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29 mars 2020 7 29 /03 /mars /2020 07:40

QU’EST-CE QUE L’ART POUR ÉTIENNE SOURIAU ?

Quand un philosophe, féru d’art et d’esthétique, présente l’objet de sa passion

Étienne Souriau (1892-1979)

Étienne Souriau, philosophe français, professeur spécialiste de l’esthétique des Arts. Après sa sortie de l’École Normale Supérieure, il enseigne la philosophie au lycée. Après la soutenance de sa thèse de Doctorat en 1925, il est nommé à l’Université d’Aix-en-Provence, puis à Lyon, enfin à la Sorbonne.
Le professeur Souriau écrit parallèlement et produit une œuvre abondante, d’une grande richesse sur l’art et l’esthétique de l’art.
Quelques écrits parmi cette œuvre sont le reflet de la passion de leur auteur : philosophie et esthétique de l’art :

  • L’Abstraction sentimentale
  • Pensée vivante et perfection formelle
  • L’avenir de l’esthétique
  • Avoir une âme
  • L’instauration philosophique
  • Les Différents modes d’existence
  • La correspondance des Arts
  • Les Deux Cent mille Situations dramatiques

Directeur de la Revue nationale d’Esthétique, il fut un des créateurs de la filmologie française.
Élu à l’Académie des Sciences Morales et Politiques en 1958, il eut parmi son jury un certain général Charles de Gaulle.

« L’art est le plus beau des messages ». (Claude Debussy)

Définition et fonctions de l’Art

« Il est un certain travail, parfaitement distinct de tous les autres travaux auxquels s'adonne l'humanité agissante. Ce travail est essentiellement caractérisé par de fait, qu'il est entièrement mû — suscité, contrôlé, finalisé — par la vision soit imaginative soit perceptive de la chose déterminée qui doit sortir de ce travail. C'est là une attitude mentale toute spécifique de la création artistique. Elle est dominante et impérieuse dans l'âme des plus grands artistes durant qu'ils œuvrent.

Cette même attitude, on la retrouve dans la genèse plus humble, plus manouvrière, d'une poterie, d'une dinanderie, d'une orfèvrerie ; dans celle plus vaste dans l'espace, mais non guère différente en essence, d'un monument architectural. Enfin elle apparaît encore, bien que plus mentale et ordonnatrice qu'efficiente et concrète, dans les combinaisons du chef de fabrication, lorsqu'il songe à déterminer l'aspect de l'objet fabriqué que son usine répandra largement sur le marché. Quoiqu'elle en soit bien loin alors, elle est encore essentiellement analogue à celle du primitif qui confectionne péniblement des "magies" au fond d'une caverne. Partout où on la trouve, on reconnaît une grande parenté affective et pratique entre toutes les activités qu'elle dirige. Là où elle est absente, disparaît toute consanguinité avec l'art, toute possibilité d'assimilation avec l'activité des grands artistes. Et les travaux où elle est absente forment des essences sociales très nettes, parfaitement définissables, constituant effectivement ces grandes spécialisations de l'action humaine qu'on a coutume d'opposer à l'art.
C'en est assez pour que nous soyons en droit de prendre comme spécifique de l'art ce caractère de tendre essentiellement à créer des choses. »
(Étienne Souriau, L'avenir de l'Esthétique).
 

« L’art, c’est le reflet que renvoie l’âme humaine éblouie de la splendeur du beau. » (Victor Hugo)

« Un de mes amis est au piano. J'attends. Voici les trois premières mesures de la Pathétique. Bien que la porte ne se soit pas ouverte, quelqu'un est entré. Nous sommes trois ici : mon ami, moi et la Pathétique.

Ainsi, caractérisant par ce trait l'art, nous pourrions dire, d'une sorte empirique sans doute et presque terre à terre en apparence, en réalité suffisante et approfondissable : les arts, ce sont, parmi les activités humaines, celles qui sont expressément et intentionnellement fabricatrices de choses, ou plus généralement d'êtres singuliers, dont l'existence est leur fin. Le potier rustique veut l’existence d'une douzaine de pots vulgaires ;le céramiste grec, celle de l'amphore de Canosa ; Dante, celle de la Divine Comédie, et Wagner, celle de la Tétralogie. Leur labeur s'explique et s'expose entièrement par ces mots.

On présente souvent les choses autrement. On croit indispensable de faire intervenir, dans la définition de l'art, l'idée du beau. Mais c'est troubler le fait capital, par l'adjonction d'une circonstance subsidiaire, d'ailleurs équivoque et vague.

Le mot d' "art", dit le Vocabulaire technique et critique de la philosophie, désigne (au sens où il s'oppose à la technique) "toute production de la beauté par les œuvres d'un être conscient". Soit. C'est se référer à des idées courantes. Elles n'en sont pas moins désastreuses. N'insistons pas sur cette idée de conscience, destinée à éliminer l'œuvre de nature. (Et pourquoi préjuger que la nature ne peut être, en aucune façon, artiste ? D'autre part, ne signale-t-on pas souvent quelque chose d'inconscient dans l'opération du génie ? Faut-il mettre à part le génie dans l'homme qui fait œuvre d'art ?) C'est surtout la définition de l'art par une finalité vers le beau que nous trouvons téméraire, bien que presque universelle. »

« L’art, c’est le plus court chemin de l’homme à l’homme ». (André Malraux)

« Qu'a voulu l'auteur de la 25° Mazurkas ? A-t-il voulu le beau en général, cette qualité générique et vague, commune à mille êtres, à mille œuvres ? A-t-il voulu, plus spécialement, le beau en tant qu'il s'oppose au sublime, au joli, au tragique, au gracieux, au poétique ? Non-sens. N'a-t-il pas voulu, expressément et exactement, le charme unique et singulier propre à la 25e Mazurka ? N'a-t-ii pas voulu ces grâces, ces morbidesses, ces séductions, ces émouvances ou, si l'on veut, ces énervances qui font d'elle un être à part (malgré l'air de famille) non seulement parmi tous les êtres musicaux, non seulement dans l'œuvre de Chopin, mais parmi les 51 mazurkas ?

Or cette puissance particulière d'émouvoir est moins la raison d'être que le plus vif des témoignages d'existence de cet être unique, placé là devant nous et, par cette présence, si capable d'engendrer émoi ou amour, attesté plus réel que bien d'autres créatures vagues de ce monde de fantômes nommé plus spécialement le réel... » (Étienne Souriau, La Correspondance des arts, 1947)).

 

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