Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Recherche

9 février 2020 7 09 /02 /février /2020 11:45

 

LE PANAFRICANISME, UN BEAU RÊVE MUTILÉ OU UNE UTOPIE IMPROBABLE ?

Quand les indépendances en Afrique sonnent le glas du rêve panafricain

L’Afrique, ce continent singulier

Toutes les rencontres panafricaines, du 1er congrès panafricain de Londres à la conférence d’Accra (capitale du Ghana) en 1958, ont eu trois messages prioritaires :

  • La solidarité entre les Africains.
  • La coopération.
  • La fraternité.

Pour tous, avant et après l’indépendance des colonies européennes d’Afrique, le message de l’union, ce devoir de solidarité, de fraternité et de coopération, demeurait l’unique ligne de conduite, voire l’unique objet de l’indépendance.

« Ne jamais aller à l’indépendance qui serait la « balkanisation » du continent."

L’Afrique (A.O.F. et A.E.F.) devait aller groupée en fédération dans un premier temps, avant la réalisation de l’unité complète du continent, c’est-à-dire la fusion des deux grandes fédérations créées par le colonisateur français, qui semblait ainsi (conscient ou non) rendre un insigne service au continent et à ses peuples.

Quelques leaders de poids, le ghanéen Kwamé Nkrumah, comme le malien Modibo Kéita, en avaient fait la condition d’une indépendance réussie. Sinon, prédisait Modibo Kéita, l’indépendance en ordre dispersée ferait des nouveaux États, des « objets creux, à la portée de tous ceux qui seraient tentés d’en faire des esclaves asservis ».

 Afrique, les indépendances

Échec de l’esprit panafricain

À la veille des indépendances (1955-1960) une querelle plus ou moins larvée, plus ou moins virulente oppose les premiers responsables africains, ceux qui devaient avoir la charge de diriger un État indépendant (le leur).
Les égoïsmes nationaux eurent le dernier mot, des pays riches ne voulant pas donner aux autres le moyen de leur développement. « 
On ne veut pas être la vache à lait. »
Ainsi, vola en éclats toute velléité d’unité pour aller groupés à l’indépendance. C’est désormais « 
chacun pour soi ».
La mise en place de l’« organisation de l’unité africaine » ne fit pas illusion longtemps.
Les frontières mises en place par le colonisateur, qui étaient vivement critiquées de tous, furent alors bénies par les partisans de la séparation.
À la veille de la proclamation de l’indépendance, en 1960, des responsables africains, partisans du maintien de ces frontières coloniales, protestèrent vivement contre ceux qui souhaitaient leur suppression. Les premiers allèrent jusqu’à solliciter l’arbitrage de l’ancien colonisateur, en l’occurrence, le gouvernement français, afin que ces frontière restent intangibles. Et ils eurent gain de cause.

Indépendants, mais colonisés ?
     Tares anciennes et tares nouvelles

Comme symbole de cette querelle de frontières, de l’indépendance à nos jours, des conflits frontaliers opposent des États africains.
De même des conflits appelés « conflits ethnique », que l’on croyait oubliés par la volonté du colonisateur, refirent surface, à l’extérieur comme à l’intérieur des nouveaux États indépendants.
C’est la solidarité africaine qui vole en éclats et avec elle, le mot Panafricanisme, tant et si bien que ce mot est devenu un « gros mot » pour un certain nombre de responsables africains.

Et l’Afrique reste la dernière des régions du monde dans toutes les statistiques de publication des pays ou régions du monde, en particulier dans les publications annuelles de l’I.D.H. Il en sera de même dans le futur, tant que les États africains continuent de rester divisés, à l’intérieur comme à l’extérieur de leurs frontières, en marge du monde et de la modernité.
Malgré la mise en place d’une structure sensée rassembler l’Afrique : l’Organisation de l’Unité Africaine (O.U.A.), en 1963, remplacée en 2002 par l’Union africaine, qui a depuis, fourni mille preuves de sa carence, les Africains restent plus divisés que jamais, plus en 2020 qu’en 1960 ou 1970.
L’Afrique, dans sa globalité, demeure bien le continent le mieux pourvu en ressources naturelles, mais dernier. Ce ne sont pas les ressources naturelles qui créent la puissance, mais la solidarité et la coopération, l’éducation et la formation de la jeunesse, surtout, l’action intelligente et généreuse d’un État organisé, intègre, au service des populations, soucieux du bien-être de tous.

En ce début de 21e siècle, en quel domaine l’Afrique subsaharienne peut-elle se targuer d’être non seulement indépendante, mais décolonisée ?
Y compris dans le domaine culturel, sans évoquer la question linguistique, souvent remise en cause pendant la colonisation, à grands bruits, aujourd’hui considérée comme intangible. Aujourd’hui encore un artiste africain (peintre, sculpteur, musicien) pour être reconnu dans son pays, se voit obligé de faire le voyage de Paris pour être « adoubé » avant de retourner dans son pays, pour jouir à vie, de cette consécration obtenue grâce à son séjour dans l’ancienne métropole, bien que son pays natal soit indépendant depuis 60 ans.
Jusqu’à l’arrivée des moyens modernes de communication : internet, mobile… il était infiniment plus facile d’entrer en communication par téléphone avec n’importe quelle bourgade de France qu’avec la capitale de n’importe quel pays d’Afrique.

A-t-on mesuré le prix de l’indépendance, en étant bien conscient que la signature de l’acte d’indépendance n’est rien sans la décolonisation de l’esprit ? En Afrique, cette décolonisation, (c’est-à-dire la libération de l’esprit), reste à faire, condition sine qua non de l’émancipation collective et individuelle, de la construction de la nation libre, celle de l’État viable, bref, la voie sûre vers l’émergence.
À quelle condition l’indépendance aurait-elle pu rimer avec décolonisation des esprits ? Si seulement les premières élites et futurs responsables africains s’étaient donné la peine de penser le futur, le futur de l’Afrique indépendante dans tous les compartiments de la vie d’une nation libre et prospère, en ayant une idée claire de ce qu’il fallait innover, également des changements nécessaires à opérer à tous les échelons de la vie d’une nation. Mais, surtout, réfléchir penser à l’organisation de l’État, à ses responsabilités envers le peuple, aurait pu apparaitre comme une priorité et une nécessité de première importance, bref, un devoir politique, civique, et moral.

Deux questions fondamentales s’imposaient alors, la 1ère portant sur la colonisation :

  • Pourquoi et comment avons-nous été vaincus, dominés, colonisés par une poignée d’étrangers venus d’ailleurs ?
  • Et si c’était à refaire ?

Ceux qui nous ont vaincus, dominés, colonisés, auraient-ils pu le faire aujourd’hui ? A-t-on, aujourd’hui — aura-t-on demain — le moyen de résister, d’éviter cette domination, cette colonisation ? A-t-on appris la leçon du passé, celle toujours féconde de l’Histoire ?

Enfant-esclave dans une plantation de cacao

La solidarité ou l’assujettissement, l’esclavage.

La principale faiblesse de l’Afrique et des Africains par rapport aux autres peuples et aux autres régions du monde, c’est l’absence de solidarité entre États et entre individus, dans le passé comme dans le présent. C’est pour cette raison que nous avons été vaincus, dominés, assujettis hier.
À cet égard, la traite des Noirs n’aurait jamais pris cette dimension apocalyptique, si les Africains avaient été solidaires. De même qu’en ce début de 21e siècle, la mer Méditerranée ne serait pas devenue le plus grand cimetière de jeunes Africains, si les Africains faisaient preuve de solidarité et d’empathie envers leurs compatriotes.
Dans ces conditions comment aider ceux qui ne s’aident pas, qui ne sont pas solidaires et qui passent l’essentiel de leur temps à s’entre-dévorer, « fraternellement »

Ils se détestent encore plus fortement quand ils sont face à un Blanc.
Phénomène aussi ancien qu’inexplicable, un vrai mystère. Devant le Blanc, le Noir s’évertue à rabaisser son « frère » noir, afin de s’élever dans l’estime du Blanc.

Emmanuel Mounnier dans le compte rendu de son périple africain, paru sous le titre L'éveil de l'Afrique noire, (1948), présente quelques aspects de la société africaine, notamment les rapports entre les lettrés et les autres.

Il s’adresse à de jeunes instituteurs en ces termes :

« Il faudrait se souvenir à tout instant qu’il y a 2000 ans nos ancêtres, les Gaulois, étaient les nègres de César, des nègres un peu plus vêtus seulement, parce qu’il faisait froid, et qu’il n’y a pas 100 ans, ni nos grands-mères, ni nos grands-pères, pour la plupart, ne savaient lire. »

[…]

« Vous reprochez aux Blancs de vous mépriser, vous-mêmes avez le droit de mépriser les vôtres ? »

[…]

« J’ai longuement parlé à ces futurs instituteurs. On m’avait raconté ce qui est leur vie dans les villages. Quelques-uns vivent dans cette mystique admirable qui fut celle des instituteurs français il y a 75 ans.
Mais il s’en faut, hélas, que ce soit la règle. À ce premier degré de la culture où les voilà montés, ils peuvent être plein de vanité. C’est un phénomène qui n’a rien d’africain, rien de noir, on voit cela partout.
Mais tout ici devient plus grave. Ces jeunes moniteurs peuvent mépriser leurs frères de race. Il leur arrive de jouer au chef, au sultan, tout comme le garde du village…
 ».

De fait, la société indigène telle qu’elle a été pensée et organisée par le colonisateur (dans les colonies françaises en Afrique), continue de fonctionner quasiment sur les mêmes bases après les indépendances. Au sommet, les « Évolués », c’est-à-dire les lettrés, (devenus chefs d’État, responsables, administratifs…), à la base, les « non-évolués », les illettrés (paysans, artisans, … petits travailleurs manuels) méprisés par les premiers.

Quant à l’économie, elle conserve ses traits d’avant l’indépendance. C’est toujours une économie de « traite », c’est-à-dire : ils vendent les matières premières et importent les produits manufacturés.

Cela semble être aussi l’avis de Laurent Testot, l’éditorialiste de Sciences Humaines :

« Reste que son passé en a fait trop longtemps un continent de ténèbres, par les crimes qui s'y commirent. Après la longue nuit des traites négrières qui dépeuplèrent l'Afrique pour peupler de diaspora Amériques et archipels divers, prit place la parenthèse de la colonisation, quand, à la toute fin du 19e siècle, un continent entier passa aux mains d'un autre. L'Europe ne resta pas longtemps propriétaire des terres noires, mais l'événement légua un lourd passif, qui aujourd'hui encore obère l'économie du continent, l'imagination de ses élites, et mine les sociétés du monde par son héritage raciste.
C'est aussi parce qu'aujourd'hui l'Afrique rattrape son retard démographique, tout en tardant à mettre en place une économie pérenne qui ne reposerait pas sur la dilapidation de ses ressources, qu'elle inquiète. Elle doit de toute urgence se réinventer des futurs, les décliner de manière autonome, oser les défendre. Car elle sera demain au centre de toutes les attentions. Continent qui aura le moins contribué au réchauffement climatique, elle sera celui qui en souffrira le plus. 
»

Partager cet article
Repost0

commentaires

J
Bonjour, article très intéressant. Cependant se détester, manquer de solidarité n'est pas propre à l'Afrique. En Europe, les guerres entre les pays. En France : entre les couches sociales ou les métiers. Autrefois : batailles entre ouvriers de différents métiers, de différentes régions. Aujourd'hui entre groupes de la société (gilets jaunes ou autres) et la police, l'État. Destruction des biens communs...
Répondre
Merci pour ce point de vue. Mais l'Europe a, depuis, pris conscience après avoir payé le prix exorbitant de la désunion et des guerres fratricides. Ne serait-il pas souhaitable que l'Afrique, aujourd'hui, lui emboite le pas sur ce point ? TD