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11 octobre 2020 7 11 /10 /octobre /2020 07:56

INFLUENCE DE LA SCIENCE ET DE LA TECHNIQUE SUR LA CIVILISATION OCCIDENTALE

Que serait l’Occident aujourd’hui sans la science et la technique ?

André Siegfried (1875-1959)

Un  avis autorisé : André Siegfried

André Siegfried, né au Havre le 21 avril 1875 et mort à Paris le 28 mars 1959, est à la fois géographe, sociologue, historien, économiste et écrivain français. Il enseigne à partir de 1911 à  l’École libre des sciences politiques. Premier président d'honneur de l'Institut havrais de sociologie économique et de psychologie des peuples (fondé en 1937), il est élu à l’Académie des sciences morales et politiques en 1932. En 1944, André Siegfried est élu à l’Académie française et  devient le premier président de la Fondation nationale des sciences politiques en 1945.
En 1954, il fonde l’Institut des sciences et techniques humaines, classe préparatoire aux grandes écoles.

Auteur prolifique et d’une grande érudition : quelques ouvrages : Tableau politique de la France de l’Ouest sous la Troisième République, Le Canada, Puissance internationale, Les États-Unis d’aujourd’hui

L’homme et la machine ou   (L’homme inventa la  machine)

« Il me semble, quant à moi, que la civilisation occidentale repose sur un triple fondement : une conception de la connaissance, une conception de l'individu et une conception de la technique...

La conception technique de l'Occident moderne est venue de la révolution industrielle du machinisme, que nous plaçons symboliquement en 1767 avec la découverte de la machine à vapeur parce qu'elle a consisté essentiellement dans l'utilisation par l'homme des forces de la nature. Jusque-là, l'homme avait travaillé simplement avec l'outil qui était limité par la force du muscle, mais à partir de ce moment les forces de la nature ont été au service de l'homme d'une manière illimitée. De ce fait, la puissance de l'homme s'est trouvée en quelque sorte sans limite ; l'homme a pu faire quantitativement n'importe quoi. L'outil conduit par le muscle se fatigue, l'animal conduit par l'homme se fatigue, mais la fatigue n'existe pas pour la machine. Et l'homme est arrivé à cette conception — confirmée par les faits en quelque sorte — qu'il est capable de tout, que rien n'est impossible à l'homme. »

La science et la technique libèrent l’homme de tâches physiques difficiles, soulagent ses bras et ses muscles, et l’homme, à son tour domine la nature et la met à son service

Pour le meilleur ou pour le pire?

« Mais en même temps que cette conception de la technicité se modifiait, la conception de la science s'est modifiée, de même que la conception de son utilisation et son fondement moral. Vous savez que, pour les Grecs, la science est surtout une question de curiosité intellectuelle ; ce qu'elle était pour Renan : connaître le monde, découvrir les secrets de la Terre, de l'Univers, voir comment se comportent les phénomènes, non pas seulement pour s'en servir mais surtout pour les comprendre. Vous vous rappelez qu'Archimède, qui est le plus grand inventeur de tous les temps et le maître de l'efficacité et de la productivité moderne, s'excusait auprès de ses concitoyens d'avoir fait servir la science à un but matériel et à un but pratique, défendre sa patrie contre les Romains.

Dans la vie moderne, la conception de la science est devenue tout à fait différente ; pour nous, la science est devenue une occasion de production et de productivité et, dans beaucoup de cas, elle s'est confondue avec la technique. Dans l'époque moderne, nous ne considérons pas seulement la science comme un but de connaissance, mais comme un but d'amélioration des conditions de l'existence, d'amélioration du niveau de vie... »

Dans l’Antiquité grecque, science signifie curiosité : pas de science sans curiosité.
Le but de la science moderne : soulager l’homme et lui permettre de s’affirmer face à la nature

Pour le meilleur ou  pour le pire ?

« De là une conséquence extrêmement importante : cette science que, pour reprendre les termes de Nietzsche, nous pouvons appeler "apollinienne" au temps des Romains ou des Anciens, c'est-à-dire désintéressée, philosophique et poétique en quelque sorte, est devenue un instrument d'amélioration humaine et un instrument de puissance ; elle est devenue « dionysienne » et a échappé au contrôle de la raison, et toutes les tentations de la puissance et de l'impérialisme se sont présentées à celui qui détenait la science. Elle n'est donc pas seulement restée un instrument de connaissance, elle est devenue un instrument de puissance et, dans une certaine mesure, elle a intoxiqué notre conception générale de la science. »

Évolution de la science et de la technique. La science et la technique, bref, la machine au service de l’homme ou l’homme esclave de la machine ?

« Il reste à étudier dans quelle mesure ces trois fondements ont des relations l'un avec l'autre. Dans une conception saine et classique de notre civilisation occidentale, la technique devient un moyen au service de la connaissance qui est elle-même au service de l'individu. Mais vous pouvez avoir une perversion de ces relations, une hiérarchie entièrement différente dans laquelle la technique, au lieu d'être un moyen, tend à devenir un but. C'est une tendance naturelle à l'homme, car vous avez dû observer que, dans tous les domaines, au bout d'un certain temps, le moyen tend à devenir un but ; c'est ce qui explique les dangers de l'expert et les dangers du virtuose : le virtuose croit que c'est son violon qui est le but et non la musique, et il oublie que le but est non de montrer son talent et sa virtuosité, mais de créer une sensation musicale. Vous retrouverez la même tendance avec le savant et la technique : la technique tend à devenir un but et dans ces conditions — vous n'avez qu'à voir ce qu'est notre civilisation — la technique, dans beaucoup de cas, n'est pas au service de l'homme, c'est l'homme qui est au service de la machine, qui devient le prisonnier et l'esclave de la machine. Et la connaissance elle-même n'est pas au service de l'individu, elle passe au service de la technique appliquée, avec tous les dangers et toutes les tentations de la puissance. Je ne vous dis pas que c'est la règle générale, nous connaissons assez de savants désintéressés, et le véritable savant est toujours désintéressé, mais il est pris en main par les États, il perd sa liberté d'action, ou bien il est pris par l'industrie avec les tentations du gain, les tentations de la réalisation qui sont plus nobles que celles du gain, mais moins nobles que les tentations de la connaissance. Tout un problème nouveau s'est présenté qui est bien le problème de notre temps et qui peut se résumer dans les relations de la technique et de la culture. »

                                           André Siegfried, Technique et culture dans la civilisation du XXe siècle, Conférence prononcée le 6 janvier 1953.

« La machine a gagné l’homme : l’homme s’est fait machine. Il fonctionne et ne vit plus ». (Gandhi)

(Gandhi)

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