai appris désormais :
Les arbres fleurissent au printemps, portent des fruits en été,
Et répandent leurs feuilles en automne pour devenir complètement nus en hiver
Sans exaltation, sans peur ni honte.
Mon âme m'a exhorté et assuré
Que je ne suis ni plus grand que le pygmée ni plus petit que le géant.
Avant ce jour, je rangeais l'humanité en deux catégories d'hommes,
L'un faible que je raillais ou dont j'avais pitié,
Et l'autre, un homme puissant que je voulais suivre ou contre lequel je voulais me rebeller. Mais à présent, je sais que je suis fait de la même poussière avec laquelle tous les hommes sont créés,
Que mes éléments sont leurs éléments et que mon être intérieur est leur être intérieur.
Ma lutte est leur lutte et leur pèlerinage est le mien.
S'ils transgressent, je transgresse moi aussi,
Et s'ils font bien, alors j'ai part à leur bonne action.
S'ils s' élèvent, je m'élève avec eux ; s'ils restent en retrait, je reste moi aussi, pour les accompagner.
Mon âme m'a exhorté et appris à voir que la lumière que je porte n'est pas ma lumière,
Que ma chanson n'a pas été créée en moi ;
Car bien que je voyage avec la lumière, je ne suis pas la lumière,
Et bien que je sois un instrument à cordes,
Je ne suis pas le joueur de luth.
Mon âme m'a exhorté, mon frère, et elle m'a éclairé.
Et souventefois ton âme t'a ainsi exhorté et éclairé.
Car tu es comme moi, et il n'est pas de différence entre nous
Si ce n'est que je dis ce qui est en moi avec des mots que j'ai entendus dans mon silence,
Et que tu gardes ce qui est en toi, et ton mutisme est tout aussi bon que mon trop plein de paroles.
Khalil Gibran, Chants de l’âme et du cœur. La Part Commune.