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1 mars 2015 7 01 /03 /mars /2015 09:18

ESCLAVAGE, TRAITE ET COLONISATION ②

Une abolition inachevée ?

Survivances et esclavage contemporain

 

A la différence de l’esclavage classique ancien, l’esclavage contemporain présente des formes multiples et n’est pas toujours facile à identifier ou à mesurer.

Il présente cependant les principales caractéristiques qui définissent l’esclavage, à savoir, le travail imposé au profit d’autrui et la privation de liberté : travail forcé, enfants soldats, servitude pour dette, jeunes femmes mariées de force, esclavage sexuel… Un esclavage déguisé, généralement clandestin, pratiqué à l’abri des regards, derrière les murs des maisons, dans des ateliers souterrains…

ESCLAVAGE, TRAITE ET COLONISATION ②

 

Dans le monde

Rares sont les régions du monde qui échappent à cette forme « moderne » de l’esclavage. Plusieurs sources dont l’ONG Walk-Free, basée en Australie et considérée comme l’une des plus fiables, arrivent aux mêmes conclusions que l’UNICEF, en 2013-2014 :

30 millions de personnes dans le monde seraient victimes de cet esclavage contemporain, avec une répartition inégale selon les régions du monde. La France aussi est citée par l’ONG comme abritant 8500 esclaves ou « personnes vivant dans les conditions de l’esclavage ».Elle est classée 139e sur les 160 pays du palmarès. Il s’agit le plus souvent de jeunes femmes étrangères employées comme « domestiques » dans des familles elles-mêmes généralement d’origine étrangère.

enfant-esclave dans une plantation de cacao
enfant-esclave dans une plantation de cacao

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En Afrique

L’Afrique occupe (avec l’Asie du Sud-est) une place de choix dans ce triste palmarès de l’esclavage contemporain.

Le commerce des êtres humains est devenu un véritable fléau qui fait des centaines de milliers de victimes en Afrique, selon la rapporteuse spéciale sur la traite des personnes du Haut Commissariat aux droits de l’homme, de l’ONU, la nigériane Joy Ezeilo, qui estime à 2,5 millions le nombre de victimes de la traite en 2008, dont plus d’un million d’enfants. Elle déclare :

« Je peux affirmer que la traite des personnes est un sujet extrêmement préoccupant pour l’Afrique, elle-même devenue un réservoir important de victimes de la traite dans le monde. […]. Le problème en Afrique est que la diversité des formes de la traite, conjuguée à la perméabilité des frontières et à la carence des organismes chargés de faire appliquer les lois, rendent ce phénomène pratiquement impossible à arrêter. »

Sur les 25 pays classés comme les premiers pays esclavagistes du monde, l’Afrique en compte 17. Et, d’une manière générale, l’Afrique subsaharienne est la région la plus « esclavagiste », avec 38 pays se situant dans les 50 premiers du palmarès de l’ONG, comme dans le classement de l’UNICEF.

Proportionnellement à la population, la Mauritanie demeure le 1er pays esclavagiste au monde, avec 150 000 esclaves sur une population de 3,7 millions d’habitants. Selon les sources, ce pays est celui où se pratique l’« esclavage absolu », où l’on vend des esclaves au grand jour et où vivent des hommes et des femmes soumis à la fois aux formes anciennes et « modernes » de l’esclavage. Des hommes, des femmes des enfants sont la propriété de leur maître. Ils peuvent être vendus, loués, échangés, offerts ; et l’esclavage y est souvent héréditaire.

 

Le Bénin est le second pays africain mis en relief par l’ONG Walk-free, qui le qualifie de « Pays d’enfants esclaves ». Le pays se classe au 7e rang sur 160 pays esclavagistes répertoriés.

ESCLAVAGE, TRAITE ET COLONISATION ②

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D’autre part les stigmates de la condition servile continuent de se transmettre de génération en génération dans ce pays comme dans la plupart des pays esclavagistes d’Afrique.

Dans certains pays, on naît et on meurt esclave si l’on est d’ascendance servile. Tout comme dans certaines sociétés où la religion joue un rôle déterminant, on prétend tirer la légitimité de l’asservissement des individus de l’islam ; se perpétuent en conséquence des inégalités en vigueur jadis (héritage, propriété, mariage, capacité juridique…).

La possession de la terre et du bétail était interdite à l’esclave ; aujourd’hui encore, dans ces sociétés, l’accès au foncier est toujours interdit aux descendants d’esclaves qui sont, en outre, soumis à des contraintes économiques : exigence de redevances et de services notamment.

La survivance de cette forme de servitude met en évidence l’incapacité (ou le manque de volonté) des États à éradiquer ces hiérarchies statutaires d’un autre âge.

 

Une lecture réactionnaire du Coran amène des familles d’anciens maîtres d’esclaves à refuser de considérer comme abrogée, d’un point de vue musulman, l’institution elle-même ; ce qui alimente, ici ou là, le discours sur la « légalité » de l’esclavage. Dans des pays à majorité musulmane (Mauritanie, Niger, Soudan…), l’esclave ou le descendant d’esclave ne peut épouser plus de deux femmes ; il ne peut partager le même cimetière que les anciens maîtres, ni diriger une prière…

ESCLAVAGE, TRAITE ET COLONISATION ②

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Esclavagisme mercantile

En Afrique, là où l’esclavage contemporain n’est pas justifié par la religion, il est motivé par l’appât du gain, et la cupidité mercantile. C’est le cas dans plusieurs pays : Bénin, Togo, Côte d’Ivoire, Nigeria entre autres.

Les stratagèmes ou appâts sont quasi identiques  sans cependant exclure toujours la violence ou l’intimidation : une promesse mirobolante pour endormir l’attention et susciter la confiance, comme l’exemple qui suit :

 

Lorsque I. A., âgée de 20 ans, s'est vu offrir en 2000 un emploi en Italie, elle a sauté sur l'occasion. La vie chez elle, au Nigéria, était pénible et les perspectives de travail pour les jeunes femmes rares. Elle savait qu'il lui faudrait entrer illégalement dans le pays et accomplir un travail mal rémunéré et subalterne. Mais cela valait mieux que de rester chez soi et la personne qui lui avait proposé du travail s'engageait à organiser son voyage et à en assumer les frais qu'elle rembourserait de ses gains.

Ce n'est qu'après son arrivée en Italie que les choses ont mal tourné, a-t-elle raconté en 2008 à la station de télévision Al-Jazeerah. A peine débarquée, on lui a fait savoir que « les étrangères démunies d'un titre de séjour n'avaient d'autre choix que de faire le trottoir. »

Le refus de travailler ou le fait de ne pas rapporter assez d'argent étaient sanctionnés par des sévices corporels, a-t-elle précisé, soulignant qu'elle était restée trois jours dans le coma après avoir été passée à tabac. Les femmes qui tentaient de s'échapper étaient souvent tuées pour servir d'exemple aux autres. « J'ai été une esclave sexuelle. On m'a trompée en me faisant venir en Italie pour un emploi qui n'existait pas.

 

On veut tirer de la personne réduite à l’état d’objet, une rentabilité matérielle maximale.

Ainsi, des enfants sont astreints à une corvée sans proportion avec leur âge, exploités, affamés, brutalisés, ou razziés et enrôlés dans des armées de guerres civiles ou de rébellions ; des femmes réduites en esclaves sexuelles.

L’Organisation internationale pour les migrations (OIM), estime que rien qu’en Italie, 10 000 à 15 000 Nigérianes sont forcées de travailler dans l’industrie du sexe.

ESCLAVAGE, TRAITE ET COLONISATION ②

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Réactions

Outre la présence et l’action de nombreuses ONG étrangères (canadiennes, américaines, européennes notamment), de plus en plus de mouvements, d’associations ou de communautés d’anciens esclaves (ou descendants d’esclaves) se créent sur le continent, et mènent un combat difficile mais persévérant, contre l’esclavage et ses survivances et pour leurs droits.

C’est le cas au Mali, de l’association TEMEDT (en tamasheq ou touareg : solidarité, fraternité et équité).

ESCLAVAGE, TRAITE ET COLONISATION ②

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Témoignages : esclaves et maître au Mali aujourd’hui

 

Témoignage 1 : Afadai Cissé

J'ai quarante cinq ans. Je suis esclave de Kel Insar dont la Fraction [le domaine] porte le même nom. Je suis toujours esclave de mon maître. Mes parents sont d'origine sonrhaï. Une partie de mes parents est restée à Goundam et l'autre partie est ici. Je pratique l'agriculture et l'élevage pour mon maître et pour moi-même. Je n'ai pas de salaire mensuel.

Ma femme s'occupe de son ménage et m'aide dans les travaux champêtres.

 

Mes enfants ne vont pas à l'école. Ils m'aident à faire les travaux champêtres et à garder les animaux du maître. Les filles aident leur mère à faire les travaux domestiques et les garçons vont au champ et conduisent les animaux. En cas de décès mes biens reviennent à mes enfants et à leur mère.

 

Ce système est devenu une coutume et on est obligé de se soumettre. Je ne peux rien oublier de ce que nous font subir les maîtres.

 

J'ai entendu parler de cette association (TEMEDT), mais c'est ma première fois ( sic )de prendre contact avec vous. Je veux être libre et avoir les moyens de travailler la terre et d'élever des animaux. 

 

Témoignage 2 : Gaichata Walet Ingall

Je suis dans une Fraction de marabout Kel Oussouk, dans l'Azaouaek. Je suis esclave par ascendance : c'est-à-dire, esclave née de père et de mère esclaves.

 

Nous sommes des « domestiques », nous nous occupons de tous les petits travaux domestiques : la cuisine, la surveillance des petits ruminants, des vaches et des chameaux. Mais le travail que je déteste le plus, c'est lorsque je dois laver la Maîtresse car, elle pèse très lourd, elle peut se déplacer à peine.

 

Je lui apporte toutes les nuits dix litres de lait de chamelle qu'elle consomme avant le matin. Je dors à côté de son lit, et toutes les heures, elle me réveille pour lui servir une tasse de lait. Cette corvée est suivie d'une autre, celle de l'assister chaque fois qu'elle doit aller aux besoins.

 

La Maîtresse nous instruit qu'un esclave doit toujours obéir à son maître pour avoir sa bénédiction et prétendre au paradis dans l'au-delà. Je ne connais aucun de mes parents, peut-être qu'ils sont en vie quelque part, réduits en esclavage dans une autre partie du pays ! 

 

Témoignage 3 : Hassey Sinayoko (ancien propriétaire d'esclaves)

« Moi personnellement, j'ai possédé des esclaves et ce jusqu'à maintenant. Je les ai hérités de ma grand-mère (la mère de mon père). Ce sont les descendants des esclaves de ma grand-mère. Bien que je ne réside pas à Djenné, les descendants de la servante de ma grand-mère viennent me rendre visite jusqu'ici à Konna. Chaque année, j'en reçois un contingent chez moi ici (hommes et femmes). Ils sont tous issus de la servante de ma grand-mère. Quand ils débarquent chez moi ici à Konna, les rapports sont très clairs : ils se savent esclaves et moi je me sens leur maître et en même temps leur propriétaire et leur protecteur, même si nous ne résidons pas ensemble dans la même localité. Ils respectent beaucoup les liens qui nous unissent. Ils font tout pour mes femmes et pour moi ici : travail domestique (cuisine, vaisselle, linge) et toute autre activité y afférente. En revanche, je les respecte dans l'exercice de leur statut d'esclave, statut défini et caractérisé par leur comportement fait d'une certaine impudeur dans les faits et gestes quotidiens : injures, trop peu regardants sur la moralité, basse besogne, etc.

 

Une année, [la visite d’] un de mes esclaves a coïncidé avec le mariage de ma propre fille ici à Konna. Il s'en est bien réjoui car, c'est en de telles occasions qu'un esclave peut faire montre de son utilité. Quand le cortège, se rendait dans la belle famille (la famille du mari), c'est lui qui portait sur sa tête la malle qui contenait les affaires de la mariée. Ce genre de prestation est exclusivement réservé aux esclaves dans notre zone ici. Tout le monde le sait. Cet esclave n'a pas dissimulé son statut social, il en était d'ailleurs fier. Après la cérémonie, il a reçu beaucoup de cadeaux.

 

Ce type d'esclavage ne disparaîtra jamais dans notre société, malgré les vicissitudes du temps. Moi, je ne peux pas les affranchir car je les ai hérités de mes parents, un héritage est sacré. Ces esclaves eux-mêmes ont accepté leurs conditions qui leur sont presque congénitales. Je suis descendant du propriétaire de leur ascendante. Ni eux, ni moi ne pouvons rien y changer ».

 

Témoignage 4 : Mori Coulibaly

Je suis l'esclave de Moussa Diawara. Nous sommes natifs de Nioro et nous ne quitterons jamais la terre de nos ancêtres pour continuer à servir nos maîtres. Mon père fut l'esclave de son père, mon grand-père fut l'esclave de son grand-père et mon fils sera l'esclave de son fils. Donc, je suis fier et j'exécuterai aveuglement tout ce qu'il me demandera.

 

Laissez-nous dans notre statut d'esclave et ne revenez plus nous sensibiliser pour être ce que vous appelez homme libre. Dans mon statut d'esclave, je me sens plus à l'aise que toi homme libre mais qui souffres ;à peine tu arrives à subvenir à tes besoins.

 

Chez mon maître, je ne manque de rien, il me met dans toutes les conditions, je mange à ma faim, ma femme, mes enfants aussi. Alors qui dit mieux, vous, homme libre, que tirez-vous de votre liberté ? De grâce, ne revenez plus ici, car vous ne pouvez pas mettre fin à ce bonheur que Dieu nous a envoyé.

(TEMEDT, Esclavage au Mali. Des victimes témoignent, L’Harmattan, 2014)

ESCLAVAGE, TRAITE ET COLONISATION ②

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commentaires

C
Je passe régulièrement sur votre blog qui est pour moi une profonde et riche source d'inspiration. J'ai pu observé dans les commentaires de votre blog l'usurpation de l'identité d'un des membres actifs nommé "Luc" et je porte un regard attristé sur ce genre de comportement à l'égard des autres utilisateurs de cette grande et belle communauté qu'est internet.<br /> <br /> Amitiés, Claude.
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Bonjour,<br /> La faute est imputable à Overblog qui a "cafouillé" en actualisant son site. Je le déplore sincèrement. TD
E
Frustrés et déçus des tracasseries de la colonisation, les intellectuels Africains présentent les normes d'une action possible face à la domination de l'idéologie coloniale. Ils affirment le droit pour les Africains à l'indépendance totale, à un nouveau style de pensées, de paroles et de vie. Cela se manifeste par l’exhumation de la culture africaine. A partir des tableaux d'occurrence et d'opportunité, d'apparition de l'Autre, le moment était enfin arrivé qu'une philosophie dite africaine puisse s'énoncer et ce, d'autant plus que déjà dans les domaines de l'art, de la littérature (entendue comme poésie et romans), des hommes Noirs avaient fait leurs preuves. Il manquait en quelque sorte la sanction philosophique à cette reconnaissance de la place du Noir ou de l'Africain dans le monde. Mais que vaut cette philosophie ? Pourquoi Marcien Towa la considère-t-il comme une ethnophilosophie ? Est-elle foncièrement dissociable de la philosophie européenne ? L’ethnophilosophie est-elle une philosophie africaine spécifique ?
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D
" Un peuple qui en opprime un autre ne peut pas être libre" ; A méditer<br /> Amitiés<br /> Diane
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Je suis tout à fait de cet avis. Amitiés. TD
L
Nous avons marché sur la lune et réussi bien d'autres exploits. Mais l'homme ne se connaît pas encore, et connaît encore moins l'art de vivre avec ses semblables, avec les autres animaux et avec le monde matériel. Le poète anglais Alexander Pope disait : "The proper study of mankind is man" (l'étude qui convient à l'homme, c'est l'homme). Amitié, Luc.
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En effet, il reste du chemin à faire pour que l'homme soit Homme ! Amitiés. TD